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Les élections fédérales de 2015 : davantage de candidats et de députés issus de minorités visibles
Jerome H. Black

Les élections fédérales du 19 octobre 2015 ont été marquées par un record de la représentation de la diversité raciale au Parlement, avec l’élection de 45 députés issus de minorités visibles. La présence relative de ces députés a augmenté de quatre points de pourcentage par rapport aux élections générales de 2011 et leur nombre accru diminue de façon marquée l’écart entre les types de population représentés. Afin de rendre compte de cette amélioration de la représentation des députés de minorités visibles, on s’attachera ici aux aspects du processus de nomination des candidats, en présentant l’hypothèse selon laquelle une concurrence exacerbée entre les trois principaux partis a provoqué un élargissement de la recherche de voix aux communautés d’immigrants et de minorités.

Les nombreux observateurs qui surveillent et, tout particulièrement, qui saluent l’idée d’une plus grande représentation des minorités visibles au Parlement, doivent avoir accueilli avec un profond degré de satisfaction le résultat des élections fédérales du 19 octobre 2015. Pas moins de 45 personnes issues de minorités visibles ont été élues à la Chambre des communes1! Il s’agit, de plus, d’une nette amélioration du dernier record établi lors des élections de 2011, où 28 députés de minorités visibles avaient été élus. Cette augmentation lors des deux dernières élections se reflète également en termes relatifs (pourcentages), même si la Chambre est passée de 308 à 338 sièges. Si les députés issus de minorités visibles représentaient 9,1 % de la Chambre après les élections de 2011, ils occupent désormais, depuis 2015, 13,3 % des sièges.

Ces deux records successifs sont dignes d’intérêt pour d’autres raisons. La représentation des minorités visibles ne se fait pas en croissance continue (que ce soit en termes absolus ou relatifs), elle suit plutôt, et ce, dès les élections de 1993, où un nombre remarquable de minorités visibles sont pour la première fois entrées au Parlement, une tendance de modeste changement dans la plupart des appariements d’élections, voire de déclin dans certains groupements de deux. En ce sens, les augmentations successives de 2011 et de 2015 les démarquent encore davantage des autres élections. Il est intéressant d’apprécier le résultat des élections de 2015 en contraste avec toute la période 1993-2015, car elles révèlent deux écarts par rapport à ce qui a été jusque-là la principale tendance.

La première rupture de cette tendance concerne la représentation des minorités visibles, voire même leur sous-représentation, qui caractérise le Parlement. Un moyen simple de déterminer à quel point la représentation est déficiente consiste à comparer le pourcentage de minorités visibles au Parlement avec le pourcentage correspondant dans la population en général. Au cours de la période allant de 1993 à 2011, le ratio de ces pourcentages a fluctué entre un seuil inférieur de 0,39 (en 2008) et un seuil supérieur de 0,56 (en 1997), ce qui signifie que la représentation, à son meilleur, était à peine la moitié de ce qu’elle aurait dû être pour obtenir une « pleine représentation ». En 2011, le ratio était également déficient, avec une valeur estimée à 0,48 et atteignait, curieusement, le même niveau qu’en 1993. En d’autres termes, au cours de la période allant de 1993 à 2011, les députés issus de minorités visibles ont été élus en nombre suffisant pour correspondre à la croissance des minorités visibles dans la population, mais en nombre insuffisant pour combler l’écart dans la représentation. Il va sans dire que, mesurées de cette façon, les élections de 2015 ont représenté un bond dans la représentation des minorités visibles. Il est cependant difficile de dire si les ratios sont exacts, dans la mesure où les seuls chiffres de minorités visibles dans la population existants, soit 19,1 %, sont des estimations tirées de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011, vieille de quatre ans (et pourraient être considérées comme un biais méthodologique). Toutefois, si l’on prend pour hypothèse que ce chiffre correspond grossièrement à la population des minorités visibles et si l’on pouvait y rajouter quelques points de pourcentage pour tenir compte de la croissance de la population depuis lors, alors le ratio se rapprocherait de la marque des deux tiers, ce qui constitue une amélioration notable dans la représentation des minorités visibles.

La deuxième rupture de cette tendance, lors des élections de 2015, concerne le déclin à long terme du nombre de députés issus de minorités visibles affiliés au Parti libéral. Lors des élections de 1993, 92,3 % des minorités visibles à la Chambre des communes appartenaient au caucus des libéraux, mais les élections suivantes ont accusé une baisse presque constante dans la part de ces députés au sein du parti, soit de 68,4 % en 1997, à 42,9 % en 2008, pour être suivie d’une dégringolade de 7,1 % en 2011 (avec l’élection de deux députés seulement). Le renversement de la vapeur en 2015 pour les libéraux était tout simplement stupéfiant. Le tableau 1 illustre la répartition du nombre de députés issus de minorités visibles selon leur affiliation politique, pour chaque élection au cours de la période allant de 2004 à 2015. La victoire majoritaire des libéraux en 2015 a été accompagnée de l’élection de 38 députés de minorités visibles, ce qui constitue un pourcentage énorme de ces députés, soit 84,4 %. Le revers de la médaille a été la forte chute du nombre des députés de minorités visibles dans les rangs des partis arrivant en deuxième et troisième positions. Le Parti conservateur, qui, lors de la période allant de 1993 à 2011, a disputé au Parti libéral la majorité des députés issus de minorités visibles, a vu sa part chuter de 42,9 % (12 députés) en 2011 à 11,1 % (5 députés) en 2015. Comme le montrent également les données du tableau, ce n’est qu’en 2011 que le NPD a obtenu une part importante de députés issus de minorités visibles (46,4 % ou 13 députés). Quatre ans plus tard, ce parti n’a pu obtenir l’élection que de deux de ces députés (soit 4,4 % de tous les députés issus de minorités visibles).

Y a-t-il davantage de candidats issus de minorités visibles?

Peut-on attribuer l’augmentation considérable du nombre de députés issus de minorités visibles élus en 2015 à l’accroissement correspondant du nombre de candidats issus de minorités visibles? Cela peut-il être lié en particulier au plus grand nombre de mises en candidature de personnes issues de minorités visibles par le parti victorieux, soit le Parti libéral? Dire que « davantage de candidats issus de minorités visibles signifie davantage de députés issus de minorités visibles » n’est pas une évidence, car, en effet, lors des élections de 2011, la présence plus importante de députés issus de minorités visibles (par rapport à 2008) était effectivement accompagnée d’un léger déclin du pourcentage de ces candidats. En fin de compte, ce qui a le plus contribué à l’augmentation des députés issus de minorités visibles, c’est la victoire des candidats du NPD, élus après le rebondissement du parti pendant les dernières étapes de la campagne. Ceci étant dit, il y a des raisons de dire que les élections de 2015 ont effectivement vu les partis augmenter le nombre de personnes de minorités visibles qu’ils ont présentées comme candidats. L’élection était, après tout, une course très serrée pour les trois principaux partis, ce qui a stimulé la sollicitation des votes auprès de tous les segments de la société canadienne. À son tour, cela a pu promouvoir la mise en avant d’équipes de candidats plus diversifiées. Par ailleurs, les partis ont certainement eu l’occasion de recruter de nouveaux candidats, parmi lesquels des minorités visibles, étant donné les 30 circonscriptions électorales fédérales supplémentaires résultant du redécoupage, et la décision de nombreux députés sortants de ne pas se représenter2.

Le fait que cette course aux suffrages stimule la mise en avant de davantage de candidats issus de minorités visibles n’est pas nouveau. Les partis sont bien conscients de la croissance démographique et du poids politique des minorités visibles dans les centres urbains canadiens, ne serait-ce que par le flot fort et constant de l’immigration et le rythme accéléré des demandes de citoyenneté. Si l’on fait une rétrospective des dernières décennies, on peut en effet supposer que ces tendances ont beaucoup à voir avec la réaction des partis consistant à recruter davantage de candidats parmi les minorités visibles, même si, il faut l’admettre, la réaction n’a pas toujours été uniforme. Le point important est que, lors des élections de 2015, l’émulation entre les parties a été portée à un tout autre niveau et a probablement rendu la sollicitation de suffrages auprès des communautés minoritaires d’autant plus pressante. Plus précisément, même avant le déclenchement des élections, les trois principaux partis pouvaient prétendre qu’ils avaient réellement une chance de former le gouvernement (fût-il minoritaire). Le NPD n’avait jamais démarré de campagne en tant qu’opposition officielle, ce qui leur a permis de déclarer en toute vraisemblance qu’ils pouvaient arriver au pouvoir. En effet, les sondages nationaux donnaient le NPD en bonne position dans la course, du printemps 2015 environ jusqu’à la fin de septembre de la même année. Les mêmes sondages indiquaient que les conservateurs, avec moins de soutien qu’avant, se maintenaient en bonne position dans la course, et ce, de fait, du début de l’année jusqu’aux dernières étapes de la campagne. Quant aux libéraux, leur troisième place à la ligne d’arrivée en 2011 était loin derrière eux. Le parti a mené dans les sondages nationaux pendant toute l’année 2014 et était en concurrence serrée avec les conservateurs au premier trimestre 2015, puis pendant un moment avec à la fois les conservateurs et le NPD, avant de se détacher nettement du peloton dans les dernières semaines de la campagne.

Les données sur les candidats ajoutent foi à l’hypothèse qu’une plus grande concurrence entre les partis et la sollicitation de suffrages au sein des minorités en 2015 est responsable de la mise en avant d’un nombre plus important de candidats de minorités visibles. Dans la section supérieure du tableau 2 se trouvent les pourcentages des minorités visibles parmi les équipes de candidats des quatre3 partis (le BQ, les conservateurs, les libéraux et le NPD) pour 2015 et, pour évaluer les choses en contexte, pour les quatre élections précédentes également. Comme on peut le constater, lors des élections de 2011, les candidats issus de minorités visibles (97 personnes) représentaient 9,7 % de tous les candidats nommés par les quatre partis, un pourcentage qui est en réalité plus faible que celui des élections de 2008 (10,1 %). D’une manière plus générale, les chiffres de 2008 et de 2011, ainsi que ceux des deux élections précédentes (9,3 % et 9 %, respectivement pour 2004 et 2006) dépeignent une période de stagnation des candidatures de minorités visibles. Si l’on juxtapose les quatre élections, celles de 2015 se démarquent nettement. Les mêmes quatre partis ont nommé 152 candidats issus de minorités visibles, soit 13,9 % de leur total regroupé (ce pourcentage se base, il faut le répéter, sur un plus grand dénominateur de circonscriptions électorales). L’augmentation du nombre de candidats appartenant à des minorités visibles est encore plus impressionnante si l’on prend en compte les résultats électoraux anémiques du BQ en 2011 et 2015. C’est-à-dire, si l’on se concentre uniquement sur les trois principaux partis, alors le tableau de 2015 donne 150 candidats issus de minorités visibles, ce qui revient à 14,8 % du total pour les trois partis. En comparaison, le pourcentage pour 2011 est de 9,9 %.

La deuxième section du tableau donne des réponses aux questions qu’on pourrait se poser à propos des partis. Est-ce que les trois partis ont désigné plus de candidats de minorités visibles en 2015 qu’en 2011 (et aux élections précédentes)? Est-ce que le Parti libéral, avec autant de députés de minorités visibles, a désigné plus de candidats issus de minorités visibles? Les pourcentages indiqués pour les élections de 2004 à 2011ont déjà été commentés par l’auteur dans des études précédentes4. Il suffit ici de remarquer que ces données montrent des variances en fonction des partis et en fonction des élections et, regroupées, montrent peu d’écart à la tendance habituelle : ce sont différents partis qui, en différentes années, ont présenté le plus grand pourcentage de candidats issus de minorités visibles, mais les marges restent généralement faibles et, à aucun moment, les chiffres d’un seul parti n’augmentent de façon uniforme sur une période de temps donnée.

Les pourcentages des récentes élections, encore une fois, détonnent. En 2015, chacun des trois partis a (relativement) nommé plus de candidats de minorités visibles qu’en 2011 et certainement plus que lors d’aucune autre élection. L’accroissement de 2011 à 2015 est le moins important pour le NPD, même s’il reste notable. Les minorités visibles représentaient 10,4 % de l’équipe de candidats du parti lors de l’élection précédente et en constituent 13,4  % cette fois-ci. Pour leur part, les conservateurs peuvent faire valoir une augmentation de 4 points pour les candidatures de minorités visibles pour l’appariement de 2011-2015, soit de 10,1 % à 14,2 %. La percée la plus importante, de loin, a eu lieu dans les rangs du Parti libéral. Les candidats de minorités visibles formaient 9,1 % du bassin du parti en 2011, mais un pourcentage remarquable de 16,9 % en 2015. Environ un candidat sur six nommés par le parti était issu d’une minorité visible, ce qui double pratiquement les chiffres de l’élection précédente. Bref, ces résultats cadrent tout du moins avec la notion selon laquelle une concurrence accrue a stimulé, chez les trois principaux partis, la désignation de plus de candidats de minorités visibles en 2015 et suggèrent également que l’important contingent de candidats libéraux issus de minorités visibles a joué un rôle pour battre le record du nombre de députés de minorités visibles élus.

Y a-t-il eu davantage de nouveaux candidats issus de minorités visibles?

Un examen des nouveaux candidats, c’est-à-dire de ceux qui ne se sont pas présentés à l’élection précédente, ajoute encore davantage foi à ces hypothèses. Si l’on restreint l’analyse à ce sous-groupe de postulants, cela permet d’écarter les effets d’antériorité, en particulier, la tendance consistant à renommer les candidats sortants, et permet ainsi de faire ressortir plus clairement l’engagement de chaque parti envers une catégorie donnée de candidats bien avant les élections. Il semblerait que les partis aient effectivement consenti de plus gros efforts qu’auparavant afin de promouvoir la diversité raciale en 2015 parmi leurs nouveaux candidats. Si les minorités visibles représentaient 14,8 % de tous les candidats recrutés par les trois principaux partis, elles représentent néanmoins 16,8 % de tous les nouveaux candidats nommés. De plus, ce chiffre donne cinq points de pourcentage de plus que celui de 2011 (11,1 %).

Qui plus est, cet effort accru de recrutement est évident dans chaque parti, mais il varie de façon notable, comme le montrent les données de la troisième section du tableau 2. Au sein du NPD, la part des minorités visibles chez les nouveaux candidats était de 14,3 %, ce qui est légèrement plus élevé que le chiffre total de 13,4 % chez les candidats. En même temps, le chiffre précédent est plus élevé de plusieurs points que celui des nouveaux candidats du parti en 2011 (12 %). Les pourcentages sont plus parlants pour les deux autres principaux partis. En ce qui concerne le Parti conservateur, les minorités visibles constituaient 14,2 % de l’équipe de candidats du parti, mais un pourcentage plus important, soit 18 % de leurs nouveaux candidats. Il faut également remarquer que le dernier pourcentage se compare favorablement au 13,4 % associé au recrutement de nouveaux candidats par le parti en 2011. Pour ce qui est des libéraux, les minorités visibles constituent également la plus grande part des nouveaux candidats du parti, par rapport à leur part dans le parti en général, soit 17,5 % comparé à 16,9 %, respectivement. Ce n’est qu’une différence minime, mais ce qui est frappant, c’est la façon dont ce 17,5 % représente presque le double de l’effort de recrutement de candidats de minorités visibles de la part des libéraux en 2011 (9,1 %). En résumé, l’étude des nouveaux candidats suggère également que tous les partis, mais surtout les libéraux, ont encouragé une plus grande inclusion raciale chez leurs candidats lors des élections de 2015.

Quel est le rôle des circonscriptions favorables?

L’avantage concurrentiel du parti par circonscription jette encore une nouvelle lumière sur la promotion d’un plus grand nombre de candidats de minorités visibles en 2015. Il est important de prendre en compte les circonscriptions favorables, parce que, savoir si les candidats (quelle que soit la catégorie sociale prise en compte) sont recrutés pour briguer des circonscriptions que le parti a une réelle possibilité de gagner ou bien s’ils sont nommés pour briguer des circonscriptions difficiles à gagner, change la donne. Si un nombre plus important de minorités visibles est désigné afin de briguer des circonscriptions favorables, cela dénote un certain engagement à rehausser la diversité raciale au sein des candidats. De la même façon, ce qui pourrait indiquer une certaine équitabilité dans le processus de recrutement serait une situation donnant autant de candidats issus de minorités visibles que de candidats non issus de minorités visibles désignés pour briguer des circonscriptions qui présentent des chances de l’emporter5.

Lorsque les partis essaient d’envisager l’issue des prochaines élections pour un éventuel candidat, ils se basent naturellement sur les derniers résultats de la circonscription. Ils reconnaissent également que les résultats passés ne sont pas représentatifs des éventualités futures, qui sont la proie de forces électorales dominantes au niveau national et infranational, ainsi que des aléas de la campagne. Cette mise en garde se comprend quand on se rappelle la façon dont nombre de députés de minorités visibles ont été élus sous la bannière du NPD en 2011, non pas parce qu’ils avaient été nommés dans des circonscriptions favorables, mais plutôt à cause de l’émergence sans précédent du parti dans les dernières étapes de la campagne. Pour le NPD, les résultats de 2008 dans de nombreuses circonscriptions se sont avérés sans commune mesure avec les résultats de 2011.

Il y a peut-être la même ambiguïté quand on songe aux résultats antérieurs des libéraux dans les circonscriptions en relation à 2015. Les piètres résultats électoraux du parti en 2011 signifient qu’il y avait beaucoup moins de circonscriptions considérées comme étant en jeu pour les élections de 2015. Il reste que la plupart des candidats libéraux ont été désignés pendant que le parti était relativement fort dans les sondages au niveau national, ce qui a duré longtemps et, ainsi, certaines circonscriptions qui avaient été perdues ont pu quand même être considérées comme gagnables. De plus, les libéraux, tout comme les autres partis, se sont retrouvés face à une incertitude quand il s’est agi de prendre en compte les résultats électoraux précédents, à cause du nombre accru de sièges vacants, c’est-à-dire, de circonscriptions dans lesquelles le député sortant ne se représentait pas, du redécoupage des circonscriptions et de l’ajout de nouvelles circonscriptions (bien que les partis aient eu accès aux votes transposés officiellement, c’est-à-dire au résultat des votes locaux de 2011 recalculé de façon à correspondre aux circonscriptions nouvellement créées). Ceci étant dit, les partis ont sans doute continué d’apprécier tout particulièrement les circonscriptions (quel que soit leur nombre) où ils se sont bien débrouillés en 2011. Ainsi, la question demeure, à savoir s’ils ont privilégié les candidatures de minorités visibles parmi leur bassin de nouveaux candidats dans ces circonscriptions, ou s’ils ont essayé d’obtenir un équilibre entre les candidatures de personnes issues de minorités visibles et de personnes non issues de minorités visibles.

Pour étudier cette question, on s’est servi des données électorales transposées pour diviser les circonscriptions en deux : celles relativement non favorables en 2011, dans lesquelles le parti a perdu avec un écart de 11 % ou plus et celles qui étaient favorables, dans lesquelles le parti a soit gagné, soit perdu avec une marge de 10 % ou moins. Pris ensemble, les trois partis ont eu tendance à préférer les nouveaux candidats de minorités visibles plutôt que des candidats n’appartenant pas à des minorités visibles dans les circonscriptions qui leur offraient les meilleures chances de l’emporter (33 % contre 26 %). Le tableau 3 sépare les trois partis. Il trie les catégories favorables, selon que le député sortant se représentait ou non aux élections de 2015, le raisonnement étant que les circonscriptions vacantes étaient davantage appréciées. D’une manière générale, chacun des partis a promu les candidatures de minorités visibles dans des circonscriptions jugées plus favorables et en nombres conséquents. Ce sont les conservateurs ont nommé le plus de candidats de minorités visibles dans des circonscriptions gagnables. Un important contingent, 53 %, de leurs nouveaux candidats de minorités visibles s’était déjà présenté dans des circonscriptions favorables, y compris 32 % qui avaient brigué des circonscriptions vacantes. Les libéraux leur emboîtaient le pas avec 27 %, réparti en 19 % et 8 % dans des circonscriptions avec député sortant et des circonscriptions vacantes respectivement. Le NPD suivait avec 21 % (12 % et 9 %, respectivement). En même temps, il faut noter que les conservateurs ont aussi nommé leurs candidats de minorités visibles dans une égale mesure ou presque, avec 49 % sélectionnés pour se présenter dans une circonscription favorable et un peu plus dans les circonscriptions vacantes (37 %). Une même comparaison concernant le NPD donne un parti pris, quoique faible, pour les candidats non issus de minorités visibles, par rapport à ceux issus de minorités visibles, soit 27 % contre 21 %. Ce sont les libéraux qui ont privilégié sans équivoque les candidatures de minorités visibles. Le parti a eu trois fois plus tendance à nommer des minorités visibles dans les circonscriptions qui leur offraient les meilleures chances de gagner, que des candidats non issus de minorités visibles : soit 27 % contre 9 %, et légèrement moins dans le sous-ensemble des circonscriptions vacantes, 8 % contre 3 %6.

Quel est le rôle de la diversité dans les circonscriptions?

La promotion de candidats de minorités visibles dans des circonscriptions racialement diversifiées est la dernière caractéristique des circonscriptions étudiée ici qui pourrait établir un lien entre les circonscriptions favorables et la sollicitation de votes auprès des minorités. En fait, une des pierres angulaires de la promotion de la diversité raciale parmi les équipes de candidats des partis est la concentration intentionnelle de leurs candidats de minorités visibles dans des circonscriptions dont la population est très fortement issue de minorités visibles (même si l’on peut dire que cette approche limite inutilement la promotion de ces candidats7). En effet, les élections précédentes l’ont prouvé haut la main, même si, encore une fois, les données varient par élection et par parti. Par exemple, en 2011, les candidats de minorités visibles nouvellement recrutés par les libéraux se sont battus dans des circonscriptions où la population issue de minorités visibles totalisait en moyenne 27 %, contre 8 % pour les circonscriptions où leurs homologues non issus de minorités visibles se présentaient. Les pourcentages comparés pour les deux autres partis font ressortir un écart plus important, soit 47 % contre 12 % pour les conservateurs et 35 % contre 12 % pour le NPD. Pour la question qui nous préoccupe, l’interrogation la plus pressante est de savoir si les partis en 2015 ont effectivement redoublé d’efforts pour désigner davantage de candidats de minorités visibles dans des circonscriptions dont la population est très diversifiée (comme on aurait pu le penser avec la thèse des circonscriptions favorables). En étudiant des circonscriptions avec une population très diversifiée, où les minorités visibles représentent 31 % ou plus de la population, on peut généralement dire que la réponse est affirmative. En 2011, les conservateurs avaient désigné tellement de nouveaux candidats de minorités visibles dans ces circonscriptions (75 %) que la chute en 2015 à 65 % dans ces circonscriptions semble moins porter à conséquence. Le NPD est le parti qui a le plus augmenté sa concentration de nouveaux candidats dans ces circonscriptions : de 50 % en 2011 à 77 % en 2015. Les libéraux également ont renforcé la promotion de nouveaux candidats de minorités visibles dans ces circonscriptions, passant d’un 28 %, étonnamment bas en 2011, à 53 % en 2015.

Récapitulation

Les élections fédérales du 19 octobre 2015 ont été marquées par un record de la représentation de la diversité raciale au Parlement, avec l’élection de 45 députés issus de minorités visibles. La présence relative de ces députés a augmenté de quatre points de pourcentage par rapport aux élections générales de 2011 et leur nombre accru diminue de façon marquée l’écart entre les types de population représentés.

En cherchant à rendre compte de cette amélioration de la représentation des députés de minorités visibles, nous nous sommes attachés aux aspects du processus de nomination des candidats, en présentant l’hypothèse selon laquelle une concurrence exacerbée entre les trois principaux partis a provoqué un élargissement de la recherche de voix aux communautés d’immigrants et de minorités. Les faits présentés ici étayent cette hypothèse plausible (et, pour être honnête, tente de montrer jusqu’à quel point la promotion de candidats de minorités visibles s’est avérée payante du point de vue électoral, mais il s’agit là d’un sujet de recherche à effectuer sur des sondages). Pour résumer, tant ensemble qu’individuellement, les trois principaux partis ont désigné un nombre record de candidats issus de minorités visibles, ce qui a donné le plus important pourcentage jamais atteint de minorités visibles parmi les nouveaux candidats. De plus, les partis semblent nommer les personnes issues de minorités visibles et les présenter pour la première fois dans des circonscriptions qui ont plus de chances de gagner, de manière équitable et parfois privilégiée. En dernier lieu, les trois partis ont maintenu ou accentué leurs efforts pour présenter de (nouveaux) candidats de minorités visibles dans des circonscriptions où la population de minorités visibles est importante.

Il est bien sûr important que cette théorie tienne la route pour le Parti libéral étant donné que c’est sous la bannière libérale que 8 députés de minorités visibles sur 10 l’ont emporté. Encore une fois, les libéraux ont fait plus que tous les partis pour stimuler la promotion de candidats de minorités visibles de 2011 à 2015, en doublant pratiquement le pourcentage de ces candidats à la fois dans leur bassin de candidats et dans le sous-ensemble de leurs nouveaux candidats. Ils ont aussi fortement favorisé les (nouveaux) candidats de minorités visibles par rapport à ceux non issus de minorités visibles dans des circonscriptions qui leur étaient favorables en 2015 et ont également concentré les candidats de minorités visibles dans les circonscriptions à population de fortes minorités. Dans le contexte du raz-de-marée libéral aux dernières élections nationales, ces faits aident à expliquer une grande partie du bond en avant du nombre de députés de minorités visibles élus en 2015. En dernier lieu, si l’environnement particulièrement concurrentiel des élections a pu jouer un rôle important afin de motiver les partis à faire plus pour solliciter les électeurs au sein des minorités, un effort concerté pour rétablir ce qui avait été autrefois la position dominante du parti dans les communautés d’immigrants et de minorités peut avoir été un facteur. Ce peut-il que cette promotion musclée de candidatures de minorités visibles de 2011 à 2015 soit une reconnaissance partielle par le parti de ce qui aurait dû être fait en 2011?

Pour conclure, il n’est pas absolument sûr que l’augmentation du nombre de députés de minorités visibles soit uniquement due à la combinaison des efforts de nomination de la part des libéraux et de la victoire subséquente du parti aux élections. Si la campagne avait donné un avantage décisif aux conservateurs ou au NPD (ou donné un résultat « mixte »), il n’est pas difficile d’imaginer des situations dans lesquelles un nombre record de députés de minorités visibles auraient quand même pu être élus. Après tout, les deux partis, et les conservateurs davantage, ont beaucoup fait pour favoriser l’élection de plus de candidats de minorités visibles. De plus, 11 des députés conservateurs de minorités visibles sortants sur 12 se sont représentés, tout comme 9 sur 13 pour le NPD, et les deux partis avaient donc déjà une bonne assise pour faire avancer la cause des candidatures de minorités visibles.

Notes

1 Ce nombre exclut une personne originaire d’Argentine. Pour un peu de contexte étayant ce raisonnement, voir Jerome H. Black, « Diversité raciale lors des élections fédérales de 2011 : candidats et députés issus des minorités visibles » Revue parlementaire canadienne, vol. 36, nº 3, 2013, p. 26 (21-26), à la note de bas de page 1.

2 Le débat concerne davantage le côté « demande » du processus de recrutement des candidats, puisque les partis recherchent des candidats issus de minorités visibles qu’ils estiment qualifiés et dotés des qualités nécessaires. Il est également possible que des aspects du côté « offre » entrent en jeu, dans la mesure où des personnes issues de minorités visibles recherchent des postes d’élus en parallèle avec l’intégration croissante de leurs communautés dans la société canadienne.

3 Le tableau comprend les partis qui ont obtenu au moins une fois le statut de parti officiel de 2004 à 2015, et ne donne par conséquent aucune information sur le Parti Vert du Canada. On notera cependant que, si l’on inclut les verts, la somme totale des candidats issus de minorités visibles en 2015 diminue quelque peu (passant de 13,9 % à 13,2 %). Le parti lui-même a nommé 36 de ces candidats, soit 10,9 % de son bassin total de candidats.

4 Voir, par exemple, Jerome H. Black, « Diversité raciale lors des élections fédérales de 2011 : candidats et députés issus des minorités visibles » Revue parlementaire canadienne, vol. 36, nº 3, 2013, p. 26 (21-26).

5 De façon générale, au cours de plusieurs élections un certain équilibre s’est créé dans les partis, pour la désignation de candidats issus de minorités visibles et non issus de minorités visibles, pour briguer des circonscriptions avec des chances de l’emporter, bien qu’on puisse constater beaucoup de variations selon le parti et selon l’élection.

6 Ce qui ne se voit pas dans le tableau, c’est que les résultats passés ne sont pas représentatifs des résultats futurs, sa l’on se réfère bien sûr au retournement de la situation électorale des libéraux de 2011 à 2015. Des 35 circonscriptions perçues comme non favorables, briguées par les candidats libéraux de minorités visibles, près de la moitié (17) ont été remportées. Tous leurs candidats ont remporté les circonscriptions considérées comme favorables pour le parti.

7 Pour ce qui est de savoir s’il est sage de présenter des candidats de minorités visibles dans des circonscriptions relativement homogènes, voir Jerome H. Black, « Les élections fédérales de 2006 et les candidats issus de minorités visibles : toujours pareil? » Revue parlementaire canadienne, vol. 31, nº 3, 2008, p. 30-36.

Tableau 1

Députés des minorités visibles, 2004-2015

Répartition entre les partis (%)

2004

2006

2008

2011

2015

Bloc Québécois

9,1

16,7

14,3

3,6

--

Parti conservateur

31,8

25,0

38,1

42,9

11,1

Parti libéral

59,1

54,2

42,9

7,1

84,4

NPD

--

4,2

4,8

46,4

4,4

(Nombre)

(22)

(24)

(21)

(28)

(45)

 

Chaque colonne totalise environ 100 %.

Source : Pour les données de 2004-2011, voir Jerome H. Black, « Diversité raciale lors des élections fédérales de 2011 : candidats et députés issus des minorités visibles », Revue parlementaire canadienne, vol. 36, no 3, 2013, p. 22-27. Les données sur les députés ont été colligées par l’auteur.

 

 

Tableau 2

Candidats des minorités visibles, 2004-2015

 

2004

2006

2008

2011

2015

Tous les candidats (%)

9,3

9,0

10,1

9,7

13,9

Par parti (%)

 

 

 

 

 

Parti conservateur

10,7

8,1

9,8

10,1

14,2

Parti libéral

8,4

11,0

9,8

9,1

16,9

NPD

9,4

7,8

10,7

10,4

13,4

Nouveaux candidats (%)

 

 

 

 

 

Parti conservateur

12,0

9,2

11,2

13,4

18,0

Parti libéral

9,4

13,2

7,8

9,1

17,5

NPD

9,8

7,3

12,3

12,0

14,3

Source : Pour les données de 2004-2011, voir Jerome H. Black, « Diversité raciale lors des élections fédérales de 2011 : candidats et députés issus des minorités visibles », Revue parlementaire canadienne, vol. 36, no 3, 2013, p. 22-27. Les données sur les candidats ont été colligées par l’auteur.

Tableau 3

Candidats issus de minorités visibles, partis et circonscriptions favorables ou non, 2015

(nouveaux candidats seulement) 

Parti

Circonscriptions

non favorables

 

Circonscriptions favorables

(Nombre)

Député déjà en place?

Oui

Non

Issus de minorités visibles

Parti conservateur

47

21

32

(34)

Parti libéral

73

19

8

(48)

NPD

80

12

9

(34)

Non issus de minorités visibles

Parti conservateur

50

12

37

(155)

Parti libéral

91

6

3

(227)

NPD

72

12

15

(203)

 

Chaque rangée totalise environ 100 %.

Les notions de circonscriptions favorables et non favorables sont définies dans le texte.


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Vol 40 no 1
2017






Dernière mise à jour : 2020-09-14