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La Chambre d'assemblée de Terre-Neuve-et-Labrador
Alex Marland

Le présent article a pour objet de décrire et d’analyser la Chambre d’assemblée de Terre-Neuve-et-Labrador. Il vise à sensibiliser davantage le public à ses fonctions procédurales et constitue la base d’une analyse comparative avec d’autres assemblées législatives. Il comprend un historique de l’assemblée, les caractéristiques sociodémographiques des députés, les ressources dont les députés et les caucus des partis disposent et les relations entre le gouvernement et l’opposition. L’analyse s’étend au rôle du président et des comités législatifs, à la procédure d’examen des projets de loi et à la difficulté d’organiser une opposition efficace en présence d’écrasantes majorités gouvernementales.

On dit que la Chambre d’assemblée de Terre-Neuve-et-Labrador a probablement connu plus de crises constitutionnelles que toutes les autres assemblées législatives provinciales réunies 1 . Comme beaucoup des routes de la province, le parcours de Terre-Neuve vers la démocratie a été cahoteux, sinueux et embrumé. La période politique de l’influence européenne a commencé lors de l’arrivée de pêcheurs vers la fin du XVe siècle. Jusqu’en 1610, la région est « une sorte de terre inoccupée sans foi ni loi ni gouvernement […] sur laquelle régnaient plus ou moins » des marchands et des pirates 2 . La colonisation s’est faite entre le début du XVIIe siècle et le début du siècle suivant, période qui s’est caractérisée par des luttes pour le pouvoir entre les amiraux de la pêche et les colons. Cette période est suivie par celle des gouverneurs navals. En 1711, une assemblée de gouverneurs navals est convoquée et définit un code de lois. Les gouverneurs nommés par la Grande-Bretagne règnent sur les capitaines de navires, plus connus sous le nom d’amiraux de la pêche, qui dirigent les villages de pêcheurs.

L’agitation politique de certains résidents de St. John’s tels que William Carson, au début du XIXe siècle, persuade le Parlement britannique d’accorder à Terre-Neuve une assemblée bicamérale en 1832. Les électeurs admissibles de sexe masculin sont dès lors en mesure d’élire 15 représentants à la chambre basse, la Chambre d’assemblée, en annonçant publiquement leur choix aux responsables des élections. La chambre haute, connue sous le nom de Conseil législatif, se compose du gouverneur et de sept membres nommés. Ces hommes non élus détiennent le contrôle politique et prennent les décisions relatives aux dépenses pour les 75 000 habitants de l’île, mais ils ont l’obligation de prendre en considération le point de vue des représentants élus. Les neuf districts électoraux se situent tous du côté est de l’île, le long des péninsules d’Avalon, de Bonavista et de Burin.

La formation de la Chambre d’assemblée pose une question intéressante : quand la démocratie est réalisée pour la première fois, où les représentants élus peuvent-ils se réunir en l’absence d’un édifice législatif? La réponse à cette question et les nombreux déplacements subséquents de l’Assemblée symbolisent l’évolution de la politique terre-neuvienne.

Dès le départ, le gouvernement représentatif de Terre-Neuve est désordonné, son organisation étant plus ou moins laissée au hasard. La première session de l’assemblée se tient en 1833 dans une taverne-pension de St. John’s (en face de l’actuel monument aux morts). Le Conseil nommé se réunit, bien entendu, au premier étage, tandis que les représentants élus siègent au rez-de-chaussée. Toutefois, la propriétaire de l’établissement, Mary Travers, ne reçoit pas le loyer mensuel convenu. Pour récupérer son dû, elle aurait, raconte-t-on, vendu aux enchères le fauteuil du président, un bureau et toute la panoplie du sergent d’armes, y compris la masse, l’épée, l’habit et le chapeau 3 .

La deuxième session a lieu la même année à un autre endroit, l’ancien palais de justice de St. John’s. Toutefois, non seulement le bâtiment est trop petit, mais il faut retarder les délibérations parce que l’assemblée a besoin de documents qui se trouvent dans le bureau dont Mary Travers a pris possession. La tenancière de la taverne refuse de les restituer à moins de récupérer les cinq mois de loyer qui lui sont dus. Elle obtient finalement gain de cause, apparemment sans révéler que le bureau, papiers compris, a en fait été vendu. Beaucoup des documents sont en définitive restitués par l’acheteur, ce qui permet de poursuivre les réunions dans l’ancien palais de justice pendant qu’un édifice permanent est conçu et construit.

L’assemblée bicamérale dure une décennie. Au départ, la chambre basse est « un corps très respectueux », mais le Conseil législatif et les représentants élus « ont immédiatement pris des positions contraires », même au sujet de « détails insignifiants », les deux chambres se montrant intransigeantes 4 . Cela occasionne des conflits de religion, de classe et de parti qui dégénèrent en émeutes au cours des élections et provoquent de nombreuses impasses législatives. Après tout, les districts électoraux ont été répartis en fonction de la religion des habitants 5 . Fatiguée par toutes ces querelles, la Grande-Bretagne suspend la constitution de Terre-Neuve en 1842 et réunit les représentants nommés et élus au sein d’une assemblée monocamérale.

L’assemblée fusionnée commence à se réunir en 1843 avec la participation des 10 membres nommés du Conseil législatif et des 15 représentants élus, le Conseil conservant son pouvoir exécutif. Cette formule se révèle beaucoup plus productive, mais les habitants de Terre-Neuve restent très désireux d’avoir un gouvernement responsable. En 1846, ils font parvenir à la Grande-Bretagne une pétition faisant état de leurs vœux. La même année, le vieux palais de justice est détruit par un des incendies qui ont dévasté St. John’s, ce qui oblige l’assemblée à se réunir dans un orphelinat pendant deux ans… jusqu’à ce que les propriétaires expulsent les législateurs pour que les locaux soient de nouveau utilisés comme salles de classe.

L’expérience monocamérale ne dure qu’une demi-décennie. En 1848, la Grande-Bretagne rétablit l’assemblée bicamérale, tout en rejetant les demandes de gouvernement responsable, parce qu’elle estime que la colonie n’est pas encore prête. Pendant les deux années suivantes, l’assemblée se réunit dans un bâtiment appartenant à l’un de ses membres. Finalement, en 1850, elle peut siéger dans le nouvel édifice Colonial, construit sur Military Road à St. John’s. Près d’un siècle plus tard, il faut débarrasser les fresques du plafond de la fumée de tabac qui les imprègne lors d’un effort de restauration. La structure néo-classique est alors désignée comme « l’édifice public le plus important de Terre-Neuve 6  », en raison de son architecture et, surtout, de son histoire politique.

 

Lieux de réunion de la Chambre d’assemblée

Lieu (année)

Motif du départ

Événements politiques ayant coïncidé avec le déménagement

Taverne de St. John’s (1833)

Loyer impayé

Octroi du gouvernement représentatif

Tribunal de St. John’s (1833-1846)

Bâtiment détruit par un incendie

Pétitions en faveur du gouvernement responsable

École de l’orphelinat (1846-1848)

Salles de classe requises

Rétablissement d’une assemblée bicamérale

Édifice appartenant à un député, rue Water (1848-1850)

Nouveau bâtiment achevé

Cinq ans avant le gouvernement responsable

Édifice Colonial (1850-1960)

Nouveau bâtiment achevé

Croissance après la Confédération

9e et 10e étages, édifice Confederation (1960-1991)

Absence d’issues de secours

Un an avant le moratoire sur la morue

2e et 3e étages, édifice Confederation (1991 à ce jour)

 

 

Gouvernement responsable

Le gouvernement responsable fait son apparition dans la colonie de Terre-Neuve en 1855. Cela signifie que l’exécutif politique doit rendre compte de ses activités à l’assemblée. Les administrateurs du gouvernement (« le Cabinet ») seront désormais essentiellement des députés élus, y compris le premier premier ministre (Philip Francis Little), le secrétaire de la colonie, un receveur général et un arpenteur général. Ces hommes sont, en principe, placés sous les ordres d’un gouverneur nommé, leurs activités étant soumises à la surveillance des 12 membres nommés du Conseil législatif. La Grande-Bretagne garde le contrôle des affaires internationales. Trente députés représentent 15 circonscriptions, surtout côtières, qui s’étendent maintenant jusqu’au sud-ouest de l’île, dont la population atteint près de 124 000 habitants.

Malgré l’avènement du gouvernement responsable, les luttes politiques et religieuses persistent, tant au sein de l’assemblée bicamérale que dans le public. Les factions s’affrontent au cours des élections et, en 1861, des soldats tirent à St. John’s sur des émeutiers qui ont assiégé l’édifice Colonial, tuant trois d’entre eux. Malgré tout, les habitants se rallient autour de l’identité terre-neuvienne qui se développe petit à petit et se hérissent à l’idée d’une union officielle des colonies de l’Amérique du Nord britannique. Deux délégués terre-neuviens participent en 1864 à la conférence de Québec sur la confédération, mais les conditions de l’union suscitent des inquiétudes. En 1869, deux ans après que l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick s’unissent sous la bannière du Dominion du Canada, des candidats favorables à la confédération sont défaits à plate couture au cours d’élections générales tenues à Terre-Neuve, confirmant officiellement le rejet, par le public, de l’union avec le Canada.

Les relations entre Terre-Neuve, le Canada et la Grande-Bretagne donnent inévitablement lieu à des frustrations politiques, surtout lorsque la colonie se montre désireuse de signer un accord commercial avec les États-Unis. Une fois de plus, des tensions internes se manifestent. En 1886, une foule de travailleurs cherchant à se faire embaucher par le chemin de fer envahit la chambre de l’édifice Colonial. En 1874, les institutions financières terre-neuviennes s’effondrent et sont remplacées par des banques canadiennes, mais il y a encore de l’opposition à l’union avec le Canada. Terre-Neuve avance d’un autre pas pour se sortir de son statut colonial en devenant un dominion britannique semi autonome en 1907. Lorsque le Statut de Westminster entre en vigueur en 1931, le Dominion de Terre-Neuve, comme le Dominion du Canada, se voit offrir la possibilité de se soustraire légalement aux lois britanniques s’il le souhaite. Toutefois, l’assemblée, contrairement à celle du Canada, n’adopte pas le Statut et semble donc se contenter de rester soumise au Parlement britannique. À ce moment, les hommes politiques de Terre-Neuve ont suffisamment de difficultés à affronter la dette écrasante d’après-guerre, surtout en présence des signes avant-coureurs de la Grande Crise. Les Terre-Neuviens ont alors besoin de leadership politique, de stabilité et de vision. Malheureusement, ils ne font qu’essuyer un grand scandale politique.

Cent ans après que Terre-Neuve a obtenu le droit d’élire des représentants politiques, son ministre des Finances, Peter Cashin, démissionne en affirmant en public que le premier ministre Richard Squires et son cabinet ont empoché des fonds publics et falsifié les procès-verbaux du Conseil. Ce « moment crucial » de 1932 déclenche une chaîne d’événements qui mène à l’effondrement du gouvernement responsable 7 . Le scandale couve pendant des mois avant qu’une grande foule prenne d’assaut l’édifice Colonial et le mette à sac. Le premier ministre doit se cacher dans la cave et n’échappe à des sévices qu’en prenant la fuite à travers une résidence, par-dessus quelques clôtures, puis dans un taxi. C’est un fait moins connu que la masse et l’épée du sergent d’armes ont disparu encore une fois, même si, comme dans l’incident qui avait mis en cause Mary Travers, elles sont finalement retrouvées. La scène politique de Terre-Neuve, comme ses finances, n’est plus qu’un lamentable fouillis.

La Commission de gouvernement

Réagissant à cette situation économique intenable, la Grande-Bretagne établit la commission royale Amulree. Le rapport de la commission sur la politique et les finances de la colonie prédit une « faillite imminente 8  » et estime que Terre-Neuve « a besoin de marquer une pause en matière de politique ». En 1933, un comité plénier de la Chambre assemblée (c’est-à-dire tous les députés siégeant en comité sous la direction du président adjoint) décide de demander la fin du gouvernement responsable et du gouvernement représentatif. La constitution de Terre-Neuve est à nouveau suspendue et remplacée par un autre système de gouvernement. La décision des députés ne donne lieu qu’à peu de résistance de la part du public. Ainsi, la démocratie régresse d’un siècle dans la colonie et Terre-Neuve devient « probablement le seul pays du monde à renoncer volontairement à l’autonomie gouvernementale 9  ».

C’est ainsi qu’en 1934, Terre-Neuve redevient un territoire dépendant doté d’une administration coloniale connue sous le nom de Commission de gouvernement, qui dirige les quelque 290 000 habitants de la colonie. La Grande-Bretagne est maintenant responsable de la dette de Terre-Neuve, qui a tellement grossi que les intérêts absorbent à eux seuls plus de la moitié des recettes annuelles de la colonie. La commission non élue comprend trois bureaucrates britanniques dirigeant les ministères économiques et trois Terre-Neuviens à la tête des ministères sociaux. Elle est présidée par le gouverneur, qui a aussi le droit de vote. Il y a inévitablement des conflits politiques et, après un certain roulement, seuls sont nommés des commissaires qui introduisent des réformes économiques que la population locale juge acceptables 10 . Comme l’a observé Henry Bertram Mayo, politicologue natif de Terre-Neuve, la Commission de gouvernement constitue une « expérience unique » dans la politique du Commonwealth :

… il y a peu d’exemples dans le monde d’une assemblée législative librement élue et très fortement appuyée par l’opinion publique qui ait sincèrement souscrit au principe que la démocratie est moins importante que la dette et que le bon gouvernement est préférable à l’autonomie gouvernementale. Nous pouvons sûrement nous attendre, à juste titre, que cette expérience de Terre-Neuve nous donne des leçons utiles sur la façon d’établir une démocratie réussie […] sous un régime de bienveillante dictature 11 .

Le besoin de cette « bienveillante dictature » s’affaiblit à mesure que le budget du gouvernement s’améliore. Toutefois, Londres n’est pas convaincu que Terre-Neuve est prête pour le rétablissement de sa constitution et exhorte les dirigeants locaux à tenir des discussions à ce sujet. À la fin de la Seconde Guerre mondiale et pour la première fois depuis une dizaine d’années, les Terre-Neuviens ont la possibilité de voter. En 1946, ils élisent 45 délégués à une convention nationale basée à St. John’s, où les représentants débattent les formes de gouvernement susceptibles de rallier un appui majoritaire dans un référendum national. Des débats passionnés se déroulent à l’édifice Colonial dans les 17 mois suivants. Fait intéressant, les représentants agissent à l’occasion comme s’ils formaient un gouvernement, en essayant, par exemple, de négocier des ententes commerciales.

Deux référendums nationaux sur l’avenir politique de Terre-Neuve sèment la discorde dans la colonie, mais aboutissent finalement à l’approbation, à une faible majorité, de l’adhésion à la Confédération canadienne. Le premier référendum a lieu en juin 1948 : 44,6 p. 100 votent en faveur du retour à la forme de gouvernement de 1933, tandis que 41,1 p. 100 choisissent la Confédération et 14,3 p. 100 optent pour le maintien de la Commission de gouvernement pendant cinq autres années. Comme aucune des options n’obtient la majorité absolue, un second référendum n’offrant qu’un choix entre les deux premières options est tenu en juillet 1948. Joey Smallwood, personnalité bien connue de la radio, appuie l’union avec le Canada, tandis que l’ancien ministre des Finances, Peter Cashin, prend la tête des forces anti-Confédération. Cette fois, 52,3 p. 100 des gens votent en faveur de la Confédération et 47,7 p. 100 se prononcent pour la forme de gouvernement responsable de 1933. Le 31 mars 1949, Terre-Neuve devient la 10e province du Canada. Le gouvernement représentatif et responsable réapparaît, mais les frustrations économiques et politiques persistent.

C’est à l’occasion des référendums nationaux que les Labradoriens sont, pour la première fois, autorisés à voter. Depuis 1809, le Labrador était placé sous l’autorité de Terre-Neuve. Cette situation est confirmée par une décision judiciaire britannique en 1927, ce qui n’empêche pas la colonie d’essayer par la suite de vendre le Labrador au Canada. Cette immense étendue de terre était si peu peuplée, avec 4 000 habitants seulement en 1901 12 , que les Labradoriens n’ont pas élu leur premier député provincial avant que Terre-Neuve se joigne au Canada.

Aperçu de l’actuelle Chambre d’assemblée

En se joignant au Canada, Terre-Neuve maintient ses précieux liens avec la Grande-Bretagne, même si elle transfère une partie de ses pouvoirs politiques et économiques au Canada continental. Le monarque britannique et ses représentants continuent de former l’exécutif officiel, mais quelques responsabilités politiques, dont la défense et les activités extracôtières, passent de Londres et de St. John’s au gouvernement fédéral siégeant à Ottawa. Les Terre-Neuviens étaient alors — et sont toujours — représentés au Parlement par sept députés élus et six sénateurs nommés. Comme dans le cas des autres provinces, le gouvernement provincial et les membres de la Chambre d’assemblée monocamérale sont, d’une façon générale, responsables de l’administration des affaires sociales, telles que la santé et l’éducation.

Officiellement, le lieutenant-gouverneur exerce le pouvoir exécutif, puisqu’il représente la Couronne dans la province. En pratique, comme dans toutes les autres provinces, il n’use de ce pouvoir que sur avis du premier ministre, qui est indirectement élu. Le lieutenant-gouverneur ouvre et ferme (on dit plutôt « proroge ») les sessions de l’assemblée, la dissout (déclenchant par le fait même des élections), approuve les directives du Cabinet pour les rendre officielles (à titre de gouverneur en conseil) et signe les projets de loi (en leur donnant la « sanction royale »), dernière étape du processus législatif. Il (il n’y a jamais eu de femme lieutenant-gouverneur à Terre-Neuve) s’acquitte de fonctions honorifiques, comme la lecture du discours du Trône dans la salle de la Chambre d’assemblée au début de chaque nouvelle session, pour préciser les priorités législatives et politiques du gouvernement, fait prêter serment aux ministres, décerne des médailles, assiste à des cérémonies et prononce des discours au cours de rassemblements publics. Il est également l’hôte, chaque année, d’une réception organisée à sa résidence officielle, sur Military Road.

Les députés nommés au Cabinet définissent collectivement la politique du gouvernement, prennent les décisions correspondantes et supervisent individuellement les ministères et organismes provinciaux, quoique le Cabinet du premier ministre intervienne souvent dans les affaires ministérielles. En particulier, les premiers ministres Smallwood (libéral, 1949-1972), Frank Moores (progressiste-conservateur, 1972-1979), Brian Peckford (progressiste-conservateur, 1979-1989), Clyde Wells (libéral, 1989-1995), Brian Tobin (libéral, 1995-2000) et Danny Williams (progressiste-conservateur, 2003-2010) ont tous étés des populistes charismatiques qui ont eux-mêmes été qualifiés de bienveillants dictateurs.

La Chambre siège ordinairement au printemps et à l’automne, les lundis, mardis et jeudis, de 13 h 30 à 17 h 30, et les mercredis, de 14 h à 17 h. Les députés se réunissent habituellement du début mars jusqu’à la mi-mai, avec une interruption à Pâques, puis de nouveau pendant quatre à six semaines de l’automne, y compris le mois de novembre. Les obligations parlementaires des députés peuvent comprendre la présentation de déclarations à la Chambre, le dépôt de pétitions, la participation aux débats, le vote sur les projets de loi et la participation aux travaux des comités. Dans le cadre de leurs activités extraparlementaires, les députés essaient de résoudre les problèmes de leurs électeurs en prenant contact avec les services compétents du gouvernement et en s’acquittant de fonctions honorifiques, comme prononcer des discours au cours de cérémonies locales 13 . Ces activités peuvent les occuper à tel point qu’ils finissent inévitablement par jouer le rôle « d’ombudsman, de travailleur social, de conseiller juridique et même de père-confesseur ».

Les travaux de la Chambre ont progressivement diminué. Le nombre annuel de jours de séance avait régulièrement augmenté après la Confédération, pour atteindre un maximum moyen de 80 jours dans les années 1980. Depuis, il est revenu au niveau des années 1950, retombant à une moyenne de moins de 44 jours par an entre 2000 et 2009 14 . L’une des explications possibles est que l’allocation quotidienne versée aux députés ruraux a été supprimée vers le milieu des années 1990, ce qui les aurait incités à accélérer les délibérations. Il y a aussi le fait que les partis, les chefs, les ministres et les députés ont adopté les tribunes radiophoniques comme moyen privilégié de communication, au point où les journalistes appellent la station de radio VOCM « la voix du ministre » (en anglais, Voice Of the Cabinet Minister 15 ). De plus, en l’absence d’un programme législatif actif, le premier ministre provincial préfère éviter d’offrir une tribune institutionnelle à l’opposition. Même dans ces conditions, l’assiduité des députés est loin d’être idéale, de sorte qu’une disposition récemment adoptée du Règlement impose aux députés autres que les chefs de parti une amende de 200 $ par jour s’ils manquent des séances de la Chambre sans raison valable. Jusqu’ici, cette sanction est plus « observée » qu’appliquée parce qu’il appartient à chaque député de déclarer lui-même ses propres absences.

La session du printemps, qui est dominée par les questions budgétaires, est celle qui joue le rôle le plus important dans les opérations du gouvernement. Vers la mi-mars, le ministre des Finances dépose un budget qui donne lieu à un débat au cours duquel de nombreux députés peuvent prendre la parole, parfois à plusieurs reprises s’il y a des amendements. Au cours des trois semaines suivantes, les prévisions budgétaires de chaque ministère et organisme du gouvernement provincial sont examinées par trois comités permanents qui présentent leurs conclusions à la Chambre et dont les rapports font l’objet d’un débat. Au 31 mars, fin de l’exercice, si le principal projet de loi de crédits n’a pas encore été adopté, la Chambre doit adopter un projet de loi de crédits provisoire pour permettre au gouvernement d’accéder à un financement à court terme afin de poursuivre ses opérations. Par comparaison, la session d’automne se caractérise par l’examen du programme législatif du gouvernement, comme l’étude des projets de loi et des questions importantes qui se posent.

Les députés qui ne font pas partie du Cabinet ont peu d’influence sur la politique publique. Leur présence législative est plus limitée que celle de leurs homologues des autres provinces. Dans les autres systèmes parlementaires, les députés déposent des projets de loi d’initiative parlementaire pour sensibiliser le public à certaines questions et pour tenir le gouvernement responsable de son action. À Terre-Neuve, les députés qui ne sont pas ministres peuvent prendre la parole pendant 15 minutes le mercredi (jour désigné pour les affaires émanant des députés) pour présenter des motions, dans lesquelles ils ont la possibilité de demander des changements de politique. Toutefois, contrairement à ce qui se passe dans d’autres assemblées législatives, le Règlement exige qu’un projet de loi d’initiative parlementaire soit adopté aux trois étapes dans la même journée. Le fait qu’il soit impossible de satisfaire à une règle aussi stricte témoigne de la puissance de l’exécutif politique et de l’absence de toute opposition efficace. On peut comprendre dans ces conditions qu’aucun projet de loi d’initiative parlementaire n’ait jamais été adopté.

Représentation dans les provinces du Canada

Province

Nombre de députés

Nombre de femmes*

Électeurs (moyenne**)

Jours de séance
(moyenne 2000-2009)

Traitement (2009)***

Ont.

107

29

122 752

88,0

116 550 $

Qc

125

36

62 960

69,6

100 371 $

C.-B.

85

25

52 873

59,1

101 859 $

Alb.

83

17

44 721

52,6

78 138 $

Man.

57

18

21 561

64,2

85 564 $

N.-É.

52

12

18 091

50,7

86 619 $

Sask.

58

13

17 897

68,1

87 195 $

N.-B.

55

6

13 648

64,2

85 000 $

T.-N.-L.

48

10

10 642

43,5

102 984 $

Î.-P.-É.

27

7

5 231

42,4

63 750 $

Total

697

173

48 681

60,2

90 803 $

Sources : Parlement du Canada, Statistique Canada et Comité d’examen de la rémunération des députés
* En avril 2010
**Rapport de la population provinciale au nombre de députés au 1er janvier 2010
***Y compris les allocations non imposables

 

Dans une assemblée législative, une certaine coordination est nécessaire pour assurer un fonctionnement efficace. La responsabilité de l’organisation des travaux incombe aux leaders à la Chambre, chacun coordonnant les activités quotidiennes de son parti. Tous les matins, le leader du gouvernement s’entretient avec ses homologues des autres partis pour les informer de ce que la formation au pouvoir espère accomplir dans la journée. Grâce à des négociations et à la coopération, tous les partis sont mis au courant d’avance des délibérations projetées. Celles-ci paraissent dans le Feuilleton, qui présente les détails de l’ordre du jour de la Chambre les jours de séance. Ainsi, le leader du gouvernement peut proposer d’avancer l’examen d’un projet de loi parce que le ministre qui le parraine doit s’absenter pour affaires. Ordinairement, les leaders de l’opposition acceptent, sauf s’ils ont besoin de plus de temps pour effectuer des recherches. Il est rare que le leader du gouvernement s’obstine, surtout parce que l’opposition peut créer beaucoup de difficultés au parti au pouvoir en bloquant son programme législatif ou en prenant d’autres mesures. Il arrive néanmoins, à l’occasion, que le leader du gouvernement dise à l’opposition que certaines questions doivent être réglées rapidement. Comme l’a dit un député : « En l’absence de cette coopération quotidienne dans les coulisses — qui peut se transformer en coopération de tous les instants en session —, la Chambre ne pourrait pas fonctionner. »

Les leaders à la Chambre doivent donc être dignes de confiance et agir à titre de porte-parole de leur parti en matière de procédure. Au sein de leur parti, ils collaborent aussi étroitement avec le « whip », député chargé par le chef du parti de veiller à ce que les députés soient présents quand c’est nécessaire et votent en respectant les instructions données. La discipline de parti est sévère, surtout pour les députés du gouvernement. Il peut même arriver que le Cabinet du premier ministre coordonne d’intenses attaques publiques contre des dissidents. Par conséquent, les représentants élus ont tendance à parler des préoccupations de leurs électeurs en privé et à se limiter à exposer la position du parti dans leurs interventions publiques. Le quorum est constitué par 14 députés, à part le président.

Par ailleurs, l’assemblée de Terre-Neuve a créé six bureaux ou offices par des lois. Le représentant des citoyens — c’est l’équivalent de l’ombudsman dans d’autres provinces — fait enquête sur des préoccupations publiques touchant le gouvernement, après que tous les autres recours ont été épuisés 16 . Le directeur général des élections (DGE) administre les élections provinciales, y compris la divulgation du financement électoral, par l’entremise d’Elections Newfoundland and Labrador. De plus, le DGE cumule ordinairement les fonctions de commissaire aux normes législatives. À ce titre, il est chargé de faire respecter les normes éthiques à l’assemblée, par exemple en imposant aux députés de remplir des déclarations faisant état de leurs biens. Le Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée examine les plaintes relatives à l’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels. Le Bureau du vérificateur général vérifie les comptes et les états financiers du gouvernement et présente à la Chambre des rapports concernant toutes les entités du gouvernement provincial, y compris les ministères, les sociétés d’État et l’Université Memorial de Terre-Neuve. Dernier en date, le Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse défend les intérêts des enfants auprès du gouvernement.

Les cabinets canadiens sont souvent choisis en fonction de caractéristiques sociales et géographiques plutôt que strictement sur la base du mérite. Cela a certainement été le cas à Terre-Neuve sous le gouvernement Smallwood, qui avait essayé de maintenir un certain équilibre religieux parmi ses ministres. Toutefois, dès l’arrivée au pouvoir de Brian Peckford, la religion a cessé de constituer un important critère social de nomination. Aujourd’hui, elle ne semble jouer aucun rôle évident dans les appareils exécutif et législatif, sauf dans la devise provinciale Quaerite Prime Regnum Dei (Cherchez le royaume de Dieu).

Même si les partis conservateur et libéral ont dominé la politique terre-neuvienne, un certain nombre de partis ont essayé d’obtenir les suffrages populaires au fil des ans. Vers la fin du XIXe siècle, les groupements politiques et religieux suivaient en gros les divisions socioéconomiques : les élites du monde des affaires de St. John’s s’identifiaient aux conservateurs, tandis que les ruraux peu fortunés appuyaient les libéraux. Quelques autres partis existaient avant la Confédération, comme le Parti du peuple, le Parti unioniste et le Parti uni de Terre-Neuve, mais ils sont tous entrés en hibernation sous la Commission de gouvernement, puisqu’il n’y avait pas d’élections. Au niveau provincial, le Parti (progressiste-)conservateur et le Parti libéral qui ont fait leur apparition en 1949 étaient les cousins des partis canadiens du même nom et professaient des idéologies tellement proches l’une de l’autre que les défections ne sont pas rares. Les autres formations politiques d’après la Confédération, comme le Parti uni de Terre-Neuve, le Nouveau Parti du Labrador, le Parti réformiste libéral et, plus récemment, le Nouveau Parti démocratique (NPD), n’ont pas vraiment menacé le duopole libéral-conservateur. En 2010, les libéraux et les néo-démocrates entretiennent des relations étroites avec leurs homologues fédéraux. Par contre, les liens entre le Parti progressiste-conservateur terre-neuvien et les conservateurs fédéraux sont tellement ténus que le premier ministre Williams a organisé une campagne dite ABC (Anything But Conservative, n’importe qui sauf les conservateurs) pour s’opposer au gouvernement Harper aux élections fédérales de 2008. Le vaste appui dont bénéficient les dirigeants populistes de Terre-Neuve indique qu’à différents degrés, les membres de tous les groupes sociodémographiques prennent toujours la part de leur premier ministre.

La présence de femmes sur la scène politique terre-neuvienne retient de plus en plus l’attention. En 1925, le mouvement des suffragettes a obtenu le droit de vote pour les femmes, même si ce droit était déjà acquis partout ailleurs au Canada, sauf au Québec et dans les Territoires du Nord-Ouest. La première députée, Helena Squires (femme du premier ministre Richard Squires), avait remporté une élection complémentaire en 1930, mais la domination masculine de la vie politique terre-neuvienne était telle qu’il a fallu attendre 45 ans pour qu’une autre femme soit élue à la Chambre. La première députée élue après la Confédération a été la libérale Hazel McIsaac, en 1975. Lynn Verge a posé quelques jalons en étant tour à tour la première femme ministre (avec la conservatrice Hazel Newhook, en 1979), la première femme ministre de la Justice (1985), la première vice-première ministre (1989) et la première femme chef du Parti progressiste-conservateur (1995). La libérale Joan Marie Aylward a été la première femme ministre de la Santé (1997) et la première femme ministre des Finances (2001). Enfin, la députée conservatrice Kathy Dunderdale est la première femme à occuper les fonctions de premier ministre de la province (à la fin de 2010).

Officiellement, le libéral Wally Anderson a été le premier Autochtone à être élu député (1996) et à être nommé ministre (2003). Beaucoup croient cependant qu’il a été précédé par le progressiste-conservateur Joe Goudie, Labradorien élu en 1975 et nommé au Cabinet en 1979. L’incertitude à ce sujet semble être attribuable au fait que les Métis n’avaient pas de statut juridique particulier à ce moment et que Goudie ne s’était pas lui-même identifié comme tel 17 . Le plus jeune député de Terre-Neuve est Bill Rowe, qui n’avait que 24 ans lors de son élection en 1966 et qui est devenu, à 26 ans, l’un des plus jeunes ministres du Canada. Le conservateur Tony Cornect a été le premier francophone né à Terre-Neuve à être élu député en 2007 et au moins une lesbienne déclarée, Gemma Schlamp-Hickey, a brigué les suffrages (en 2007 pour le NPD).

Les antécédents professionnels des députés ont évolué. Au cours de la période de lutte en faveur d’un gouvernement responsable, les députés avaient tendance à se recruter parmi les hommes d’affaires et les avocats, même si cela ne signifiait pas nécessairement qu’ils étaient riches. Aujourd’hui, ce sont souvent d’anciens enseignants, conseillers municipaux ou adjoints administratifs (y compris d’anciens collaborateurs de politiciens) et environ la moitié des députés ont fait des études postsecondaires. L’existence de contacts familiaux a également évolué petit à petit. Au XIXe siècle, la politique terre-neuvienne « était bâtie sur une base d’appartenance à des familles d’élite 18  », près de la moitié des conseillers législatifs et des membres de l’exécutif ayant des liens étroits entre eux et environ le quart des députés étant apparentés. Il y avait des pères, des fils et des frères ainsi que des parents par alliance. La représentation est plus diversifiée aujourd’hui, même si les contacts familiaux existent encore. En 1997, les députés progressistes-conservateurs Sheila et Tom Osborne ont constitué le premier groupe mère-fils à siéger simultanément dans une assemblée législative canadienne. Six ans plus tard, le frère de Sheila Osborne, Bob Ridgley, s’est joint à eux. Cela signifie qu’en 2010, trois des cinq circonscriptions portant le nom de St. John’s étaient encore détenues par les membres d’une même famille.

Les relations entre le gouvernement et l’opposition

Les travaux quotidiens de la Chambre sont régis par la procédure parlementaire dont le Règlement — recueil des règles officielles de la Chambre — constitue le principal instrument et dont l’application incombe au président. Ce député se conforme à des pratiques normalisées pour essayer de maintenir l’ordre à la Chambre, notamment au cours des débats. Même s’il est élu comme membre d’un parti politique, le président agit d’une manière non partisane et ne participe aux votes de la Chambre qu’en cas d’égalité. Depuis 1999, le Règlement prévoit l’élection du président au scrutin secret. Le premier scrutin a eu lieu en 2003. Un président adjoint, nommé par le premier ministre, remplit les fonctions du président en son absence. Il est lui-même assisté par le vice-président des comités.

Le respect du décorum à la Chambre est variable, mais il n’est ni sensiblement meilleur ni sensiblement pire que celui d’autres assemblées législatives canadiennes. Les députés sont censés s’adresser directement au président et, partant, indirectement aux autres députés. Ils ont donc tendance à commencer leurs observations en disant « Monsieur le Président », mais ils font ordinairement face à leur interlocuteur et font souvent pivoter leur siège, de sorte qu’ils donnent souvent le dos au président, ce qui personnalise le débat. Les députés se conforment à un code vestimentaire qui impose aux hommes de porter une chemise habillée et une cravate. Même s’il est interdit de manger à la Chambre, il arrive souvent aux députés de grignoter discrètement de petites choses. À l’occasion, les députés usent d’accessoires et d’autres objets pour faire passer un message, par exemple en plaçant des aliments pour chiens sur le pupitre d’un ministre. Les députés sont autorisés à se servir de dispositifs électroniques portables après l’appel de l’ordre du jour, tant qu’ils ne reçoivent pas d’appels et ne dérangent pas autrement les délibérations. Il arrive cependant que certains fassent semblant de renouer les lacets de leurs chaussures pour parler au téléphone. En général, cela permet aux députés de communiquer avec leur personnel, ce qui accélère les choses quand un ministre souhaite se faire livrer des documents. Les ordinateurs portables sont également permis, mais sont rarement utilisés parce que la Chambre ne dispose actuellement pas d’une liaison Internet sans fil, sauf pour les appareils portatifs.

En présence d’un auditoire à la tribune du public ou en l’absence d’un chef de parti, certains députés peuvent être tentés de chahuter à l’extérieur du champ des caméras. Un député d’un certain rang peut subtilement charger un collègue subalterne de huer un adversaire, et il arrive souvent que les députés cognent bruyamment des mains contre leur pupitre. Dans le hansard — compte rendu textuel des délibérations de la Chambre —, ces propos au ton bagarreur sont poliment rendus par des « Bravo! » et des « Oh, oh! », ordinairement suivis par des interjections du président (« À l’ordre! ») destinées à rétablir l’ordre. Le hansard passe sous silence les rires qu’on entend souvent en provenance de la tribune du public, de même que d’occasionnels accès d’hilarité du président lui-même. Pour les députés, ce chahut interrompt d’une manière assez appréciée la monotonie des délibérations. Les mots d’esprit brefs à double sens sont le plus souvent bien accueillis par tout le monde, mais les interventions mesquines et méchantes destinées à faire taire un orateur ayant officiellement la parole sont ordinairement jugées inacceptables.

L’événement le plus controversé depuis que la Chambre d’assemblée a emménagé dans l’édifice Confédération s’est produit le 27 mai 1971, « semant le chaos 19  » dans l’assemblée. Au cours d’une réunion en soirée, le chef du Parti progressiste-conservateur, Bill Marshall, avait donné lecture d’un article de presse qui qualifiait l’épouse du premier ministre Smallwood de « propriétaire de taudis ». Dans sa colère, le député libéral Bill Smallwood, fils du premier ministre, a assené à Marshall un coup de poing dans le visage. Bill Smallwood a été interdit à la Chambre pendant sept jours. D’autres députés, dont Bill Marshall et John Crosbie, ont également été suspendus ou ont quitté les lieux au même moment.

La production des délibérations a sensiblement évolué ces dernières années. Le hansard n’était pas à la disposition du public pendant la plus grande partie des années 1960, période dans laquelle les journalistes devaient se contenter d’un système d’enregistrement sur bande. Relativement récemment encore, les citoyens ne pouvaient écouter les députés qu’à la radio. Ils pouvaient également « écouter à la télévision leur voix diffusée en même temps qu’une photo, un arrêt sur image ou un portrait esquissé à la main 20  ». Prenant pour modèle l’Assemblée législative de la Saskatchewan, la Chambre d’assemblée a ensuite procédé à des changements en vue de téléviser ses délibérations. Depuis novembre 2001, cinq caméras robotisées permettent de diffuser les débats en direct à la télévision par câble et, depuis mars 2009, le signal vidéo est également accessible sur le site Web de la Chambre d’assemblée 21 . Les citoyens sont ainsi en mesure d’observer les délibérations, qui tendent depuis à être plus civiles parce que les députés savent que leurs électeurs peuvent les voir tout en restant assis dans leur salon. Voici ce qu’en a dit un député

Il est vraiment incroyable que tant de gens suivent cela chez eux […] Des centaines, oui, littéralement des centaines de personnes de ma circonscription me disent : « Je vous ai vu à la télévision l’autre soir. » Les gens regardent ce qui se passe. Pour certains, c’est un peu comme un téléroman.

Pour maintenir l’ordre, le président est assisté par le greffier de la Chambre, qui surveille le fonctionnement de l’assemblée. Le greffier conseille le président sur la procédure parlementaire et supervise l’administration des travaux législatifs, comme la préparation du Feuilleton. Un effectif d’environ 35 employés relève du greffier : 18 des employés s’occupent des services d’information (dont quatre à la Bibliothèque législative, trois aux services de radiodiffusion et neuf à la transcription des débats pour le hansard), tandis que les 17 autres s’acquittent de responsabilités financières (comptabilité, états financiers, achats, ressources humaines et paie). Un greffier adjoint et un juriste parlementaire assurent le soutien procédural et juridique. De plus, le sergent d’armes est chargé de la sécurité et des visites du public.

Comme c’est le cas dans toutes les assemblées législatives, il arrive que des manifestants occupent le hall d’entrée, perturbent les délibérations de la Chambre ou bloquent les issues. Même si la sécurité a été renforcée après les attentats terroristes de septembre 2001 aux États-Unis, la Chambre d’assemblée demeure très accessible. Aucune restriction n’est imposée aux véhicules à proximité de l’édifice. Les employés accèdent aux locaux avec une carte magnétique, et les visiteurs signent un registre au comptoir de la sécurité, où les gardiens leur réservent un accueil très cordial. C’est seulement à l’entrée des tribunes du public que les visiteurs désireux de suivre les délibérations de la Chambre sont tenus de passer dans un portique muni d’un détecteur de métal.

Les comités constituent l’un des organes les plus importants d’une assemblée législative. Ce sont des tribunes quasi publiques où de petits groupes de députés, surtout d’arrière-ban, peuvent examiner en profondeur les affaires émanant du gouvernement. Au sein de chaque comité, un président dirige les délibérations et a la responsabilité de faire rapport à la Chambre. Les présidents de comité sont choisis par les membres et appartiennent ordinairement au parti du gouvernement. Les comités législatifs sont donc censés exercer un certain contrôle sur l’exécutif politique, ce qui explique qu’ils passent pratiquement inaperçus à Terre-Neuve.

Le comité plénier, qui regroupe tous les députés présents à la Chambre, est de loin le type le plus courant de comité à Terre-Neuve. Toutefois, il ne s’agit pas vraiment d’un comité, puisqu’il est constitué par tous les députés qui souhaitent participer aux travaux. Il est dirigé par le vice-président, qui permet aux membres de prendre la parole à plusieurs reprises pour discuter des détails des projets de loi à l’étude. Le comité plénier examine ordinairement les prévisions budgétaires de la Chambre, du Conseil exécutif et du Trésor provincial. Contrairement aux comités permanents et spéciaux, le comité plénier n’est pas autorisé à entendre des témoins, ni à faire participer des membres du public à ses travaux d’une autre façon.

Il existe plusieurs types de comités spécialisés à la Chambre d’assemblée. Après chaque élection, un comité de sélection composé de cinq députés est constitué pour choisir les membres des sept comités permanents. Les comités les plus complets, quoique sous-utilisés, sont ceux des services gouvernementaux, des ressources et des services sociaux. Chacun comprend sept membres et a la responsabilité des activités d’environ cinq ministères. Pendant des décennies, ces comités s’occupaient surtout de l’examen des dépenses prévues de chaque ministère au printemps de chaque année. Peu après le dépôt du budget, le ministre responsable du ministère ou de l’organisme dont les prévisions budgétaires sont examinées se présente devant le comité accompagné de son sous-ministre, des sous-ministres adjoints, du directeur des communications et d’autres fonctionnaires du ministère. Du personnel de recherche des députés de l’opposition peut également être présent. Pendant près de trois heures, les responsables du ministère répondent aux questions des députés, après quoi les participants vont déjeuner ensemble (quoique cette habitude commence à se perdre). À l’occasion, des modifications des prévisions sont recommandées.

L’existence minimaliste des comités législatifs et la présence au sein de certains de ces comités d’un ou de plusieurs ministres témoignent des lacunes qui existent au chapitre de l’examen indépendant des décisions de l’exécutif. Dans de nombreux systèmes parlementaires, les comités examinent de près les projets de loi après la deuxième lecture, puis les renvoient à la Chambre. À Terre-Neuve, les projets de loi sont directement renvoyés au comité plénier. La dernière fois qu’un projet de loi a été renvoyé à un comité permanent remonte à la fin de 2001 22 . De plus, ces comités n’ont pas tendance à solliciter l’opinion de gens de l’extérieur, notamment parce que les témoins experts hésitent à critiquer publiquement le gouvernement dans une société aussi petite que celle de Terre-Neuve 23 . Les dossiers sont donc discutés au cours d’une réunion du comité plénier, qui est plus inclusif, mais beaucoup moins spécialisé. La présence des chefs des partis d’opposition et parfois de ministres réduit la probabilité d’une étude non partisane, limite la possibilité pour les députés d’arrière-ban de gagner une expérience spécialisée ou de mettre en question les politiques de leur parti et augmente la probabilité de fanfaronnades télévisées.

Un premier ministre provincial a tenté en vain de remédier à ces lacunes. Sous le gouvernement Peckford, les travaux des comités ont été affaiblis par les changements constants apportés à la composition des comités, par la difficulté qu’avait l’opposition à y affecter des députés et par la réticence des membres à assister aux réunions qui n’intéressaient pas les médias. En 1989, le premier ministre Wells a décidé de charger les comités permanents d’examiner les projets de loi et, notamment, de convoquer des témoins à cette fin. Toutefois, après quelques années, cette pratique a été peu à peu abandonnée, et les intervenants ont recommencé à s’entretenir en privé avec les cadres des ministères. Par conséquent, les comités permanents des services gouvernementaux, des ressources et des services sociaux ont retrouvé leurs fonctions, qui consistent essentiellement à examiner brièvement chaque année le budget de quelques ministères, au point où on leur a donné le nom de « comités des prévisions ». Ces comités se réunissent si rarement que, lorsqu’un député est appelé au Cabinet, il en reste membre jusqu’à ce que les modifications annuelles soient apportées en prévision de l’examen des prévisions budgétaires. Leurs travaux retiennent rarement l’attention des médias.

Parmi les autres comités permanents, il y a des comités particuliers et spéciaux qui sont directement chargés par la Chambre d’étudier certaines questions et qui cessent d’exister aussitôt qu’ils ont remis leur rapport. Les réunions de ces comités sont relativement rares. Le Comité des comptes publics (sept membres), qui est traditionnellement présidé par un député de l’opposition, examine le rapport annuel du vérificateur général, les dépenses de la Chambre et des questions financières connexes. Le Comité du Règlement (cinq membres) se réunit en privé au besoin pour examiner les règles de procédure de l’assemblée. Le Comité des privilèges et des élections (minimum de quatre membres) se réunit rarement. Il est chargé des questions relatives à la liberté des députés, y compris l’élaboration d’un code de conduite, et siège également à huis clos. Le Règlement prévoit en outre un comité chargé des projets de loi d’intérêt privé et de diverses autres mesures, qui se réunit au besoin pour discuter de nouveaux dossiers qui ne seraient pas autrement renvoyés à un comité. Aucun des comités permanents de la province ne se réunit plus de sept jours par an 24 , mais, comme le fait remarquer la politicologue Susan McCorquodale, ce manque d’activité ne signifie pas nécessairement « que les comités sont inutiles 25  ».

Structure et composition de comités du Cabinet et
de la Chambre (printemps 2010)

Comité

Ministres

Président

Députés de l’opposition

Autres députés

Cabinet

Politique économique

9

Planification et priorités

7

Politique sociale

10

Chambre d’assemblée

Services gouvernementaux

Non

4

5

Commission de gestion*

2

Oui

3

2

Comité plénier

Tous

Non

Tous

Tous

Privilèges et élections

1

Non

3

3

Comptes publics**

Non

3

4

Ressources**

Non

4

5

Services sociaux**

Non

4

5

Règlement

2

Oui

2

Comité de sélection

1

Non

2

2

*Le greffier de la Chambre est membre, mais ne vote pas.
**Les députés nommés au Cabinet depuis le dépôt des prévisions budgétaires précédentes ne sont plus membres.
Source : Chambre d’assemblée

 

À l’heure actuelle, l’organe législatif qui suscite le plus d’intérêt est la Commission de gestion de la Chambre d’assemblée, qui est responsable des politiques administratives et financières de la Chambre. Elle se compose du président (qui dirige les réunions), du greffier de la Chambre d’assemblée (sans droit de vote) et de six députés dont les chefs des deux principaux partis et un représentant du troisième parti, s’il y en a un à la Chambre. Contrairement à l’ancien Comité de régie interne, la Commission de gestion tient des réunions publiques qui sont à la fois télévisées et diffusées sur Internet. De plus, on peut consulter, sur le site Web de la Chambre, les activités les plus récentes de la Commission ainsi que les relevés de frais des députés. Les députés et les membres de leur personnel reçoivent un Guide des ressources et des allocations (Members’ Resources and Allowances Rules Manual) qui explique en détail les démarches à accomplir pour présenter des demandes remboursement et obtenir les allocations connexes. La Commission de gestion est assistée par un comité de vérification qui se réunit au moins quatre fois par an pour examiner les contrôles financiers internes tels que les plans de vérification du vérificateur général. Ce comité se compose de deux députés membres de la Commission, dont l’un doit représenter l’opposition, et de deux non-parlementaires désignés par le juge en chef de la province.

Les délibérations de la Chambre d’assemblée suivent un programme quotidien 26 . Chaque jour de séance, la Chambre aborde les huit éléments des affaires courantes dans le même ordre. Il y a d’abord les déclarations des députés, exposés de 60 secondes dans lesquels les députés parlent d’un sujet qui intéresse leur circonscription. Il peut s’agir d’un message de félicitations aux électeurs ou d’un événement local digne de mention. Un député peut annoncer, par exemple, qu’il a assisté au banquet annuel d’une équipe de natation, un autre peut féliciter les constructeurs d’un parc commémoratif et un troisième, rendre hommage à son frère qui vient de se voir décerner un prix de bénévolat 27 . Cette étape est suivie par les déclarations de ministres, qui consistent en général en observations sur la politique du gouvernement, auxquelles l’opposition peut répondre. Dans leurs déclarations, les ministres s’efforcent d’attirer l’attention sur des questions qui pourraient autrement passer inaperçues : annoncer le financement d’un centre d’interprétation éconergétique ou faire le point sur l’expansion du réseau Internet à large bande dans des régions rurales. Dans un geste informel de courtoisie, le cabinet du ministre communique souvent aux porte-parole compétents de l’opposition une copie de la déclaration immédiatement avant que le ministre en donne lecture. Ainsi, les porte-parole ont la possibilité de préparer rapidement une réponse.

Ces déclarations sont habituellement assez banales par rapport au spectacle de 30 minutes qui les suit. Depuis que la période quotidienne de questions orales a été établie dans sa forme moderne en 1972, elle s’est transformée en événement théâtral au cours duquel les députés de l’opposition posent des questions aux ministres qui, selon le cas, y répondent d’une manière positive ou les éludent. C’est cette partie des affaires courantes qui attire le plus d’« étrangers » : journalistes assis dans la tribune de la presse, membres du personnel politique, fonctionnaires et particuliers installés dans les tribunes du public. De plus, le nombre de députés et surtout de ministres présents est à son maximum pendant la période des questions. Beaucoup de ces gens, y compris les députés, ont tendance à s’en aller aussitôt que le président annonce la fin de la période.

Les questions posées sont souvent prévisibles parce qu’elles se fondent fréquemment sur des sujets abordés dans les journaux ou aux actualités du matin ou évoqués dans des tribunes radiophoniques. Elles peuvent également porter sur des irrégularités découvertes par les « comités des prévisions ». Il arrive à l’occasion qu’un député amical de l’opposition, qui préfère des résultats positifs à un gain politique éphémère, informe d’avance un ministre de sa question. Les sujets abordés pendant la période des questions constituent, pour les journalistes politiques, une bonne source pour les questions à poser au cours des mêlées de presse qui ont lieu près de l’entrée de la Chambre et auxquels sont conviés un certain nombre de députés choisis, à commencer par le premier ministre.

Tandis que la mêlée de presse est en train d’être organisée, la Chambre est déjà passée au point suivant de ses affaires courantes. La présentation des rapports de comités donne aux présidents de ceux-ci la possibilité de déposer des rapports et de présenter une brève déclaration à leur sujet. Vient ensuite le dépôt de documents, au cours duquel les ministres présentent officiellement des rapports et des études. Il y a ensuite les avis de motion, qui permettent d’informer d’avance les députés des importantes motions devant être présentées, comme le dépôt prévu de projets de loi. Le point suivant est la réponse aux questions ayant fait l’objet d’un avis : les ministres présentent des renseignements qui donnent suite à des questions inscrites au Feuilleton ou déposent des réponses écrites. Les pétitions constituent le dernier élément des affaires courantes, les députés déposant des pétitions signées par des citoyens à différents sujets. Un député qui présente une pétition est autorisé à en parler pendant trois minutes.

Comment une promesse électorale se traduit-elle par un projet de loi, puis par une loi? Lorsque le parti au pouvoir détermine, par l’entremise du Cabinet, qu’il souhaite faire adopter, modifier ou abroger une loi, la question est renvoyée pour étude à l’un des comités du Cabinet (politique économique, politique sociale ou planification et priorités). Au sein de ces comités, les ministres sont chargés d’examiner des projets de loi ou de politique, souvent avec l’appui de fonctionnaires des ministères compétents ou du secrétariat du Cabinet. À l’occasion, les comités invitent des délégations à présenter des exposés ou organisent eux-mêmes des réunions à différents endroits de la province. Les ministres renvoient ensuite un projet de loi au Cabinet pour approbation avant que le ministre compétent ne le dépose à la Chambre d’assemblée. Les comités du Cabinet sont de loin plus actifs et fonctionnels que les comités législatifs composés de simples députés.

Dans un régime parlementaire, un projet de loi doit franchir trois étapes distinctes à l’assemblée législative avant d’être approuvé par la Couronne et de devenir loi. Après en avoir donné avis, un ministre peut déposer un projet de loi pour distribution aux députés et au public lors d’une « première lecture ». La discussion du projet de loi se produit à l’étape de la « deuxième lecture », au cours de laquelle le ministre parrain peut prononcer un discours de jusqu’à une heure, de même que le député de l’opposition qui le suit directement. Les autres députés disposent d’un temps de parole maximal de 20 minutes, après quoi le ministre a la possibilité de prononcer un autre discours qui met fin au débat.

Le Règlement permet aux comités permanents d’étudier des projets de loi, et de proposer et débattre des amendements, tant avant leur dépôt qu’après la deuxième lecture. Cela est pourtant rare à Terre-Neuve, où il est plus courant que les dispositions d’un projet de loi soient examinées en comité plénier (ce qui signifie que tous les députés présents peuvent prendre la parole à plusieurs reprises). Si le projet de loi est appuyé par une majorité des députés présents et qu’il n’est pas décidé de le renvoyer à un comité permanent, il passe à l’étape de la « troisième lecture ». Il fait alors l’objet d’un vote final qui ne constitue en général qu’une formalité et qui ne donne habituellement lieu ni à un débat supplémentaire ni à d’autres amendements. Après avoir franchi l’étape de la troisième lecture, le projet de loi est transmis au lieutenant-gouverneur pour recevoir la sanction royale et devenir loi.

Comme partout ailleurs au Canada, les députés sont élus dans le cadre d’un système majoritaire uninominal, dans lequel un candidat n’a besoin que d’une seule voix de plus que son adversaire le plus proche pour être déclaré élu dans une circonscription. Dans un système de ce genre, l’assemblée législative peut être complètement dominée par les députés du parti au pouvoir, comme cela a été le cas récemment en Colombie-Britannique, en Alberta et au Nouveau-Brunswick. Toutefois, contrairement à d’autres provinces, il n’y a jamais eu à Terre-Neuve un effort sérieux pour changer le système. Le principal contrôle auquel l’exécutif politique est assujetti est la convention du gouvernement responsable, d’après laquelle si le gouvernement perd un vote dit « de confiance » à l’assemblée, il doit soit démissionner pour permettre à un autre gouvernement de le remplacer soit (plus fréquemment) conseiller au lieutenant-gouverneur de dissoudre la Chambre et de déclencher des élections. Comme dans quelques autres provinces, le gouvernement Williams a fait modifier en 2004 la House of Assembly Act pour imposer la tenue d’élections générales provinciales tous les quatre ans, en octobre, à moins que le gouvernement ne soit défait plus tôt lors d’un vote de confiance.

Les députés de l’opposition ne peuvent pas faire grand-chose pour imposer des restrictions à un premier ministre qui détient la majorité des sièges à l’assemblée. Au cours des 18 élections générales tenues entre 1949 et 2007, il n’y a eu qu’un seul gouvernement minoritaire (1971, avec d’autres élections cinq mois plus tard). Depuis la Confédération, la province a connu des périodes prolongées de contrôle libéral (1949-1971, 1989-2003) et progressiste-conservateur (1972-1989, de 2003 à ce jour) durant lesquelles les partis au pouvoir réélus obtenaient en moyenne 80 p. 100 des sièges de l’assemblée. Avec de telles majorités — les progressistes-conservateurs de Danny Williams ont, par exemple, raflé 44 sièges sur 48 aux élections générales de 2007 —, les députés de l’opposition ne sont vraiment pas nombreux et les décisions du gouvernement ne sont donc pas examinées de très près.

Par conséquent, l’opposition officielle ne forme qu’un petit groupe de députés souvent dépassés par l’ampleur de leur tâche, tandis que le troisième parti, s’il existe, est marginal. Les députés de l’opposition peuvent se trouver porte-parole pour de nombreux portefeuilles dont il leur est impossible, d’une façon réaliste, de connaître les innombrables dossiers. Ils sont donc peu susceptibles de remplir toutes leurs fonctions. Le chef du troisième parti est particulièrement tiraillé, puisqu’il lui est impossible de déléguer pour les discours, le travail en comité et les fonctions de leader de sa formation à la Chambre.

Il y a de sérieux déséquilibres dans la charge de travail. Les ministres et les députés de l’opposition peuvent se sentir débordés, tandis que certains députés gouvernementaux d’arrière-ban n’ont pas grand-chose d’autre à faire à la Chambre que de louanger le budget ou de parler de questions intéressant leur circonscription. Le nombre insuffisant de députés de l’opposition rend également la discussion difficile. Par exemple, le débat en comité plénier se poursuit tant que des orateurs prennent la parole toutes les 10 minutes. Cela signifie que, pour prolonger la discussion, les députés de l’opposition doivent prendre la relève l’un de l’autre. Il arrive que le président fasse des exceptions en permettant à certains d’entre eux de parler plus longtemps que la période prévue, afin de compenser l’insuffisance de leur nombre.

L’interaction entre les députés du gouvernement et de l’opposition est, dans une grande mesure, limitée à la Chambre. Le personnel du cabinet du premier ministre peut bavarder avec celui des partis d’opposition, par exemple lors des mêlées de presse qui suivent la période des questions, mais le premier ministre lui-même s’entretient rarement avec les chefs des autres partis. Des membres du personnel du cabinet du premier ministre peuvent faire des visites de courtoisie pour informer l’opposition d’une décision du gouvernement, mais cela se produit parfois quelques instants avant que le premier ministre annonce officiellement sa décision, en précisant qu’il a eu des consultations avec l’opposition. Les lettres que les députés de l’opposition écrivent au premier ministre sont peu susceptibles de recevoir une réponse utile. Il n’y a pas d’interaction entre le secrétariat du Cabinet et l’opposition, sauf si le parti au pouvoir organise une séance d’information au sujet d’une question importante. La séance est alors organisée par le greffier du Conseil exécutif avec un court préavis, le but étant d’essayer de rallier l’appui de l’opposition.

La taille réduite de l’opposition augmente d’autant la responsabilité qu’ont les journalistes, les universitaires et, plus récemment, les blogeurs politiques d’informer le public. Toutefois, comme la docilité facilite la vie, les médias ont tendance à céder quand le premier ministre devient agressif. À différentes occasions, Danny Williams a réprimandé en public des journalistes inquisiteurs ou obstinés appartenant à la radio et à la télévision de Radio-Canada, à l’Independent (aujourd’hui défunt) et à la station de radio VOCM, puis a imposé un moratoire sur les communications avec eux ou leurs employeurs. L’observation de Susan McCorquodale selon laquelle « la plupart des médias puisent leurs nouvelles dans les communiqués, les conférences de presse et les séances quotidiennes de la Chambre d’assemblée » demeure, hélas, vraie 28 .

Conclusion

À bien des égards, Terre-Neuve-et-Labrador ne satisfait pas aux normes modernes de la démocratie parlementaire. Les historiens signaleraient sûrement son combat pour la démocratie, tandis que la plupart des visiteurs penseraient surtout au décorum qui règne à la Chambre. Il n’y a cependant pas de doute que la province connaît actuellement de sérieux problèmes politiques qui, à défaut d’une solution, continueront à maintenir une domination de l’exécutif incompatible avec les principes démocratiques modernes, à un moment où une tendance à la centralisation du pouvoir se manifeste dans les gouvernements de type britannique.

Trois thèmes suscitent des préoccupations particulières. Il y a premièrement le contrôle inflexible d’un gouvernement provincial par un premier ministre élu. Des majorités disproportionnées, une dure discipline de parti, une opposition submergée, un pluralisme à huis clos, des journalistes dociles et des comités improductifs sont tous symptomatiques d’un système dans lequel l’exécutif ne rend des comptes à personne. Cela donne lieu à une situation autoentretenue : l’absence de critiques contribue à la notoriété du premier ministre, notoriété qui contribue à son pouvoir pendant que le manque général de politiques de rechange contribue à une impression « groupale » d’infaillibilité. La conclusion à laquelle avait abouti Susan McCorquodale il y a 20 ans — selon laquelle « il serait plus démocratique et efficace que l’exécutif considère le législatif comme un partenaire plutôt qu’un adversaire » — est tout aussi valide aujourd’hui 29 .

Le deuxième thème est la pertinence déclinante de la Chambre d’assemblée. Fermée 88 p. 100 du temps, elle a été avantageusement remplacée par les tribunes radiophoniques comme voix du peuple. Les mesures législatives ne font pas l’objet d’un examen suffisant; le recours au comité plénier est excessif; les députés de l’opposition sont trop peu nombreux pour faire une évaluation efficace des projets de loi; les comités permanents sont si peu utilisés qu’on peut les considérer dysfonctionnels. Les députés gouvernementaux d’arrière-ban ont un rôle tellement limité que leur peu de travail ne justifie pas leur salaire. Ils votent systématiquement avec leur parti, prennent rarement la parole à la Chambre, ne proposent pas de projets de loi d’initiative parlementaire, n’assistent pas régulièrement aux séances de la Chambre, ne représentent pas un grand nombre d’électeurs et se font payer des suppléments pour les menues fonctions additionnelles qui leur sont confiées. Le fait que ces lacunes de l’assemblée aient persisté témoigne d’une certaine indifférence du public.

Le dernier thème, probablement le plus critique, c’est la politique de déférence envers des hommes charismatiques affamés de pouvoir et envers une philosophie paternaliste dépassée. Les députés d’arrière-ban, les fonctionnaires et les journalistes évitent de s’élever contre le pouvoir exécutif, parce qu’ils craignent de dures représailles susceptibles de nuire à leur carrière. Un gros scandale financier a secoué l’assemblée, car, contrairement à ce qu’avait fait Peter Cashin bien des années auparavant, aucun parlementaire n’avait eu le courage — ou la protection assurée par des mesures encourageant la dénonciation dans l’intérêt public — de protester contre des dépenses douteuses. La participation politique est assez limitée pour que les groupes d’intérêts préfèrent se réunir à huis clos et que les réseaux familiaux continuent à jouer un rôle considérable dans la politique des partis. Il semble y avoir une tradition de fragilité démocratique et de confiance populaire dans les élites.

Cela ne signifie pas que les progrès sont totalement absents à la Chambre d’assemblée. L’influence de la religion a diminué et les femmes assument des fonctions comportant de plus en plus de responsabilités. Les députés et les membres de leur personnel offrent une aide importante à leurs électeurs. Les systèmes financiers de l’assemblée répondent maintenant à des normes professionnelles. Les délibérations de la Chambre et les réunions de la Commission de gestion sont télévisées et accessibles en ligne. Le fait que des scandales financiers du même ordre aient été découverts par la suite en Grande-Bretagne et en Nouvelle-Écosse et qu’en mai 2010, la vérificatrice générale du Canada ait été empêchée d’examiner les dépenses des parlementaires fédéraux indique que les problèmes de responsabilité de la Chambre d’assemblée de Terre-Neuve sont loin d’être uniques. De plus, les premiers ministres provinciaux restent en général très populaires longtemps après leur élection. Il n’en reste pas moins que les options politiques sont surtout discutées en secret au Cabinet et dans la bureaucratie. Elles sont également examinées dans les médias, qui ont un faible pour le sensationnalisme et la propagande gouvernementale et, pendant 45 jours par an, au cours de réunions de tous les députés (par exemple, pendant la période des questions) plutôt que de petits groupes de spécialistes. Le renforcement de la qualité du processus décisionnel politique à Terre-Neuve est important, car, comme l’a fait remarquer un député, la Chambre joue un rôle de premier plan dans la vie des citoyens, qu’ils le sachent ou non.

Notes

1. Neil Penney, « La tradition parlementaire à Terre-Neuve », Revue parlementaire canadienne, vol. 4, no 2 (été 1981), p. 10-15.

2. D.W. Prowse, A History of Newfoundland, Portugal Cove (T.-N.-L), Boulder Publications, 2002, p. xxv.

3. Paul O’Neill, The Oldest City: The Story of St. John’s, Newfoundland, Portugal Cove (T.-N.-L), Boulder Publications, 2003, p. 314. Le vote par scrutin secret n’a été introduit qu’en 1887.

4. D.W. Prowse, op. cit., p. 429-434.

5 Gordon O. Rothney, « The denominational basis of representation in the Newfoundland Assembly, 1919-1962 », Revue canadienne d’économique et de science politique, vol. 28, n° 4 (novembre 1962), p. 557-570.

6. Newfoundland Historic Trust, A Gift of Heritage: Historic Architecture of St. John’s, 2e éd., St. John’s, Dicks and Co, 1998, p. 50.

7. Paul O’Neill, op. cit., p. 327.

8. H.B. Mayo, « Newfoundland’s entry into the Dominion », Revue canadienne d’économique et de science politique, vol. 15, no 4 (novembre 1949), p.505.

9. Susan McCorquodale, « Newfoundland: Personality, party, and politics », dans Gary Levy et Graham White, dir., Provincial and Territorial Legislatures in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1989, p. 166.

10. Sean T. Cadigan, Newfoundland and Labrador: A History, Toronto, University of Toronto Press, 2009, p. 221.

11. Mayo, op. cit., p. 508.

12. Melvin Baker, « History of Newfoundland and Labrador: Summary chronology of events », Royal Commission on Renewing and Strengthening our Place in Canada, 2003.

13. J. Derek Green, Rebuilding Confidence: Report of the Review Commission on Constituency Allowances and Related Matters, St. John’s, Gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, 2007, p. 1-1 et 1-2.

14. Parlement du Canada, Jours de séances aux législatures provinciales et territoriales par année civile (consulté le 8 septembre 2011). Internet : <http://www.parl.gc.ca/ParlInfo/Compilations/ ProvinceTerritory/SittingDays.aspx?Language=F>.

15. Alex Marland et Matthew Kerby, « The audience is listening: talk radio and public policy in Newfoundland and Labrador », Media, Culture & Society, vol. 32, no 6 (novembre 2010).

16. Bradley Moss, « Expedition sailors: The Ombudsman in Newfoundland and Labrador », dans Stewart Hyson, dir., Provincial and Territorial Ombudsman Offices in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2009.

17. Bibliothèque législative de Terre-Neuve, courriel personnel (13 octobre 2009). À noter que, depuis 2005, les Inuits du Labrador sont représentés par un gouvernement ethnique, le Nunatsiavut, dont le siège est au Labrador.

18. Kenneth John Kerr, « A social analysis of the members of the Newfoundland House of Assembly, Executive Council, and Legislative Council for the period 1855-1914 », thèse de maîtrise, Université Memorial de Terre-Neuve, 1973, p. 500.

19. Janice Wells, Frank Moores: The Time of His Life, Toronto, Key Porter Books, 2008, p. 101.

20. Ron Crocker, « Electronic visitors gallery: Television access to the Newfoundland House of Assembly », mémoire au président et aux députés de la Chambre d’assemblée de Terre-Neuve, 1986, p. 20.

21. La bande sonore des délibérations est enregistrée depuis 1960. Elle est accessible au centre de radiodiffusion de la Chambre d’assemblée. Chambre d’assemblée, courriel personnel (28 septembre 2009).

22. Chambre d’assemblée, données tirées d’un courriel personnel (29 mars 2010).

23. Un comité composé de représentants de tous les partis et chargé de l’examen de la pêche à la morue a consulté des experts et a tenu des consultations publiques dans neuf collectivités en 2002. La Chambre a approuvé à l’unanimité la création de ce comité spécial, dont les membres comprenaient les chefs des trois partis, trois autres députés ainsi que les députés fédéraux et les sénateurs de la province.

24. Green, op.cit., p. 9-10.

25. McCorquodale, op.cit., p. 186

26. Chambre d’assemblée, Members’ Handbook, par. 5-10 à 5-12.

27. Chambre d’assemblée, House of Assembly Proceedings, vol. XLVI, no 30 (9 septembre 2009).

28. McCorquodale, op.cit., p. 184.

29. McCorquodale, op.cit., p. 188.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 34 no 3
2011






Dernière mise à jour : 2020-09-14