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R.S. Ratner
Le 12 mai 2009, les Britanno-Colombiens auront
une deuxième occasion d’adopter le système électoral de vote unique
transférable (VUT) recommandé par l’Assemblée des citoyens de la
province en décembre 2004. La création d’une assemblée de citoyens
pour débattre de questions aussi importantes que la réforme
électorale a été un événement remarquablement novateur dans
l’histoire politique de l’Ouest. La décision des électeurs de
remplacer le mode traditionnel britannique de scrutin uninominal
majoritaire à un tour le serait tout autant. Le présent article fait
état des développements survenus depuis les dernières élections
provinciales.
Ces dernières années, le climat de désengagement citoyen dans
les démocraties avancées s’est répandu de manière alarmante, signe
supplémentaire d’un « déficit démocratique », comme se sont plu à l’appeler les
analystes politiques. Cette tendance est tout aussi visible au Canada,
particulièrement quand vient le moment solennel d’exercer son droit de vote. Le
nombre de votants aux élections fédérales et provinciales a baissé au point que,
maintenant, à peine plus de la moitié de la population visée se rend aux urnes.
Paradoxalement, le sentiment d’apathie et de mécontentement de bien des gens est
tout aussi fort que leur désir de voir davantage de participation populaire et
d’engagement politique. Submergées d’informations en cette ère technologique,
les institutions qui les représentent semblent pourtant de moins en moins
capables de susciter l’engagement citoyen et le halo de légitimité populaire.
La racine du problème se situe peut-être dans notre façon de
choisir nos porteurs de flambeau officiels, qui tend à décourager la
participation de la population au processus politique et, par voie de
conséquence, à empêcher la revitalisation du système démocratique. Au Canada, le
régime parlementaire de Westminster est appliqué depuis longtemps aux niveaux
fédéral et provincial. Les législateurs sont choisis au moyen du système
électoral appelé système uninominal majoritaire à un tour ou, plus
familièrement, scrutin anglais. Le vainqueur, dans une circonscription donnée,
est le candidat qui recueille le plus grand nombre de voix, lequel est souvent
inférieur à la majorité des suffrages exprimés. Les autres candidats en lice
sont tous perdants. Voilà pourquoi les partis minoritaires sont largement
sous-représentés (si tant est qu’ils le soient) au Parlement ou à l’Assemblée
législative, et ce, quel que soit le nombre total de votes obtenus. C’est ainsi
que les « faux gagnants » (c’est-à-dire les partis victorieux ayant remporté au
total moins de voix que les autres) peuvent se frayer un chemin vers le pouvoir,
selon la répartition des suffrages dans l’ensemble des circonscriptions. Le
système uninominal majoritaire à un tour, conçu à l’origine pour des systèmes
bipartites, semble de plus en plus incongru, compte tenu de la liste de partis
et de programmes qui cherchent une base politique solide. En fait, ce modèle de
scrutin mal adapté à la situation actuelle a eu pour effet, à bien des égards,
de dissuader les gens d’aller voter : il a donné lieu à des résultats électoraux
disproportionnés qui favorisent le vote stratégique au détriment du vote
constructif; il renforce la polarisation entre les politiques, en réduisant le
nombre de partis capables de rester dans la course; il favorise l’enracinement
des élites politiques, qui exercent un pouvoir non mérité, souvent sans rendre
de comptes. Le fossé que tout cela crée, entre la volonté populaire et la règle
parlementaire, mine la valeur perçue du vote et pousse les citoyens à noyer leur
dépit dans un cynisme éhonté et irrémédiable. Au mieux, le système électoral
actuel incite à peine deux électeurs admissibles sur trois à exercer leur devoir
civique.
Pour corriger cette situation déplorable, il faut peut-être
envisager une réforme électorale, c’est-à-dire trouver une meilleure façon de
choisir des candidats qui représentent véritablement les gens qu’ils sont censés
servir.
Tenter une réforme électorale
Comme on a clairement pris conscience de la gravité du
problème, on s’efforce depuis quelques années, au Canada, de réaliser une
réforme électorale, notamment dans cinq provinces, et aussi au niveau fédéral.
Tous ces efforts ont abouti à la proposition d’une certaine forme de
représentation proportionnelle pour atténuer le prétendu déficit démocratique.
Bien sûr, la plupart des politiciens au pouvoir sont réticents à l’idée de
changer le système qui leur a permis d’accéder là où ils sont, mais le vent de
changement a gagné énormément de vigueur en Colombie-Britannique, quand Gordon
Campbell, chef du Parti libéral au pouvoir, a annoncé la formation de
l’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique, dont le mandat consistait à
décider si le système électoral en vigueur devait être maintenu ou modifié. Si
on optait pour le changement, la recommandation à cet effet allait être soumise
aux électeurs par voie d’un référendum qui se tiendrait en même temps que les
élections provinciales de 2005. La raison invoquée par le premier ministre pour
créer cette assemblée de citoyens était le piètre succès que le système
uninominal majoritaire à un tour avait remporté aux élections provinciales de
1996, à l’issue desquelles le Nouveau Parti démocratique (NPD) avait réussi à
former un gouvernement majoritaire, même si les libéraux avaient recueilli une
part plus grande du vote populaire. En outre, aux élections suivantes, en 2001,
les libéraux avaient raflé 77 des 79 circonscriptions avec moins de 60 % des
suffrages. En ouvrant la voie à une réforme politique, Campbell avait autorisé
la création d’un mécanisme qui permettait à 160 citoyens, pris au hasard partout
dans la province, d’avoir une occasion quasi unique de recommander un changement
constitutionnel au système électoral de la Colombie-Britannique, s’ils jugeaient
le statu quo insatisfaisant.
Le travail de l’Assemblée des citoyens a duré 13 mois (de
décembre 2003 à janvier 2005). Il a comporté des séances d’information à
l’intention des membres sur les différents systèmes électoraux, la participation
à des audiences publiques partout dans la province et une période finale de
délibération1. Les travaux se sont déroulés rondement et ont abouti à
la proposition d’une forte recommandation en faveur d’une variante du mode de
scrutin à vote unique transférable (le VUT-CB), qui semblait la plus compatible
avec les valeurs consensuelles fondamentales des membres, à savoir un choix
optimal pour les électeurs, une représentation locale responsable et la
proportionnalité des résultats électoraux. Dans un système de VUT, les électeurs
classent les candidats par ordre de préférence (jusqu’à concurrence du nombre de
candidats à élire dans leur circonscription), et leurs voix sont transférées à
d’autres candidats lorsque la personne de leur choix est élue ou éliminée.
L’attrait démocratique du mode de scrutin à vote unique transférable, c’est que,
dans les circonscriptions plurinominales (de 2 à 7 députés par circonscription
en Colombie-Britannique), il débouche censément sur une répartition des sièges à
l’assemblée qui reflète le plus fidèlement possible les choix exprimés par les
électeurs, avec relativement peu de « votes perdus ». Sans doute, les électeurs
sont mieux représentés, étant donné que, dans un système électoral axé sur les
candidats comme le VUT, les élus sont moins redevables à leurs partis
politiques.
La recommandation de l’Assemblée des citoyens en faveur du
VUT a fait l’objet d’une question référendaire posée à la population lors des
élections du 17 mai 2005. Cinquante-huit virgule sept pour cent (58,7 %) des
suffrages exprimés ont été favorables à la recommandation, soit un peu moins que
les 60 % correspondant à la majorité qualifiée requise, et la majorité avait été
atteinte dans 77 des 79 circonscriptions, dépassant le seuil des 60 %. Même si
la question référendaire n’a pas recueilli l’assentiment de la majorité
qualifiée des électeurs, le nombre élevé de suffrages favorables a contraint le
premier ministre à solliciter la tenue d’un deuxième référendum, qui aura lieu à
l’occasion des élections provinciales prévues le 12 mai 2009. Cette fois-ci, le
gouvernement a alloué aux groupes partisans du « oui » et du « non »
suffisamment de ressources financières, et les limites des circonscriptions
électorales pour le VUT ont été précisées, ce qui n’avait pas été le cas lors du
référendum de 2005 et a peut-être empêché l’adoption de la question
référendaire. Si le nombre requis d’électeurs optent pour le VUT (au détriment
du scrutin uninominal majoritaire à un tour), le nouveau système sera appliqué
aux élections suivantes, qui se tiendront en 2013.
L’expérience de la Colombie-Britannique a inspiré le
gouvernement libéral de l’Ontario, qui a lancé un processus semblable2.
Fait intéressant, les membres de l’Assemblée des citoyens deux provinces
ont qualifié le scrutin uninominal majoritaire à un tour de pire système
électoral possible. Pourtant, les conclusions tirées des débats sur la réforme
électorale en Ontario et ailleurs au Canada ont fait piètre figure, par
comparaison à ce qu’on avait observé en Colombie-Britannique. L’Assemblée des
citoyens ontarienne, qui a réalisé ses travaux entre septembre 2006 et mai 2007,
s’est prononcée pour un système mixte proportionnel combinant le mode de scrutin
uninominal majoritaire à un tour dans les circonscriptions à un système de
listes de candidats désignés par le parti dont le nombre restreint serait
fonction du pourcentage total des voix recueillies par la formation politique.
L’option du scrutin mixte proportionnel est intéressante, en ce sens qu’elle
assure aux petits partis une meilleure proportionnalité et une plus grande
représentation à l’Assemblée législative, mais elle fait aussi craindre un
contrôle accru des partis (par exemple, les « ténors » des partis pourraient
décider de la liste des candidats), ainsi que la création de gouvernements de
coalition instables, les grands partis étant pris en otage par les petits. La
crainte des électeurs de voir apparaître des « valets des partis » et des
« gouvernements arrangés » a constitué un facteur déterminant dans la défaite du
« oui » au référendum en Ontario. Près des deux tiers des votants (63,1 %) ont
opté pour le scrutin uninominal majoritaire à un tour. Le reste a préféré le
système mixte proportionnel, qui a recueilli la majorité des voix dans seulement
5 % des circonscriptions. Ce résultat a incité le premier ministre de l’Ontario,
Dalton McGuinty, à déclarer qu’il n’y aurait pas d’autre assemblée des
citoyens sur la réforme électorale.
À l’Île-du-Prince-Édouard, une commission sur la réforme
électorale lancée par le premier ministre a recommandé une variante du système
mixte proportionnel que les électeurs de la province ont clairement rejetée lors
d’un plébiscite tenu en novembre 2005. Au Nouveau-Brunswick, une commission sur
la démocratie législative (2005) a recommandé l’instauration d’un système mixte
proportionnel régional ainsi qu’un référendum exécutoire, mais le gouvernement
est finalement revenu sur son engagement à tenir un référendum lors des
élections provinciales de 2008. Au Québec, on évalue toujours la possibilité
d’avoir une variante du système mixte proportionnel, à la suite du dépôt à
l’Assemblée nationale, en 2004, d’un projet de loi d’intérêt privé. Ce système
devait être approuvé en 2006 (sans référendum); mais le projet a déraillé à
cause d’une mésentente sur les amendements à apporter au projet de loi. Au
niveau fédéral, la Commission du droit du Canada a publié, en 2004, un rapport
dans lequel elle recommande également l’adoption d’un système mixte
proportionnel. Le gouvernement libéral de Paul Martin, qui avait commandé ce
rapport, n’a pas mis la recommandation en œuvre, malgré son engagement à combler
le déficit démocratique. Depuis lors, chaque parti fédéral a, tout au plus,
montré un intérêt tiède pour une réforme électorale. Le NPD tend à appuyer la
tenue d’une assemblée des citoyens pancanadienne pour examiner la possibilité
d’un changement et, parmi les partis admissibles, le Parti Vert du Canada est le
seul à prôner vigoureusement un système mixte proportionnel, puisque les sièges
qu’il gagnerait ainsi (car ce qu’il recueille maintenant, à l’échelle nationale,
dépasse largement le seuil probable des 5 %) lui garantiraient une présence
officielle au Parlement.
Pour résumer, ni les failles évidentes du scrutin uninominal
majoritaire à un tour, qui est un système dépassé, ni le fait que celui-ci n’est
actuellement appliqué que dans quelques grands pays n’ont conduit à son abandon
au niveau fédéral ou provincial au Canada.
Quelques dilemmes de la réforme électorale
L’une des explications très répandues de l’échec du « oui »
aux référendums tenus en Colombie-Britannique et en Ontario est l’inadéquation
ou l’absence d’orientation des campagnes de sensibilisation publique financées
par les gouvernements. Curieusement, le gouvernement de Colombie-Britannique,
qui avait débloqué 5,5 millions de dollars pour créer et faire fonctionner
l’Assemblée des citoyens, n’avait réservé que 800 000 $ pour informer les
électeurs sur la recommandation concernant le VUT. Un groupe de bénévoles
composé d’environ 100 anciens membres de l’Assemblée des citoyens et un groupe
relativement petit de tenants du VUT ont été confrontés à l’immense tâche qui
consistait à éduquer trois millions de votants au sujet de la recommandation de
l’Assemblée des citoyens. D’une façon ou d’une autre, les efforts ont suffi à
faire en sorte que la majorité des électeurs britanno-colombiens votent pour.
Toutefois, si l’on avait financé publiquement un groupe de pression solide, on
aurait probablement dépassé le seuil critique, étant donné que les sondages
avaient indiqué à plusieurs reprises que plus les gens connaissaient le VUT,
plus ils l’appuyaient. Le gouvernement a reconnu plus tard le manque de
financement et il s’est engagé depuis à dépenser 1,5 million de dollars pour une
vaste campagne d’information publique, les deux tiers de cet argent étant
répartis entre deux groupes de pression privés, soit celui des tenants du
« oui » et celui des partisans du « non »3. En Ontario, ceux qui
étaient pour la recommandation rejetée du revers de la main ont déclaré que
l’organisme gouvernemental (Élections Ontario) avait monté une campagne
d’information publique peu convaincante et mal dirigée, ce qui avait empêché de
faire sortir le vote favorable possible. Les 6,8 millions de dollars consacrés
par le gouvernement à cette campagne ont été dépensés à tort pour des détails
techniques (par exemple, des échantillons de bulletins et l’explication de la
mécanique du scrutin uninominal majoritaire à un tour et du système mixte
proportionnel), sans qu’on explique aux électeurs les motivations profondes
derrière la recommandation de l’Assemblée des citoyens ontarienne. Par
conséquent, l’approche timide ou « neutre » du gouvernement a fait douter les
électeurs de la capacité de l’Assemblée des citoyens à s’engager dans un
discours politique rigoureux et de la fiabilité de ses recommandations. Les
maigres ressources que les groupes de pression privés ont réussi à réunir n’ont
pas suffi à combler les lacunes importantes. Beaucoup de citoyens ont donc été
incapables de bien comprendre les enjeux, et à peine la moitié des électeurs
admissibles ont participé au vote référendaire. À cause des efforts assidus du
gouvernement pour demeurer impartial, trop de place a été donnée aux médias
grand public de l’Ontario, qui ont exprimé des réserves quant à la raison d’être
de l’Assemblée des citoyens dès sa naissance et qui ont méprisé ses
recommandations. Dubitatifs au sujet de l’intégrité de l’Assemblée des citoyens,
beaucoup d’électeurs ont été influencés par les commentaires acérés des
journalistes, des politiciens et des milieux d’affaires4.
Tout bien considéré, les expériences référendaires de la
Colombie-Britannique et de l’Ontario soulignent la nécessité d’un programme de
sensibilisation et d’information du public qui soit financé généreusement, qui
englobe un volet d’information non partisane du gouvernement et qui
présente l’opinion de groupes organisés exprimant différents intérêts. Un
électorat qui se fie uniquement à un diffuseur d’information « neutre » devient,
semble-t-il, amorphe ou crédule.
Un autre problème, non dénué de conséquences, qui a découlé
de la création des assemblées de citoyens et des expériences référendaires dans
les deux provinces, a été de savoir s’il fallait (et, si oui, comment) faire
participer la « classe politique » aux délibérations. Normalement, les
politiciens et les fonctionnaires sont réfractaires à l’idée de lancer des
débats citoyens qui risqueraient de compromettre leur propre autorité,
particulièrement lorsque des tâches politiques complexes sont confiées à des
« citoyens ordinaires », alors qu’eux, les experts et les professionnels, sont
convaincus de pouvoir s’en acquitter plus efficacement. En Colombie-Britannique,
par exemple, la charte de l’Assemblée des citoyens prévoyait qu’on ne pouvait
accepter comme membres des personnes occupant des charges politiques ou en ayant
occupé dans un passé récent. Même si ces gens n’ont pas été exclus des audiences
publiques ni du référendum, le premier ministre lui-même a déclaré demeurer
neutre, et il a demandé à son cabinet et à son caucus de se montrer discrets au
sujet de la question référendaire pendant toute la durée de la campagne
électorale de 2005. D’autres partis politiques et candidats ont généralement
adopté une position impartiale et, exception faite du Parti Vert, qui appuyait
fortement une motion en faveur d’un système mixte proportionnel, rares ont été
ceux qui ont abordé la question de la réforme électorale. On savait très bien,
toutefois, que la plupart des membres du caucus libéral étaient hostiles à la
recommandation, et les députés d’opposition du NPD ne lui ont accordé qu’un
soutien plutôt tiède, préférant attendre leur tour d’accéder au pouvoir et
d’avoir les coudées franches. La situation n’a pas été très différente en
Ontario, où les politiciens ont eu un accès direct aux travaux de l’Assemblée
des citoyens. Cependant, ils ne se sont habituellement pas prévalus de ce droit,
craignant qu’en s’engageant dans le processus, on les croie favorables à la
recommandation. Comme en Colombie-Britannique, la plupart des membres du Cabinet
et du caucus libéraux de l’Ontario se sont opposés à la recommandation de
l’Assemblée des citoyens de la province, quoique plus ouvertement.
Étant donné les tabous prescrits et les contraintes
auto-imposées, on ne peut pas dire non plus que les deux assemblées de citoyens
ont été grandement affectées par les opinions des politiciens. Il convient
néanmoins de se demander si la classe politique a exercé une forme d’opposition
dans l’ombre et a influencé le résultat du vote référendaire. Certes,
l’engagement prévu, par le premier ministre, du caucus libéral dans le
référendum et la campagne électorale à venir laisse présager que l’opposition
politique sera plus concertée et qu’elle s’exprimera davantage. De ce fait, il
serait peut-être bon de repenser la stratégie des assemblées de citoyens qui
consiste à garder leurs distances par rapport à l’élite politique. Il se
pourrait qu’une assemblée de citoyens travaillant en vase clos finisse par
enlever toute légitimité à sa recommandation, puisque celle-ci aurait été
formulée dans un vide politique. Par ailleurs, établir un lien par le dialogue
avec la classe politique pose problème; pour le coup, il se pourrait que les
politiciens eux-mêmes doivent suivre un processus didactique au sujet des
systèmes électoraux avant d’exprimer publiquement leurs vues. Au bout du compte,
pour que les politiciens consentent à investir leur capital politique dans une
assemblée de citoyens, il faudra qu’ils sentent que celle-ci pourrait leur être
d’une quelconque utilité. L’assemblée de citoyens devra, quant à elle,
offrir tout au moins une « porte de sortie » potentielle aux politiciens peu
enclins à accepter le risque d’entreprendre un changement nécessaire, mais
controversé. C’est quelque chose que peuvent faire les assemblées de citoyens;
d’ailleurs, c’est leur raison d’être.
La troisième controverse, et non la moindre, tourne autour de
la délicate question du gouvernement de coalition. Les opposants à tout système
de représentation proportionnelle affirment que celle-ci a pour effet
d’affaiblir les grands partis en favorisant les compromis avec les partis
« marginaux » et les indépendants, ce qui conduit souvent à l’instabilité
politique et, au chapitre économique, à une perte de confiance des
investisseurs. Il est certain que le VUT et le système mixte proportionnel
déboucheraient sur l’accroissement du nombre de partis qui obtiennent des sièges
à l’Assemblée législative ou au Parlement, ce qui, dans un monde idéal,
contribuerait à la formation d’un gouvernement plus inclusif et plus
représentatif. Toutefois, les critiques de la représentation proportionnelle
discréditent celle-ci rudement, invoquant les inconvénients d’un « gouvernement
minoritaire », particulièrement avec un système mixte proportionnel, conçu pour
perpétuellement fragiliser et fragmenter l’administration politique. Dans le cas
du VUT, ils soutiennent que les élus, débarrassés de leur devoir de loyauté
envers le parti, protégeraient leurs fiefs personnels et traiteraient leurs
électeurs aux petits oignons pour rester au pouvoir. Malgré ces risques, une
coalition politique fondée sur des principes peut modérer les politiques de
confrontation intransigeantes et forcer les élus à rendre des comptes. Cela a
largement été démontré dans plusieurs démocraties européennes, où la
représentation proportionnelle accorde davantage de légitimité aux partis et
instaure un climat de coopération pragmatique. Le recours à la constitution par
les opposants à la représentation proportionnelle, pour mettre un frein au
mouvement en faveur d’une réforme électorale, souligne l’importance de préciser
les distinctions ténues, mais fondamentales, entre des termes comme
« coalition », « gouvernement minoritaire » et « parti marginal », ainsi que
d’effectuer une comparaison de leurs impacts sur une gouvernance efficace et
stable5.
Deux autres questions discutables, qu’il convient de signaler
ici et qui ont une incidence sur le sort des référendums sur la réforme
électorale, concernent la justesse de fixer à 60 % le seuil de passage de la
motion référendaire, et l’opportunité de tenir le référendum en même temps que
les élections provinciales. Le principal argument invoqué pour justifier un
seuil si élevé est que, dans ces cas particuliers, le référendum porte sur une
question constitutionnelle et que l’appui recueilli doit être non équivoque;
mais il est également vrai que beaucoup de questions tout aussi importantes
posées aux électeurs dans d’autres circonstances ont été tranchées par une
majorité simple, comme ce fut le cas lors du référendum sur la possible
sécession du Québec, avant la Loi de clarification. Quoi qu’il en soit,
le seuil de 60 % a été fixé arbitrairement et mériterait d’être débattu plus
largement. Pour ce qui est du choix du moment du référendum, l’avantage de le
faire coïncider avec des élections générales, c’est qu’on est presque assuré
d’avoir plus d’électeurs. Voici la liste des principaux inconvénients : la
question référendaire est susceptible de moins retenir l’attention des médias,
elle est secondaire pour la plupart des votants, et le contenu et la valeur de
la campagne d’information publique sont dilués. Tout comme pour la question du
seuil, ce point mérite davantage de réflexion et ne doit pas être décidé
uniquement à la lumière de l’expérience.
Conclusions
Quelle que soit l’issue des référendums, ce qu’on a pu tirer
des assemblées de citoyens en Colombie-Britannique et en Ontario prouve hors de
tout doute que les « gens ordinaires » peuvent acquérir l’expérience nécessaire
pour s’engager dans un processus de délibération de longue haleine sur un sujet
complexe et rendre un jugement raisonné. La création des assemblées de citoyens
a permis aux gouvernements britanno-colombien et ontarien de faire la
démonstration de leur légitimité démocratique. Cependant, l’incapacité de ces
gouvernements à fournir les moyens appropriés pour informer la population sur
les travaux des assemblées et les motivations derrière leurs recommandations ont
nui à leurs réalisations et fait en sorte que l’électorat, particulièrement en
Ontario, s’est retrouvé à la merci de médias imprévisibles (quand ceux-ci ne
campaient pas sur des positions bien arrêtées) et des opinions négatives
exprimées par une élite politique secrètement hostile.
Quoi qu’il en soit, une fois de plus, malgré le grand bruit
fait autour de l’ambivalence de l’engagement citoyen dans des questions aussi
essentielles que la réforme électorale, les électeurs de la Colombie-Britannique
auront une deuxième occasion de se prononcer en faveur du maintien du scrutin
uninominal majoritaire à un tour ou d’entreprendre une réforme politique
fondamentale en optant pour le VUT.
Chose certaine, il est dans l’intérêt public de posséder un
système électoral juste et adapté, et tous les efforts déployés pour améliorer
ce système contribueront à combler le déficit démocratique au Canada. En fait,
il peut s’avérer difficile de mener à bien une réforme politique d’envergure,
quelle qu’elle soit, sans améliorer préalablement le système électoral. Le
référendum du 12 mai 2009 pourrait constituer la dernière chance qui soit donnée
avant longtemps aux électeurs de la Colombie-Britannique (et peut-être du Canada
tout entier) d’entamer une réforme électorale. Actuellement, le gouvernement
libéral majoritaire fait face à une forte opposition du NPD, les dernières
élections provinciales de 2005 ayant donné lieu à une meilleure adéquation entre
le nombre de sièges et le vote populaire que les deux précédentes. Par
conséquent, le désir de changement s’est peut-être atténué, et il pourrait
s’avérer difficile d’atteindre les 58 % des voix en faveur du VUT obtenus lors
du dernier référendum. Néanmoins, les enjeux sont de taille, car la volonté
d’avoir des assemblées politiques plus progressistes et délibérantes — incarnées
par les assemblées de citoyens, conçues dans un moment d’inspiration — et la
possibilité de donner un nouveau souffle à la démocratie canadienne dépendent du
résultat obtenu.
Notes
1. Pour lire un résumé d’évaluation des phases des
travaux de l’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique
(apprentissage, audiences publiques et délibérations), voir R.S. Ratner,
« L’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique : la phase
d’apprentissage », Revue parlementaire canadienne, vol. 27, no
2 (été 2004), p. 20-28, et, du même auteur, « L’Assemblée des citoyens de la
Colombie-Britannique – Audiences publiques et délibérations », Revue
parlementaire canadienne, vol. 28, no 1 (printemps 2005), p.
24-33.
2. Pour lire un résumé d’évaluation des trois phases de
l’Assemblée des citoyens ontarienne, voir Jonathan Rose, « L’Assemblée des
citoyens sur la réforme électorale de l’Ontario », Revue parlementaire
canadienne, vol. 30, no 3 (automne 2007), p. 11-18.
3. Une analyse des travaux de l’Assemblée des citoyens et
de l’expérience référendaire est présentée dans Mark E. Warren et Hilary
Pearse, dir., Designing Deliberative Democracy: The British
Columbia Citizens’ Assembly, Cambridge (Royaume-Uni), Cambridge
University Press, 2008.
4. Pour une critique du sort du référendum en Ontario,
voir Lawrence LeDuc, Heather Bastedo et Catherine Baquero, The Quiet
Referendum, Why Electoral Reform Failed in Ontario, 2008. Internet :
<www.tvo.org/TVOOrg/Images/tvoresources/BBDF37B2-9FB0-934F-69CB56E26191B64E.pdf>.
5. Pour une opinion sur les effets des coalitions sur la stabilité des
gouvernements, voir David M. Farrell, « Electoral Systems and Stability »,
Electoral Systems: A Comparative Introduction, Houndmills, Basingstoke,
Hampshire (Royaume-Uni), Palgrave, 2001, p. 192-207. Chapitre 9 de l’ouvrage.
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