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Décision d’un président
Robert Bruce

Égalité dans l’opposition, Président Robert Bruce, Assemblée législative du Yukon, le 9 décembre 1996.

Contexte : Aux dernières élections générales, deux partis d’opposition, le Parti du Yukon et le Parti libéral, ont remporté un nombre égal de sièges. Le 5 décembre 1996, le député de Riverside, (Jack Cable), a demandé lequel des deux partis allait former l’opposition officielle à la Chambre. Le député de Porter Creek-Nord, (John Ostashek), est également intervenu à ce sujet. En rendant sa décision, la présidence s’est référée au Règlement de l’Assemblée législative du Yukon, aux précédents de l’Assemblée législative du Yukon, à la législation du Yukon et aux précédents de la Chambre des communes du Canada.

Si elle s’est référée aux précédents de la Chambre des communes, c’est que l’article 1 du Règlement de l’Assemblée législative du Yukon prévoit que, dans les cas non prévus par le Règlement ou par des ordres sessionnels ou autres, les pratiques et les procédures de la Chambre des communes du Canada s’appliquent dans la mesure du possible.

Décision du Président Robert Bruce : La première question est de savoir s’il faut une opposition officielle à l’Assemblée législative du Yukon. Or, comme il est souvent fait mention de l’opposition officielle ou du chef de l’opposition officielle dans le Règlement et dans la Loi sur l’Assemblée législative, la présidence doit supposer que l’Assemblée entend qu’il y ait une opposition officielle. Le Président Parent de la Chambre des communes abonde dans ce sens dans la décision qu’il a rendue le 27 février 1996 :

« Le poste de chef de l’opposition officielle est fermement ancré dans notre régime parlementaire par la coutume et la mise en œuvre de divers statuts et règles de procédure. L’importance de l’opposition officielle et de son chef est bien mise en évidence au Canada et à l’étranger par l’existence plus que centenaire de parlements à la Westminster »1.

La deuxième question est de savoir quel parti formera l’opposition officielle. Personne ne semble contester que cette décision relève de la présidence. Les députés de Riverside et de Porter Creek-Nord ont tous deux déclaré que la décision incombait à la Présidence. Permettez-moi de citer à nouveau le Président Parent:

« La désignation de l’opposition officielle n’a jamais été faite sur le parquet de la Chambre des communes. À titre de Président, il est de mon devoir d’assurer la bonne conduite des travaux à la Chambre. À cet effet, je me dois, à la lumière des circonstances et du rappel au Règlement, de déterminer maintenant quel parti doit être appelé à former l’opposition officielle »2.

Le député de Riverside a nuancé sa position en soutenant que la Chambre n’était pas tenue de soumettre la question à la Présidence. Il a déclaré avec raison que la Chambre pouvait régler la question directement ou la renvoyer à un comité comme le Comité permanent du Règlement, des élections et des privilèges. Il a cependant ajouté que la Présidence pouvait elle-même, en vertu du précédent établi à la Chambre des communes en 1963, renvoyer la question au Comité permanent du Règlement, des élections et des privilèges. Or, il s’agit là d’une mauvaise interprétation du précédent de 1963, puisque seule la Chambre est habilitée à faire un tel renvoi. Le Président de la Chambre des communes à l’époque, M. Macnaughton, a indiqué qu’une certaine question pouvait être renvoyée à un comité, mais qu’il fallait que la Chambre adopte une motion en ce sens.

Le député de Riverside a demandé qu’on envisage la possibilité de faire alterner la fonction d’opposition officielle entre le Parti libéral et le Parti du Yukon. Il a proposé que la présidence aide les deux partis à conclure un accord d’alternance.

La présidence respecterait un accord intervenu entre les deux partis, mais il faudrait qu’ils s’entendent entre eux, la présidence ne devant pas jouer un rôle actif dans les négociations entre deux partis. Lorsque les députés de Riverside et de Porter Creek-Nord discutaient du rappel au Règlement le 5 décembre, la présidence n’a entendu ni l’un ni l’autre dire qu’ils avaient conclu ou qu’ils cherchaient à conclure un accord d’alternance à la fonction d’opposition officielle.

Je répète, si les deux partis d’opposition concluaient un accord qui ne viole pas le Règlement de la Chambre, la présidence le respecterait. Cependant, personne ne doit s’attendre à ce que la présidence joue le rôle de négociateur.

La présidence doit donc choisir comme opposition officielle l’un des partis d’opposition. L’ennui, c’est qu’il y a peu de critères susceptibles de la guider dans ce choix. Il y a bien le critère classique du nombre de sièges, mais les deux partis d’opposition sont à égalité. On invoque aussi parfois le statut de parti : les députés qui sont élus comme candidats d’un parti politique enregistré ont plus de chances d’obtenir le statut d’opposition officielle qu’un groupe de députés indépendants. Or, à cet égard, il n’y a pas de différence entre le Parti du Yukon et le Parti libéral.

Le programme politique des deux partis ne saurait non plus servir de critère. Le Président Parent de la Chambre des communes a été très clair à ce sujet lorsqu’on lui a demandé de choisir le Parti réformiste plutôt que le Bloc québécois comme opposition officielle à la Chambre des communes.

Certains estiment qu’il serait logique que la présidence prenne pour critère les suffrages exprimés. Or, ce critère a été rejeté par la plupart des Présidents appelés à prendre une décision semblable. Par exemple, le Président Parent a cité ce que la Présidente Dysart du Nouveau-Brunswick a déclaré le 16 décembre 1994 :

« Fonder une décision sur des facteurs extérieurs au Parlement, c’est ouvrir la voie ou faire une invite à des décisions futures qui ne trouvent pas leur fondement dans les précédents ni la coutume parlementaires. Sauf pour une exception célèbre, l’opposition officielle dépend du nombre de sièges détenus par un parti et non du vote populaire que celui-ci a obtenu ».3

L’exception en question, c’est la décision rendue par le Président Amerongen en Alberta en 1983 lorsque, tout de suite après des élections générales, il s’en est remis aux suffrages exprimés pour décider quel parti formerait l’opposition officielle. Bien que les suffrages exprimés aient été rejetés comme critère dans toutes les décisions rendues depuis, il y en a qui prêtent à ce critère une certaine validité.

Mais [les suffrages exprimés ne peuvent] être pris en considération, au mieux, qu’au début d’une législature, après des élections générales et uniquement comme facteur supplémentaire. Si deux partis ou plus se retrouvaient à égalité, le Président pourrait considérer les suffrages exprimés pour départager les partis.4

La présidence ne peut donc pas prendre en compte les suffrages exprimés parce que, en l’absence de règles ou de précédents yukonnais, le Règlement stipule qu’elle doit se référer aux pratiques et aux précédents de la Chambre des communes. Si la Chambre décidait d’élaborer des lignes directrices susceptibles de guider les Présidents futurs dans des situations semblables, elle pourrait envisager la possibilité que les suffrages exprimés puissent, en dernier recours, servir de critère lorsqu’il s’agit de prendre une décision tout de suite après des élections générales.

On a proposé divers autres critères comme le rapport, au sein de chaque caucus, entre les hommes et les femmes ou entre les députés ruraux et urbains, ou la présence ou l’absence du chef à l’Assemblée. La présidence ne peut pas s’en remettre à des critères de ce genre parce qu’elle serait alors obligée de porter des jugements politiques sur les qualités des divers députés, ce qui compromettrait son impartialité.

Dans beaucoup d’assemblées, y compris la Chambre des communes, l’antériorité a joué un rôle clé dans les décisions de la présidence. L’application de ce critère à notre situation est malaisée parce que ces précédents ne sont pas parfaitement applicables. Ils se rapportent à des situations où un parti ayant le statut d’opposition officielle finit par se trouver à égalité avec un autre parti pendant une même législature.

À l’Assemblée législative du Yukon, il y a actuellement un parti d’opposition qui, avant les élections, formait le gouvernement tandis que l’autre parti d’opposition était, toujours avant les élections, le troisième parti à la Chambre. Ni l’un ni l’autre ne formaient l’opposition officielle.

La présidence a donc choisi de se conformer à l’esprit et à l’intention qui animent la Chambre des communes lorsqu’elle s’en remet au critère de l’antériorité. C’est pourquoi elle accorde le statut d’opposition officielle au parti d’opposition qui formait le gouvernement avant les élections plutôt qu’au parti d’opposition qui était le troisième parti à la Chambre avant les élections. Il s’ensuit que le Parti du Yukon sera l’opposition officielle et que le député de Porter Creek-Nord sera le chef de l’opposition officielle. Cette décision vaut pour ce qui se passe dans cette Chambre. Les décisions relatives aux budgets et à l’attribution des locaux relèvent d’une autre instance.

Bien que le Parti du Yukon soit dorénavant l’opposition officielle, la présidence demande à la Chambre de toujours se rappeler qu’il y a deux partis d’opposition comptant chacun trois députés. La présidence veillera à ce que les deux partis d’opposition et tous leurs membres soient traités comme il convient par rapport à des questions comme l’ordre de parole. Par exemple, pendant la période de questions, le chef de l’opposition officielle pourra continuer chaque jour de poser les deux premières questions, mais le chef du troisième parti pourra dorénavant tout de suite après en poser deux plutôt qu’une seule.

La Présidence engage la Chambre à se pencher sur les articles du Règlement qui ne cadrent manifestement pas avec la composition actuelle de la Chambre. Il faut, en particulier, réviser l’article 14.2 pour s’assurer que les deux caucus d’opposition bénéficient d’un traitement équitable les jours réservés aux affaires émanant des députés.

Notes

1. Chambre des communes, Débats, 27 février 1996.

2. Ibid.

3. Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, Débats, 16 décembre 1994.

4. Professeur Stewart Hyson, « Désignation de l’opposition officielle au Nouveau-Brunswick et à la Chambre des communes», Revue parlementaire canadienne, vol. 19, automne 1996, pp. 2-6.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 20 no 1
1997






Dernière mise à jour : 2020-09-14