PDF
Min Reuchamps
Au Canada, le fédéralisme et son avenir constituent indéniablement un sujet
récurrent et important d'actualité. Nombre de citoyens se sont fait leur
propre opinion sur cette question, mais rares sont pourtant les occasions
d'en discuter avec des concitoyens, des experts et des politiciens dans
un contexte favorisant l'apprentissage et la délibération. Dans cette perspective,
au printemps 2008, trois mini-assemblées sur l'avenir du fédéralisme canadien
ont été organisées, deux à Montréal et une à Kingston. Pendant plus de
quatre heures, les participants ont pu apprendre et discuter de thèmes
liés au fédéralisme avec des experts, des personnalités politiques et d'autres
citoyens. Les données qualitatives et quantitatives récoltées tout au long
de ces assemblées permettent de mieux comprendre les perceptions des citoyens
et leurs préférences vis-à-vis de l'avenir de leur pays et de leur province.
Les premiers résultats mettent en évidence la diversité des connaissances,
des attitudes et des opinions partagées par les citoyens au sein d'une
même assemblée et entre les assemblées. Il n'existe donc pas de profil
unique de " citoyen fédéral " mais bien une multitude de profils, parfois
fort différents les uns des autres. À des fins comparatives, deux autres
assemblées citoyennes seront organisées en Belgique afin d'étudier les
perceptions et préférences fédérales des citoyens belges francophones et
néerlandophones.
Les 15 mars, 14 juin et 19 juin 2008, trois mini- assemblées citoyennes
ont été organisées sur l'avenir du fédéralisme canadien à Montréal et à
Kingston. Au cours de ces rencontres d'une demi-journée, les participants
ont discuté du fédéralisme canadien et de son avenir avec des experts,
des personnalités politiques et d'autres citoyens. L'objectif de ces mini-assemblées
est, d'une part, de permettre aux participants de donner leur avis sur
ce sujet important après un court processus de délibération et, d'autre
part, de mieux comprendre les relations entre leurs perceptions et préférences
« fédérales »1. À des fins comparatives, deux autres assemblées citoyennes
seront organisées en Belgique afin d'étudier les perceptions et préférences
fédérales des citoyens belges francophones et néerlandophones.
Chaque assemblée a réuni une quinzaine de participants pour une matinée
d'échanges. Le recrutement s'est effectué par différents canaux : des invitations
distribuées dans les boîtes aux lettres de plusieurs quartiers, des courriels
envoyés à des associations ou à des groupes, qu'ils soient engagés politiquement
ou non (par exemple, les partis et autres mouvements politiques, les associations
d'étudiants ou encore les associations sociales et culturelles locales),
des annonces placées dans la presse écrite et électronique, les listes
de diffusion et, enfin, le bouche à oreille. Pour chaque assemblée, c'est
entre 2000 et 4000 personnes qui ont été touchées par l'invitation sous
une forme ou une autre. La participation s'est faite sur une base volontaire
et quasi gratuite (une indemnité de 10 dollars était offerte à chaque participant).
L'échantillon qui fut ainsi constitué n'est statistiquement ni aléatoire
ni représentatif.
Toutefois, une grande diversité se dégage de chaque échantillon. Ainsi,
ont participé aux assemblées des jeunes comme des personnes âgées, des
citoyens intéressés à la politique et d'autres qui ne le sont pas, des
participants diplômés et d'autres non, ainsi que des personnes avec des
convictions politiques fort différentes. Au total, 16 citoyens ont été
réunis à Kingston et 24 à Montréal, au cours de deux assemblées.
Chaque assemblée s'est ouverte avec la passation d'un questionnaire écrit
individuel d'une cinquantaine de questions dont certaines étaient ouvertes
couvrant les thématiques des connaissances politiques, de la perception
de la légitimité du système politique fédéral et des gouvernements
qui en découlent, des identités et des sentiments d'appartenance, de la
perception de l'« autre » et, finalement, des préférences fédérales ainsi
que des questions de signalement politique et sociodémographique.
Ainsi, quatre séries d'indicateurs ont mesuré les perceptions des répondants.
Premièrement, les questions de connaissances politiques ne cherchaient
pas à tester purement et simplement le niveau de connaissances, mais plutôt
à appréhender comment les participants comprenaient le fonctionnement du
système politique. Deuxièmement, la légitimité accordée au système fédéral
était évaluée par des questions comme « le fonctionnement du système fédéral
est-il satisfaisant? » « ou » quelle est la plus grande qualité du système
fédéral canadien tel qu'il est aujourd'hui? » Troisièmement, outre la question
classique « comment vous définissez-vous? » assortie de plusieurs propositions,
le questionnaire posait des questions visant à mieux connaître les sentiments
d'appartenance, notamment l'attachement au Canada et à la province des
répondants. Quatrièmement, on a évalué la perception de l'« autre », qui
peut être, par exemple, les autres provinces et leurs habitants, ou le
reste du Canada d'un point de vue québécois.
Quant aux indicateurs de préférences, ils se déclinaient en différentes
propositions : conserver le système fédéral actuel, renforcer le pouvoir
du gouvernement fédéral, renforcer le pouvoir des provinces. En outre,
pour les assemblées au Québec, trois autres propositions complétaient la
liste de préférences : un changement constitutionnel reconnaissant le Québec
comme une nation, l'accession au statut de pays-souverain accompagnée d'une
offre de partenariat avec le Canada et l'accession au statut de pays-souverain
sans aucun partenariat avec le Canada. Enfin, des questions politiques
(notamment l'intérêt politique et l'identification partisane) et sociodémographiques
classiques (âge, sexe, lieu de résidence, niveau d'étude et profession)
concluaient le questionnaire.
Après la passation du questionnaire, l'assemblée s'articulait entre des
discussions en petits groupes et des séances plénières avec des experts
et des personnalités politiques. Selon la dynamique des groupes d'entretien
en profondeur, chaque groupe rassemblait entre cinq et huit personnes encadrées
par un animateur chargé de mener la discussion en l'animant ou la modérant
le cas échéant et un observateur chargé de noter toutes les interventions
des participants afin de faciliter l'analyse des données.
Directement après avoir complété le questionnaire, les participants étaient
répartis en groupes et entamaient une heure de discussions sur leurs perceptions
du fédéralisme canadien (connaissance, légitimité, sentiments d'appartenance
et perception de l'« autre »). L'animateur guidait les échanges selon un
protocole commun à tous les groupes, afin d'assurer une certaine uniformité
dans la récolte des données. Cette première séance de discussions captait
ainsi les perceptions des participants « à chaud », avant toute forme d'apprentissage.
Suivaient deux séances plénières. La première proposait aux participants
d'écouter deux experts et de leur poser des questions. Pendant une vingtaine
de minutes chacun, ces deux experts donnaient un court exposé. À titre
d'illustration, lors des assemblées citoyennes de Montréal, Alain Noël,
professeur de science politique à l'Université de Montréal, a décrit la
situation du Québec dans la fédération canadienne, tandis que Paul-André
Comeau, ancien journaliste et professeur invité à l'École d'administration
publique, offrait un regard différent sur l'avenir du Canada et du Québec.
À Kingston, Peter Leslie et Kathy Brock, tous deux professeurs de science
politique à l'Université Queen's, constituaient le panel d'experts. Ils
ont présenté respectivement la fédération canadienne et les défis pour
la fédération et le gouvernement fédéral. Après ces deux présentations,
les participants pouvaient échanger avec les deux experts lors d'une séance
de questions-réponses. Cette première séance plénière avait pour but principal
d'informer plus ou moins objectivement les participants, afin de leur
permettre de mieux comprendre le fédéralisme canadien et les enjeux liés
à son avenir.
La seconde séance plénière suivait une logique différente. Cette fois,
les citoyens rencontraient des personnalités politiques. Ces deux femmes
ou hommes politiques exprimaient d'abord et à tour de rôle leurs préférences
fédérales avant de répondre aux questions de l'auditoire. Néanmoins, cette
séance ne constituait pas un débat politique au sens strict ; il s'agissait
plutôt d'offrir aux participants l'occasion d'écouter deux points de vue
différents sur l'avenir du fédéralisme canadien. Ainsi, à Montréal, l'honorable
Marlene Jennings (Parti libéral du Canada) et Réal Ménard (Bloc Québécois)
ont fait part de leur vision du fédéralisme, puis ont répondu aux nombreux
commentaires et questions des participants. Des sujets, tels que la corruption,
l'immigration, la politique étrangère, les relations canado-américaines
et les choix politiques du premier ministre Stephen Harper, ont été abordés
généralement dans leur relation avec le système fédéral canadien et, en
particulier, à propos du rôle du gouvernement fédéral et des provinces.
Après avoir écouté des experts et des personnalités politiques, les participants
retournaient en groupes de discussions pour parler de leurs préférences
fédérales respectives. Ici aussi, il ne s'agissait pas d'un débat où les
uns et les autres essayaient de s'influencer. Les thèmes qui étaient abordés
concernaient leurs souhaits pour l'avenir du fédéralisme canadien et les
raisons derrière ceux-ci. À tour de rôle, chacun pouvait exprimer ses préférences
et écouter celles des autres. Ces discussions étaient enrichies des réflexions
qui avaient pu naître à la suite des échanges avec les experts, les personnalités
politiques et les autres citoyens.
Au total, les participants ont discuté et réfléchi sur des thèmes liés
au fédéralisme pendant plus de quatre heures. Ainsi, la dynamique de ces
mini-assemblées citoyennes reposait sur un mouvement d'aller-retour entre
des discussions en petits groupes et des rencontres avec des experts et
des personnalités politiques. Enfin, un questionnaire quasi identique à
celui administré en début de rencontre a été distribué à la fin de l'assemblée.
L'objectif de ces assemblées était donc de permettre aux participants de
s'informer et de réfléchir sur le fédéralisme canadien et son avenir en
particulier. Le but n'était ni de pousser à un changement d'opinion même
s'il est assurément intéressant d'étudier les éventuels changements et
non-changements de perceptions et de préférences ni d'obtenir un consensus
entre les citoyens : l'expérience était donc individuelle, même si elle
se déroulait - afin de susciter la délibération dans un collectif. Les
données récoltées tout au long de l'assemblée sont quantitatives les
réponses aux deux questionnaires et qualitatives les échanges en groupes
qui ont été enregistrés et codés. Ces deux types de données sont, en fait,
complémentaires, puisque chaque participant avait reçu un code (par exemple,
V1 ou Z7). On peut ainsi suivre ses réponses aux deux questionnaires et
ses interventions tout au long de la matinée. La combinaison des données
qualitatives et quantitatives permettra de mieux comprendre les perceptions
et les préférences fédérales des citoyens.
Premiers résultats
Les connaissances politiques des participants constituent le premier thème
de discussions de l'assemblée. D'emblée un élément frappe l'attention :
un peu moins de la moitié des participants aux assemblées de Montréal pensait
que le système politique canadien est un système confédéral. Certains d'entre
eux ajoutaient que le système était devenu fédéral sous l'impulsion de
Pierre Elliott Trudeau, mais qu'officiellement, le Canada demeurait une
confédération. Cette perception confédérale de la nature même du système
politique renvoie à la vision de deux nations fondatrices portée par un
grand nombre de Québécois. Cependant, après les discussions avec les experts
et en groupes, la grande majorité des citoyens présents a répondu correctement
à cette question. À Kingston, ce débat confédération-fédération n'a pas
trouvé pas le même écho et a été, en fait, quasi inexistant ; seules quelques
personnes estimaient en début de rencontre que le Canada était une confédération
puis ont changé d'avis à la suite des discussions.
Ensuite, que ce soit à Kingston ou à Montréal, tous les participants se
sont accordés pour dire que, depuis 1980, le premier ministre a été le
plus souvent un Québécois, ce qui constitue un élément important de la
dynamique fédérale du pays. Enfin, la représentation de chaque province
à la Chambre des communes en termes de députés était peu connue : moins
de la moitié des participants savaient à Kingston que 107 députés sont élus
en Ontario et, à Montréal, que 75 députés proviennent de circonscriptions
québécoises. Ainsi, on a observé une grande diversité des connaissances
politiques parmi les participants, certains pouvant répondre correctement
à toutes les questions, tandis que d'autres ne connaissaient que quelques
éléments.
La thématique des connaissances du système politique constitue une manière
détournée d'appréhender la perception de celui-ci. Lorsqu'on aborde plus
directement la légitimé que les participants accordent au système politique
fédéral, sans surprise, les Kingstoniens diffèrent des Montréalais. En
effet, si les premiers se montrent généralement satisfaits, voire très
satisfaits, du fonctionnement du système fédéral canadien, les seconds
sont partagés entre ceux qui le jugent assez satisfaisant et ceux qui le
condamnent plus ou moins durement. Néanmoins, si l'on creuse cette question
en discutant avec les participants, des oppositions apparaissent rapidement
au sein des ces différents groupes.
Lors des échanges à Kingston, au-delà d'une satisfaction générale à l'égard
du système fédéral canadien, plusieurs questions divisaient les participants.
Pour les uns, le fédéralisme protège les intérêts de l'Ontario, ne donne
pas trop de pouvoirs au gouvernement fédéral et est économiquement bénéfique
pour leur province. Pour d'autres, par contre, le constat est nettement
plus mitigé, voire négatif : le fédéralisme canadien n'est tout simplement
pas favorable aux intérêts de leur province et le gouvernement fédéral
jouit de trop de pouvoir. D'autres encore souhaitent un rôle plus limité
pour le gouvernement, qu'il soit fédéral ou provincial; ils considèrent
d'ailleurs ces deux gouvernements comme inefficaces.
À Montréal, une grande diversité des perceptions émerge également des discussions
en petits groupes, avec les experts et les politiciens. Tout d'abord, la
division classique entre fédéralistes et souverainistes apparaît rapidement.
Ces deux groupes s'opposent sur les questions de savoir si le fédéralisme
canadien protège les intérêts du Québec ou si le gouvernement fédéral a
trop de pouvoir. Toutefois, même des participants qui condamnent plus ou
moins durement le système fédéral canadien peuvent reconnaître les bénéfices
économiques qu'il apporte à leur province. À l'inverse, certains citoyens
qui jugent positivement le fédéralisme canadien estiment que celui-ci est
peu bénéfique pour l'économie du Québec ou ne l'est pas. Il faut, dès lors,
dépasser une division pure et simple entre deux groupes qui s'opposeraient
sur toutes les questions liées au fédéralisme canadien.
Par ailleurs, plusieurs participants ont clairement distingué la perception
du fédéralisme canadien et celle du gouvernement fédéral. Ainsi, ils pouvaient
juger négativement le fédéralisme canadien, mais estimer que le gouvernement
fédéral devrait avoir plus de pouvoirs, ou vice-versa. À cet égard, la
présence d'un premier ministre albertain à la tête du gouvernement fédéral
a autorisé certains citoyens qui se considéraient souverainistes à observer
avec un il plus clément la vie politique à Ottawa et les décisions qui
y sont prises. Pour certains participants, les faibles performances actuelles
du mouvement souverainiste expliquaient également cette considération accrue
pour le gouvernement fédéral dirigé par le Parti conservateur. Enfin, l'intensité
de l'opinion, qu'elle soit positive ou négative à l'égard du système fédéral
canadien et du gouvernement fédéral, variait fortement entre les citoyens.
Les sentiments d'appartenance et la définition de son ou ses identités
constituent un troisième indicateur de perception. Ici aussi, les différences
entre les assemblées et au sein de celles-ci sont grandes. À Montréal,
trois profils identitaires ressortent des données qualitatives et quantitatives.
Un premier groupe de participants se définit d'abord et avant tout comme
québécois. Un deuxième groupe s'identifie d'abord québécois et ensuite
canadien, tandis qu'un troisième groupe est autant québécois que canadien.
Ainsi, l'identité québécoise constitue un élément important parfois le
seul des sentiments d'appartenance des participants. Toutefois, plusieurs
participants ont montré un attachement plus ou moins fort au Canada, tout
en étant attachés au Québec. C'est, par exemple, le cas d'une participante
québécoise anglophone qui a toujours vécu à Montréal.
À Kingston, les profils identitaires sont plus uniformes, puisque la plupart
des participants se définissent comme Canadiens, d'abord et avant tout.
Aucun ne se sent exclusivement Ontarien, mais plusieurs sont très attachés
à leur province, tout en l'étant également au Canada. La mesure des sentiments
d'appartenance dans ces deux contextes identitaires fort différents permet
de mieux comprendre la complémentarité ou l'exclusivité, selon le cas,
ainsi que les différences d'intensité des identités. Sans surprise, c'est
au Québec que les tensions identitaires sont les plus fortes et qu'apparaît
une plus grande diversité de profils identitaires mêlant pour certaines
personnes plusieurs sentiments d'appartenance d'intensité égale ou différente
alors que pour d'autres une seule identité exclusive prédomine.
La quatrième facette de la mesure des perceptions est la perception de
l'« autre ». Lorsqu'on aborde la discussion de l'avenir du fédéralisme, l'« autre »
signifie, avant tout, les anglophones pour les participants de Montréal
et les Québécois pour les participants de Kingston2. Indirectement liée
aux relations politiques est la question de savoir si les médias d'une
communauté colportent des clichés sur l'autre communauté. Trois attitudes
différentes se dégagent des discussions au cours des assemblées citoyennes.
La première reflète une méfiance des médias, qu'ils soient francophones
ou anglophones, et consiste à dire que les médias colportent, de toute
manière, des clichés. Une deuxième attitude renvoie plutôt à une méconnaissance
de ce qu'écrivent les médias anglophones ou francophones, selon le cas,
sur sa communauté. Dans ce cas, les participants préfèrent s'abstenir de
répondre à cette question. Enfin, pour les participants de la troisième
attitude que l'on retrouve plus singulièrement à Montréal, les médias anglophones
colportent des clichés sur les francophones et les Québécois en particulier,
tandis que les médias francophones ne tombent pas ou moins dans ce
travers. Ces personnes ont alors évoqué le « Quebec bashing ».
Dans le contexte fédéral canadien, une dimension spécifique est la place
du Québec dans la fédération, notamment l'éventuelle reconnaissance du
Québec comme une nation distincte. Si, pour nombre de Québécois, souverainistes
comme fédéralistes, le Québec est une nation distincte du reste du Canada,
pour les participants à l'assemblée citoyenne de Kingston la question a
fait débat. Les avis étaient partagés entre ceux qui acceptaient l'idée
que le Québec constitue une nation distincte, ceux qui ne l'acceptaient
pas et, enfin, ceux qui s'y opposaient farouchement, comme cette dame qui
a déclaré : « We are all Canadians, period. » Notons toutefois que les discussions
de l'assemblée ont, semble-t-il, modifié la perception de certains participants,
puisque trois des cinq personnes qui refusaient de reconnaître le Québec
comme une nation distincte du reste du Canada au début de la matinée l'ont
accepté, sans, pour autant, reconnaître au Québec des privilèges particuliers
en conséquence.
Après ce tour d'horizon des perceptions des participants aux assemblées
citoyennes, on peut maintenant se tourner vers leurs préférences pour l'avenir
du fédéralisme. Les résultats de l'assemblée de Kingston et de celles de
Montréal diffèrent sensiblement, comme on peut s'y attendre en raison des
contextes politiques propres à l'Ontario et au Québec. À Kingston, l'opposition
dominante s'est manifestée entre, d'une part, les tenants du renforcement
du gouvernement fédéral et, d'autre part, les partisans du système fédéral
actuel. Par contraste, au-delà de la division classique entre fédéralistes
et souverainistes, les Montréalais étaient divisés en plusieurs groupes,
selon leur préférence pour l'avenir du Québec. On trouve, tout d'abord,
deux groupes importants de personnes. Il y a, d'une part, ceux qui désirent
que le Québec reste une province de la fédération canadienne avec un pouvoir
renforcé pour les gouvernements provinciaux et, d'autre part, ceux qui
veulent qu'il devienne un pays souverain en faisant une offre de partenariat
avec le Canada.
Par ailleurs, d'autres participants souhaitaient que le Québec devienne
un pays souverain sans aucun partenariat avec le Canada, cette fois, tandis
que d'autres encore préféraient conserver la fédération canadienne telle
qu'elle est aujourd'hui.
Toutefois, ce qui retient plus particulièrement l'attention, ce sont les
préférences individuelles de chaque participant. Cette analyse plus précise
complète et nuance le regroupement des citoyens dans les quatre groupes
évoqués ci-dessus. Tout d'abord, rares sont les personnes qui n'ont qu'une
seule préférence, même si ce profil existe, comme dans le cas des souverainistes
les plus convaincus, qui ne souhaitent qu'une seule issue : la souveraineté
du Québec sans aucune forme de partenariat avec le Canada. En effet, de
nombreux participants déclarent avoir plusieurs préférences, sans nécessairement
pouvoir les hiérarchiser. Ainsi, parmi les participants de Kingston, une
grande majorité se dit tout autant en faveur du système fédéral actuel
que de l'augmentation des pouvoirs accordés au gouvernement fédéral. En
outre, alors que certains peuvent hiérarchiser leurs préférences, d'autres
ne le souhaitent pas. Enfin, le renforcement des gouvernements provinciaux
n'est pas à l'ordre du jour et n'est soutenu que par une personne. D'ailleurs,
pour beaucoup, le « vrai » gouvernement est le gouvernement fédéral.
En revanche, au cur des discussions des assemblées montréalaises, se trouve
le statut et l'avenir des provinces. Aucun participant ne souhaite le renforcement
du gouvernement fédéral et peu de participants désirent conserver le système
fédéral tel qu'il est aujourd'hui, et ce, même pour des participants qui
se disent fédéralistes. Le centre de gravité évolue donc autour de la question
de l'avenir du Québec, plutôt que de l'avenir du fédéralisme canadien proprement
dit. Cependant, cette question n'appelle pas nécessairement une réponse
exclusive entre rester une province canadienne ou devenir un pays souverain
, comme le montrent les premiers résultats des assemblées citoyennes de
Montréal. Ainsi, les partisans du renforcement des pouvoirs des provinces
rejettent généralement catégoriquement la souveraineté du Québec sans partenariat
avec le Canada, mais ils peuvent également souhaiter la reconnaissance
constitutionnelle du Québec comme nation. Certains d'entre eux peuvent
même acquiescer, souvent timidement, à la souveraineté du Québec, si elle
est jumelée à un partenariat avec le Canada. Inversement, et plus logiquement,
les participants favorables à la souveraineté du Québec avec un partenariat
sont favorables à toute solution qui renforce les pouvoirs des provinces,
même si ces options « intermédiaires » ne les satisfont pas entièrement.
Reprenant l'adage populaire, un participant rappelle qu'« un tiens vaut
mieux que deux tu l'auras ». De plus, les conditions de l'éventuelle souveraineté
du Québec influencent les préférences des citoyens, en particulier souverainistes.
D'un côté, plusieurs participants sont en faveur de la souveraineté, mais
celle-ci doit s'accompagner d'une offre de partenariat avec le Canada,
tandis que d'autres participants, des souverainistes que l'on peut qualifier
de durs, rejettent toute autre option que celle de la souveraineté sans
partenariat, même s'ils admettent que cette option est improbable.
Au-delà de mieux connaître les perceptions et préférences politiques, les
assemblées citoyennes permettent de capturer l'humeur « politique » générale
d'un groupe de citoyens. À Montréal, le débat sur l'avenir du Québec n'est
plus aussi vif qu'il a pu l'être auparavant, même si chacun campe sur ses
positions on sent d'ailleurs une certaine lassitude chez certains participants.
Toutefois, plusieurs participants sont enclins à redynamiser les discussions
en évoquant le fédéralisme d'ouverture prôné par le premier ministre Stephen
Harper et la montée en puissance des provinces de l'Ouest. À Kingston,
l'avenir du fédéralisme n'est pas au cur des préoccupations et ne vient
qu'après des questions telles que la défense de la souveraineté économique
notamment du Canada, les relations avec les États-Unis et la place du
Canada dans le monde.
Conclusion
Le fédéralisme et son avenir constituent des enjeux importants pour le
Canada. Lors de trois mini-assemblées citoyennes sur cette question, les
participants à Kingston et à Montréal ont échangé sur ce thème avec des
experts, des politiciens et d'autres citoyens. Une grande diversité d'opinions
et d'attitudes, qui n'est pas toujours décelable au premier coup d'il,
ressort des discussions et rappelle l'importance et l'intérêt de donner
la parole aux citoyens, après leur avoir permis de s'informer sur la question.
En outre, l'évaluation généralement positive donnée par les 40 participants
laisse entendre que ces rencontres répondent à une demande de la part des
citoyens d'apprendre et de discuter de sujets politiques importants, même
pour des personnes qui se disent peu intéressées par la politique. Ainsi,
si l'on ne cherche pas à créer un microcosme de délibération idéale qui
serait complètement en inadéquation avec la réalité « concrète » des personnes
interrogées, les assemblées citoyennes « petites ou grandes » peuvent constituer
des avenues d'apprentissage et de délibération utiles pour les citoyens
et l'ensemble de la vie démocratique.
Notes
1. Par préférences « fédérales », il faut entendre les préférences quant
à l'évolution éventuelle du système fédéral canadien, éventuellement vers
d'autres formes d'organisation politique. Par exemple, les souhaits de
conserver le système fédéral comme il est présentement ou de donner plus
de pouvoir au gouvernement fédéral ou encore de voir le Québec accéder
au statut de pays constituent des exemples de préférences « fédérales ».
2. Par ailleurs, certains participants ont évoqué la plus grande place
qui devrait être faite au sein du système fédéral pour les Autochtones.
D'autres ont également mentionné l'importance d'une représentation des
minorités ethniques et visibles dans les cénacles politiques.
|