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Harry Bloy, député provincial
Demander au gouvernement de rendre compte de ses dépenses et voter des
fonds tous les ans constituent deux des principales responsabilités du
Parlement. Le présent article se penche sur le processus d'examen des prévisions
budgétaires en Colombie-Britannique.
La Colombie-Britannique fait toujours appel au Comité des crédits pour
examiner le budget des ministères, plutôt que de le renvoyer à des comités
permanents, comme le font la plupart des assemblées législatives du Canada.
En 1992, nous avons scindé le Comité des crédits en deux : la section A
se réunit dans la salle des comités principale et la section B, dans la
Chambre.
Cette année, pour la première fois, tous les budgets des ministères ont
été examinés par la section A. Je précise qu'en 2005, des caméras ont été
installées dans notre salle des comités principale, afin de diffuser tous
les débats budgétaires de la section A en direct sur le Web et en différé
à la télévision, après l'ajournement. Ce printemps, donc, le gouvernement
a décidé d'examiner toutes les prévisions budgétaires dans la salle des
comités, afin de libérer la Chambre pour que les députés puissent terminer
leur programme chargé de travaux législatifs avant le 29 mai.
Il va sans dire, cette décision n'a pas eu l'heur de plaire à l'opposition.
En vertu de motions sessionnelles précédentes, l'opposition était en mesure
de choisir trois budgets ministériels pouvant faire l'objet d'un débat
complet à la Chambre (section B), où les délibérations sont télédiffusées
en direct depuis 1991.
Voici maintenant un aperçu d'une journée typique de séance du Comité des
crédits (section A). Ce printemps, j'ai présidé les débats sur toutes les
prévisions budgétaires des ministères, pour un total de 153 heures, comme
le montre le tableau.
Lorsque je préside la section A, le ministre et le sous-ministre sont assis
à ma droite. Cinq hauts fonctionnaires du ministère peuvent prendre place
derrière le ministre et d'autres prennent place dans la tribune publique.
Cette année, j'ai compté la présence de 23 fonctionnaires pour un seul
ministère. Tous les fonctionnaires apportent avec eux d'énormes cartables
d'information.
Le porte-parole de l'opposition s'assoit à ma gauche et peut être aidé
de recherchistes qui se tiennent à l'écart pour surveiller les délibérations
à la télévision. La presse brille par son absence.
Cette année, nous avons consacré près de 17 heures au budget du ministère
des Transports et près de 15 à celui du ministère de la Santé. Cela nous
a laissé environ 120 heures pour les 17 autres ministères, le Bureau du
premier ministre et l'Assemblée législative.
Le porte-parole et les autres députés de l'opposition questionnent tour
à tour le ministre et s'intéressent particulièrement à la prestation des
services au niveau local. Habituellement, le débat porte autant sur les
questions de politique partisane que sur les préoccupations des électeurs.
Comme en témoignent le nombre de fonctionnaires présents et la taille de
leurs cartables, les ministères consacrent de toute évidence des centaines
d'heures à les préparer à ce processus « juste au cas » où l'on aurait
besoin d'eux. Toutefois, au bout du compte, les fonds proposés sont d'ordinaire
approuvés sans amendement.
C'est sans doute ce qui se passe aussi dans les autres assemblées législatives
du Canada. Pour être honnête, je me demande bien si c'est ce que les députés
des Communes à Westminster avaient en tête lorsqu'ils ont pris le contrôle
des dépenses et commencé à examiner les budgets, il y a bien longtemps
déjà.
Processus d'examen des prévisions budgétaires : les contribuables en ont-ils
pour leur argent?
De nos jours, les députés éprouvent de plus en plus de difficultés à demander
au gouvernement de justifier sa gestion financière. Trois facteurs expliquent
cette réalité à mon avis, que les budgets soient débattus par le Comité
des crédits ou des comités permanents : la gestion du temps, la disponibilité
de l'information et les obstacles procéduraux.
Premièrement, tous les députés sont confrontés à des demandes concurrentes,
peu importe le parti auquel ils appartiennent. Si leur temps est ainsi
sollicité, c'est parce qu'ils doivent terminer les travaux législatifs
selon des échéances bien précises. Ces contraintes de temps sont devenues
évidentes lors du processus d'examen des prévisions budgétaires, le printemps
dernier. Par exemple, le ministre de la Santé a fait entorse à la tradition
et omis de prononcer l'habituelle allocution d'ouverture de 30 minutes.
En raison du calendrier législatif chargé, il devait être dans la salle
de comité pour défendre le budget de son ministère et se trouver aussi
à la Chambre pour porter cinq projets de loi au-delà de la deuxième lecture,
vers la fin de la session printanière (période du 20 au 29 mai). De l'autre
côté de la Chambre, il est sans doute juste de dire que l'opposition trouve
qu'elle n'a jamais suffisamment de temps pour examiner à fond le budget
des ministères, comme il se doit. Dans notre assemblée, l'adoption d'une
motion d'attribution de temps, le 6 mai, a certes accru la pression sur
les députés, puisqu'ils devaient terminer l'examen de toutes les prévisions
budgéaires avant le 29 mai.
Ensuite, nous devons nous demander si nous disposons de l'information,
du soutien ou des connaissances nécessaires pour demander des comptes au
gouvernement en matière de gestion financière. Autrement dit, vu la taille
et la complexité de l'appareil gouvernemental, sommes-nous à la hauteur
de la tâche?
Voici le résumé de quelques réponses obtenues lors d'entrevues menées auprès
de députés fédéraux en 2002 :
-
Tout d'abord, la bonne nouvelle. La plupart des députés ne semblaient pas
éprouver de problèmes avec le cadre d'administration des finances les
lois, les règlements concernant les travaux des crédits ou le mandat des
comités.
-
De même, ils estimaient avoir une assez bonne compréhension de la situation
dans son ensemble le total des recettes et des dépenses, les déficits
et les excédents ainsi que la dette globale et les tendances.
-
Toutefois, les députés ont souvent reconnu qu'ils n'accordaient pas beaucoup
d'attention aux prévisions budgétaires et qu'ils n'avaient qu'une « vague
idée » du niveau des ressources engagées pour réaliser les programmes1.
Pour ne pas qu'on m'accuse de dénigrer Ottawa, je tiens à souligner que
la plupart des députés des assemblées législatives des provinces et des
territoires auraient obtenu des résultats semblables en matière de compétences
financières. Après tout, nous sommes, pour la plupart, des généralistes
et non des spécialistes des finances publiques.
Enfin, il y a aussi certaines questions de procédure. Je suis loin d'être
spécialiste en la matière, mais je crois pouvoir affirmer sans me tromper
que les comités parlementaires chargés d'étudier les prévisions budgétaires,
quel que soit le palier gouvernemental, ne peuvent pas recommander une
augmentation des crédits demandés une fois que l'examen ligne par ligne
des dépenses est terminé. S'ils peuvent rejeter ou réduire le budget demandé,
ils se contentent, la plupart du temps, de l'approuver tel quel. Par conséquent,
le processus d'examen des prévisions budgétaires semble être un simple
rituel annuel, un peu comme le rite du printemps.
Par ailleurs, des sondages menés auprès des députés fédéraux (2001) et
provinciaux (2002) révèlent que les législateurs canadiens éprouvent beaucoup
de frustration à l'égard du processus budgétaire gouvernemental, ce qui
a pour effet de tempérer quelque peu leur participation2. Ces constatations
n'ont rien de nouveau. Comme David Good le fait remarquer, l'examen et
l'approbation des budgets gouvernementaux ont toujours provoqué beaucoup
de frustration chez les parlementaires3.
Temps consacré au budget, 4e session, 38e législature (2008)
En date du 29 mai 2008
Ministère |
Temps consacré au budget |
Relations et réconciliation avec les Autochtones |
3 heures 14 minutes |
Enseignement supérieur |
8 heures 20 minutes |
Agriculture et Terres |
8 heures 20 minutes |
Procureur général |
3 heures 39 minutes |
Enfants et Développement de la famille |
8 heures 41 minutes |
Services communautaires |
5 heures 6 minutes |
Développement économique |
7 heures 4 minutes |
Éducation |
13 heures 36 minutes |
Emploi et Soutien du revenu |
6 heures 14 minutes |
Énergie, Mines et Ressources pétrolières |
5 heures 16 minutes |
Environnement |
6 heures 20 minutes |
Finances |
3 heures 33 minutes |
Forêts et Territoire |
13 heures 45 minutes |
Santé |
15 heures 16 minutes |
Travail et Services aux citoyens |
8 heures 56 minutes |
Premier ministre |
8 heures 40 minutes |
Sécurité publique et Solliciteur général |
3 heures 23 minutes |
Petites entreprises et Revenu |
5 heures 14 minutes |
Tourisme, Sports et Arts |
1 heure 46 minutes |
Transports |
16 heures 58 minutes |
Crédit 1 et hauts fonctionnaires du Parlement |
2 minutes |
|
153 heures 22 minutes |
Je crois qu'il nous faut reconnaître que, dans les parlements de style
britannique, il n'existe actuellement aucune tribune pour que les simples
députés (députés de l'arrière-ban) puissent promouvoir des activités de
programme nouvelles ou élargies ou même proposer de modestes augmentations
des dépenses publiques. Je me demande combien de députés croient que l'interdiction
faite aux parlementaires d'engager des dépenses constitue le principal
obstacle procédural à surmonter.
Réforme du processus
Comme on ne manque guère d'idées de réforme, voyons d'abord celles qui
portent sur les trois facteurs décrits plutôt : la gestion du temps, la
disponibilité de l'information et les obstacles procéduraux.
Pour ce qui est de la gestion du temps, on pourrait envisager d'attribuer
une période de temps fixe au cours de laquelle le ministre devrait être
présent pour prononcer une allocution d'ouverture et répondre aux questions,
le cas échéant, à la conclusion du processus. De cette façon, ce sont les
hauts fonctionnaires, ceux qui fourniraient les détails techniques, qui
répondraient à la majorité des questions sur le budget.
Ce mode de fonctionnement faciliterait le débat sur les questions de politique
publique entre le ministre responsable et les porte-parole de l'opposition.
De surcroît, les députés pourraient poser leurs questions techniques sur
les projets locaux ou les préoccupations des électeurs (questions éclairs)
aux fonctionnaires du ministère, en l'absence du ministre.
D'un autre côté, je me demande s'il est réaliste de vouloir faire une telle
distinction entre le rôle politique des ministres et le rôle administratif
des hauts fonctionnaires dans les joutes oratoires des débats budgétaires.
Au palier fédéral, j'ai récemment entendu parler de l'établissement d'un
nouveau bureau, celui du directeur parlementaire du budget4. Il s'agit
là d'une mesure importante pour régler le problème du manque d'information
et améliorer l'examen des dépenses gouvernementales. Le Bureau a pour mandat
de fournir à la Chambre et au Sénat des analyses objectives sur les tendances
de l'économie, la situation des finances nationales et les budgets gouvernementaux.
Lorsqu'il a témoigné devant le Comité permanent des opérations gouvernementales
et des prévisions budgétaires de la Chambre, le 13 mai, le nouveau directeur
parlementaire du budget (Kevin Page) a expliqué son rôle. Il a mentionné
qu'il pouvait apporter aux députés un peu de simplicité et de clarté dans
la lecture des livres du gouvernement et signaler les augmentations importantes
qu'on voit de temps en temps dans le budget des dépenses5.
Quelqu'un a également proposé que le nouveau bureau soit chargé d'examiner
les budgets dans l'optique des parlementaires6.
Enfin, voyons maintenant la question de la réforme des règles de la Chambre
relatives à l'examen des prévisions budgétaires. Jusqu'à maintenant, la
discussion a surtout porté sur le chemin qui nous reste à parcourir pour
aller de là où nous sommes à là où nous devrions être.
L'auteur David Smith nous invite toutefois à nous poser une autre question
: quelle mesure faudrait-il annuler? Au palier fédéral, le fait d'avoir
enlevé le budget à la Chambre réunie à titre de Comité des crédits pour
le remettre à des comités permanents a-t-il renforcé ou affaibli le Parlement,
l'opposition et le concept de responsabilité gouvernementale7?
La question se pose aussi à l'échelle provinciale et non seulement dans
les parlements qui renvoient l'examen des budgets à des comités permanents.
En Colombie-Britannique, on pourrait formuler la question de la façon suivante
: faudrait-il reconsidérer la décision d'examiner toutes les prévisions
budgétaires dans la salle des comités principale? Devrions-nous examiner
quelques-uns des budgets, sinon la totalité, en Comité des crédits dans
la Chambre?
S'il est trop tôt pour en faire l'expérience ce printemps, je suis d'avis
qu'il est beaucoup plus difficile de maintenir l'ordre et le décorum dans
une salle des comités que dans la Chambre. L'atmosphère moins officielle
encourage les membres des comités à interagir avec des personnes se trouvant
dans la tribune publique, ce qui ne serait pas toléré dans la Chambre.
En conclusion, je dirais simplement qu'il semble y avoir un consensus général
selon lequel le processus d'examen des prévisions budgétaires doit être
réformé. À Ottawa et dans les provinces, des députés de tous les partis
sont frustrés par leur incapacité à procéder à des examens efficaces.
Notes
1. Peter Dobell et Martin Ulrich, « Le Parlement et la responsabilité financière »,
Document de recherche pour la Commission Gomery, 2006, p. 26, 31, 32.
2. David C. Docherty, Legislatures, Vancouver, UBC Press, 2005, p. 18.
3. David Good, The Politics of Public Money, Toronto, University of Toronto
Press, 2007, p. 233
4. Gary Levy, « Un directeur parlementaire du budget pour le Canada », Revue
parlementaire canadienne, vol. 31, été 2008.
5. The Hill Times, 26 mai 2008.
6. Thomas S. Axworthy, L'ancien redevient actuel : Observations sur la réforme
parlementaire, Kingston, Centre d'étude de la démocratie de l'Université
Queen's, avril 2008, p. 68.
7. David Smith, The People's House of Commons: Theories of Democracy in
Contention, Toronto, University of Toronto Press, 2007.
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