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L’activité politique en ligne au Canada : surenchère et réalité
Tamara Small; Harold Jansen; Frédérick Bastien; Thierry Giasson; Royce Koop

Que font les Canadiens du contenu politique fourni par les gouvernements, les partis politiques et les parlementaires au Canada? Fondé sur les données tirées du Sondage sur la citoyenneté en ligne au Canada de 2014, l’article porte sur le recours aux communications numériques par les Canadiens pour se renseigner sur la politique, en discuter et y participer. On a constaté que moins de la moitié des répondants utilisent Internet pour participer à la politique canadienne et que la politique reste une activité en ligne de moindre importance pour les Canadiens même si les gouvernements, les politiciens et les partis politiques ont pris les grands moyens pour être présents dans le cyberespace.

Au cours des vingt dernières années, les technologies de communication ont connu une révolution avec l’adoption à grande échelle des réseaux informatiques et des technologies numériques. Elles n’ont pas encore touché que très peu d’aspects de la société, de l’économie et de la culture. Chose peu étonnante, les technologies numériques ont aussi fait leur apparition dans la politique canadienne. Elles ont modifié la manière dont les institutions représentatives communiquent et interagissent avec les citoyens. Vers le milieu des années 1990, les ministères, les partis politiques et les parlementaires du Canada se sont mis à lancer leurs propres sites Web afin d’informer les citoyens, voire les mobiliser. Plus récemment, les médias sociaux, dont Twitter, Facebook et YouTube, sont devenus les piliers de la communication politique au Canada. De même, le Sénat du Canada et la Bibliothèque du Parlement publient des gazouillis. On possède une bonne connaissance de la présence en ligne des gouvernements, des partis politiques et des parlementaires au Canada1, mais on en connaît moins sur le degré d’interaction des Canadiens avec le contenu politique publié par ces divers acteurs2.

Le présent document se penche sur cette disparité en passant en revue l’activité politique en ligne des Canadiens, à savoir le recours aux communications numériques pour se renseigner sur la politique, en discuter et y participer. Nous nous sommes fondés sur les données tirées du Sondage sur la citoyenneté en ligne au Canada de 2014, que Citoyenneté en ligne/Online Citizenship3 a mené par téléphone entre février et mai 2014. Nous avons demandé à 2021 répondants une batterie de questions sur leurs habitudes et aptitudes en matière de technologies ainsi que sur leurs activités politiques tant en ligne que hors ligne. Toutes les données présentées plus loin ont été pondérées afin de corriger une inégalité dans l’échantillon causée par la province ou la taille du ménage du répondant. Le sondage vise à répondre à une question : comment les Canadiens utilisent-ils la communication en ligne pour exercer leur citoyenneté démocratique? La réponse est obtenue de deux manières. Nous vérifions d’abord si les répondants consultent les sites Web et les profils sur les médias sociaux des gouvernements et des figures politiques habituelles. Ensuite, nous examinons la participation politique en ligne, à savoir dans quelle mesure les répondants participent à des activités politiques, comme la signature de pétitions ou la publication de commentaires politiques, à l’aide d’Internet. Dans les deux cas, nous avons porté une attention particulière sur le rapport entre les jeunes Canadiens et l’activité politique en ligne. Les résultats donnent à réfléchir, car moins de la moitié des répondants vont sur Internet pour participer à la politique au Canada. Même si les gouvernements, les politiciens et les partis politiques ont pris les grands moyens pour être présents dans le cyberespace, la politique demeure une activité en ligne de peu d’importance pour les Canadiens.

Sondage sur la citoyenneté en ligne au Canada

Avant d’examiner en profondeur l’activité politique en ligne, passons en revue les données qui offrent un aperçu du recours à Internet par les Canadiens. Comme il fallait s’y attendre, Internet est utilisé partout au pays. Au cours des 12 derniers mois, 87,8 % des répondants l’ont utilisé. En effet, aller sur Internet fait partie des activités quotidiennes de la plupart des répondants. Plus de 75 % des répondants internautes vont en ligne au moins une fois par jour à la maison et les deux tiers d’entre eux y vont même plusieurs fois. Ils le font à l’aide de divers appareils : l’accès quotidien à Internet se fait à l’aide d’un ordinateur de bureau (53,5 % des internautes), d’un ordinateur portable (51,2 %), d’un téléphone intelligent (48,3 %) et d’une tablette (32,1 %). Les médias sociaux sont très populaires auprès de notre échantillon. Quelque 56,6 % de tous les répondants et 63,4 % des internautes possèdent un compte sur le réseau social le plus populaire de la planète, Facebook. Twitter se trouve loin derrière avec seulement 18,1 % des répondants, et 20,4 % des internautes qui y ont un compte. Par conséquent, nos répondants ont nombre de possibilités de participer à des activités politiques en ligne vu leur utilisation régulière et diversifiée d’Internet. Par contre, une question surgit : le font-ils?

Tableau 1. Accès au contenu politique

Tous les répondants

N=2021

Internautes

N=1800

A consulté un site Web du gouvernement fédéral

49,5 %

56,3 %

A consulté un site Web du gouvernement provincial

46,6 %

53,0 %

A consulté un site Web d’une municipalité

39,1 %

44,4 %

A consulté le site Web d’un parti politique ou d’un politicien

13,0 %

14,7 %

Est ami ou abonné d’une figure politique sur Facebook

6,3 %

7,1 %

Suit une figure politique sur Twitter

3,9 %

4,5 %

Accès à la politique en ligne

Quant à l’accès à l’activité politique en ligne, nous avons d’abord évalué dans quelle mesure les Canadiens accèdent à divers types de contenu politique en ligne, notamment la présence numérique des gouvernements et des politiciens (tableau 1). Nos constatations indiquent que le cybergouvernement supplante la cyberpolitique. Au Canada, tous les ordres de gouvernement ont investi considérablement dans le cybergouvernement, dont le but est d’offrir de l’information et des services gouvernementaux aux citoyens et aux entreprises d’une manière efficace et économique sans être limités par la situation géographique ou l’heure4. De nos jours, les Canadiens paient leurs impôts et leurs contraventions, renouvellent leur permis de conduire et postulent à des offres d’emploi de la fonction publique, le tout en ligne. Nous observons donc que ces investissements sont bien vus. Plus de la moitié des internautes rapportent avoir consulté un site Web du gouvernement fédéral ou d’une province, tandis que 44 % d’entre eux ont visité un site Web d’une municipalité au cours des 12 derniers mois.

Les sites Web des partis politiques et des politiciens, dont les élus, n’attirent pas autant que le cybergouvernement. Tout comme ce dernier, ils offrent aux citoyens des renseignements (énoncés de politique, notes biographiques, discours, calendriers des activités, communiqués de presse) et des possibilités de mobilisation (formulaires d’adhésion, de dons et de bénévolat, bulletins électroniques, blogues et sondages en ligne)5. En revanche, moins de 15 % des répondants ont dit avoir consulté le site Web d’un parti politique ou d’un politicien au cours des 12 derniers mois. Comme il a été mentionné, les figures politiques du Canada utilisent régulièrement les médias sociaux comme outil de communication politique. Les sites, comme Facebook et Twitter, sont d’excellentes sources d’information politique, instantanées et directes, pour les accros à la politique. Les études font ressortir que les partis politiques et les politiciens utilisent les médias sociaux pour diffuser de l’information sur les partis, notamment des communiqués de presse et reportages de sites Web officiels et des vidéos tirées de YouTube adressées aux citoyens6. Les partis politiques et les dirigeants, surtout les plus en vue, tendent cependant à éviter l’aspect interactif des médias sociaux. La communication entre eux et les citoyens sur les médias sociaux se trouve limitée. L’ajout des médias sociaux aux répertoires en ligne des politiciens et des partis n’a pas suscité un rapport plus profond avec les citoyens. Nous avons demandé aux répondants s’ils étaient amis ou membres de la page officielle sur Facebook ou encore abonnés sur Twitter du compte d’un politicien ou d’un parti politique du Canada de tous les ordres de gouvernement confondus. Comme le tableau 1 l’illustre, seuls 7,1 % des internautes sont amis sur Facebook alors qu’un faible 4,4 % d’entre eux sont abonnés sur Twitter. Moins de 6 % de tous les répondants sont amis et abonnés (5,9 %). C’est dire que le Web 1.0 (sites Web) est beaucoup plus populaire que le Web 2.0 (médias sociaux) chez les répondants, car les sites Web traditionnels sont plus couramment utilisés pour accéder à un parti politique ou un politicien7. Les niveaux constatés au Canada s’avèrent plus faibles que le niveau d’activité en ligne aux ÉtatsUnis. Le Pew Research Internet Project, qui documente l’activité politique en ligne chez nos voisins du Sud depuis 2002, rapporte que 12 % des adultes américains étaient amis ou abonnés d’une figure politique ou d’un candidat en 2012, une hausse par rapport à 2008, où ce n’était que de 3 %8.

Comme il a déjà été dit, les données nous ont permis de porter une attention particulière sur le rapport entre l’âge des gens et leur activité politique en ligne. Cette relation a sa pertinence puisque la participation de l’électorat recule, surtout chez les jeunes électeurs. Lors des élections fédérales de 2011, le taux de participation général s’élevait à 61,1 %, tandis que celui des jeunes électeurs se limitait à 38,8 %. Ces deux pourcentages ont beau être légèrement plus élevés que ceux des élections de 2008, mais ils sont tout de même comparables à ceux des élections tenues depuis 2000. Les jeunes Canadiens sont généralement moins bien renseignés sur la politique et s’y intéressent moins que les Canadiens plus âgés9. Certains considèrent Internet et les médias sociaux comme des moyens idéaux de rejoindre les jeunes, qui se disent de plus en plus indifférents à la politique10. Dans un numéro antérieur de la Revue parlementaire canadienne, Mme Linda Reid, députée à l’Assemblée législative de la Colombie Britannique, propose que les parlementaires utilisent les technologies numériques pour mettre au point des outils en ligne destinés aux jeunes en vue de faciliter l’interaction avec eux11. Ayant grandi entourés de technologies numériques, les jeunes tendent à devenir des innovateurs de l’ère numérique et consacrent plus de temps à l’utilisation des technologies que leurs aînés. En effet, même si l’utilisation d’Internet est comparable dans toutes les tranches d’âge, les répondants de 18 à 29 ans emploient davantage les médias sociaux que les groupes plus vieux12. Dans ce contexte, Internet est perçu comme une force mobilisatrice et une source de possibilités politiques pour une jeunesse laissée-pour-compte13.

La figure 1 illustre les résultats sur l’accès au contenu politique selon la tranche d’âge des répondants. Dans l’ensemble, la tranche des 18 à 29 ans n’est pas la plus susceptible de communiquer par Internet avec le gouvernement et les politiciens. En effet, lorsqu’il s’agit de cybergouvernement de tout ordre, les plus jeunes se situent parmi les derniers. Les répondants de 30 à 39 ans se classe au premier rang dans quatre des six catégories et au deuxième dans les deux restantes. Il ressort tout de même un fait intéressant sur les répondants de 18 à 29 ans : ils sont plus enclins à accéder à la politique par les médias sociaux plus que toutes les autres tranches d’âge. Il faut bien se garder de tirer des conclusions trop hâtives vu l’utilisation peu fréquente des médias sociaux pour accéder à la politique en général. En effet, 32,8 % des répondants abonnés d’une figure politique sur Twitter est âgé de 18 à 29 ans, alors que 21,3 % des jeunes sont amis sur Facebook avec eux. Les médias sociaux semblent tout de même le principal moyen électronique des jeunes pour accéder à la politique.

Comment explique-t-on la participation modérée au cybergouvernement et l’interaction très restreinte avec les partis politiques sur Internet? En communication politique, les nouvelles technologies cohabitent avec les anciennes, au lieu de les remplacer. Internet et les médias sociaux sont certes des modes relativement nouveaux pour communiquer électroniquement avec le gouvernement, les partis et les politiciens, mais ils ne sont certainement pas les seuls. À l’échelon fédéral, la prestation de services en ligne fait partie d’un système multicanaux appelé Service Canada, dans le cadre duquel les programmes et services du gouvernement fédéral sont offerts dans des points de service partout au pays, par téléphone ainsi que sur le Web14. Nous avons constaté que les répondants ont recours aux divers canaux lorsqu’ils doivent interagir avec les ordres de gouvernement. Lorsque nous demandons aux répondants leur mode de communication préféré pour poser une question, régler un problème ou effectuer une tâche et qui implique une interaction avec le gouvernement fédéral, la province ou la municipalité, le téléphone s’est avéré le mode de prédilection. En effet, 40 % des répondants ont choisi le téléphone, comparativement à 25 % pour le courriel et 14 % pour le site Web.

Tableau 2. Méthode employée pour communiquer avec le gouvernement ou des figures politiques au cours des 12 derniers mois (N=358)

Par téléphone

32.1%

En personne

31.9%

Par courrier

18.1%

Par Internet

15.7%

Par courriel

11.7%

Nota : Comme le répondant pouvait choisir plusieurs réponses, le total dépasse les 100 %.

Certains répondants ont également eu une interaction quelconque avec le gouvernement ou un élu au cours des 12 derniers mois (tableau 2). En fait, 18 % des répondants ont dit avoir communiqué avec un fonctionnaire, un élu ou un parti politique pour exprimer une opinion sur une question politique. Lorsqu’ils souhaitent interagir, les répondants sont deux fois plus susceptibles d’appeler ou de rencontrer une personne au lieu d’envoyer un courriel ou d’utiliser Internet. Même le courriel normal est davantage utilisé. Bien qu’ils emploient régulièrement d’Internet, les Canadiens préfèrent les modes traditionnels pour communiquer avec le gouvernement et les politiciens. Par conséquent, l’interaction électronique devrait être vue comme l’une parmi tant d’autres moyens de communiquer avec des figures et des institutions politiques au Canada.

Participation politique en ligne

Penchons-nous maintenant sur la participation politique en ligne. Internet permet aux citoyens de mieux communiquer électroniquement avec le gouvernement et les élus, mais aussi de participer à des activités politiques.

D’après Verba et coll., la participation politique s’entend d’une « activité dont l’objectif ou la conséquence est de modifier, directement ou indirectement, l’action gouvernementale15 ». On pourrait penser qu’Internet améliorerait la participation. Les sites Web et les médias sociaux la facilitent et l’optimisent à faible coût16. Comme il a été déjà mentionné, Internet contribuerait à augmenter les taux de participation en rendant la politique plus accessible aux laissés-pour-compte et aux marginaux de la chose politique. Le tableau 3 met par ailleurs en lumière nos constatations sur la participation en ligne.

Tableau 3. Participation en ligne

Tous les répondants

(N=2021)

Internautes

(N=1800)

A signé une pétition en ligne

18,2 %

20,5 %

A publié du contenu politique sur Facebook

13,5 %

15,2 %

A fait de la persuasion en ligne

11,7 %

13,1 %

A publié au sujet de la politique sur Facebook

9,6 %

10,8 %

A exprimé une opinion sur l’actualité politique

7,0 %

7,9 %

A relayé du contenu politique sur Twitter

3,6 %

4,1 %

A fait un don en ligne à une organisation

3,1 %

3,4 %

A écrit un gazouillis de nature politique sur Twitter

3,1 %

3,5 %

A fait un don en ligne à un parti politique

2,5 %

2,8 %

L’activité politique la plus courante chez les répondants est la signature de pétitions en ligne (appelées aussi pétitions électroniques). Les citoyens utilisent la pétition depuis longtemps pour faire appel auprès des autorités publiques et, dans une démocratie, celle-ci revêt de l’importance, car elle est d’initiative populaire. La pétition électronique rejoint davantage de citoyens, sans égard la situation géographique, et peut devenir virale si elle est relayée sur les médias sociaux ou par courriel. Les Canadiens disposent de divers sites de pétitions électroniques, notamment petitiononlinecanada.com et change.org. Dernièrement, une pétition a été lancée sur change.org pour demander une enquête publique sur les femmes autochtones disparues et assassinées. Plus de 300 000 personnes l’ont signée en quatre mois17. D’ailleurs, un internaute sur cinq a signé une pétition électronique l’an dernier. Ce taux est de deux points de pourcentage supérieur à celui des répondants qui ont affirmé avoir signé une pétition traditionnelle au cours de la même période. En réalité, il s’agit du seul cas où une activité est plus courante hors ligne qu’en ligne. Bien que le don à une organisation ou à un parti politique est relativement rare dans notre échantillon, les méthodes de contribution habituelles, tels le courrier ou le téléphone, sont plus couramment utilisées qu’Internet. Quelque 8,5 % des répondants ont fait un don à un parti politique au cours de l’an dernier, et 70 % d’entre eux ont fait un don hors ligne, soit à peine 2,5 % des répondants. Par ailleurs, près de 6 % des répondants ont versé une contribution à une organisation politique, comme Greenpeace ou la Fédération canadienne des contribuables. Dans les faits, 67 % l’ont fait hors ligne, comparativement à 33 % qui l’ont fait par Internet (3,1 % des répondants).

Peu de répondants ont lié amitié avec des figures politiques ou les suivent sur les médias sociaux. Ce fait ne démontre pas nécessairement que les médias sociaux ne peuvent pas constituer un mode de participation citoyenne. Bon nombre de répondants publient du contenu politique et expriment une opinion politique sur Facebook, mais ils semblent moins priser Twitter pour le faire. Comme le tableau 3 le montre, la publication de contenu politique sur Facebook figure au deuxième rang des activités politiques en ligne les plus courantes. D’après nos constatations, 15,2 % des internautes relaient des nouvelles et des reportages sur la politique destinés à leurs amis, alors qu’un internaute sur 10 publie un commentaire sur la politique à l’intention des autres. On discute beaucoup du rôle de Twitter en politique. Par exemple, les médias ont baptisé d’« élections Twitter » les élections générales de 2011, tout comme celles tenues au Québec en 201218. Nos données laissent entendre que cela relève plus de la surenchère que de la réalité. Non seulement les répondants suivent rarement les figures politiques sur Twitter, mais leurs activités politiques y sont tout aussi limitées. Moins de 5 % des répondants contribuent au débat politique sur Twitter : 3,6 % des répondants et 4,1 % des internautes ont relayé ou publié du contenu politique, comme des nouvelles ou des gazouillis des autres sur leur propre fil, alors que seulement 3,1 % des répondants et 3,5 % des internautes ont écrit un gazouillis politique. Malgré le plafond des 140 caractères, qui exige moins de temps et de réflexion, très peu de répondants ont décidé d’exprimer leur opinion sur Twitter.

Pour finir, nos constatations corroborent la présence de participation discursive dans l’échantillon. On entend par participation discursive tout débat, superficiel ou approfondi, sur la politique avec autrui19. Ce type de participation se tient hors ligne (échange en personne ou par téléphone) ou en ligne (forums sur Internet, courriels, médias sociaux). Certains répondants assurent donc une participation discursive sur Facebook puisqu’ils publient des commentaires sur des questions politiques destinés à leurs amis. Presque 8 % des internautes assurent une telle participation, car ils commentent l’actualité politique sur le site Web d’un organe de presse (tableau 3). La participation discursive en ligne est prouvée avec certitude dans l’échantillon, et elle constitue un autre aspect où l’activité politique hors ligne est plus courante que celle en ligne. Nous avons demandé aux répondants s’ils avaient déjà essayé de persuader d’autres personnes d’adhérer à leurs propres opinions politiques. Près de la moitié de l’échantillon l’ont fait (47,8 %). Quand nous leur avons demandé si leurs discussions ont eu lieu hors ligne, en ligne ou les deux, la vaste majorité des répondants (73,4 %) ont déclaré le faire hors ligne, tandis que 1,1 % le font en ligne et le dernier quart des répondants utilisent les deux. Encore une fois, Internet semble un moyen parmi d’autres de participer au débat politique et est loin d’être le principal.

Nous avons abordé plus tôt la question de l’âge. Comme il a été noté, bien des hypothèses portent sur la participation probable des jeunes, habiles avec les technologies, au débat politique sur Internet. Nous savons déjà qu’ils n’utilisent pas les services du cybergouvernement autant que les plus vieux. Tout est pourtant loin d’être noir pour ce qui est de la participation politique en ligne. La figure 2 montre les résultats par tranche d’âge. Certes moins enclins à faire des dons en ligne à un parti ou une organisation politique, les répondants âgés de 18 à 29 ans semblent plus habiles à exercer bien d’autres activités en ligne, et il y a donc un rapport entre les jeunes et la politique sur les médias sociaux. En effet, les jeunes utilisent plus Facebook pour écrire ou publier du contenu politique. La politique sur Twitter semble aussi attirer davantage les jeunes que les moins jeunes. Il est évident que Twitter est très peu utilisé dans notre échantillon, mais les jeunes répondants sont plus susceptibles de rédiger un gazouillis de nature politique ou d’en relayer un que les autres. Cette constatation cadre bien avec les données sur les ÉtatsUnis. Le Pew Center Internet Project a relevé que la participation politique sur les médias sociaux est particulièrement courante chez les Américains de 18 à 24 ans20. Ceux-ci sont d’ailleurs plus enclins à faire de la persuasion en ligne que les répondants moins jeunes. De l’avis de Mme Linda Reid, les gouvernements, les partis et les politiciens gagnent à offrir sur les médias sociaux du contenu adapté aux jeunes.

Conclusions

Nos résultats illustrent avec réalisme dans quelle mesure les Canadiens utilisent les technologies numériques pour accéder et participer à la politique et pour en discuter. Il importe de noter que les personnes qui s’intéressent et qui participent à la politique tendent à être surreprésentées dans les sondages comme celui-ci. Dans l’absolu, ces projections sont optimistes, ce qui rend les résultats d’autant plus réalistes. Malgré tous les moyens fournis en matière de politique sur Internet, dont l’abondance de renseignements, l’interaction possible avec les gouvernements et les politiciens, la capacité de relayer du contenu politique et d’en discuter, ou les occasions de mobilisation, il y a peu de preuves que les répondants en profitent de manière élargie. La moyenne de répondants qui accèdent à du contenu politique, dont le cybergouvernement et les sites Web des partis et des politiciens, se situe légèrement supérieure à 25 % (26,4 %), tandis que moins de 10 % (7,8 %) des répondants exercent une activité politique en ligne. Selon toute apparence, Internet n’est qu’un moyen parmi tant d’autres de participer à la politique pour les Canadiens. Les méthodes traditionnelles (échange en personne ou par téléphone) demeurent importantes dans l’ère du numérique. Dans l’ensemble, la politique reste une activité en ligne de moindre importance. Sur une note positive, les jeunes, qui ont grandi dans cette ère, sont plus susceptibles d’exercer une activité politique en ligne que les autres Canadiens.

Que les professionnels de la politique peuvent-ils conclure à partir des constatations tirées du Sondage sur la citoyenneté en ligne au Canada de 2014? Celles-ci nous rappellent que les nouvelles technologies de communication viennent compléter les anciennes au lieu de les remplacer. Les échanges en personne, par téléphone ou par correspondance sont tout aussi importants à l’ère du numérique. Les diverses technologies de communication attireront différentes tranches de la population. Par exemple, les « bulletins parlementaires », que les députés envoient à leurs concitoyens pour les informer de leurs activités parlementaires, sont toujours utiles pour communiquer, car ils sont livrés dans les boîtes aux lettres, et que l’effort des lecteurs pour recueillir l’information est minimal. La même conclusion peut être formulée au sujet des éditoriaux dans les journaux locaux. En parallèle, Internet et les médias sociaux sont importants pour les autres citoyens, surtout pour les personnes qui participent à la politique de toutes les manières possibles. La situation révèle que la communication politique à l’ère numérique comporte bien des facettes. Les professionnels de la politique doivent connaître les possibilités et les limites des divers outils de communication et les choisir judicieusement.

Notes

  1. Voir Roy, Jeffrey. E-Government in Canada: Transformation for the Digital Age. Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2006; Borins, Sanford, Kenneth Kernaghan, David Brown, Nick Bontis, Perri 6 et Fred Thompson. Digital State at the Leading Edge. Toronto, University of Toronto Press, 2007; Small, Tamara A. « The Not-So Social Network: The Use of Twitter by Canada’s Party Leaders » sous la direction d’Alex Marland, de Thierry Giasson et de Tamara A. Small, Political Communication in Canada: Meet the Press and Tweet the Rest, Vancouver, UBC Press, 2014 [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  2. Deux exceptions à noter : le projet enpolitique.com sur la participation des Québécois par les technologies numériques lors des élections provinciales de 2012 ainsi que le Projet Internet Canada. Voir aussi : Albaugh, Quinn et Christopher Waddell. « Social media and political inequality », sous la direction d’Elisabeth Gidengil et d’Heather Bastedo, Canadian Democracy from the Ground Up: Perceptions and Performance. Vancouver, UBC Press, 2014 [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  3. Citoyenneté en ligne/Online Citizenship est un projet financé par le Conseil de recherches en sciences humaines, qui porte sur l’activité politique en ligne et la citoyenneté démocratique au Canada. Pour d’autres renseignements, se rendre à http://www.oc-cel.ca [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  4. Roy, 2006.
  5. Barney, Darin (2007). « The Internet and political communications in Canadian party politics: The view from 200 » sous la direction d’Alain-G. Gagnon et d’A. Brian Tanguay. Canadian parties in transition, Peterborough (Ontario), Broadview Press, 2007, p. 371–382 [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  6. Small, 2014.
  7. Comme le nom l’indique, le Web 2.0 est la version avancée du Web 1.0 ou première mouture du Web. Dans celle-ci, l’utilisateur est un destinataire passif du contenu et il agit comme il le ferait avec la télévision ou la radio. Dans le Web 2.0, l’utilisateur est actif : il ne se contente pas de lire ou d’écouter le contenu en ligne, il y contribue.
  8. Smith, Aaron. Civic Engagement in the Digital Age. Pew Research Center, 2013. URL : http://www.pewinternet.org/2013/04/25/civic-engagement-in-the-digital-age/ (consulté le 24 septembre 2014) [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  9. Gidengil, Elisabeth, André Blais, Neil Nevitte et Richard Nadeau (2004). Citizens. Vancouver, UBC Press, 2014 [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  10. Voir Loader, B. D. Young Citizens in the Digital Age. Londres, Routledge, 2007.
  11. Reid, Linda (2012). « Engaging Youth Through Social Media ». Revue parlementaire canadienne, volume 35, numéro 4, 2012. URL : http://www.revparl.ca/english/issue.asp?param=213&art=1500 (consulté le 24 septembre 2014) [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  12. Les répondants âgés de 18 à 29 ans utilisent davantage les médias sociaux que les répondants plus vieux, mais toutes les tranches d’âges utilisent Internet à peu près de la même manière.
  13. Ce contexte est expliqué dans l’« hypothèse de la mobilisation » dont la littérature fait état. L’hypothèse soutient qu’Internet modifie considérablement la politique si on fournit les ressources et l’accès au système politique à ceux qui n’y participeraient pas autrement. Elle s’applique aux jeunes et aux membres de groupes laissés-pour-compte et marginalisés de la politique en fonction du revenu et de l’origine ethnique (par exemple, les Afro-Américains aux ÉtatsUnis).
  14. Dutil, Patrice, Cosmo Howard, John Langford et Jeffrey Roy. « Rethinking Government-Public Relationships in a Digital World: Customers, Clients or Citizens? » Journal of Information Technology and Politics, volume 4, numéro 1, 2007, p. 77-90 [EN ANGLAIS SEULEMENT]
  15. Verba, Sidney, Kay Lehman Schlozman et Henry E. Brady. Voice and Equality: Civic Voluntarism in American Politics. Cambridge, Harvard University Press, 1995 [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  16. Lehman Scholzman, Kay, Sidney Verba et Henry E. Brady. « Weapon of the Strong? Participatory Inequality and the Internet ». Perspectives on Politics, volume 8, numéro 2, 2010, p.487-509 [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  17. Pétition adressée à l’honorable Kellie Leitch, ministre de la Condition féminine, « Call a public inquiry into hundreds of missing and murdered Aboriginal women like my cousin Loretta Saunders ». URL : http://www.change.org/p/hon-kellie-leitch-minister-for-the-status-of-women-call-a-public-inquiry-into-hundreds-of-missing-and-murdered-aboriginal-women-like-my-cousin-loretta-saunders (consulté le 24 septembre 2014) [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  18. Voir Payton, Laura. « The House: The Twitter election: Why what happens on Twitter matters to everyone ». CBC News, 2011. URL : http://www.cbc.ca/news/politics/the-house-the-twitter-election-1.1044391 (consulté le 24 septembre 2014.) [EN ANGLAIS SEULEMENT]; Giasson, Thierry et coll. « #Qc2012 : l’utilisation de Twitter par les partis » dans Les Québécois aux urnes : les partis, les médias et les citoyens en campagne, sous la direction de Bastien, Frédérick, d’Éric Bélanger et de François Gélineau. Montréal, les Presses de l’Université de Montréal, 2013, p. 135-148.
  19. Delli Carpini, Michael X., Fay Lomax Cook et Lawrence R. Jacobs. « Public Deliberation, Discursive Participation, and Citizen Engagement: A Review of the Empirical Literature ». Annual Review of Political Science, volume 7, numéro 1, 2014, p. 315-344 [EN ANGLAIS SEULEMENT].
  20. Pew Research Center. « Youngest Americans Are the Most Politically Active on Social Networking Sites ». 2013. URL : http://www.pewresearch.org/daily-number/youngest-americans-are-the-most-politically-active-on-social-networking-sites/ (consulté le 24 septembre 2014) [EN ANGLAIS SEULEMENT].

Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 37 no 4
2014






Dernière mise à jour : 2020-09-14