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Introduction aux enjeux de gouvernance qui se posent à la Chine et à Hong Kong
Michael DeGolyer

En octobre 2010, on soulignera le 40e anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre le Canada et la Chine. Au cours des dernières années, on perçoit habituellement la Chine sous l’angle du commerce ou des taux de change, ou encore sous celui des répercussions potentielles de son économie en plein essor. On laisse de côté son système politique, puisqu’il semble à l’écart de la tradition démocratique occidentale. Dans le présent article, l’auteur aborde la façon dont la Chine agit face à des forces politiques émanant de son système économique de plus en plus capitaliste. Il y expose la résistance très vive à la théorie fédéraliste, bien qu’à certains égards, la Chine moderne semble se diriger vers une forme de fédéralisme de facto. Il y avance, particulièrement dans le contexte des relations entre la Chine et Hong Kong, l’hypothèse selon laquelle nous assistons peut-être à une nouvelle approche de la gouvernance qui mérite d’être mieux connue par les États occidentaux, au moment où ceux-ci sont aux prises avec leurs propres problèmes de gouvernance et essaient de se positionner devant l’émergence de la Chine comme puissance mondiale.

Les autorités centrales de la République populaire de Chine (RPC) sont frileuses face à l’idée de fédéralisme, ne serait-ce que dans des discussions. Les personnes qui, en Chine, préconisent le fédéralisme comme solution de la complexité des relations ethniques et régionales du pays se sont, plus d’une fois, exposées au soupçon officiel, qui veut que le fédéralisme soit synonyme d’affaiblissement et de division du pays. Les responsables ont constitué un extraordinaire arsenal de lois afin de combattre ce qui leur paraît être l’intention de miner la domination du gouvernement central et du Parti communiste. Les lois contre la trahison, la sécession, la sédition, la subversion, le vol de secrets d’État et le fait de frayer avec des organes politiques étrangers, et surtout de se laisser contrôler par eux, sont l’objet d’une large interprétation et appliquées avec célérité pour écraser tout signe de ce que les cadres du Parti communiste considèrent comme des tentatives de division de l’État unitaire et unifié de Chine. La subversion de l’État unitaire et la sécession de l’État unifié sont des accusations graves en RPC. Ce sont des délits auxquels on donne une large acception, qui sont réprimés sans retard et, souvent, entraînent un long emprisonnement, voire la peine capitale. Les chercheurs et toute autre personne qui étudient ou, pire encore, préconisent le fédéralisme ont tout intérêt à faire preuve de circonspection, surtout s’ils sont en territoire chinois.

En dépit des dénégations publiques tendant à souligner que la Chine ne pratique pas le fédéralisme sous quelque forme que ce soit, des chercheurs ne vivant pas en Chine, comme Zheng Yongnian1, de l’Université nationale de Singapour, peuvent plaider en faveur du fédéralisme en Chine, et ils le font effectivement. Il fait valoir qu’en vérité, la Chine se gouverne elle-même, d’un point de vue comportemental, comme un État fédéraliste de facto. Les réformes de Deng Xiaoping, par suite de sa réécriture de la constitution chinoise, en 1982, ont décentralisé de nombreuses responsabilités, encore que, fait crucial, elles n’aient pas guère délégué de pouvoirs en bonne et due forme ou découlant de dispositions de la constitution. Les responsables provinciaux ont conçu des moyens d’obtenir un degré considérable de domination locale face aux préférences du pouvoir central, voire à ses diktats. L’ampleur de la marge de manœuvre des provinces a incité certains chercheurs, dont Gregory Fuller, à utiliser un concept de fédéralisme portant des atours plus colorés, à savoir « le système des seigneurs de la guerre économique » pour décrire l’apparente incapacité du gouvernement central à forcer les provinces à se conformer aux règles commerciales de l’OMC. Ces chercheurs, et d’autres de leurs collègues et militants qui ne vivent pas en Chine continentale, n’hésitent pas à adopter des concepts voisins du fédéralisme pour décrire à la fois les pratiques réelles et théoriques dans la gouvernance de la Chine.

Yang Dali, chercheur vivant aux États-Unis, rejette de manière beaucoup plus convaincante, toutefois, les notions de toute forme de fédéralisme nominal2. Selon lui, la meilleure description que l’on puisse donner de la pratique actuelle est celle d’élites cherchant à imposer des limitations juridiques au pouvoir des responsables à la fois provinciaux et centraux. À ces élites, comme l’a montré Jerome Cohen3, s’adjoignent des gens ordinaires qui, dans une tentative considérable et croissante, visent à rappeler à l’ordre les cadres locaux en invoquant les lois du gouvernement central contre les entorses locales à ces règles. La population locale n’est pas seule à recourir aux tribunaux pour contraindre les cadres locaux à respecter la loi. Le fait que les tribunaux du gouvernement central affirment leur suprématie sur les tribunaux des provinces (ce qui a été tenté pour la première fois en 2003) constitue moins une forme de pratique fédérale de facto (quoique certainement de jure dans sa nature) qu’un moyen par lequel des cadres communistes du gouvernement central régularisent, institutionnalisent et légalisent leur suprématie sur les actions des cadres provinciaux du Parti. Il s’agit, pour l’essentiel, d’une affirmation de contrôle sur la corruption de cadres par l’intermédiaire d’institutions gouvernementales plutôt que, comme cela s’est fait par le passé, exclusivement par l’entremise de procureurs du Parti communiste. Cela correspond davantage à la politique chinoise qui consiste à développer le gouvernement par la loi, bien qu’il ne s’agisse pas encore, à n’en pas douter, de la primauté du droit. Le pouvoir officiel des tribunaux du gouvernement central sur les responsables des gouvernements provinciaux n’a pas encore été établi et se heurte fréquemment à des manœuvres politiques à l’intérieur du Parti et à des rivalités entre factions.

Cette forme de gouvernement intermittent par la loi peut être considérée comme étant davantage une forme de renforcement des capacités institutionnelles qu’une forme de fédéralisme. Néanmoins, les exemples ne manquent pas, dans la pratique et dans l’histoire de la Chine, qui incitent à se poser des questions sur le fédéralisme soit comme une solution aux problèmes du pays en matière de gouvernance et à l’agitation de provinces comme le Tibet ou le Xinjiang, soit comme une méthode d’interprétation afin de mieux comprendre en particulier ses relations complexes avec les régions administratives spéciales de Hong Kong et de Macao et avec la région administrative encore plus spéciale (et encore plus autonome) de Taïwan, qui a été proposée.

Certes, d’aucuns pourraient recommander le fédéralisme comme solution à certaines des difficultés intérieures du pays au chapitre des provinces, mais cela n’a certainement pas facilité la discussion de ces questions que des chercheurs liés au gouvernement tibétain en exil aient prôné un modèle fédéral se rapprochant davantage d’une confédération assez souple que d’un fédéralisme fort de type américain. Les responsables chinois ont estimé que cette idée et, avec elle, toute autre forme de fédéralisme, ne faisait que voiler à peine l’option de l’indépendance du Tibet. Ils semblent très résolus à empêcher tout concept ou toute pratique de ce type de s’enraciner dans, et ils insistent là-dessus, ce qui est un État unitaire gouverné par un droit civil promulgué par les autorités du gouvernement central et par des institutions comme le Congrès national du peuple (CNP). Mais, comme le savent les experts du fédéralisme, le Royaume-Uni est aussi, techniquement, un État unitaire qui n’a délégué que récemment des pouvoirs limités aux assemblées locales. Est-il possible que les deux régions administratives spéciales de Macao et de Hong Kong pratiquent quelque chose ressemblant à la version du Royaume-Uni de relations quasi fédérales avec les autorités centrales? En d’autres termes, alors que le Parlement continue d’affirmer sa suprématie sur tous les organes subsidiaires et conserve donc le droit de supprimer ou de réformer ceux-ci à tout moment, dans la pratique et en vertu d’un accord écrit, certains droits et privilèges sont exercés par des organes régionaux élus disposant d’un degré élevé d’autonomie.

Dans le cas précis de fédéralisme de facto mis en œuvre en Chine, celui de Hong Kong, Peter T. Y. Cheung4 arrive à la conclusion que « la meilleure description qu’on puisse en donner est celle d’une étape embryonnaire du développement d’un fédéralisme asymétrique ». Cheung laisse entendre, sans l’affirmer, que le « fédéralisme asymétrique embryonnaire » de Hong Kong (appellation qui décrit également le cas britannique) peut être tout à fait transitoire : la Déclaration sino-britannique de 1984 qui a jeté les bases du retour de la Chine se termine, concrètement, en 2047, avec la fin des « 50 ans sans changement » que le traité garantit. Rien ne garantit que la forme de relation limitée, ou encore embryonnaire, et très certainement asymétrique que Hong Kong entretient avec le gouvernement central se poursuivra au-delà de 2047. Il s’ensuit que le « fédéralisme » de Hong Kong, si c’est de cela qu’il s’agit, est limité non seulement dans sa portée, mais également dans le temps.

Si une certaine controverse continue de faire rage à propos de la description des pratiques actuelles comme étant une forme de fédéralisme, des appels à la réforme, y compris une réforme comportant un fédéralisme réel et inscrit dans la constitution, se font entendre périodiquement. Toutefois, bon nombre des chercheurs et intellectuels chinois qui ont signé le manifeste intitulé « Charte 08 », qui réclamait, parmi bien d’autres choses, un système fédéral, sont maintenant en prison ou ont subi d’autres formes de châtiment. De ce fait, les chercheurs vivant sur le continent sont beaucoup plus circonspects lorsqu’ils discutent de ce concept. Ils nient explicitement qu’il s’applique soit à Hong Kong, soit à Macao. Et, tant et aussi longtemps que Taïwan pratiquera l’indépendance et que le Tibet la demandera dans ses prières, les chances que les responsables du gouvernement s’opposent moins vigoureusement au fédéralisme, et même à des discussions à ce sujet, demeureront minces.

Pourquoi le fédéralisme piétine : l’éclairage de l’Histoire

Une telle sensibilité à l’égard d’un concept d’autonomie régionale et de limites locales au pouvoir central est compréhensible. La Chine possède une longue tradition de guerres civiles récurrentes et d’invasions étrangères qui ont imposé des limites frustrantes aux autorités centrales. Il est certain que la revendication faite par la Grande-Bretagne, qui estimait détenir un bail sur les Nouveaux Territoires de Hong Kong, a considérablement entravé les autorités chinoises impériales, puis nationalistes et, plus tard encore, communistes à l’égard de ce qu’elles ont toujours estimé être un territoire faisant partie de la Chine. Voilà précisément pourquoi la Déclaration sino-britannique de 1984 comprend la mention que la Chine « a décidé de reprendre l’exercice de sa souveraineté sur Hong Kong » à compter de minuit le 30 juin 1997. À son avis, il n’y a pas eu de « rétrocession » britannique, ni d’expiration d’un bail foncier légal, mais une décision souveraine des autorités chinoises de reprendre l’exercice de leur souveraineté à un moment qu’elles ont indiqué, dans des circonstances dont elles ont convenu, sur un territoire qui leur avait toujours appartenu. L’intervention étrangère et les entraves à l’autorité chinoise ne portaient pas seulement sur Hong Kong, territoire relativement minuscule. Elles s’étendaient au contrôle du service douanier de tout le pays et même sur la mesure dans laquelle les ressortissants étrangers étaient protégés de la loi chinoise dans chacune des provinces de Chine, protégés non seulement des actes des autorités locales, mais également de ceux du pouvoir central. Voilà pourquoi, en 1949, Mao Zedong, a proclamé la fondation de la Chine nouvelle par cette phrase évocatrice : « Le peuple chinois s’est levé. » Les responsables centraux chinois insistent sur le fait qu’ils connaissent bien l’effet des entraves à leur pouvoir et qu’ils ne veulent pas que cela se reproduise. Par principe, ils soupçonnent les étrangers qui préconisent le fédéralisme et ils poursuivent les Chinois ou des membres d’autres ethnies qui le prônent comme étant des collaborateurs, volontaires ou non, de ceux qui ont l’intention d’affaiblir et de diviser à nouveau la Chine.

Ces sensibilités ne résultent pas uniquement de la mémoire historique. La Chine est toujours, techniquement, un État divisé par la guerre civile et réunifié depuis très peu de temps après une conquête étrangère. Taïwan est considérée par les autorités centrales comme une province renégate et, officiellement, par la plupart des membres des Nations Unies, comme un territoire d’une seule Chine, bien que relevant, pour le moment, d’un gouvernement distinct. Les responsables de Taïwan ont réagi de manière similaire à leurs homologues de Beijing. Jusque vers la fin du XXe siècle, Taïwan a conservé dans son parlement des « représentants » de ce qu’elle appelait les provinces perdues de Chine. Cette séparation en un État doté de deux gouvernements revendiquant le pouvoir central remonte à 1949, année où, ayant perdu la guerre civile sur le continent, les responsables nationalistes (du Kuomintang ou KMT), dirigés par Tchang Kaï-chek, ont fui à Taïwan. La plupart des États occidentaux, suivant l’exemple des États-Unis, ont continué de reconnaître les autorités taïwanaises comme étant le gouvernement officiel de la Chine jusqu’en 1971, année où la reconnaissance de la Chine par les Nations Unies a été transférée de Taïwan à Beijing.

Toutefois, les autorités de la RPC protestent encore vigoureusement contre tout acte des États-Unis perçu comme protégeant et perpétuant la séparation de Taïwan de la Chine continentale, particulièrement les ventes d’armes. Des États européens ont, plus d’une fois, annulé des ventes d’armes à Taïwan par suite de vives protestations de la part de la RPC. Les responsables chinois s’élèvent même contre l’utilisation du mot « président » pour désigner le dirigeant de Taïwan. Ils protestent aussi chaque fois que le dalaï-lama tibétain rencontre des responsables gouvernementaux. La plupart des gouvernements qualifient maintenant ces rencontres d’entretiens à caractère privé avec un leader religieux, et non de conférence avec un chef d’État dirigeant un gouvernement en exil. Les sensibilités aux « menaces » à l’unité chinoise demeurent vives et ces menaces sont prises très au sérieux.

Il existe des preuves du contraire. Des soldats et des dirigeants du KMT ont fui à Hong Kong, où, même de nos jours, des drapeaux taïwanais surgissent le 10 octobre pour marquer le jour que les partisans du KMT considèrent comme la fête nationale de la Chine. Bien évidemment, la mer de drapeaux hissés à Hong Kong le 1er octobre, jour que la Chine communiste célèbre comme étant celui de sa fête nationale, est incommensurablement plus imposante que celle des drapeaux en nombre de plus en plus réduit de Taïwan. Mais le seul fait que des drapeaux taïwanais soient agités à Hong Kong sans représailles contre ceux qui le font montre bien que, sans l’ombre d’un doute, Hong Kong fait l’objet d’un traitement spécial. Toutefois, il y a certainement matière à débat quant au point de savoir si ce traitement spécial pour Hong Kong équivaut à une forme embryonnaire ou autre de fédéralisme. Et, encore une fois, le problème que les responsables de la Chine continentale appellent « la question non résolue de Taïwan » se pose et il englobe fréquemment Hong Kong, qui a été rendue à la Chine sous une version de la politique désignée sous l’appellation de « un pays, deux systèmes », que Deng Xiaoping avait d’abord conçue pour Taïwan.

Les relations entre le Taipei chinois, comme l’appellent les responsables du gouvernement central, et la République populaire de Chine se sont beaucoup améliorées, mais elles sont fréquemment tendues, tout récemment en raison des efforts consentis par l’administration immédiatement antérieure de Taïwan, dirigée par l’ex-président Chen Shui Bian, du Parti démocratique progressiste (DPP), pour la tenue d’un référendum sur l’indépendance officielle. Bien que cette tentative ait été rejetée à l’occasion des élections de 2004 et que Chen ait été réélu de justesse et dans une grande controverse, elle a incité le gouvernement chinois à officialiser son processus de prise de décisions et sa position juridique en 2005 avec une loi officielle contre le sécessionnisme taïwanais. Le gouvernement central ne reconnaît pas le droit du peuple de décider de toute question d’État par voie de référendum. Un vote d’une province pour accéder à une union fédérale ou en faire sécession, couramment tenu sous forme de référendum dans les systèmes fédéraux, est presque littéralement inconcevable dans le cadre constitutionnel actuel et dans l’état présent des mentalités des dirigeants chinois.

Pour résumer, nombreux sont ceux qui gardent un souvenir douloureusement aigu d’une Chine divisée et envahie, aux prises avec une guerre civile. La Révolution culturelle, qui s’est poursuivie jusqu’au milieu des années 1970, a souvent mis l’accent sur l’extirpation de l’influence politique, intellectuelle, religieuse et même culturelle étrangère, qui était perçue comme une source de division et de faiblesse de la Chine, et sur l’établissement d’une mentalité nationaliste, allant même jusqu’à devenir un culte voué uniquement à faire en sorte que toute la population adhère à la pensée d’un seul homme. Cette unité frappante de direction et de concentration a été présentée comme étant le seul moyen d’empêcher la Chine de déraper dans la division et le chaos encore une fois. Certes, la Révolution culturelle a été largement discréditée, mais l’extraordinaire nationalisme qui la sous-tendait en grande partie demeure bien vivant et dresse la tête de manière récurrente lorsque des événements le provoquent. Et ces événements provocateurs se produisent régulièrement. Des mouvements séparatistes continuent, à ce jour, de perpétrer des actes violents dans de grandes régions de l’État, qui réagit contre eux en employant la même médecine. Au moment où nous écrivions cet article, l’accès à Internet demeure interrompu dans la province du Xinjiang après les récents troubles, et l’accès au Tibet demeure restreint pour les étrangers. Le fédéralisme est ainsi perçu comme un stratagème au service de motivations sécessionnistes, et non comme une solution à l’unité tiraillée du pays.

La continuité et le poids de l’histoire chinoise

Ces perturbations et les réactions à celles-ci de la part des autorités n’ont pas un simple caractère contemporain ou ne s’expliquent pas par l’histoire récente. Elles traduisent une profonde continuité dans l’histoire de la Chine, qui découle de la façon dont le pays s’est constitué, souvent par la force. La Chine tire son nom même de Qin Shi Huangdi, l’homme qui, par la force et de manière très sanglante, a constitué un empire à partir d’États divers se livrant d’âpres guerres. Jusque dans les années 1920 et 1930, le phénomène des seigneurs de guerre et les conflits entre ce qui était, en fait, des États chinois indépendants prédominaient dans les provinces de la Chine. Le pays a pris de l’expansion, s’est contracté, a éclaté et s’est réunifié plusieurs fois, mais la plupart des dynamiques fondamentales du pays que le premier empereur Qin a implantées il y a plus de 2200 ans sont encore à l’œuvre de nos jours.

La continuité des enjeux qui se posaient dans la Chine unifiée par la contrainte de Qin est plus réelle qu’il n’y paraît de prime abord. On peut résumer comme suit les actions et les préoccupations de l’empereur Qin :

  • Réformer les relations entre le centre et les régions, ainsi que l’administration, pour assurer un pouvoir central fort;
  • Forger une nouvelle identité au moyen de l’unification de la langue et de la monnaie, et d’autres types d’uniformisation;
  • Promouvoir et protéger le commerce, les communications et les transports interprovinciaux;
  • Lancer d’énormes projets de développement et des campagnes pour focaliser et absorber les énergies de populations nombreuses et diverses;
  • Contrôler les élites et, ainsi, contrôler les masses;
  • Assurer la succession.

Chacune des préoccupations du premier empereur Qin dominait l’esprit du fondateur de la Chine communiste, surnommé, avec raison, nouvel empereur Mao Zedong. Tous les observateurs s’entendent pour dire que Mao a poursuivi avec opiniâtreté ces objectifs et politiques ancrés dans le temps du gouvernement central, et non pas les idéaux internationalistes de Karl Marx. On dit même qu’il a consacré plus de temps à la lecture des documents de la dynastie Qin qu’à l’étude des préceptes du marxisme-léninisme. En ce sens, Mao était chinois, et non pas communiste, dans son essence même.

Voici des exemples des effets sur la politique actuelle de ce que certains peuvent considérer comme de l’histoire ancienne : le premier empereur était confronté au problème de l’unification d’un assemblage hétéroclite et factieux de personnes, de coutumes et de pratiques administratives venant d’anciens États belligérants ayant des monnaies, des lois, des coutumes et même des langues et une écriture différentes. Il a réagi en mettant en œuvre de nouvelles pratiques administratives, en créant une nouvelle identité « nationale » et en lançant, sous un contrôle très strict, d’énormes projets de développement visant à focaliser et à absorber les énergies de populations nombreuses et diverses, tout en forçant les administrateurs à œuvrer de concert pour atteindre les objectifs fixés à partir du centre. La « Chine nouvelle » de Mao a également été assemblée à partir des États de seigneurs de guerre qui s’étaient durement combattus. Mao aussi a lancé d’énormes projets de développement et a imposé de nouvelles pratiques et structures administratives. Mao a créé une nouvelle transcription en écriture (pinyin) et a « simplifié » le jeu des caractères pour les Chinois, a imposé le putonghua (mandarin) comme dialecte national et s’est employé à créer une nouvelle identité nationale. Il a aboli l’argent et a implanté une monnaie non convertible représentant son visage sur chacune des pièces. Les énormes projets de développement de Mao visaient à intégrer les provinces chinoises dans un système autarcique de production et de défense nationales. Il a effectué de multiples purges parmi les membres du parti et a cherché ainsi à terrifier ces nouvelles élites pour qu’elles obéissent à ses volontés.

Si l’adoption par Mao des politiques de Qin a échoué, au bout du compte, l’échec tient au fait qu’il ne s’est pas adapté au monde moderne, où la Chine est un pays parmi beaucoup d’autres, non pas l’empire du Milieu, centre dominant de la civilisation, puissance technologique et militaire comme au temps de l’empereur Qin. Et si Mao a tenté de régler la question de sa succession, son choix n’a pas tardé à succomber aux machinations de Deng Xiaoping, homme que Mao a puni deux fois en l’exilant pour qu’il nourrisse les cochons dans les campagnes. Deng Xiaoping, l’homme qui a avancé la politique « un pays, deux systèmes » qui a permis de réintégrer Hong Kong et Macao dans la Chine sans avoir à tirer un coup de feu, était beaucoup plus doué pour adapter la gouvernance coutumière chinoise à la modernité.

Le fait que la Chine ait adhéré à l’OMC en 2001, avec toutes les restrictions à la souveraineté que cette adhésion entraînait, témoigne de ce que les successeurs de Deng étaient disposés à appliquer de nouvelles méthodes économiques, et non pas forcément la preuve que la résistance fondamentale aux réformes politiques venant rogner le pouvoir des autorités centrales s’était estompée. Si cette preuve existe justement que les autorités chinoises évoluent dans le sens de la restriction de leur pouvoir politique, on la trouverait dans les éléments concrets des pratiques visant Hong Kong.

La relation spéciale et singulière de Hong Kong

Les responsables qualifient la politique de l’État à l’égard de la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong comme étant « un pays, deux systèmes ». Dans la pratique, Hong Kong semble bénéficier d’un degré plus élevé d’autonomie que ne le prévoit la théorie, en raison du caractère très différent de ses régimes représentatif, juridique, administratif et en matière de droits de la personne. Ce territoire est également membre indépendant d’un certain nombre d’organismes internationaux, statut qui comprend même un vote indépendant à l’OMC. Les éléments précis de la pratique de l’application par Hong Kong de la common law, d’un pouvoir judiciaire indépendant et l’appartenance distincte à une kyrielle d’organismes internationaux sont décrits dans la loi fondamentale de Hong Kong, promulguée par une loi du Congrès national du peuple (CNP) en avril 19905. La loi fondamentale est la loi nationale qui codifie les modalités de l’accord négocié entre la Chine et le Royaume-Uni entre 1982 et décembre 1984, époque où fut conclu un traité à propos de la reprise par la Chine de l’exercice de sa souveraineté. On la qualifie souvent de « mini-constitution » de Hong Kong.

Toutefois, la compréhension du constitutionnalisme dans le cadre de la common law en place à Hong Kong et celle de constitutions encadrées par le droit civil et le Parti communiste en Chine continentale divergent considérablement. Dans l’application que fait Hong Kong de la common law, ce qui n’est pas interdit par la constitution est autorisé. En vertu des concepts constitutionnels de la Chine continentale, ce qui n’est pas spécifiquement autorisé est interdit. Des chercheurs du continent ont explicitement mis en relief cette différence de perspective à l’occasion de la controverse suscitée récemment au sujet de la valeur de « référendum » qu’auraient des élections partielles6.

Jusqu’à maintenant, ces vues contrastées de la nature des constitutions se sont davantage plutôt manifestées sous la forme de protestations de chercheurs et de responsables du continent contre le fait que le gouvernement local de Hong Kong suive ses ordonnances prévoyant que la vacance de sièges déclenche des élections complémentaires, plutôt que par une loi du CNP visant à officialiser et à imposer son opinion selon laquelle ce genre d’élections partielles est inconstitutionnel. Toutefois, depuis 1999, neuf lois d’interprétation distinctes émanant du Comité permanent du CNP ont démontré que le gouvernement central à la fois revendique et utilise son droit d’interprétation de la loi fondamentale pour réviser des dispositions laissées sans réponse ou encore floues par les rédacteurs. Il n’a pas agi à ce jour pour réinterpréter la loi fondamentale afin d’interdire des actes qu’il considère intolérables, mais il a agi pour interdire des actes envisagés que le CNP considérait intolérables, par exemple, la modification de la loi fondamentale pour mettre en œuvre l’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif et de tous les membres du Conseil législatif, but approuvé dans la loi fondamentale et théoriquement permis en 2007-2008. Dans une décision adoptée en 2004, le Comité permanent a jugé que Hong Kong ne pouvait pas tenir d’élections directes complètes en 2007-2008 et, dans une autre décision prise en 2007, il a précisé que de telles élections ne pourraient pas se tenir, au plus tôt, avant 2017 pour ce qui est du chef de l’exécutif et en 2020, pour ce qui est des élections suivantes après l’élection du chef de l’exécutif au suffrage universel direct7.

Le chef de l’exécutif est actuellement à la fois mis en candidature et élu par un collège électoral de 800 personnes, dont les trois quarts sont élues par des circonscriptions fonctionnelles qui n’accordent le droit de vote qu’à seulement un quart de million de personnes sur plus de quatre millions potentiellement qualifiées pour voter. Le quart résiduel est élu d’office parmi d’anciens responsables et des députés en poste à l’Assemblée législative et des représentants de Hong Kong au CNP. Le pouvoir des électeurs ordinaires de choisir le chef de leur exécutif est décidément limité. Les droits de vote des circonscriptions fonctionnelles sont également décidément faussés. Plus de 80 p. 100 des électeurs de ces circonscriptions, principalement des membres de professions libérales et des enseignants, sont entassés sur six sièges. Le reste de la partie circonscriptions fonctionnelles du Conseil législatif, 24 sièges, est élu par les voix d’entreprises, du secteur des affaires et d’organismes syndicaux dominés par Beijing. En 2004, 14 des sièges des circonscriptions fonctionnelles n’ont même pas été disputés, alors que les 30 sièges comblés par élections au suffrage universel ont fait l’objet de chaudes luttes. Étant donné que la modification de la loi fondamentale nécessite un vote aux deux tiers de l’Assemblée pour que la procédure se poursuive au-delà de la simple présentation des modifications venant du chef de l’exécutif, la présence d’un si grand nombre d’intérêts au sein des circonscriptions fonctionnelles a eu pour effet que les 40 voix sur 60 nécessaires ne se sont pas matérialisées la première fois que la modification a été proposée en 2005. Si de fortes majorités de la population sont en faveur d’une modification de la loi fondamentale dans le sens d’élections au suffrage direct, des majorités encore plus fortes veulent certains progrès en matière de réforme, même si cela suppose la remise à plus tard et la mise en danger d’espoirs démocratiques. Les perspectives de la réforme du prochain ensemble d’élections, en 2012, semblent plutôt meilleures qu’en 2005, mais il n’est absolument pas certain que cela sera le cas. Les changements seront certainement limités, à la fois par des groupes d’intérêts locaux et par les mesures précises que prendra le CNP.

La plus importante, et première, réinterprétation de la loi fondamentale par le CNP concernait une décision qui, contrairement à un jugement de la Cour d’appel final, a retiré le droit de séjour d’enfants de résidants légaux de Hong Kong nés sur le continent. Cette interprétation de 1999 a montré très clairement que l’opinion de la Chine aurait primauté sur les tribunaux locaux, bien que, selon la lettre de la loi fondamentale, la décision dans cette affaire soit demeurée en vigueur. Pour l’essentiel, le CNP revendique le droit de décider si, oui ou non, une décision de la Cour d’appel final aura valeur de précédent dans le droit de Hong Kong. Les dispositions pertinentes figurent aux articles 158 et 159 de la loi fondamentale. Le libellé des articles fait clairement ressortir qu’il y a des limites définies par les autorités centrales, et non les autorités locales, à l’autonomie juridique et constitutionnelle de Hong Kong.

L’article 158

Le pouvoir d’interprétation de cette loi appartiendra au Comité permanent du Congrès national du peuple.

Le Comité permanent du Congrès national du peuple autorisera les tribunaux de la Région administrative spéciale de Hong Kong à interpréter eux-mêmes, lorsqu’ils jugeront une affaire, les dispositions de cette loi qui se situent dans les limites de l’autonomie de la Région.

Les tribunaux de la Région administrative spéciale de Hong Kong peuvent également interpréter d’autres dispositions de cette loi lorsqu’ils rendent un jugement. Toutefois, si les tribunaux de la Région, lorsqu’ils rendent un jugement, doivent interpréter les dispositions de cette loi concernant des affaires qui relèvent de la responsabilité du gouvernement populaire central, ou concernant les relations entre les autorités centrales et la Région, et si cette interprétation est appelée à avoir des incidences sur l’aboutissement des causes, les tribunaux de la Région doivent, avant de rendre leur jugement final, qui ne peut donc pas être porté en appel, demander une interprétation des dispositions pertinentes au Comité permanent du Congrès national du peuple par l’intermédiaire de la Cour d’appel final de la Région. Lorsque le Comité permanent fait une interprétation des dispositions concernées, les tribunaux de la Région suivront l’interprétation du Comité permanent dans l’application de ces dispositions. Toutefois, les jugements rendus antérieurement ne seront pas affectés.

Le Comité permanent du Congrès national du peuple consultera son Comité de la loi fondamentale de la Région administrative spéciale de Hong Kong avant de donner son interprétation de cette loi.

L’article 159 indique que le CNP détient le pouvoir final de modifier la loi fondamentale. Et le CNP l’a nettement démontré. Étant donné qu’il nomme également les délégués du CNP et le chef de l’exécutif (après mise en candidature et élection par le Collège électoral du chef de l’exécutif), et qu’il met en candidature la moitié des membres du Comité de la loi fondamentale qui « étudie » les modifications proposées et donne son opinion à leur égard, les autorités centrales conservent clairement un droit de veto sur le processus de modification et beaucoup de contrôle sur celui-ci.

L’article 159

Le pouvoir de modification de cette loi appartiendra au Congrès national du peuple.

Le pouvoir de proposer des projets de loi en vue de la modification de cette loi appartiendra au Comité permanent du Congrès national du peuple, au Conseil d’État et à la Région administrative spéciale de Hong Kong. Les projets de loi de modification provenant de la Région administrative spéciale de Hong Kong seront soumis au Congrès national du peuple par la délégation de la Région au Congrès national du peuple après avoir obtenu le consentement des deux tiers des députés de la Région au Congrès national du peuple, de deux tiers de tous les membres du Conseil législatif de la Région et du chef de l’exécutif de la Région.

Avant qu’un projet de loi de modification de cette loi ne soit inscrit à l’ordre du jour du Congrès national du peuple, le Comité de la loi fondamentale de la Région administrative spéciale de Hong Kong l’étudiera et soumettra son opinion.

Aucune modification de cette loi n’ira à l’encontre des politiques fondamentales établies de la République populaire de Chine concernant Hong Kong.

Selon le traité, le statut de Hong Kong, à savoir celui de Région administrative spéciale, demeurera inchangé jusqu’au 1er juillet 2047, à l’expiration de la Déclaration sino-britannique signée en 1984 et à la fin officielle de l’influence internationale sur les modalités de la réacquisition de Hong Kong par la Chine. Si rien ne garantit que le statut spécial de la RAS se terminera en 2047, rien n’indique non plus à l’heure actuelle qu’il sera prolongé. Le Congrès national du peuple aura toute latitude d’agir sans restriction découlant du traité à compter du 1er juillet 2047 et pourra réviser en tout ou en partie, à cette date, la forme de la gouvernance de Hong Kong. Théoriquement et conformément aux deux proclamations, et selon l’examen de la loi fondamentale, l’autonomie de Hong Kong est grandement limitée. Peu d’éléments dans les documents justifient une allégation selon laquelle Hong Kong aurait avec le gouvernement central une relation de type fédéral, ou fédéral de facto, voire une relation fédérale embryonnaire.

Toutefois, si le fédéralisme se caractérise par une séparation des pouvoirs gouvernementaux dans laquelle l’autorité centrale est strictement limitée pour ce qui est de ce qu’elle peut faire à l’échelle provinciale, alors, la relation entre la Chine et Hong Kong semble bel et bien être une forme de fédéralisme. Les autorités centrales chinoises ne peuvent imposer les citoyens de Hong Kong, à moins qu’ils ne travaillent en sol continental. Des Hongkongais ne peuvent être appelés sous les drapeaux des forces armées continentales. La devise de Hong Kong n’est pas la devise nationale. Elle est liée au dollar américain, et non pas au yuan. Hong Kong délivre des passeports à son propre nom et négocie l’accès de ses citoyens à d’autres pays de sa propre autorité. Les citoyens intentent des poursuites contre le gouvernement en vertu des règles de la common law et, régulièrement, ils ont gain de cause. Le gouvernement reconnaît dûment son échec devant un tribunal. En Chine, le seul fait de tenter d’engager des poursuites contre le gouvernement peut, dans nombre de circonstances, conduire à l’arrestation non seulement des plaignants, mais également des avocats assez présomptueux pour les représenter. Les gouvernements de la Chine continentale ne peuvent pas perdre une cause devant un tribunal à moins que des responsables non judiciaires au plus haut niveau, aux échelons les plus élevés d’un gouvernement provincial ou du gouvernement central, ne soient d’accord. De plus, contrairement à ce qui se passe dans toutes les autres entités fédérales, les policiers relevant des autorités centrales ne peuvent arrêter un citoyen de Hong Kong à Hong Kong et l’envoyer dans une autre région du pays sans autorisation à l’échelle locale. Il y a eu des controverses en raison du fait que des policiers centraux avaient observé et interrogé des personnes à Hong Kong sans autorisation locale. Les autorités de Hong Kong peuvent remettre des personnes aux autorités continentales à la frontière entre les deux entités, mais, à ce jour, longtemps après la rétrocession de 1997 à la Chine, il n’existe pas d’accord d’extradition entre la RAS et des responsables à l’échelle provinciale ou centrale. L’équivalent au gouvernement central du FBI ou de la GRC ne possède pas le pouvoir d’arrestation à Hong Kong.

Hong Kong confère à ses résidants des droits et des privilèges non pratiqués et à peine soupçonnés dans le reste du pays. En outre, Hong Kong possède une représentation et un droit de vote distincts dans des organisations internationales comme l’OMC, l’OMS et l’ANASE. À de nombreux égards, les pouvoirs distincts de Hong Kong sont plus grands que ceux des provinces dans le cadre de la plupart des systèmes fédéraux ailleurs. Dans le cas précis d’une disposition de la loi fondamentale (article 23) qui habilite la RAS à voter « de sa propre initiative » des lois de mise en œuvre de lois sur la sécurité nationale interdisant la sédition, la sécession, la subversion, le vol de secrets d’État et le contrôle d’organisations locales par des organismes politiques étrangers, le manque d’actions visant à satisfaire aux exigences de l’article 23 plus de 10 ans après le retour à la souveraineté de la Chine semble indiquer que Hong Kong possède une grande capacité de résistance à l’empiétement par le gouvernement central sur les droits de ses citoyens. En ce sens, dans ce cas et en ce moment, Hong Kong agit comme s’il était dans une relation de type fédéral dans laquelle les lois et les pouvoirs locaux ont primauté sur ceux de l’autorité centrale. Il est certain, particulièrement dans le cas de la sécurité nationale dans des entités fédérales comme les États-Unis et le Canada, que les autorités centrales n’hésitent guère à affirmer leur pouvoir sur les autorités locales. Dans le cas de Hong Kong, toutefois, des modifications de la loi fondamentale visant à mettre œuvre des dispositions relatives à la sécurité nationale n’ont été proposées qu’une fois. N’ayant pas été entérinées par les parlementaires, elles ont été retirées et n’ont pas encore été présentées à nouveau. Un article similaire comportant des exigences et une habilitation similaires des autorités locales à adopter des dispositions relatives à la sécurité nationale dans le cas de Macao a été adopté début 2010. Hong Kong se trouve dans une catégorie à part à cet égard et nous observons sa situation de très près.

Les trois piliers de l’autonomie singulière de Hong Kong

Alors, comment Hong Kong peut-il exercer des pouvoirs et des limitations aussi extraordinaires des autorités continentales, particulièrement en matière de sécurité nationale, sans pour autant faire partie d’un régime fédéral? Les origines primordiales de la capacité de Hong Kong d’exercer son autonomie reposent sur la poursuite de la présence et de l’intérêt de la communauté internationale, exprimé dans la Déclaration sino-britannique de 1984, ainsi que sur la claire détermination de la population locale de préserver et de protéger les droits et les pratiques fondés sur la common law que la loi fondamentale leur accorde. Elles émanent également d’une disposition de la loi fondamentale qui permet à la RAS d’accorder la résidence à des résidants de la Chine continentale, de les assujettir à ses lois et, dans les faits, de les protéger, et de se protéger soi-même, du gouvernement central et d’autres organismes et provinces. Cette disposition a fait fonction de source cachée d’une influence considérable sur les actions des responsables de la Chine continentale.

L’intérêt de la communauté internationale est considérable et souvent évident. Outre la US-Hong Kong Relations Act, qui définit la surveillance à exercer et les rapports à présenter sur le traitement de Hong Kong par une Chine souveraine, le Royaume-Uni fait rapport tous les six mois sur le progrès de Hong Kong au regard des conditions convenues dans la Déclaration sino-britannique. L’Union européenne produit aussi des rapports périodiques sur Hong Kong, particulièrement en ce qui concerne les pratiques liées aux droits de la personne et à la politique de concurrence. Chaque année, le Comité des droits de l’homme de l’ONU reçoit des rapports du gouvernement de Kong Hong, ainsi que de nombreuses ONG indépendantes et de législateurs favorables à la démocratie à propos des droits de la personne. De plus, les médias étrangers sont bien représentés à Hong Kong. La proportion de citoyens de Hong Kong ayant de la famille proche outre-mer et possédant un droit de séjour dans ces pays étrangers s’établit en moyenne à 45 p. 100, tandis que le nombre des personnes, et de leurs personnes à charge, qui possèdent une citoyenneté étrangère s’élève à environ un million. Dans ce dernier cas, il s’agit , pour la plupart, de membres de professions libérales ou de personnes très qualifiées et très bien éduquées.

Plus de 200 000 résidants disent détenir eux-mêmes la citoyenneté canadienne ou avoir des membres de leur famille immédiate qui la possèdent. La communauté des citoyens américains à Hong Kong constitue le plus important regroupement non militaire de ressortissants des États-Unis à l’étranger. Au total, la communauté étrangère à Hong Kong est plus importante que dans toute ville d’Asie. Il faut aussi faire mention des milliers de sociétés internationales qui ont leur siège international ou un bureau régional à Hong Kong. La banque HSBC, l’une des plus importantes du monde, a déménagé son siège mondial et le personnel de son principal bureau de Londres à Hong Kong en 2010. Goldman Sachs a déplacé son principal personnel de recherche sur l’investissement de New York à Hong Kong à la fin 2009. Presque toutes les sociétés figurant parmi les 500 plus grandes sociétés du monde selon le classement du magazine Fortune ont pignon sur rue à Hong Kong8.

L’importance de la présence et l’ampleur des intérêts des résidants étrangers à Hong Kong limitent la portée de ce que les autorités centrales se permettent de faire en matière de répression des libertés de Hong Kong. La dimension des flux financiers et de l’investissement qui passent par Hong Kong empêche toute action susceptible de menacer l’économie de Hong Kong, car celle de la Chine en souffrirait aussi. Compte tenu de la fébrilité de la population vivant en Chine continentale et de l’importance qu’elle attache à la croissance économique, le fait de mettre en danger l’économie de Hong Kong compromettrait aussi le contrôle qu’exerce le Parti communiste sur la Chine continentale. Les responsables continentaux semblent parfaitement conscients de cet état de choses.

Le pouvoir qu’ont les intérêts étrangers de faire échec à l’action du gouvernement central à Hong Kong n’est pas négligeable. Mais il ne fait sans doute pas le poids en comparaison du pouvoir exercé par les citoyens de Hong Kong eux-mêmes. Le gouvernement de Hong Kong a tenté de mettre en place une loi sur la sécurité nationale, comme le prévoit l’article 23, en 2003. Cela a déclenché un tollé de critiques et de protestations au sein de la population, ce qui a abouti à une énorme manifestation, le 1er juillet 2003, à laquelle ont participé 10 p. 100 de la population adulte. Même des responsables locaux ont concédé à contrecœur que le nombre des protestataires dépassait le demi-million. Cela équivaut à 23 millions de citoyens américains marchant aux abords de la Maison-Blanche ou à 105 millions de Chinois à Beijing, ou près de 3 millions de Canadiens manifestant à Toronto. Deux ministres ont aussitôt démissionné, plusieurs législateurs près du monde des affaires ont renâclé à adopter le projet de loi et lui ont retiré leur soutien, tandis qu’un législateur démissionnait du Conseil exécutif. Le gouvernement a retiré le projet de loi peu de temps après. Mais les Hongkongais ont manifesté à nouveau en très grand nombre en 2004. Début 2005, le premier chef de l’exécutif de la RAS, Tung Chee-hwa, qui avait exercé des pressions pour faire adopter ce texte de loi à la fois contre l’avis du secteur privé et en dépit de sondages d’opinion montrant qu’une majorité de la population y était vigoureusement opposée, a démissionné. Depuis, le gouvernement s’est monté réticent à présenter à nouveau, en tout ou en partie, un projet de loi sur la sécurité nationale. L’administration au pouvoir jusqu’en 2012 a indiqué qu’elle n’a nullement l’intention de présenter à nouveau un projet de loi en ce sens au cours de son mandat.

Le troisième pilier sur lequel reposent la liberté d’action particulière de Hong Kong et l’inaction des autorités centrales se trouve dans l’article 22 de la loi fondamentale. Cet article dispose ce qui suit :

Aucun ministère du gouvernement central populaire ni aucune province, région autonome ou municipalité relevant directement du gouvernement central ne peut s’ingérer dans les affaires que la Région administrative spéciale de Hong Kong administre de son propre chef conformément à la présente loi.

Si des ministères du gouvernement central, des provinces, des régions autonomes ou des municipalités relevant directement du gouvernement central ont besoin d’établir des bureaux dans la Région administrative spéciale de Hong Kong, ils doivent obtenir le consentement du gouvernement de la Région et l’approbation du gouvernement populaire central.

Tous les bureaux établis dans la Région administrative spéciale de Hong Kong par des ministères du gouvernement central, ou par des provinces, des régions autonomes ou des municipalités relevant directement du gouvernement central, et le personnel de ces bureaux respecteront les lois de la Région.

Pour entrer dans la Région administrative spéciale de Hong Kong, les personnes venant d’autres parties de la Chine doivent présenter une demande d’autorisation. Parmi elles, le nombre des personnes qui entrent dans la Région dans le but de s’y établir sera déterminé par les autorités compétentes du gouvernement populaire central, après consultation du gouvernement de la Région.

Cette disposition donne aux autorités hongkongaises le pouvoir d’opposer leur veto à une présence à Hong Kong ou, au contraire, de l’encourager9. Le fait d’avoir un bureau à Hong Kong peut se révéler grandement avantageux pour les entités centrales et provinciales. La capacité de conclure des affaires, d’attirer des fonds et de mener des activités commerciales rentables pour la personne tout en étant efficacement protégé de l’autorité d’une province ou du gouvernement central (« le personnel de ces bureaux [respectera] les lois de la Région ») est effectivement attrayante pour les cadres ambitieux et leurs parents. Les autorités centrales, qui, aux termes de l’article 22, approuvent le nombre des personnes qui peuvent venir s’installer à Hong Kong en provenance de la Chine continentale, obtiennent aussi une lucrative source d’influence et, d’après des rapports, de revenu, de ces approbations de résidence. De nombreux responsables de provinces et du gouvernement central ont de grands incitatifs à protéger la capacité de Hong Kong de continuer de demeurer attractif pour les étrangers, pour ses résidants très qualifiés, et pour eux-mêmes et leurs parents, qui souhaitent faire du réseautage et conclure des affaires. Dans les faits, ils conjuguent leurs efforts pour protéger la poule aux œufs d’or qu’est Hong Kong d’actions du gouvernement central qui pourraient, ne serait-ce que « pourraient », nuire à leurs intérêts dans la RAS.

L’effet cumulatif des trois piliers qui soutiennent l’autonomie de Hong Kong et y protégent la primauté du droit et le régime relatif aux droits de la personne a suffi à surmonter, à ce jour, les tentatives des autorités centrales pour juguler et supprimer les pratiques de cette nature, qu’elles réprimeraient sans tarder sur le territoire continental. Il n’en demeure pas moins que, d’après tout ce qu’on peut voir et de nombreux rapports, le pouvoir de l’opinion publique de faire échec aux excès des cadres continentaux semble s’accroître au sein de la population continentale. Le fait que des millions de Chinois continentaux viennent à Hong Kong chaque année en touristes et puissent voir de leurs propres yeux les avantages de plus grandes libertés et d’une plus grande participation au choix des dirigeants gouvernementaux constitue un facteur d’influence dont le poids s’accroît lentement. La réticence à infliger des dommages économiques sur une grande échelle, l’exigence de permettre de plus grandes libertés et d’accorder de plus grandes protections aux investisseurs étrangers en vertu des règles de l’OMC, et le désir d’augmenter l’investissement et les exportations chinois à l’étranger ont également limité la marge de manœuvre de cadres récalcitrants. Le gouvernement central, en fait, en est venu à comprendre clairement l’intérêt qu’il a à mettre au point de meilleurs moyens de superviser les cadres provinciaux, ainsi que les employés du gouvernement central. Le fait qu’il doive accepter une plus grande couverture médiatique, une plus grande liberté d’expression de la population et l’officialisation d’un système de freins et de contrepoids pour gérer une économie dont la taille et le raffinement s’accroissent rapidement paraît évident à de nombreux chercheurs continentaux qui, en privé et certes pas devant les médias, se font très franchement critiques et formulent vigoureusement des recommandations en faveur de réformes.

On verra si ces moyens informels et inhabituels de tenir la dragée haute au pouvoir central se développeront et se transformeront en système plus codifié de freins et de contrepoids, et si ces mécanismes codifiés comprendront une forme ou une autre de relations quasi fédérales entre la Région et le pouvoir central. À n’en pas douter, les autorités dénoncent haut et fort le fédéralisme comme concept. Mais la Chine a montré qu’elle peut s’orienter dans une direction tout en niant fermement quelque mouvement que ce soit dans cette même direction. Après tout, Deng Xiaoping a insisté pied à pied sur le fait que le slogan « un pays, deux systèmes » voulait dire que le socialisme serait toujours et à jamais pratiqué en Chine continentale, tandis que le capitalisme demeurerait retranché en sécurité à l’intérieur des frontières de Hong Kong. Même aujourd’hui, peu de responsables admettraient que le capitalisme version hongkongaise se pratique sans encombre partout en Chine. Mais le portrait de Mao sur la montagne sans cesse croissante d’argent du pays montre que les Chinois maîtrisent depuis longtemps l’art de vivre sans états d’âme avec des contradictions manifestes. Et rares sont ceux qui auraient prédit que les plus ardents défenseurs du libre-échange, à l’OMC, seraient la RPC et Hong Kong, Chine.

Notes

1. Voir Zheng Yongnian, De Facto Federalism in China: Reforms and Dynamics of Central-Local Relations, Singapour, World Scientific Publishing Co., 2007.

2. Voir Dali L. Yang, « Economic Transformation and its Political Discontents in China: Authoritarianism, Unequal Growth, and the Dilemmas of Political Development », Annual Review of Political Science, vol. 9, 2006, p. 143-164. Internet : www.daliyang.com/files/Yang_annual_review_of_political_science.pdf.

3. Voir Jerome A. Cohen, « Law in Political Transitions: Lessons from East Asia and the Road Ahead for China », mémoire présenté à la Congressional-Executive Commission on China, 26 juillet 2009. Internet : www.cecc.gov/pages/hearings/072605/Cohen.php?PHPSESSID=ade517f9775e70baa21de08f755249f8.

4. Voir Peter T. Y. Cheung, « Toward federalism in China? The experience of the Hong Kong Special Administrative Region », dans Federalism in Asia, sous la direction de Baogang He, Brian Galligan, Takashi Inoguchi, Cheltenham, Edward Elgar Publishing Ltd., 2007, p. 242 et s.

5. Le texte intégral de la loi fondamentale de Hong Kong se trouve à l’adresse  www.basiclaw.gov.hk/en/basiclawtext/index.html.

6. À Hong Kong, des élections complémentaires provoquées par des démissions de députés de l’opposition ont entraîné de vives dénonciations et des accusations de comportement à la fois illégal et inconstitutionnel de la part de chercheurs et de responsables continentaux. Le fait que les partisans du stratagème de l’élection complémentaire aient commencé par appeler leur action, visant à manifester le soutien à de plus grandes réformes constitutionnelles démocratiques, un «soulèvement populaire » a profondément préoccupé les autorités centrales et les a poussées à réagir rapidement. La coalition du Parti civique local pro-démocratie et de la Ligue des sociaux-démocrates a laissé tomber le slogan du « soulèvement populaire », mais elle semble avoir touché une corde sensible et avoir divisé l’ancienne coalition pan-démocratique. Le fait que des membres de la Ligue des sociaux-démocrates attaquent couramment le régime du parti unique en Chine les rend, eux et tous ceux qui leur sont associés, suspects aux yeux des responsables chinois. Ces suspicions ont eu leur effet.

Le plus vieux parti politique de Hong Kong (à part le Parti communiste officieusement présent), le Parti démocrate de Hong Kong, actuellement dirigé par Albert Ho, a décidé de ne pas participer officiellement aux élections complémentaires. Toutefois, son fondateur, Martin Lee, a fait campagne régulièrement avec la coalition pour les élections complémentaires formée par le Parti civique et la Ligue des sociaux-démocrates. Le maintien de l’insistance sur le fait que, tout en ne constituant pas officiellement un référendum, les élections complémentaires représentaient un référendum de facto a donné lieu à des réactions officielles de la part à la fois du gouvernement central et des responsables du gouvernement local. Les autorités de Hong Kong ont pris bien soin de souligner que les élections complémentaires n’étaient que des élections complémentaires, et rien de plus. Aussi bien le chef de l’exécutif que le secrétaire à la Justice ont déclaré que les élections complémentaires ne constituent pas un référendum et que ces élections n’ont pas d’effet juridique équivalent à un référendum. Toutefois, les autorités de Hong Kong sont profondément sensibles à leur obligation, en vertu d’ordonnances locales et de la loi fondamentale, de tenir des élections complémentaires lorsque des vacances dans le Conseil législatif surviennent.

Elles ne s’attendaient pas à ce que des membres de l’opposition au Conseil législatif exploitent des échappatoires sur le plan juridique pour démissionner et présenter à nouveau leur candidature en guise de protestation de la part de l’opinion publique. C’est pourquoi elles ont tenté d’apaiser les sentiments très réels et très profonds de préoccupation des responsables du gouvernement central et des cadres du Parti communiste, tout en respectant le fait que les ordonnances locales étaient juridiquement valides en raison des dispositions de l’accord négocié sur la fin de la souveraineté britannique en 1997. Il est presque certain que le stratagème des élections complémentaires aura des répercussions sous forme de modification des ordonnances locales, voire d’une réinterprétation constitutionnelle de la part des autorités centrales. Toutefois, les autorités centrales se sont montrées réticentes jusqu’à maintenant à affirmer leur revendication de pleins pouvoirs sur Hong Kong, peut-être en raison de la persistance d’une forte présence étrangère et des intérêts qu’elle défend vigoureusement.

7. La liste des interprétations de la loi fondamentale par le Congrès national du peuple se trouve à l’adresse www.basiclaw.gov.hk/en/materials/index.html.

8. Pour obtenir de plus amples informations et pour examiner les résultats du sondage, voir le site Web du Projet de transition de Hong Kong, à l’adresse www.hktp.org.

9. Voir aussi Christine Loh, Underground Front: The Chinese Communist Party in Hong Kong, Hong Kong, Hong Kong University Press, 2010; Sonny Shiu-Hing Lo, Competing Chinese Political Visions: Hong Kong versus Beijing on Democracy, Santa Barbara, Praeger, 2010; Kelly Loper, « A Secession Offence in Hong Kong and the ‘One Country, Two Systems’ Dilemma », dans Fu Hualing, Carole J. Petersen et Simon N.M. Young, National Security and Fundamental Freedoms: Hong Kong’s Article 23 Under Scrutiny, Hong Kong, Hong Kong University Press, 2005, p. 189-216.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 33 no 3
2010






Dernière mise à jour : 2020-09-14