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Table ronde : Retouches obligées dans la forme : produire les journaux des débats au Canada
Deborah Caruso; Lenni Frohman; Robert Kinsman; Robert Sutherland

Produisant les transcriptions officielles des débats parlementaires, les journaux des débats au Canada ont la responsabilité d’offrir aux parlementaires et aux citoyens du Canada un compte rendu juste et précis de ce qui se produit tous les jours sur le parquet des assemblées législatives. À cette table ronde, quatre directeurs/rédacteurs en chef de journaux des débats canadiens discutent de la façon dont travaillent leurs équipes pour faire la transition entre « le pittoresque des débats et le caractère formel du texte ».

RPC : D’aucuns penseront que les journaux des débats sont un compte rendu mot pour mot des débats parlementaires; or, c’est bien plus que cela. Quelle est la plus grande idée fausse que vous ayez entendue de parlementaires ou d’autres observateurs?

LF : Je crois que la plus grande idée fausse est qu’aucun travail de révision n’est nécessaire pour faire la transition entre le pittoresque des débats et le caractère formel du texte.

RK : Les gens croient que le texte apparaît comme par magie à la fin de la journée. Des parlementaires m’ont déjà téléphoné pour avoir une copie de leur discours d’une heure, et ce, cinq minutes après l’avoir livré! (Rires) Ils ne se rendent pas compte que nous devons vérifier les noms de tous les électeurs et de toutes les sociétés mentionnés, en plus d’essayer de comprendre ce qu’ils ont dit dans leurs langues respectives… qui sont pourtant toutes de l’anglais!

RS : Je crois que la majorité des gens sont surpris par l’ampleur du travail requis pour livrer ce produit à la fin de la journée. Nous avons une équipe de 30 personnes qui transcrivent les débats. Les parlementaires qui nous rendent visite sont estomaqués par la quantité de personnes qui s’affairent à la tâche. En fait, les quelques employés en Chambre et dans l’édifice qu’ils croisent ne sont que la pointe de l’iceberg. Comme Bob l’a mentionné, une vaste équipe à laquelle se greffe, dans notre cas, un effectif à temps partiel, est requise pour livrer la transcription avant la fin de la journée; dans notre cas, une ébauche est produite dans un délai d’environ une heure.

DC : Que ce soit en Chambre ou en comité, un sténographe parlementaire prend des notes très brèves à chaque séance avec son ordinateur portatif pour aider à la transcription. Je pense que la majorité des députés provinciaux pensent que cette personne tape les propos au fur et à mesure et que cela devient la transcription. J’ai déjà vu des présidents de comité demander au sténographe de répéter les propos qui venaient tout juste d’être dits! Rires) Ils ont regardé trop d’intrigues judiciaires au cinéma. L’effort requis est titanesque. Normalement, notre assemblée siège de 9 heures à 18 heures. Toutes ces heures de délibérations sont publiées sur notre site Web le soir même. De plus, des comités se réunissent en même temps, alors c’est un énorme effort d’équipe.

RPC : Les différences sont-elles nombreuses entre les journaux des débats d’une province ou d’un territoire à l’autre?

DC : En bref, oui. Il y a dix journaux des débats provinciaux, trois territoriaux, en plus de ceux de la Chambre des communes et du Sénat, à Ottawa. Selon le nombre de jours de séance annuels, si des journaux des délibérations en comité et des débats en Chambre sont produits, il y aura un effectif à temps plein ou hybride, c’est-à-dire composé d’employés à temps plein aidés de nombreux employés de session. Dans les territoires, les journaux des débats sont tous produits à la pige dans le secteur privé. Dans certaines assemblées législatives, on peut parler plus d’une langue. À ma connaissance, le Nouveau-Brunswick, la Chambre des communes et le Sénat sont les seuls endroits où les journaux sont traduits dans l’autre langue. Dans les autres assemblées, les propos sont rapportés dans la langue dans laquelle ils ont été prononcés.

RK : Je crois que la grande différence réside dans les chiffres. Robert parlait tout à l’heure d’un effectif de 30 personnes pendant la session; j’en pâlis… d’envie! (Rires) Nous comptons sur un effectif de sept employés à temps plein. Dernièrement, nous errons d’immeuble en immeuble parce que notre édifice a été condamné à cause d’un manque d’espace dans nos locaux temporaires, nous sommes seulement 14 employés qui devons livrer la transcription avant la fin de la journée. Nous nous occupons également des comités, mais la transcription est faite en deux à trois jours plutôt que la même journée. Je crois que notre production est sensiblement la même; ce sont seulement les chiffres et les heures qui changent.

RS : C’est cela. Les rouages et les façons de faire dans l’assemblage du document sont passablement les mêmes. Jusqu’à un certain point, nous faisons tous de la transcription et de la révision, et nous sommes tous confrontés à des problèmes de langue ou à des propos inaudibles ou incompréhensibles. Toutefois, la charge de travail varie d’une autorité législative à l’autre. Pendant plus des deux tiers de l’année, nous servons deux Chambres à la fois; c’est pourquoi nous avons besoin de 30 personnes.

LF : En Saskatchewan, nous comptons sur quelque 36 rédacteurs à temps partiel et 3 employés à temps plein – le rédacteur en chef, le chef de production et l’indexeur. C’est un effectif imposant chargé de gérer des comités qui siègent simultanément. Selon moi, les conditions du marché local influencent grandement la dotation en personnel des journaux. Par exemple, si vous devez produire des délibérations en français, disons, à Yellowknife, la disponibilité d’employés compétents sera un facteur déterminant dans la dotation du poste.

RK : Un autre défi en dotation est lorsqu’on aborde la question des heures de travail en entrevue. Certains candidats s’enfuient à toutes jambes! (Rires) Un jour, nous siégeons de 14 h à 22 h, puis ce sera de minuit et une à onze heures cinquante-neuf; mais nous ne le saurons pas avant 22 h. Les gens ne sont plus prêts à ce genre sacrifice contrairement à nous, les vieillards.

LF : C’est tout à fait vrai, Bob. Je trouve que de nombreux jeunes tout à fait brillants refusent de laisser un horaire de travail dicter leur vie. Il y a incontestablement un changement de mentalité à cet égard.

RS : J’ajouterais que certaines autorités législatives ont des calendriers de session plus longs, avec des sessions au printemps et à l’automne, alors que d’autres siègent intensivement pendant une seule période dans l’année. Ici, nous avons une session au printemps et parfois une à l’automne, mais on ne sait jamais vraiment. Alors lorsque vient le temps de pourvoir un poste, il est difficile de prédire si ce sera à temps partiel ou à temps plein. Selon moi, c’est tout un défi que de gérer un environnement dans lequel la Chambre siège pendant douze semaines au printemps, puis n’a plus aucune activité jusqu’à l’année suivante.

DC : C’est pourquoi des fournisseurs privés ont pris en charge les journaux dans le Nord, je pense. Leurs sessions sont très brèves, donc les langagiers affectés à la production des journaux font autre chose le reste de l’année.

RPC : La manière dont vous produisez les journaux des débats (dans votre province et en général) atelle changé au cours des années? La technologie comme les logiciels de reconnaissance de la voix a-t-elle contribué à rendre votre travail plus facile et plus efficace?

DC : On me pose souvent la question. Nous analysons cette question en profondeur tous les deux ans environ. Les seules fois où nous avons eu recours au logiciel de reconnaissance de la voix, c’est lorsque des employés avaient subi des lésions aux poignets liées aux mouvements répétitifs. Ils ont utilisé le logiciel le temps qu’ils guérissent. Cet outil est à son meilleur lorsqu’il est utilisé dans des conditions strictement contrôlées. Il est extrêmement précis lorsque son utilisateur dicte devant le micro, à un rythme et à un volume constants, après avoir passé un certain temps à interagir avec le logiciel pour l’adapter à son timbre de voix…

LF : Et que les gens ne passent pas leur temps à t’interrompre et à chahuter, Deborah?

RK : C’est ce que j’allais dire! (Rires)

DC : Oui, mais dans une Chambre comme en Ontario, qui compte 107 députés aux accents et aux voix différentes, qui s’éloignent constamment du micro et qui, parfois, parlent tous en même temps, la précision de l’outil est si faible qu’il est plus productif de tout recommencer. Or, en Ontario et dans quelques autres autorités législatives, le sous-titrage codé est utilisé comme texte initial, qui est révisé parce qu’il y a parfois des erreurs. Voilà le scénario classique du film du transcripteur de la cour qui produit les journaux, imaginé par les députés. Avec les journaux, il est important de faire un ménage dans les paroles exprimées. Notre conversation en est un bon exemple; je serais morte de honte si vous deviez imprimer le compte rendu mot à mot de mes propos! (Rires) Nous nous immisçons dans la copie autant qu’il est nécessaire pour transposer les propos en texte, tout en veillant à ce que ce soit clair pour le lecteur. Ces interventions sont minimales; juste ce qu’il faut pour que ce soit clair. Mes excuses pour cet aparté. Quelle horreur, je parle sans réfléchir! (Rires)

RK : Pour revenir à la reconnaissance vocale, nous ne pourrions jamais y recourir en Nouvelle-Écosse. Je suis en Chambre une bonne partie de la journée et je crois que je n’ai jamais assisté à un débat où il y a une seule personne qui parle à la fois. Je suis sérieux! Deux personnes autour d’un député lui prêtent main-forte pendant que la personne de l’autre côté débite sa tirade et que d’autres frappent sur leur bureau. Pour des raisons budgétaires, nous ne l’avons jamais essayée, mais ça ne fonctionnerait pas. Nous étions emballés lorsque nous avons remplacé la techonologie des audiocassettes de cinq minutes, que les pages nous apportaient de l’autre côté de la rue, au profit du matériel numérique de deuxième génération! C’était il y a six ou huit ans.

LF : La technologie a apporté tout un changement. Les logiciels de reconnaissance vocale ne sont pas encore très utiles, mais d’autres outils technologiques l’ont été, comme les ordinateurs. À mes débuts, nous utilisions un Wang! Nous avions des logiciels de traitement de texte! Maintenant, nous disposons de 24 rédacteurs réseautés qui peuvent partager en temps réel leur recherche commentée. Deux moniteurs créent un large espace de travail virtuel où la recherche peut être consultée plus rapidement et avec plus de cohérence. Aujourd’hui, les journaux entiers sont transcrits, révisés et publiés dans Internet deux ou trois heures après la levée de la séance.

RK : Je dois poser la question : quelqu’un sait ce qu’est une machine à carte perforée? C’est ce qu’on utilisait au début de ma carrière. On ne parle pas d’années, d’accord? Seulement de technologie. (Rires) On arrivait tout de même à respecter notre délai de fin de journée, même s’il était trois ou quatre heures du matin. Ces machines étaient des mastodontes qui fonctionnaient avec des cartes perforées.

DC : J’ai vu ça dans un film, Bob! (Rires)

RK : Je sais! Certes, la technologie a facilité notre travail, mais nous n’avons tout de même gagné que quelques heures! Nous pouvons donner un extrait aux députés dans un délai d’une heure s’ils en font la demande, mais nous n’affichons aucune version provisoire dans Internet.

RPC : Parlant d’allocutions, il semble que bon nombre de députés prononcent des allocutions préparées à l’avance. Vous envoient-ils des copies avant ou après les avoir prononcées?

RK : Bon nombre de nos députés affirment qu’ils n’utilisent pas de notes d’allocution même s’ils se lèvent en Chambre avec une feuille à la main. (Rires) Cela dit, il y a eu un changement de gouvernement et quelque 30 nouveaux députés ont assisté à une séance d’orientation qu’on appelle l’université des députés. À ces séances, chaque direction énumère ce dont elle a besoin pour faciliter le travail de tout le monde. Certains députés ont bien écouté les consignes parce qu’ils envoient effectivement leurs allocutions avant ou après les avoir prononcées, ou si on leur en fait la demande. Or, nous avons une nouvelle bête noire depuis la dernière session : les iPad. Soit les députés ne peuvent pas imprimer leur document à partir de leur tablette, soit ils ne veulent tout simplement pas. Toutefois, on reçoit généralement les allocutions. Un téléphone près de la Chambre permet d’en faire la demande. Il y a quelques années, une de nos employés, Ruth, a téléphoné pour demander qu’on achemine une note à un député lui demandant une copie de son allocution. Le député a pris connaissance de la note, s’est tourné vers la caméra et a répondu « Non Ruth, je ne l’enverrai pas! » (Rires) Un peu de discrétion est de mise.

DC : Nous recevons effectivement des copies d’à peu près tout ce qui est préparé à l’avance, mais seulement après leur lecture en Chambre ou en comité, jamais avant. Nos employés ont une table à la Chambre; on les surnomme les « étrangers à la Chambre ». Ils ne sont pas autorisés à circuler sur le parquet, alors ils doivent faire passer leur message par l’entremise des pages. Nous recevons un flux constant d’allocutions, et ce, à tout moment durant la journée. J’aimerais beaucoup les recevoir à l’avance parce que nos interprètes en profiteraient énormément. Je crois que les journaux des débats de l’Ontario sont les seuls à avoir un service d’interprétation. Au fil des ans, nos interprètes ont appris à improviser. Nous les obtenons à l’avance lorsque c’est possible; sinon, la terre ne s’arrête pas de tourner.

RS : En Colombie-Britannique, nous avons des procédures en place. L’une d’elles est l’exposé de deux minutes, qui a lieu tous les jours avant la période des questions. Six députés sont autorisés à faire un exposé sur une question d’intérêt pour leur circonscription. Ces exposés sont toujours préparés à l’avance et les députés en font généralement la lecture. Nous réussissons presque toujours à recevoir les notes écrites avant ou après l’exposé. En ce qui concerne les exposés budgétaires et le discours du Trône, les députés préparent généralement des notes d’allocutions. Ils ont moins tendance à nous les acheminer, à moins qu’on en fasse la demande, parce qu’elles sont d’une durée de 30 minutes. Toutefois, c’est en quelque sorte une arme à deux tranchants. En effet, il arrive qu’ils s’éloignent de leur texte, alors on ne peut jamais assumer que ce qui est écrit sera réellement prononcé. Il faut comparer ligne par ligne le discours préparé et la transcription. Et tant qu’à faire cela, mieux vaut simplement le transcrire. Nous n’allons pas rendre la transcription conforme à ce qu’ils souhaitaient dire. La transcription doit être la saisie de ce qu’ils ont réellement dit. On peut se servir du texte pour repérer où ils ont déraillé un peu ou pour y rechercher des noms ou des titres à titre de référence; or, le travail de rapporter ce qui est dit est, en fin de compte, celui de la personne qui transcrit ce qu’elle entend la première fois. Certains de nos députés ne sont pas anglophones de souche. La plupart du temps, ils nous font parvenir leurs allocutions à l’avance, ce qui se révèle très utile puisque nous en faisons alors une comparaison ligne par ligne pour y déceler d’éventuels problèmes de diction ou de syntaxe.

RK : J’aimerais simplement ajouter un point concernant les déclarations des députés. Nous avons déjà eu ce qu’on appelait des avis de motion, et les mêmes procédures s’appliquaient. Ces avis nous étaient acheminés quotidiennement par le caucus avant chaque séance de la Chambre. Ils étaient présentés au greffier puis nous en obtenions une copie peaufinée plus tard. C’était merveilleux. Toutefois, la nouvelle procédure permet à chaque député de lire deux déclarations d’une minute chaque sur n’importe quel sujet et cela dure pendant une heure. Ils ne sont pas obligés de remettre une copie de leurs déclarations alors ils ne le font pas. Nous en avons passé du temps là-dessus! D’ici la prochaine séance, je m’entretiendrai avec le greffier et le Président en espérant obtenir de faire déposer ces déclarations comme avant, et ce, même si elles ne sont pas enregistrées par le greffier. Imaginez : des déclarations d’une minute remplies de noms de concitoyens, et ce, pendant une heure. C’est mortel! Je ne plaisante pas. (Rires)

RPC : Un peu plus tôt, nous avons communément souligné que les journaux des débats sont un compte rendu mot à mot; mais souvent, il s’agit d’un compte rendu « essentiellement mot à mot ». Il y a quelques années au Manitoba, un imbroglio politique a fait la manchette. Le service des journaux aurait décidé de résumer les propos d’un ministre d’une manière inacceptable selon l’opposition. [Le ministre avait parlé d’« épines » du hérisson, puis s’était repris en parlant de ses aiguilles. La transcription des débats avait omis le passage sur les épines – le Président avait par la suite ordonné la réinsertion du passage et l’obligation d’effectuer le compte rendu mot à mot des débats.] Quelles sont vos procédures en cette matière? Avez-vous des anecdotes à raconter à propos de décisions éditoriales qui ont pris une tournure malencontreuse?

DC : Nous avons effectivement des politiques en place et les nouveaux employés reçoivent une formation exhaustive sur ce plan. Nous faisons de la transcription « essentiellement mot à mot ». Nos politiques nous permettent de bricoler un peu, mais nous ne leur faisons jamais dire ce qu’ils n’ont pas dit. Hormis quelques variantes, nous nous conformons à la même politique que notre assemblée législative modèle, Westminster. Par exemple, si quelqu’un parle de « millions » d’un bout à l’autre de son exposé, mais qu’à un moment donné il se fourvoie et dit milliards, nous le changerions probablement par souci d’uniformité, à moins que ce soit évoqué et que ça prenne une dimension politique. La langue lui a fourché et c’était clair pour tous ceux qui écoutaient. Nous rectifierons également les faux départs. Tout le monde parle avec un peu d’hésitation. Si, après avoir prononcé quelques mots, une personne recommence en bifurquant totalement, nous enlèverions ses premières paroles pour alléger le texte. Notre solide programme de formation fait en sorte que nos rédacteurs posent des questions dès qu’ils sont dans le doute. Ce qui pourrait semer une controverse, si je peux m’exprimer ainsi, c’est si on corrigeait une erreur dans l’allocution d’un ministre. Il ne s’agirait aucunement d’un geste partisan, mais l’opposition pourrait le voir comme une faveur que nous aurions accordée au gouvernement, à sa demande.(Rires) Vous savez, ça m’arrive tout le temps qu’un ministre me téléphone pour me demander de changer telle ou telle chose. Et voilà un autre point : on ne peut pas transcrire le sarcasme. (Rires) Je suis totalement sarcastique en ce moment. Mais ce genre de situation est rarissime. Je ne me souviens pas d’y avoir été confrontée, ou peut-être une seule fois en sept ans et demi. Je crois que mon prédécesseur a dû gérer quelques situations où on alléguait que nous retouchions les copies à la faveur d’un ministre ou pour rehausser l’image d’un gouvernement. Comme si je m’en préoccupais! En passant, je prends ma retraite bientôt, alors je suis plus franche maintenant que je ne l’aurais été si vous m’aviez interviewée il y a un an. (Rires)

RS : Je ne me rappelle d’aucun incident du genre depuis que je suis dans un poste de direction. Il y a plusieurs années, c’était dans les années 1990, une modification assez fondamentale a été apportée par suite d’une décision éditoriale. En rétrospective, cette décision n’était pas très justifiée et il se trouve qu’elle concernait le futur premier ministre, qui répondait alors à une question du chef de l’opposition. Cet incident n’a pas fait couler beaucoup d’encre, mais je sais que l’organisation en a été très embarrassée. C’est à ce moment que nous sommes passés de la transcription assez libre à un style beaucoup plus mot à mot. Nous nous sommes rendu compte que cela pouvait avoir de lourdes conséquences. Ce qui est particulier, c’est que je ne me suis jamais senti pressé par le gouvernement ou par l’opposition de corriger une situation embarrassante. On me demande parfois de mettre un peu d’ordre dans les propos, mais ce n’est jamais dans l’intention de retirer des paroles qu’ils auraient dites. Je pense qu’ils respectent notre travail et la qualité de notre produit. Nous arrangeons le texte sans toutefois corriger les erreurs de fond. S’ils ont fait une bourde, ils doivent l’accepter. Lorsque les débats sont publiés, il n’y a plus de retour en arrière. S’ils souhaitent vraiment rectifier leur erreur, ils doivent se lever en Chambre pour le faire. L’incident du Manitoba concerne une pratique à laquelle nous recourons presque quotidiennement. Nous corrigeons les erreurs mineures et les lapsus; personne ne remet cela en question. Je dois avouer que cet incident me dépasse.

DC : À mon avis, le Président avait mal compris le processus de révision. Lorsqu’il a rendu la décision selon laquelle la transcription devait être le compte rendu exact (à 100 %) des débats, il croyait sans doute que celle-ci était déjà presque mot à mot.

RS : J’ai déjà lu quelque part que des députés étaient surpris de savoir que les journaux des débats étaient révisés. Je n’en reviens pas que des gens puissent penser en les lisant que c’est exactement comme cela qu’ils parlent.

DC : La seule fois où j’ai dérogé à la règle, c’est lorsqu’un député qui rendait hommage à un citoyen qui venait de s’éteindre a fait une erreur dans son nom ou le nom de sa conjointe. Il était dans tous ses états, sachant qu’un exemplaire du journal des débats était envoyé à la famille. Il nous a alors demandé de corriger son erreur. Je l’ai fait dans un but tout à fait apolitique. Il s’agit d’un cas extrêmement rare.

RK : C’est à peu près la même chose en Nouvelle-Écosse. Quelqu’un a parlé d’« essentiellement mot à mot »; pour notre greffier, les débats sont un compte rendu in extenso, c’est-à-dire une transcription exhaustive à laquelle on a enlevé les répétitions et les redondances. Mon prédécesseur était originaire du RoyaumeUni, alors tout le monde parlait comme Winston Churchill. (Rires) Nos députés viennent de partout en Nouvelle-Écosse et ils ne parlent pas du tout comme cela. Je disais toujours qu’on doit pouvoir deviner qui parle sans regarder son nom. Un député nous a déjà dit : « Dieu merci, le hansard existe! Vous me faites bien paraître en retirant tous des «euh» et ces «et» ». À l’inverse, un autre député, un ancien enseignant au vocabulaire impeccable, avait un jour délibérément voulu adopter l’accent local pour se rapprocher de ses concitoyens. On avait relevé son discours et il s’en était plaint le lendemain! (Rires)

RS : Deborah a mentionné que nous comptions sur un imposant guide de style que nos employés doivent étudier. Il y est expliqué notamment comment traiter un passage teinté de la couleur locale ou issu de la langue populaire. Ce genre de détails y est minutieusement consigné au fil des ans, alors cet ouvrage est une véritable bible. Lorsqu’un transcripteur rencontre ce genre de discours, il le signale au rédacteur en chef. Un effort collectif est alors lancé pour trouver une solution à ce passage délicat, puis on m’informe du cheminement ayant mené au choix éditorial. Nous nous efforçons réellement de respecter les directives et les procédures en place par souci d’équité envers l’ensemble des députés. Toutefois, nous avons beaucoup plus de liberté lorsque les députés rendent des hommages et font des déclarations non politiques. C’est à la période des questions et dans les débats que les députés sont particulièrement responsables de leurs paroles; nous ne les modifions pratiquement pas.

LF : Rob, vous avez dit que les députés ont confiance dans lat qualité de notre travail, en raison de la nature non partisane et apolitique du service des journaux. J’abonde dans ce sens. Mais la carte frimée, c’est la politique. Par exemple, une fois, une députée de l’opposition a dit : « Ce ministre devrait recevoir quelques bonnes tal… » Et juste comme elle commença à s’empêcher de finir le mot, le débat s’est animé. Nous n’avons pas écrit le mot parce qu’elle ne l’a pas dit. Elle a prononcé une syllabe avant d’être interrompue. Mais tout le monde dans la Chambre a terminé sa phrase en pensée. Bien entendu, les rédacteurs des journaux savent qu’ils ne doivent pas conclure des pensées, alors l’énoncé en question a été publié sans le mot, sous forme elliptique, avec la mention qu’un tumulte a suivi accompagné d’un rappel à l’ordre par le Président. Or, le gouvernement d’alors cherchait si désespérément à réorienter le débat face à quelques scandales, qu’il a choisi de se plaindre que le journal des débats avait été épuré. Les médias n’ont pas rapporté l’histoire, mais elle a fait son chemin du caucus du gouvernement jusqu’au Président, qui avait affirmé : « Ne peut-on plus se fier au hansard? Des menaces verbales ont été proférées et le hansard les a retirées. Je dirais que ce qui jouait en notre faveur comparativement à ce qui est survenu au Manitoba, c’est que le Président de la Chambre était issu du même parti que le plaignant. Il pouvait donc plus facilement dire à son caucus de lâcher prise. J’avais le soutien de notre greffier, alors je n’ai eu qu’à expliquer au Président nos procédures. Celui-ci s’est montré coopératif. Selon moi, cette expérience nous a montré l’importance d’entretenir une bonne communication avec les greffiers concernant le genre de révisions que nous apportons; ils sont les mieux placés pour éviter que les problèmes prennent de l’ampleur.

RK : Nous sommes extrêmement chanceux. Nous travaillons en étroite collaboration avec le greffier et le Président parce que nous sommes une petite organisation. Le greffier m’a appelé une fois pour me demander « Est-ce comme ceci que vous le faites? Aurais-je dû faire comme cela? » Il est très ouvert et coopératif, tout comme le Président d’ailleurs.

LF : Je suis d’accord, Bob. Je crois que ça contribue à expliquer pourquoi cette anecdote n’a pas pris de l’ampleur. Le Président a demandé à entendre notre version. Après l’incident au Manitoba, je me suis fait un devoir d’expliquer aux greffiers quelles étaient nos politiques éditoriales, ainsi que nos différences et nos similitudes. L’occasion d’avoir ce genre de conversation ne se présente pas souvent. C’est le greffier qui a la capacité d’intervenir dans un premier temps.

RK: Cette question a précisément été soulevée lors une conférence subséquente à laquelle prenaient part des greffiers. Le greffier a éclairci la situation et il y a eu une sorte de pollinisation croisée au Canada; les services des journaux des débats et les greffiers ont ainsi pu être informés des enjeux et mieux les comprendre.

RS : Les députés s’expriment parfois dans un langage non parlementaire. Nous avons quelques séquences célèbres là-dessus. Mais il faut être extrêmement prudent dans leur transcription. Si les députés viennent à penser qu’ils pourraient dire tout ce qui leur passe par la tête et que nous le consignerions, le débat pourrait vraiment tourner au vinaigre. S’il y a moyen de justifier de ne pas transcrire les propos d’un député qui chahute et qui traite son collègue de menteur, alors je le ferai. On ne veut pas ouvrir la voie à des manières de contourner le Président.

RK : Nous avons une politique en place de ne pas transcrire les propos chahutés à moins que le député qui a la parole répond à son interlocuteur et l’identifie.

LF : Nous avons la même règle.

RS : Nous aussi.

RPC : Je vous ai demandé ce qui a changé au fil des ans. Maintenant, je vous demanderais de vous tourner vers l’avenir. Y a-t-il des tendances qui se dessinent en matière de transcription des journaux des débats? Par exemple, certaines assemblées législatives explorent le concept de gouvernement ouvert. Les activités de transcription des journaux seraient-elles touchées, selon vous?

RK : En ce qui a trait au gouvernement ouvert, il y a eu des discussions. Le Président a eu une demande que les données brutes de nos fichiers audio soient acheminées à une entreprise privée avant d’être mises en ligne. L’information serait ensuite dépouillée. Cela se fait déjà avec la capture de données d’écran. Mon côté obsessif du contrôle ne peut se faire à cette idée. Le Président et le greffier examinent toutefois ce genre de demandes depuis quelque temps déjà.

RS : Faites-vous allusion aux fichiers de texte ou audio?

RK : Texte. Il me semble que nous en avons déjà publié une fois dans Internet; les gens pouvaient en faire ce qu’ils voulaient. Il devrait y avoir un certain contrôle.

RS : Nous n’avons pas encore de politique sur les données ouvertes. Nos données sont publiées, mais pas d’une manière souhaitée par ces organisations pour manipuler le contenu. Nous avons commencé à produire des publications en XML, mais elles ne sont pas encore diffusées. L’autre défi est que nous utilisons ce format depuis seulement deux ou trois ans. Nous ne disposons donc pas d’une base de données importante permettant de faire des analyses et des comparaisons à long terme. Aussi, la mise en œuvre de tels systèmes coûte très cher et je crois que c’est un facteur que les autorités examinent également. Quel serait le coût d’une tentative de conversion en XML d’anciens fichiers? Cela en vaudrait-il la peine?

LF : En Saskatchewan, une telle politique n’existe pas encore non plus. Un plan de communication stratégique mentionne qu’on veut accroître la visibilité et l’accessibilité de l’assemblée, la rendre plus conviviale et porteuse d’informations suscitant l’intérêt du public.

RS : En ce qui nous concerne, notre défi est d’être moins protecteur à l’égard de ces ressources; nous devons sortir de ce carcan et accepter qu’elles soient mises à la disposition du public. Néanmoins, la manière dont certaines personnes utilisent ces données me rend perplexe. On dit que le nombre de mots prononcés par un député est une mesure pour évaluer son efficacité. Nous savons tous qu’il n’en est rien, mais ce n’est vraiment pas notre rôle de contrôler cela. Je crois que nous pensons encore avoir une certaine responsabilité à l’égard de nos députés; mais à un moment donné, il faut prendre du recul et laisser les gens faire ce genre de comparaisons.

RK : Une autre question serait de savoir quelle version le public utilise-t-il? Notre version papier est maintenant la version officielle.

LF : Pour recadrer les propos de Robert, je dirais que le service des journaux des débats travaille tellement fort pour préserver sa réputation d’institution crédible et non partisane qu’on peut s’y fier pour avoir un compte rendu fidèle du cours des débats. Nous protégeons la réputation des publications de l’assemblée législative en tant que référence pour ce qui est de rendre réellement les situations et les propos survenus en Chambre. Reste à savoir si les données ouvertes aideront ou nuiront à la compréhension et à la confiance du public.

DC : Je me demande si les données ouvertes et le gouvernement ouvert ont le même sens. Les données ouvertes peuvent faire partie d’un gouvernement ouvert, mais lorsque je regarde ce que la Chambre des communes accomplit à ce chapitre, c’est-à-dire la manière de regrouper l’information sur le site Web, par exemple nous amener, à partir d’un clic dans le texte du hansard, vers le résultat d’un vote, la fiche biographique d’un député ou des renseignements sur sa circonscription, l’index ou les débats du jour. Ce serait vraiment chouette de pouvoir faire la même chose, mais cela dépend des ressources à notre disposition.

RS : Je m’inquiète du fait qu’on utilise ces données pour faire du commentaire éditorial; il faut surmonter cette crainte. En fin de compte, nous ne faisons pas de commentaire éditorial. Notre travail est de veiller à ce que nos produits et sites Web – la véritable source – soient accessibles et faciles à trouver. Nous avons une certaine pression sur les épaules.

RK : Selon moi, bon nombre des personnes qui extraient des données le font à des fins de recherche en général. À mesure qu’elles deviendront plus accessibles, il y aura de moins en moins de personnes qui en abuseront… mais il faudra d’abord me passer sur le corps. (Rires)

RPC : Avez-vous d’autres commentaires à formuler avant de terminer cette entrevue?

DC : J’aimerais simplement profiter de l’occasion, puisque je prends ma retraite bientôt, pour souligner à quel point je suis fière d’avoir fait partie de cette institution, d’avoir côtoyé son personnel, et du travail que nous y avons accompli, surtout sur le plan de la qualité. Nous choisissons soigneusement nos employés et ceux-ci sont dévoués. Notre équipe est brillante et travaille d’arrache-pied. On est loin du stéréotype de l’employé assis à son bureau en train de retaper un enregistrement. Chaque jour, nous accomplissons des miracles. Peu importe combien de personnes étaient absentes pour maladie cette journée-là, peu importe les pépins informatiques, peu importe les problèmes. Il ne se passe pas une journée sans que chaque membre de l’équipe mette l’épaule à la roue pour livrer un produit impeccable et exact. C’est de toute beauté.

LF : Écoutez-la! Écoutez-la!

RPC : Merci à tous pour votre participation. Qui s’offre pour la transcription?

Tous : Rires.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 38 no 2
2015






Dernière mise à jour : 2020-09-14