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Le Comité de vérification de la Chambre d'Assemblée de Terre-Neuve-et-Labrador
Elizabeth Marshall, députée provinciale

Au Canada, toutes les autorités législatives disposent d’une commission de régie interne ou d’un comité de gestion, chargé d’évaluer leur responsabilité financière et de veiller à ce qu’on dépense les deniers publics à bon escient pour le fonctionnement de l’assemblée législative. Le présent article décrit la situation à Terre-Neuve-et-Labrador, qui a connu plusieurs changements après la publication du rapport d’une commission d’enquête sur l’obligation de rendre compte.

La Chambre d’Assemblée de Terre-Neuve-et-Labrador a adopté une approche assez exceptionnelle pour examiner ses dépenses et celles de ses députés. Il est important d’expliquer les raisons pour lesquelles nous avons aujourd’hui un comité de vérification.

Contexte

En février 2000, en ma qualité de vérificatrice générale, j’ai effectué une vérification ordinaire à la Chambre d’Assemblée. Dès le début, j’ai découvert des dépenses que je trouvais discutables, surtout celles d’un député qui était aussi ministre. Il avait notamment acheté des œuvres d’art et du vin en grande quantité.

J’ai alors demandé au président pourquoi au juste on dépensait l’argent des contribuables pour acheter des articles comme des œuvres d’art et du vin. À ma grande surprise, j’ai appris que tous les membres de la Commission de régie interne contestaient mon rôle dans cette vérification au lieu de s’occuper du problème et de le corriger et ont décidé que le vérificateur général ne vérifierait plus ces comptes. Les députés ont aussi commencé à remettre en cause le rôle du contrôleur général. Ils se demandaient pourquoi la Chambre devrait lui fournir des documents pour justifier les dépenses quand elle lui demandait d’émettre des chèques.

En gros, la Commission de régie interne et tous les députés de la Chambre d’Assemblée ont semblé vouloir mettre fin aux vérifications effectuées à la Chambre. Ils ont présenté le projet de loi 25, An Act to Amend the Internal Economy Commission Act, qui a été adopté à l’unanimité après un débat succinct, qui n’a suscité aucune discussion véritable.

Ordinairement, l’expulsion d’un vérificateur en plein milieu d’une vérification devrait signaler qu’il se passe quelque chose d’anormal au sein de l’organisation visée. Mais, malheureusement, ce n’est pas ce qui s’est produit ici. Le projet de loi 25 a permis de mettre en œuvre plusieurs mesures, mais d’une manière que j’ai trouvé très hypocrite à l’époque. Le vérificateur général ne pouvait plus auditer la Chambre d’Assemblée à moins que celle-ci ne l’invite à le faire.

La Chambre a aussi décidé qu’on ne fournirait plus au contrôleur général de documents justifiant les chèques émis à l’intention des députés. Désormais, seul le montant serait donné, et le contrôleur rédigerait le chèque sans poser de questions. Il a été décidé en même temps que ce dernier n’aurait plus accès à la Chambre à des fins de vérification interne.

J’ai quitté mon poste de vérificateur général et, pendant deux ou trois ans, la Chambre d’Assemblée n’a plus fait l’objet de surveillance de la part du vérificateur général ou du contrôleur général. J’avais l’impression qu’elle faisait appel à des vérificateurs du secteur privé.

Quoiqu’il en soit, deux ans plus tard, la population a élu un nouveau gouvernement qui, dans le cadre de son programme, avait annoncé qu’il mettrait en place un système de contrôle efficace pour la vérification des dépenses de la Chambre d’Assemblée. Après son élection en octobre 2003, il n’a attendu que quelques mois avant de réinviter le vérificateur général à la Chambre d’Assemblée.

Élue à la Chambre en 2003, j’ai siégé à la Commission de régie interne chargée de la surveillance administrative et financière de la Chambre d’Assemblée. Dans le contexte de ce processus de surveillance, les dépenses de cette dernière étaient de nouveau fournies au vérificateur général et au contrôleur général.

Du point de vue de la vérification, tous les problèmes semblaient avoir été résolus, mais, en juin 2006, le vérificateur général a publié cinq rapports très accablants qui ont eu l’effet d’une bombe sur les députés. Les trois premiers concernaient trois députés et le quatrième, un ex-député. Le cinquième portait sur quatre grands fournisseurs qui avaient vendu à la Chambre d’Assemblée des articles comme des épinglettes, des bagues et des aimants, et le vérificateur général doutait que la Chambre d’Assemblée ait réellement reçu ces marchandises.

Quant aux rapports sur les quatre députés, ils portaient sur la façon dont ces élus avaient dépensé leur indemnité de fonctions, soit les sommes prévues pour assurer le fonctionnement de leur bureau de circonscription, et sur l’éventualité que ces députés aient, en fait, dépensé plus que les sommes prévues à cette fin. La plupart des députés avaient reçu une indemnité d’environ 18 000 $. Ceux qui vivaient très loin de la capitale recevaient chacun jusqu’à quelque 80 000 $ par année. Mais certains des députés montrés du doigt par le vérificateur général avaient, en fait, dépensé des centaines de milliers de dollars pour le fonctionnement de leur bureau de circonscription.

L’établissement d’une enquête publique

La réception de ces cinq rapports a suscité un délire médiatique et le mécontentement populaire à l’égard de leurs élus. Les députés alors en place ont vraiment ressenti la tension qui régnait alors. Nous recevions tous des appels de nos électeurs. Les médias nous appelaient pour obtenir des renseignements. En réponse à cette réaction intense, le premier ministre est intervenu et a demandé à un juge de la Cour suprême, Derek Green, de procéder à un examen des indemnités de fonctions, des échelles salariales et des pensions des députés.

Le juge Green a commencé cet examen, mais, malheureusement, avant qu’il ne soit bien avancé, le vérificateur général est revenu sur la scène avec quatre rapports supplémentaires. Dans ces documents, il formulait d’autres commentaires négatifs sur les trois députés qu’il avait déjà critiqués et en dénonçait un quatrième. Nous étions alors très inquiets, et nous nous demandions ce qui nous attendait. Il est intéressant de noter que les députés figurant dans ces rapports n’étaient pas tous membres du même parti. L’assemblée législative de Terre-Neuve-et-Labrador en compte trois : les libéraux, les progressistes-conservateurs et les néo-démocrates. Dans son rapport, le vérificateur général dénonçait au moins un député de chaque parti.

Le vérificateur général a présenté deux autres rapports sur autant de députés en place. Nous commencions tous à nous demander s’il allait tous nous incriminer d’une manière ou d’une autre.

Dans son 13e rapport, déposé en janvier 2007, le vérificateur général a parlé de l’absence de contrôles financiers convenables au sein de la Chambre d’Assemblée. Nous avions pensé à ce moment-là que ce 13e rapport serait un numéro chanceux qui marquerait la fin des dénonciations.

En mai 2007, le juge Green a publié son rapport, un document très long dans lequel il formulait quelque 280 recommandations visant à réformer la Chambre d’Assemblée. Ce rapport comprenait aussi une nouvelle mesure, la House of Assembly Accountability, Integrity and Administration Act, à laquelle était joint un projet de règlement, les Members’ Resources and Allowances Rules, qui préciserait le montant que les députés avaient le droit de dépenser et l’objet des dépenses.

La Chambre d’Assemblée siégeait à l’époque, et je crois que nous avons établi un nouveau record pour le nombre de projets de loi déposés. L’Accountability Act a été adopté à peu près sans amendement. À mon avis, si la population avait eu l’impression que nous allions nous ingérer dans le travail du juge Green ou modifier ses recommandations, il y aurait probablement eu des émeutes à Terre-Neuve-et-Labrador.

En septembre 2007, le vérificateur général a publié un rapport sur tous les députés élus à la Chambre depuis 1989 et la façon dont ils avaient dépensé leur indemnité de fonctions pendant leur mandat. C’était la veille du déclenchement d’une élection provinciale. Nous pensions alors que ce rapport aurait un impact sur les résultats de l’élection, mais il ne semble pas en avoir eu. Tous les députés ministériels ont été réélus. Il nous a semblé que, même si les citoyens étaient très mécontents de ce qui s’était passé à la Chambre d’Assemblée, ils étaient convaincus que nous avions pris des mesures pour y remédier et ils étaient prêts à nous donner une autre chance.

La Commission de gestion et le Comité de vérification

Permettez-moi maintenant de traiter du Comité de vérification et de son fonctionnement. La Commission de régie interne n’existe plus. L’article 18 de la nouvelle loi a créé un nouvel organe appelé Commission de gestion de la Chambre d’Assemblée.

La Commission, qui compte sept membres, possède une structure très originale. Elle est présidée par le président de la Chambre et six autres députés, soit trois du parti au pouvoir et trois des partis de l’opposition. Comme vous pouvez l’imaginer, puisque aucun groupe ne contrôle la Commission de gestion, celle-ci tient des discussions très intéressantes, et certaines de ses activités sont devenues assez controversées.

Le projet de loi déposé en juin 2007 était très long. Deux articles, 23 et 43, concernent presque exclusivement le Comité de vérification. Toutefois, il faut reconnaître l’importance de la Loi dans sa totalité. Et, en tant que membres du Comité de vérification, nous devons absolument connaître la teneur de cette mesure pour en respecter tous les aspects.

L’article 23 commence par établir un comité au sein de la Commission qui s’appelle Comité de vérification. Il convient de souligner que celui-ci n’est doté d’aucun pouvoir indépendant, puisqu’il fait partie de la Commission de gestion de la Chambre d’Assemblée et en relève. Cela étant dit, il remplit une fonction très importante.

La composition de ce comité est, elle aussi, très intéressante, grâce à l’excellent travail du juge Green. Selon le rapport que ce dernier a présenté, il est évident qu’il doutait de la capacité de la Chambre d’Assemblée à gérer ses affaires. C’est pourquoi il a précisé dans la Loi que le Comité de vérification serait notamment composé de deux membres de la Commission de gestion et qu’au moins l’un d’entre eux n’appartiendrait pas au parti ministériel, ce qui est très inhabituel.

Ainsi, un député de l’opposition et un député du parti au pouvoir siègent au Comité de vérification. Toutefois, la Loi exige aussi que deux personnes autres que des députés en fassent partie, afin que des citoyens ordinaires participent à la surveillance des activités de la Chambre. Le juge Green a invité tous les députés de la Chambre d’Assemblée à discuter de divers aspects de son travail. Pour ma part, je lui ai indiqué que j’aurais de la difficulté à accepter que la gestion de la Chambre d’Assemblée, dont est chargée la Commission, soit confiée à des non-élus.

La Commission de gestion n’est donc constituée que de députés. Mais il est évident que le juge était en désaccord avec moi sur la composition du Comité de vérification, puisque deux des membres de ce comité ne sont pas des députés, mais sont choisis par le juge en chef de la province qui en est également l’ex-premier ministre.

Je tiens à vous donner une idée du niveau de compétence des membres du Comité. Comptable agréé, Donald Warr a été membre et partenaire d’un cabinet comptable d’envergure nationale et est aujourd’hui partenaire de son propre cabinet. Janet Gardiner est une éminente femme d’affaire de Terre-Neuve-et-Labrador. M. Warr et Mme Gardiner sont tous deux très respectés par le milieu des affaires. Kelvin Parsons, avocat de formation, leader de l’opposition à la Chambre et ancien ministre, est, lui aussi, membre du Comité de vérification. J’en suis également membre, et, en 2008, j’ai été choisie pour le présider. J’exerce la profession de comptable agréé.

Étant donné que la description des responsabilités du Comité de vérification dans la Loi s’étend sur plusieurs pages, je ne vais en aborder que quelques-unes, très brièvement. Nous devons notamment examiner les plans de vérification du vérificateur général, et le texte de loi précise de façon claire et détaillée les éléments à examiner et comment nous y prendre pour le faire.

Nous devons également examiner les états financiers, ainsi que le rapport et les recommandations du vérificateur général, et donner des conseils à la Commission sur ces questions.

L’article 23 exige aussi que nous examinions tous les rapports de vérification interne et que nous présentions des recommandations à la Commission. Nous devons aussi, avec le greffier de la Chambre, évaluer l’efficacité des contrôles internes et examiner d’autres questions financières touchant la Chambre d’Assemblée. Nous devons aussi nous réunir au moins quatre fois par année. Il ne s’agit là que d’exemples de nos responsabilités.

L’autre disposition de la Loi qui concerne presque exclusivement le Comité de vérification est l’article 43. Celui-ci prévoit que les comptes de la Chambre d’Assemblée et de ses bureaux créés en vertu d’une loi — dont le Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse et le Bureau du directeur général des élections — doivent faire l’objet d’une vérification annuelle. Avant l’entrée en vigueur de la Loi, la vérification de la Chambre d’Assemblée était réalisée en même temps que celle des états financiers de la province et, donc, de manière moins approfondie qu’elle aurait dû l’être, d’après le juge Green. Aujourd’hui, ces deux vérifications doivent donc se faire séparément, ce qui exige un travail beaucoup plus détaillé.

Le juge Green n’a pas critiqué que les députés. Il a aussi adressé des reproches au vérificateur général et précisé ce en quoi devraient consister ses vérifications. L’article 43 prévoit donc que le vérificateur général examine les états financiers et exprime son opinion sur ceux-ci et les dépenses qui y sont inscrites. Il doit aussi indiquer si, à son avis, l’évaluation des contrôles internes par le greffier est juste. Même si ce dernier considère ces contrôles adéquats, le vérificateur général doit en faire l’examen et indiquer s’il est d’accord ou non avec lui.

La Loi exige aussi que le vérificateur général procède à une vérification de la conformité aux autorisations législatives et connexes au moins une fois par législature (c’est probablement ce qui ressemble le plus à une vérification de l’optimisation des ressources, pour ceux qui connaissent ce concept). Le vérificateur général n’a pas encore indiqué quand aura lieu la prochaine vérification de ce genre, mais je suis impatiente qu’il l’entreprenne parce que j’aimerais savoir dans quelle mesure notre fonctionnement est conforme à la nouvelle loi et au Règlement qui en découle. Un tel exercice constituera un vrai test pour les députés de la Chambre d’Assemblée.

Les membres du Comité de vérification s’emploient à effectuer plusieurs contrôles pour s’assurer qu’ils ont pris toutes les mesures qui, à leur avis, sont nécessaires pour suivre les recommandations du juge Green.

Nous avons passé en revue toute la Loi, pas seulement les articles 23 et 43. Nous avons examiné les règles régissant les ressources et les indemnités de fonctions des députés et, finalement, lu beaucoup de manuels et de publications sur les meilleures pratiques des comités de vérification pour être certains de n’avoir rien oublié.

Pour vous donner une idée des activités que nous menons depuis un certain temps, je veux simplement en décrire quatre brièvement.

D’abord, nous avons examiné les plans de vérification tant du vérificateur général que de la Division de la vérification interne pour nous assurer que l’étendue de la vérification est appropriée. Par ailleurs, il est exigé ou suggéré que la direction réponde aux rapports de vérification dans les soixante jours suivant leur dépôt. Nous avons donc discuté de cette question avec les fonctionnaires de la Chambre d’Assemblée afin que cette exigence soit satisfaite.

Deuxièmement, nous sommes en train d’examiner les plans de vérification du vérificateur général — états financiers, rapport de vérification et lettre de recommandation. Nous devons aussi établir une procédure pour la réception et le traitement des plaintes concernant la comptabilité et les contrôles internes.

Troisièmement, nous devons faire respecter les règles applicables aux ressources et aux indemnités de fonctions des députés, notamment celles régissant leurs dépenses remboursables, et veiller à ce que les rapports financiers soient produits et présentés non seulement aux députés, mais aussi à la Commission de gestion de la Chambre d’Assemblée.

Enfin, nous nous sommes penchés sur les meilleures pratiques. Nous travaillons aussi à l’élaboration d’un plan d’action pour le Comité de vérification. Nous envisageons la mise en place d’un programme de perfectionnement professionnel à l’intention des membres du Comité. Nous avons aussi évalué la fonction de vérification interne.

En tant que présidente du Comité de vérification, je suis très consciente du risque qu’on blâme le Comité de vérification si quelque chose tourne mal. Je commence aussi à craindre d’être parfois impopulaire parmi les autres députés de la Chambre d’Assemblée ou membres de mon caucus lorsqu’il m’arrivera d’être en désaccord avec eux.

Enfin, je crains, bien sûr, que le Comité de vérification ne soit envahissant. Ses membres passent beaucoup de temps avec le personnel de la Chambre d’Assemblée. Et, comme le président le sait probablement, j’en consacre énormément à rencontrer les employés de la Chambre pour obtenir de l’information et des documents et à m’entretenir avec eux sur diverses questions. La présence d’un tel comité a donc un mauvais côté, mais je crois que ses avantages l’emportent largement sur ses inconvénients.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 32 no 1
2009






Dernière mise à jour : 2020-09-14