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Réexamen du processus d'examen du Budget des dépenses et des crédits
Kevin Page

En février dernier, le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires a entrepris une étude de l’état actuel du processus d’examen du Budget des dépenses et des crédits au Canada. Le directeur parlementaire du budget a été l’un des premiers témoins à être appelés à témoigner devant le Comité. Le présent article est une version légèrement abrégée de ses remarques liminaires. Pour consulter la transcription complète, veuillez consulter les témoignages de la réunion du 29 février 2012 du Comité.

Le moment est propice à un changement de fond, à la fois du point de vue institutionnel et budgétaire. Du point de vue institutionnel, je partage l’avis du sénateur Murray, qui décrivait récemment le processus d’examen du Budget des dépenses et des crédits comme un exercice vide de sens.

Du point de vue budgétaire, comme vous le savez, on s’attend à ce que le plan de 2012 du gouvernement exige des compressions importantes et soutenues des dépenses. C’est le moment idéal pour les parlementaires d’exercer une surveillance accrue, afin de veiller à ce que le gouvernement et la fonction publique gèrent les compressions des dépenses de manière à relever efficacement les défis en matière de budget et de services.

L’un des grands principes à la base d’un gouvernement responsable veut que la Chambre des communes tienne les cordons de la bourse. La Chambre, qui est habilitée à exiger un vote de confiance, doit être convaincue que les dépenses réalisées et les impôts prélevés sont conformes aux lois, aux intentions du Parlement et au principe du contrôle parlementaire. C’est quand tout est conforme que le Parlement sert les Canadiens.

Et, à mon avis, c’est rarement le cas. Au mieux, le Parlement n’examine que superficiellement les dépenses. Les députés sont-ils à l’aise de voter des dépenses discrétionnaires annuelles de quelque 104 milliards de dollars, d’examiner des dépenses de programme totalisant 267 milliards, alors que l’ensemble des parlementaires y consacre environ 90 heures et que certains ministères et organismes ne font l’objet d’aucune forme d’examen rigoureux, comme ce fut le cas en 2010-2011?

Trop souvent, et c’est presque une règle, le Parlement est privé de l’information nécessaire pour assumer ses obligations fiduciaires. Combien de fois les fonctionnaires préparent-ils, à l’intention du Parlement, de véritables analyses financières à l’appui des décisions concernant un nouveau projet de loi ou l’approvisionnement? Presque jamais. Peut-on obliger le gouvernement à rendre des comptes, si on n’a pas accès aux analyses financières à l’appui des décisions à prendre?

À titre de directeur parlementaire du budget, j’ai été très déçu, comme vous sans doute, d’apprendre que le Secrétariat du Conseil du Trésor a ordonné aux ministères et aux organismes de ne pas fournir au Parlement l’information sur l’examen des dépenses et des activités du gouvernement dans les prochains rapports ministériels sur les plans et les priorités. C’est une volte-face comparativement à novembre dernier, un changement majeur qui affaiblit le Parlement. Comment celui-ci peut-il accorder des autorisations de dépenses sans avoir les données détaillées par ministère et organisme? Le Parlement devrait-il voter des crédits sans données ni analyses financières?

Il est grand temps de nous demander si nous avons conçu un processus d’examen du Budget des dépenses et des crédits qui favorise le contrôle des cordons de la bourse par la Chambre des communes ou si nous avons consenti à ce qu’il soit modifié au fil des ans pour servir uniquement le gouvernement. Qu’avons-nous fait? Avons-nous créé un système tellement complexe — comprenant des méthodes comptables différentes pour le budget et le Budget des dépenses, un amalgame de renseignements sur les activités de programme et un système de crédits fondé sur des dépenses de fonctionnement et en immobilisations — dont seule une poignée de personnes connaît véritablement les rouages?

N’est-il pas temps d’avouer qu’une bonne partie de l’information présentée dans les budgets des dépenses constitue, au mieux, un simulacre de transparence? Une transparence qui vise à brouiller les cartes et à semer la confusion, et non pas à favoriser la reddition de comptes? Avons-nous créé un système où le budget est tellement éloigné du Budget des dépenses que les fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor, mon ancien ministère, estiment normal d’informer les députés qu’ils ne verront pas les détails du budget de 2012 dans les rapports sur les plans et les priorités pour 2012?

Souhaitons-nous que la Chambre des communes tienne les cordons de la bourse? Si c’était le cas et si nous estimions qu’il est vraiment important de respecter nos racines de Westminster, notre constitution et la Loi sur la gestion des finances publiques, nous fonderions sur ces principes l’obligation de rendre des comptes et le processus d’examen du Budget des dépenses et des crédits.

Que se passe-t-il lorsque nous répétons que le fait de tenir les cordons de la bourse est l’apanage de la Chambre des communes, mais que nous agissons de manière complètement différente? Se pourrait-il que nous perdions le respect que nous éprouvons pour les institutions?

On demande à des fonctionnaires comme moi d’être les gardiens de ces institutions, des principes et des valeurs qui les sous-tendent. Les contribuables canadiens nous paient pour faire ce travail, mais nous n’avons pas les outils nécessaires pour le faire correctement.

William Ewart Gladstone, ancien chancelier de l’Échiquier et quatre fois premier ministre du Royaume-Uni, a déclaré en 1891:

Si la Chambre des communes perd le contrôle de l’octroi des deniers publics, vous pouvez être sûrs que votre liberté vaudra bien peu de choses en comparaison.

Quand il est question des principes à la base des institutions, leur importance est aussi grande aujourd’hui qu’elle l’était il y a 100 ans. Les enjeux sont énormes.

Il faut examiner trois dimensions du système : le processus, la structure et le soutien. En ce qui concerne le processus et le soutien, il faut nous demander pourquoi les parlementaires ne sont pas incités à examiner minutieusement les dépenses avant d’accorder des autorisations.

Est-ce qu’on demande aux comités d’examiner le Budget des dépenses? Non, en raison d’un ordre ancien, mieux connu comme étant la règle de la chose présumée. Existe-t-il preuve plus symbolique et plus caractéristique que la règle de la chose présumée pour expliquer le dysfonctionnement et la désuétude du processus d’examen du Budget des dépenses et des crédits?

Est-il normal qu’il n’y ait aucun processus d’examen régulier des programmes de dépenses fiscales de plus de 100 milliards de dollars, qui ressemblent beaucoup aux autres programmes de dépenses, mais qui sont aussi reportés d’année en année sans qu’on y porte trop attention?

Est-ce que les comités chargés d’examiner le Budget des dépenses peuvent exprimer une opinion dissidente? La réponse est non, encore une fois. Ils ne peuvent décider d’augmenter les dépenses. Les rapports minoritaires et les révisions à la baisse du Budget des dépenses sont rares.

Est-ce qu’on incite les comités à formuler des recommandations de fond? Selon une décision rendue en 1979 par la présidence de la Chambre des communes, ce n’est pas à l’étape du processus d’examen du Budget des dépenses et des crédits qu’il faut le faire. Alors, quand faut-il le faire?

Est-ce que les comités reçoivent une aide spécialisée pour examiner le Budget des dépenses? Oui, mais il y aurait probablement trop de sièges autour de la table pour le nombre de personnes qualifiées mises à votre disposition et à celle de vos collègues.

Il est grand temps de concevoir un processus qui favorise un examen minutieux avant l’octroi d’autorisations et qui donne aux députés les outils nécessaires et la possibilité de recommander des améliorations à la manière dont les deniers publics sont dépensés.

Quant à la structure, cela n’a pas de sens qu’au XXIe siècle les parlementaires votent sur le total des dépenses de fonctionnement, des dépenses en immobilisations et des subventions et contributions d’un ministère qui dépense des milliards de dollars pour diverses activités de programme. Étant donné les cas récents du Fonds pour l’infrastructure frontalière et des fonds pour le logement et l’éducation des Autochtones, ne serait-il pas plus logique de considérer les activités de programme — 5, 10 ou 15 activités par ministère — ou leur rendement comme moyen de contrôle plus approprié? Pourquoi les ministres et leurs agents responsables pourraient-ils transférer des montants d’une activité à l’autre sans examen ou autorisation? Le fait de voter sur les activités de programme ne favoriserait-il pas un examen plus judicieux des répercussions sur le niveau de service dans le cadre des compressions de dépenses? Cela ne permettrait-il pas de rationaliser le système d’établissement du Budget des dépenses qui recueille des données sur le rendement financier ou non financier des activités de programme?

Manifestement, tout changement au processus d’examen du Budget des dépenses et des crédits doit se faire de l’intérieur. Mais que peuvent nous apprendre les autres systèmes parlementaires responsables? Je pense que nous pouvons nous inspirer des leçons apprises ailleurs et j’encourage le Comité à le faire. La Suède, par exemple, inclut dans son budget des cadres de rendement pour les programmes proposés dont les comités discutent. Quant à la Nouvelle-Zélande, elle communique de manière proactive les analyses financières à l’appui des décisions dans les mémoires au Cabinet et vote les crédits selon l’activité de programme, comme cela se fait en Afrique du Sud. Des professeurs, comme Joachim Wehner, de la London School of Economics, et Allen Schick, de l’Université du Maryland, ont parcouru le monde pour étudier différents systèmes de budget et de crédits et pourraient apporter une aide utile aux membres du Comité, s’ils le souhaitent.

En terminant, je réitère ma question. Voulez-vous que le contrôle des cordons de la bourse reste entre les mains de la Chambre des communes? Si c’est ce que vous souhaitez, il y a du travail à faire. Comme l’a dit George Bernard Shaw: « Il n’y a pas de progrès sans changement. »


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 35 no 2
2012






Dernière mise à jour : 2020-09-14