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Gary Levy

Across the Aisle: Opposition in Canadian Politics de David E. Smith

Ne s’arrêtant pas au succès de ses trois ouvrages précédents sur la Couronne, le Sénat et la Chambre des communes, David Smith vise un grand chelem en se penchant sur l’opposition parlementaire. D’une certaine façon, il s’agit de son livre le plus important, en partie parce qu’il y a très peu d’écrits sur le sujet, mais surtout parce qu’il démystifie l’opposition tout en expliquant le conflit constitutionnel actuel entre les défenseurs du gouvernement responsable fondé sur le modèle Westminster et les absolutistes de la démocratie.

Une grande partie du livre relate des faits historiques. Il y est question du système d’opposition classique au sein d’un système bipartite, qui était en place jusqu’à 1921, et des légères différences qu’a entraînées l’arrivée en scène de partis minoritaires de 1921 à 1992.

La situation a toutefois changé après les élections de 1993. Deux partis traditionnels, le Parti progressiste-conservateur et le Nouveau parti démocratique, ont été décimés, et deux nouveaux partis sont apparus. Le Bloc québécois a formé la loyale opposition de Sa Majesté, malgré sa mission, soit l’indépendance du Québec. Plus important encore, le nouveau Parti réformiste promettait une toute nouvelle approche en matière de gouvernement parlementaire.

Les réformistes ont remis en question le principe de la démocratie parlementaire, surtout en raison de leur ignorance du système. Par exemple, après la victoire serrée des fédéralistes lors du référendum au Québec en 1995, Manning a laissé entendre qu’il devrait y avoir un moyen de destituer Jean Chrétien au cas où certains membres de son Cabinet n’auraient pas toute leur tête. (p. 85)

La conversion du Parti réformiste en nouveau Parti conservateur et l’émergence du NPD en tant qu’Opposition officielle après les élections de 2011 semblent à première vue rétablir le statu quo en place avant 1993.

Toutefois, M. Smith démontre que la nature de l’opposition semble avoir changé pour de bon. L’ancienne approche, selon laquelle le Parlement est un endroit où doit se bâtir un consensus, a été remplacée par l’idée que c’est la majorité qui l’emporte. Le gouvernement et la loyale opposition ne sont plus des partenaires qui travaillent ensemble au service du souverain. La souveraineté est plutôt perçue comme l’apanage du peuple, et le gouvernement et l’opposition se livrent concurrence pour gagner l’appui du nouveau souverain. Ce changement a d’énormes répercussions. Il explique pourquoi les démocraties occidentales ont perdu leur chemin et pourquoi les constitutions mixtes de l’Asie du Sud-Est sont peut-être mieux placées pour survivre à long terme. Il s’agit là toutefois d’un sujet à aborder dans un autre ouvrage.

L’auteur s’intéresse surtout au Canada qui, comme la Grande-Bretagne, a une constitution mixte. Or, le Canada semble déterminé à suivre l’exemple américain et prête une foi aveugle aux vertus de la démocratie. M. Smith signale plusieurs différences importantes entre les approches britannique et canadienne en matière d’opposition, la plus importante étant sans doute la manière dont le cabinet fantôme britannique agit comme un véritable gouvernement en puissance, alors que les porte-parole des portefeuilles de l’opposition au Canada ne présagent en rien des nominations qui auraient lieu à la tête des ministères correspondants en cas de changement de gouvernement. C’est sans doute une des raisons pourquoi la transition prend quelques jours en Grande-Bretagne, mais des semaines, voire des mois au Canada. La prolifération des agents du Parlement au Canada contribue également à miner l’opposition parlementaire.

L’autonomie et la reddition de comptes sont des principes contradictoires, dont l’atteinte est entravée par les interrelations à trois sens entre les agents, les gouvernements et l’assemblée législative (p. 117).

On peut voir la multiplication des agents indépendants comme un resserrement de la surveillance législative. Toutefois, l’auteur se range de l’avis de ceux qui y voient un autre signe d’américanisation, qui se caractère entre autres par un sentiment de méfiance à l’endroit du gouvernement et la nécessité de mettre en place un système complexe de freins et contrepoids.

Le chapitre intitulé où va l’opposition parlementaire porte notamment sur la crise de la coalition de 2008-2009. Si l’auteur laisse entendre que les libéraux étaient peut-être trop pressés de reprendre le pouvoir pour accepter le verdict des électeurs et former une opposition efficace, il écrit aussi ce qui suit :

Si les gouvernements ne sont pas formés et défaits à la Chambre des communes, qu’est-ce que cela veut dire pour le Parlement? (p.151)

Le livre se termine sur un ton pessimiste, ce qui est inhabituel pour David Smith. Ce dernier laisse entendre que le Canada épouse des principes irréconciliables de la Constitution. En somme, la question revient à savoir si les députés à la Chambre des communes doivent leur allégeance à leurs électeurs ou à leur souverain. Si le Canada veut demeurer un gouvernement responsable fondé sur le modèle de Westminster, il doit faire un choix.

Gary Levy

Directeur

Revue parlementaire canadienne


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 36 no 3
2013






Dernière mise à jour : 2020-09-14