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Jacques Carl Morin
Un candidat à une élection à lAssemblée nationale peut choisir de se présenter
dans nimporte quelle circonscription, même sil ny est pas domicilié
ou ny possède pas de bureau. Cependant, un prétendant à la députation
ne doit choisir quune seule circonscription, ce qui signifie que les candidatures
multiples sont prohibées. Autrement dit, un candidat ne peut se présenter
à la fois dans plusieurs circonscriptions à un même scrutin général. Un
retour en arrière nous démontrera quil nen a pas toujours été ainsi.
En 1867, avec la proclamation de lActe de lAmérique du Nord britannique,
le Québec retrouve ses propres institutions parlementaires. Les premières
élections pour élire les 65 députés de la nouvelle Assemblée législative
se déroulent en août et septembre 1867. Dix-neuf candidats sont élus sans
opposition, dont lavocat Edward Brock Carter dans la circonscription de
Montréal-Centre.
Première candidature multiple
Edward Brock Carter tente de se faire réélire au scrutin de 1871. Les mises
en candidature ont lieu le 30 juin devant le palais de justice de Montréal
en présence de 300 à 400 personnes. Carter sest trompé en croyant de nouveau
être réélu sans opposition. Il na pas le bon profil. En effet, le journal
La Minerve rappelle que, lors de la division de lîle de Montréal en trois
circonscriptions, il avait été entendu que Montréal-Centre aurait un représentant
choisi parmi la classe des marchands1. Or, Carter est un disciple de Thémis.
On lui oppose le libéral Luther Hamilton Holton, ancien ministre des Finances
dans le gouvernement de Macdonald-Dorion (1863-1864) antérieur à la Confédération
et propriétaire du journal The Herald. Holton est aussi député de Châteauguay
à la Chambre des communes depuis 1867. À cette époque, le double mandat
nest pas interdit; une personne peut donc faire acte de candidature pour
un siège de député à lAssemblée législative et à la Chambre des communes,
être élue et siéger dans ces deux parlements.
Aux élections générales de 1867 de même quà celles de 1871, les mises
en candidature et les élections nont pas lieu à la même date pour les
65 circonscriptions et le vote se déroule sur deux jours au scrutin public.
Dans Montréal-Centre, le scrutin est fixé aux 22 et 23 juin. Au terme de
la première journée, Carter possède une bien mince avance dune seule voix
qui disparaît le lendemain; le libéral Holton remporte la victoire grâce
à une majorité de sept voix.
Moins dune semaine après le revers essuyé par lancien député de Montréal-Centre,
la rumeur court quil engagerait la lutte dans Châteauguay2. La date de
mise en candidature est fixée au 30 juin. Le député sortant, le docteur
Édouard Laberge, est de nouveau sur les rangs. Carter est lui aussi candidat,
mais ce serait à son insu3.
Dailleurs, il est absent lors de lenregistrement
des candidatures à Sainte-Martine4. Le docteur Laberge reçoit lappui du
député fédéral de lendroit, Luther Hamilton Holton, celui-là même qui
a vaincu Carter dans Montréal-Centre. Le vote a lieu les 10 et 11 juillet.
Laberge lemporte avec une majorité sensiblement réduite par rapport à
lélection précédente. Cest la fin de la carrière politique de Carter
à Québec; il sen ira sur la scène fédérale représenter les électeurs de
Brôme. Quant à Holton, il sera réélu dans Châteauguay au scrutin fédéral
de 1872. Il démissionnera de son poste de député de Montréal-Centre à lAssemblée
législative le 16 janvier 1874 lors de labolition du double mandat.
La première tentative de candidature multiple au Québec se solde donc par
un double échec pour le candidat, résultat rarissime comme on le verra.
En fait, peut-on proprement parler dune candidature multiple dans la mesure
où il ny a pas eu simultanéité de candidatures dans plus dune circonscription?
Carter naurait sans doute pas été candidat dans Châteauguay sil avait
conservé son siège de Montréal-Centre.
Autres candidatures multiples
Le tableau I fait état des candidatures multiples au cours de six décennies.
Ces candidatures proviennent, sauf une exception, celle de Carter en 1871,
de personnalités denvergure : premier ministre, chef de parti, ministre,
ancien ministre, leader nationaliste.
Tableau I Candidatures multiples à lAssemblée législative du Québec
Élection |
Candidat/parti |
Circonscription et résultat |
Notes |
1871 |
Edward B. Carter
Cons. |
Montréal-Centre Défait
Châteauguay Défait
|
|
1892 |
Edmund J. Flynn
Cons. |
Gaspé Élu
Matane Élu
|
Le 6 juin 1892, il choisit de représenter les électeurs de Gaspé. |
1897 |
François-Xavier Lemieux
Lib. |
Bonaventure Élu
Lévis Élu
|
Le 13 novembre 1897, il démissionne comme député pour devenir juge à la
Cour supérieure du district dArthabasca. |
1908 |
Henri Bourassa
Ligue nationaliste |
Montréal nº 2 Élu
Saint-Hyacinthe Élu
|
Le 11 mars 1909, neuf mois après sa double victoire, il annonce quil opte
pour le district électoral de Saint-Hyacinthe. |
1908 |
Lomer Gouin
Lib.
Premier ministre |
Portneuf Élu
Montréal nº 2 Défait
|
|
1908 |
Louis A. Taschereau
Lib.
Ministre du Travail et des Travaux publics |
Charlevoix Défait
Montmorency Élu
|
|
1912 |
Joseph E. Caron
Lib.
Ministre de lAgriculture |
LIslet Défait
Îles-de-la-Madeleine Élu
|
|
1912 |
Charles R. Devlin
Lib.
Ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries |
Nicolet Élu
Témiscamingue Élu
|
Le 14 novembre 1912, il démissionne comme député de Nicolet. |
1912 |
Lomer Gouin
Lib.
Premier ministre |
Portneuf Élu
Saint-Jean Élu
|
Le 14 novembre 1912, il démissionne comme député de Saint-Jean. |
1912 |
Armand Lavergne
Ligue nationaliste |
Montmagny Élu
Montmorency Défait
|
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1912 |
Jean B.B. Prévost
Lib. |
LAssomption Défait
Terrebonne Élu
|
|
1923 |
Joseph E. Perrault
Lib.
Ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries |
Abitibi Élu
Arthabasca Élu
|
Le 27 septembre 1923, il renonce au mandat dAbitibi pour permettre à Hector
Authier, pionnier de la région, dentrer à lAssemblée législative. |
1931 |
Camillien Houde
Cons. |
Montréal Saint-Jacques Défait
Montréal Sainte-Marie Défait
|
|
Le nom de la circonscription en caractères gras indique que le candidat
en était le député sortant.
|
Des treize candidatures multiples, huit sont le fait de libéraux, trois
de conservateurs et deux de nationalistes. Lomer Gouin est le seul à sêtre
présenté dans deux circonscriptions à deux reprises. Onze des treize candidats
étaient des députés sortants. Les deux autres, Flynn et Bourassa, possédaient
une expérience parlementaire, le premier à Québec, comme ministre au surplus,
le second à Ottawa.
Chez les députés sortants, sept ont conservé leur circonscription mais
ont échoué dans lautre où ils tentaient également de se faire élire. Deux
ont subi la défaite dans la circonscription quils représentaient, mais
ont été victorieux dans une autre. Enfin, deux députés dont le mandat arrivait
à expiration ont perdu leur siège et ont été incapables de se faire élire
ailleurs.
En tout, six candidats ont réussi un doublé, cinq ont sauvé les honneurs
dans une circonscription et deux ont subi laffront dune double défaite.
Des six candidats victorieux dans les deux circonscriptions où ils briguaient
les suffrages, deux ont choisi de continuer à représenter les électeurs
de la circonscription qui les avaient élus au scrutin précédent, un a opté
pour lautre circonscription et un autre a démissionné des deux sièges
pour lesquels il a été élu afin dêtre nommé juge. Quant aux deux candidats
qui nétaient pas députés dans la législature précédente, lun (Flynn)
a opté pour une circonscription quil avait représentée antérieurement,
alors que lautre (Bourassa) a choisi Saint-Hyacinthe, là où il comptait
des relations de famille et malgré le fait que sa victoire était loin dêtre
convaincante.
Si lon examine les délais entre, dune part, la date de lélection générale
et celle du moment où lélu opte pour le siège quil entend occuper et,
dautre part, cette dernière date et celle de lélection partielle rendue
nécessaire pour combler le siège délaissé, on constate que Flynn a exercé
son option en moins de trois mois, tandis que Bourassa a mis neuf mois
avant de faire son choix. Et lélection partielle qui suit a lieu dans
des délais variant entre moins dun mois et près dun an suivant la date
de loption du député.
Les sept élections partielles rendues nécessaires pour combler les vacances,
y compris celles résultant de la double démission de François-Xavier Lemieux
nommé juge, se soldent, sauf deux exceptions, par la victoire du parti
qui avait remporté ces circonscriptions au dernier scrutin général.
La dernière candidature multiple a été celle de Camillien Houde, alors
maire de Montréal depuis 1928. Aux élections générales de 1931, il annonce
quil sera candidat dans deux circonscriptions5. Dabord dans Sainte-Marie,
dont il est député depuis lélection partielle de 1928 et quil avait représenté
de 1923 à 1927. Et, également, dans Saint-Jacques, où on le prie daccepter
la candidature contre Irénée Vautrin, qui lui manifeste une attention spéciale
depuis trois ans.
En cas de double victoire, Houde fera place à un ministre. La rumeur court
à propos de négociations accélérées au terme desquelles, advenant lélection
de Houde dans les deux circonscriptions, il céderait le siège de Saint-Jacques
à Ésioff Patenaude, lequel, du même coup, deviendrait aussitôt protecteur
attitré des intérêts de lord Atholstan, grand patron du quotidien Montreal
Star et ami des financiers de la rue Saint-Jacques et dautres grosses
entreprises du genre6.
La grande crise économique de 1929 et la présence dun gouvernement conservateur
à Ottawa pourraient favoriser Camillien Houde et son parti. Le chef conservateur
parcourt la province et mène une campagne de tous les instants. Le message
semble passer; les conservateurs vont chercher 9 % de plus de suffrages
quen 1927, mais le houdisme ne réussit pas à simposer suffisamment pour
prendre le pouvoir. Les libéraux obtiennent 79 sièges et les conservateurs
seulement 11, 2 de plus quen 1927.
Échec sur toute la ligne pour Houde, qui est battu par 806 voix par Vautrin
et par 515 voix par Gaspard Fauteux. Houde entreprend des procédures judiciaires
pour contester la validité de lélection dans 63 circonscriptions du Québec
pour cause dirrégularités commises par les candidats libéraux. Il doit
déposer, pour ce faire, un cautionnement de 63 000 $. En riposte, le gouvernement
fait sanctionner la loi Dillon7, qui rend plus difficile la contestation
en obligeant le requérant à prélever sur ses propres deniers le cautionnement
de mille dollars. La mesure sapplique rétroactivement aux contestations
déjà en cours.
Cen est fait du ptit gars de Sainte-Marie. Houde devient le seul candidat
à se présenter simultanément dans deux circonscriptions sans connaître
la victoire. Cet échec ouvrira la porte de la direction du Parti conservateur
à Maurice LeNoblet Duplessis.
Cette double candidature est également la dernière de notre histoire, puisquune
modification apportée à la Loi électorale en 1952 linterdit8.
Lors de ladoption de cette loi, le phénomène des candidatures multiples
avait disparu depuis plusieurs années déjà. La modification à la Loi électorale
nen donna pas moins lieu à un échange savoureux entre le premier ministre
Maurice Duplessis et le leader de lOpposition officielle9.
M. Duplessis : Un autre article de la loi a pour but dempêcher quune personne
puisse briguer les suffrages dans deux comtés à la fois. Ça ne vise pas
le chef absent (Georges-Émile Lapalme, chef du Parti libéral depuis le
20 mai 1950) car il a peur de se présenter dans un seul, mais les candidats
de lUnion nationale : ils sont si populaires quon les demande partout.
Nous sommes en faveur du principe démocratique : « One man, one vote », et
nous voulons que disparaisse ce souvenir archaïque.
M. Marler : Cette disposition me donne entièrement satisfaction, car je
croyais que le premier ministre se présenterait à Trois-Rivières et ailleurs,
afin dassurer son élection; je vois quil y renonce.
M. Duplessis : Je suis réclamé dans tous les comtés et je puis garantir
au chef de lopposition que si jy allais, la province senrichirait de
200 $ par comté. Jinvite le chef de lopposition à venir et à constater
par lui-même les dégâts de ses espérances.
M. Marler : Jaccepte cette invitation, jirai sûrement à Trois-Rivières.
M. Duplessis : On vous recevra bien. Et vous devriez emmener le chef de
votre parti. De la sorte mon adversaire naura pas grands votes.
M. Marler : Je ne suis pas du tout inquiet du résultat des prochaines élections.
Quant à cette disposition de la loi, je crois quelle est convenable et
quune telle décision a déjà été prise ailleurs, notamment au fédéral en
1919.
On peut se demander pourquoi le Parlement de Québec adopte cette loi, alors
que le phénomène des candidatures multiples a disparu. Est-ce simplement
dans le but dharmoniser sa loi électorale avec la loi fédérale qui interdit
ce type de candidature depuis 191910? Ou encore pour éviter que des candidats
soient tentés dimiter ce qui se passe ailleurs et briguent les suffrages
dans plus dune circonscription? Dailleurs, en Grande-Bretagne, les candidatures
multiples nont jamais été prohibées par la loi. En 1880, Charles Stewart
Parnell a été élu dans les trois circonscriptions dIrlande où il était
candidat. De nos jours, ces candidatures sont le lot de partis politiques
fantaisistes. Ainsi, aux élections générales de 1992, Screaming Lord Sutch,
chef de lOfficial Monster Raving Loony Party, présenta sans succès sa
candidature dans trois circonscriptions soit Huntingdon, Islwyn et Yeovil.
En 2005, Rainbow George Weiss, de la Vote for Yourself Rainbow Dream Team,
brigua les suffrages dans 13 circonscriptions sans réussir à lemporter
dans lune delles.
Notes
1. La Minerve, 16 juin 1871.
2. Le Journal de Québec, 27 juin 1871.
3. Le Journal de Québec, 4 juillet 1871.
4. La Minerve, 3 juillet 1871.
5. LAction catholique, 14 août 1931.
6. Hector Grenon, Camillien Houde / raconté par Hector Grenon, Montréal,
Stanké, 1979, p. 169.
7. Loi modifiant la Loi des élections contestées de Québec, S.Q., 1931-1932,
chap. 20.
8. Loi modifiant la Loi électorale, S.Q., 1952, chap. 19, art. 2.
9. Le Devoir, 9 janvier 1952.
10. Loi modifiant la Loi de la Chambre des Communes, S.C., 1919, chap.
18, art. 1.
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