PDF
Adam Dodek
En 2008, le premier ministre a demandé la
dissolution du Parlement. Cette dissolution a été acceptée, malgré
l’adoption, en 2007, d’un projet de loi prévoyant des élections à
date fixe tous les quatre ans. Aux termes de cette loi, la prochaine
élection était prévue pour le 19 octobre 2009, mais elle a eu lieu
le 14 octobre 2008. Le présent article porte sur cette mesure
législative, notamment la question de savoir si celle-ci exige
toujours la tenue d’élections en octobre prochain. L’article conclut
que la mesure législative devrait être réexaminée.
Quand le premier ministre s’est rendu chez la gouverneure
générale en septembre dernier pour lui demander de dissoudre le Parlement, il a
clairement bafoué l’esprit de sa propre loi sur les élections à date fixe, qui
prévoyait la tenue de la prochaine élection le 19 octobre 20091.
Cette décision a déjà été commentée2, et les tribunaux en sont
présentement saisis3. Le présent article porte sur une autre
question : doit-on encore tenir une élection en 2009 même si on en a tenu une en
octobre 2008? À mon avis, la réponse n’est pas claire, et le Parlement devrait
la clarifier.
Le problème fondamental de la loi sur les élections à date
fixe, c’est qu’elle ne tient pas directement compte d’une situation qui était
prévisible, sinon probable : que le gouvernement minoritaire de Stephen Harper
ne durerait pas jusqu’à la date prévue de l’élection en octobre 2009, soit
45 bons mois après son élection en janvier 2006. La durée moyenne des
gouvernements minoritaires qui ont précédé celui de Stephen Harper est de
20 mois4. Quand le projet de loi C-16 prévoyant des élections à date
fixe a été débattu à la Chambre, les députés ont beaucoup discuté de son
application éventuelle en cas de gouvernement minoritaire, mais le projet de loi
lui-même est muet sur cette question.
Le projet de loi C-16 modifie notamment la Loi électorale
du Canada par l’adjonction des dispositions clés suivantes :
56.1 (1) Le présent article n’a pas pour effet de porter
atteinte aux pouvoirs du gouverneur général, notamment celui de dissoudre le
Parlement lorsqu’il le juge opportun.
(2) Sous réserve du paragraphe (1), les élections
générales ont lieu le troisième lundi d’octobre de la quatrième année civile
qui suit le jour du scrutin de la dernière élection générale, la première
élection générale suivant l’entrée en vigueur du présent article devant
avoir lieu le lundi 19 octobre 2009.
Après l’élection de 2008, on peut interpréter ce paragraphe
de deux manières, chacune posant problème à sa façon. Cela étant dit, toute
interprétation repose sur une analyse des trois dispositions composant le
paragraphe 56.1(2) de la Loi : (1) toute date prévue est sujette aux pouvoirs de
la gouverneure générale, c’est-à dire que cette dernière peut dissoudre le
Parlement avant la date prévue; (2) chaque élection générale doit avoir lieu le
troisième lundi d’octobre de la quatrième année civile qui suit le jour du
scrutin de la dernière élection générale; (3) la première élection générale
suivant l’entrée en vigueur du présent article doit avoir lieu le lundi
19 octobre 2009. Pour savoir si une élection est prévue pour ce jour-là, il faut
déterminer si la première disposition modifie seulement la deuxième ou la
deuxième et la troisième à la fois.
La « règle moderne » d’interprétation législative de Drieger
est bien connue et a été adoptée par les tribunaux :
Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il
faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens
ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de
la loi et l’intention du législateur5.
Toutefois, le problème typique de cette méthode
d’interprétation moderne ou « contextuelle » est que, lorsque tous les éléments
comptent, il est difficile de discerner ceux dont l’importance est déterminante.
Et c’est le problème qui se présente ici.
On peut essentiellement interpréter de deux façons le projet
de loi C-16 en ce qui concerne la date prévue des prochaines élections
fédérales. J’appellerais la première interprétation « l’orthodoxie acceptée »,
selon laquelle on fait la supposition suivante : la date de la première élection
à date fixe aurait été le 19 octobre 2009, mais, en exerçant son pouvoir de
dissoudre le Parlement aux termes du paragraphe 56.1(1), la gouverneure générale
a avancé et modifié cette date, de sorte que les prochaines élections à date
fixe se tiendront maintenant dans quatre ans à compter du 14 octobre 2008,
c’est-à-dire le 15 octobre 2012.
Cette interprétation donne la primauté aux deux premières
dispositions tout en rendant la troisième – « la première élection générale
suivant l’entrée en vigueur du présent article devant avoir lieu le lundi 19
octobre 2009 » – essentiellement inopérante. De fait, elle traite cette
disposition comme si elle était périmée, bien que la date précisée ne soit pas
encore passée.
La deuxième interprétation donne lieu à ce que j’appellerais
« l’élection aberrante », parce qu’elle soulève le spectre d’une situation
paradoxale : une élection inattendue dans un régime d’élections prétendument à
date fixe. Cette interprétation rend crédible chacune des trois dispositions
interdépendantes de ce code électoral inélégant, mais met l’accent sur le choix
du 19 octobre 2009 comme date d’élection. Elle tente de donner un sens à chaque
disposition (« la loi parle toujours » …) en supposant que la première
disposition (« sous réserve que [la gouverneure générale exerce son pouvoir de
dissoudre le Parlement plus tôt que prévu si elle le juge opportun] ») ne
modifie que les mots « la première » de la troisième disposition. Elle met
l’accent sur la mention, dans cette dernière, qu’une élection aura « lieu le
lundi 19 octobre 2009 ». Cette élection ne serait pas la première – qui est
modifiée par les interventions de la gouverneure générale –, mais, selon cette
interprétation, le libellé de cette disposition aurait le plus de signification.
Ensuite, à compter du 19 octobre 2009, la deuxième disposition – tous les quatre
ans – qui est tenue en suspens par le « sous réserve du paragraphe (1) » jusqu’à
la première date d’élection prévue – serait appliquée.
Ni l’une, ni l’autre de ces interprétations n’est
particulièrement satisfaisante, et chacune illustre le problème qui se pose
lorsqu’on tente de réunir deux types d’élection – prévues et non prévues – dans
une seule disposition législative.
Selon l’une ou l’autre interprétation, il n’y aura plus de
problème une fois que le 19 octobre 2009 sera passé, parce que cette disposition
sera alors périmée. Mais que fait-on maintenant?
En examinant le hansard, on constate que les députés savaient
très bien que le projet de loi n’empêcherait pas le premier ministre de demander
une dissolution plus tôt que prévu. Les députés des deux côtés de la Chambre ont
toutefois mal estimé ce qu’une telle demande pourrait coûter à un premier
ministre sur le plan politique.
Il est malheureux que le Parlement n’ait pas tenu compte de
ce problème prévisible. Le hansard ne traite pas directement de la situation
dans laquelle nous nous trouvons actuellement, c’est-à-dire de la nécessité d’un
mécanisme de transition qui tienne compte de l’éventualité d’une élection non
prévue avant le jour de la première élection à date fixe. Toutefois, les débats
de la Chambre des communes font référence à des lois de l’Ontario et de la
Colombie-Britannique qui ont servi de modèle pour la loi fédérale, et elles sont
instructives sur cette question.
La loi fédérale ressemble énormément à celle de la
Colombie-Britannique, bien que cette dernière soit moins ambiguë. La principale
disposition est rédigée comme suit6 :
(2) Sous réserve du paragraphe (1), une élection
générale doit avoir lieu le 17 mai 2005 et, par la suite, le deuxième mardi
de mai de la quatrième année civile qui suit le jour du scrutin de la
dernière élection générale.
Il n’est pas surprenant que le gouvernement majoritaire de
Gordon Campbell n’ait pas prévu de mécanisme de transition précis pour le cas où
le lieutenant-gouverneur dissoudrait l’Assemblée législative avant le jour prévu
pour la première élection à date fixe. Il aurait été très surprenant qu’un
gouvernement détenant 77 sièges sur 79 tombe volontairement ou par hasard avant
cette date.
En revanche, les libéraux de M. McGuinty, en Ontario, ont
prévu un tel mécanisme de transition explicite malgré une majorité confortable à
l’Assemblée législative. La loi ontarienne sur les élections à date fixe prévoit
les dispositions suivantes7 :
9.(1) Le présent article n’a aucune incidence sur les
pouvoirs du lieutenant-gouverneur, y compris celui de dissoudre la
Législature, par proclamation prise au nom de Sa Majesté, lorsque le
lieutenant-gouverneur le juge opportun.
(2) Sous réserve des pouvoirs du lieutenant-gouverneur
visés au paragraphe (1) :
a) une élection générale est tenue le jeudi 4 octobre
2007, à moins qu’une élection générale n’ait été tenue, après le jour où la Loi de 2005 modifiant des lois en ce qui concerne les élections
reçoit la sanction royale mais avant le 4 octobre 2007, en raison de la
dissolution de la Législature;
b) par la suite, des élections générales sont tenues le
premier jeudi d’octobre de la quatrième année civile qui suit le jour du
scrutin de la dernière élection générale.
L’alinéa 9(2)a) de cette loi énonce explicitement ce que tous
pensent que la loi fédérale dit implicitement.
Quelle importance accorder à cela? Il est moins probable que
les tribunaux imposent une élection à l’automne 2009 qu’ils déclarent la
dernière élection inconstitutionnelle. Devrions-nous tout simplement ne tenir
aucun compte du fait troublant qu’une mesure législative inscrite dans nos
recueils de lois prévoit qu’une élection générale doit avoir lieu en octobre
prochain et adhérer à l’orthodoxie acceptée? Devrions-nous rejeter
l’interprétation de l’élection aberrante en invoquant le principe de
l’absurdité?
Voici ce qui est significatif : un projet de loi qui devait
établir des certitudes et raffermir la confiance de la population dans la
politique a eu précisément l’effet contraire. Rédigé sciemment de manière vague
et ambiguë, il illustre le problème qui se pose quand on tente de greffer un
système d’élections à date fixe sur le régime parlementaire actuel.
À tout le moins, le Parlement devrait revoir et corriger
cette loi mal faite sur les élections à date fixe. Il devrait la modifier de
manière à ce que le jour de la première élection à date fixe soit en octobre
2012 et y inclure une disposition prévoyant un mécanisme de transition précis
qui ressemble à celui de l’Ontario, afin de tenir compte de la possibilité,
voire de la probabilité, que le Parlement soit dissous avant ce jour. En outre,
cet exercice permettra aux députés de réexaminer la politique et l’application
du concept des élections à date fixe qui, pour beaucoup, semblait être une bonne
idée en théorie, mais qui, en pratique, ne semble pas bien fonctionner.
Notes
1. Loi modifiant la Loi électorale du Canada, L.C.
2007, ch. 10 (projet de loi C-16).
2. Voir Guy Tremblay, « L’élection de 2008 et la loi sur
les élections à date fixe », Revue parlementaire canadienne, vol. 31,
no 4 (hiver 2008-2009), p. 24-25.
3. Voir Conacher v. Canada (Prime Minister),
2008 CF 1119 (3 octobre 2008) (Dossier T-1500-08) (rejet d’une motion visant
à accélérer l’audition d’une requête contestant la légalité des actions du
premier ministre, du gouverneur en conseil et de la gouverneure générale qui
ont abouti au déclenchement des élections le 14 octobre 2008).
4. Voir Peter Russell, Two Cheers for Minority
Government, Toronto, Emond Montgomery Publications Limited, 2008, p. 61.
5. Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re),
[1998] 1 R.C.S. 27, par. 21 (citation d’Elmer A. Drieger tirée de l’ouvrage
The Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths,
1983).
6. Constitution Act, R.S.B.C. 1996, chap. 66,
art. 23.
7. Loi électorale, L.R.O. 1990, chap. E.6, art. 9.
|