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L'hon.
Aurélien Gill
Le 7 mai 2008, un projet de loi dinitiative parlementaire a été déposé
au Sénat pour constituer une assemblée des Peuples autochtones à titre
de troisième chambre du Parlement, aux côtés du Sénat et de la Chambre
des communes. Le présent article est une version abrégée du discours du
parrain du texte.
Comme jai grandi dans la réserve de Pointe-Bleue, dans la région du lac
Saint-Jean, jai toujours été très sensible au sort de notre peuple tout
au long de lhistoire et aujourdhui encore.
Toute ma vie, jai fait la promotion de la cause amérindienne. Toute ma
vie, jai vu les ravages de la dépendance. Jai pu constater que le gouvernement
canadien ne pourra pas éternellement porter à bout de bras les obligations
fiduciaires quil sest données au XIXe siècle. Nous lavons dit 100 fois,
1 000 fois et il faut bien le redire, la Loi sur les Indiens est une anomalie.
Le ministère des Affaires indiennes est une anomalie. Il est urgent et
impératif de briser le mur de la tutelle.
Ce système paternaliste, symbolisé par la Loi sur les Indiens et le ministère
responsable de son application, a montré ses limites. Il est temps de réfléchir
à une formule qui implique les Autochtones dans la gestion des affaires
de ce pays, notamment celles qui les concernent.
Il est urgent de passer à une autre étape, que tous les rapports sensibles
et intelligents, notamment celui de la Commission royale sur les peuples
autochtones, narrêtent pas de recommander, cest-à- dire une responsabilisation
accrue des Autochtones.
Mais comment faire, me direz-vous? Il faut progresser par étapes et dabord
créer un cadre qui donne aux Autochtones la possibilité de participer adéquatement
au processus décisionnel de ce pays. Une telle structure reconnaîtrait
les intérêts, les cultures et les valeurs de nos peuples tout en leur permettant
de se pencher sur toute question revêtant une importance critique pour
les Premières nations, les Métis et les Inuits. Ce cadre institutionnel
représenterait pour les peuples autochtones un lieu au sein duquel ils
pourraient sorganiser et exprimer leurs préoccupations de façon officielle.
Essentiellement, cest ce que je propose : un corps politique responsable
et une véritable assemblée représentative. Cest une expérience qui a été
tentée ailleurs, certes avec des pouvoirs limités : je veux parler des
parlements samis en Norvège et en Finlande.
Certains pourraient trouver risquée cette direction que je suggère. Dautres
pourraient même y voir une dangereuse nouveauté. Pourtant, cette idée na
rien de nouveau en soi. Cest une très vieille idée soumise à maintes reprises,
sous différentes formes, et je serais injuste de ne pas le souligner.
Dans son rapport final du 21 novembre 1993, la Commission royale sur les
peuples autochtones avait recommandé ladoption dune loi sur le Parlement
autochtone afin détablir un organe représentatif des peuples autochtones
qui deviendrait une chambre des Premières nations et qui ferait partie
du Parlement.
Lidée dune troisième chambre a été présentée durant les négociations
constitutionnelles qui ont pris fin avec laccord de Charlottetown.
Historique de lidée
Déjà, en 1918, certains de nos grands leaders ont ébauché lidée dun gouvernement
autochtone au Canada : je pense notamment à lIroquois Frederick Ogilvie
Loft. Cétait un homme remarquable. Ce nétait pas un excité sans ressources,
car il possédait un diplôme universitaire. Il avait servi dans larmée
durant la guerre et il aurait bien pu être premier ministre du Canada,
car il avait les compétences politiques nécessaires.
En définitive, il voulait briser le cercle infernal de la dépendance et
de la tutelle. Par suite de ses actions, on a voulu le décourager et on
a interdit les réunions politiques dans les réserves et, le cas échéant,
on a modifié la Loi sur les Indiens afin de rendre illégale toute collecte
de fonds par les Indiens pour financer la cause amérindienne.
Le gouvernement de lépoque est même allé plus loin dans sa lutte contre
laffirmation de nos droits. Il a interdit le recours à des avocats pour
permettre aux Premières nations dentreprendre des recours contre les abus
de pouvoir des agences indiennes. Malgré tout, Loft a poursuivi son action.
Il sest opposé à la loi Oliver, qui autorisait la vente des terres indiennes
pour établir des anciens combattants non indiens. Loft parvint, avec dautres,
à mettre sur pied la Ligue des Indiens de lOntario ainsi que des ligues
semblables au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta.
À linstar dautres Iroquois, Deskaheh, Levi General, sest rendu à Genève
en 1921 pour obtenir la reconnaissance de la souveraineté de la Confédération
des Six Nations par la Société des nations. Loft, quant à lui, parlait
de nations souveraines. Il sadressait à des Couronnes. Il sinscrivait
dans la tradition des anciens grands leaders amérindiens dans lhistoire.
Malgré la sourde oreille et les stratégies déloyales et humiliantes du
gouvernement du temps, le mouvement sest poursuivi de 1930 à 1980. Les
Canadiens daujourdhui ignorent tout de cette lutte importante. Il est
peut-être difficile de dire et dentendre toutes ces choses, mais il faut
bien le faire, car lhistoire est avare de détails sur cette réalité.
En 1943, Andrew Paull, de la nation Squamish, en Colombie- Britannique,
et un bon nombre de leaders, dont le Huron Gilles Sioui, lAlgonquin Willie
Commanda et dautres, ont organisé une conférence nationale qui fut à lorigine
de la Fraternité nationale des Indiens. Cette fraternité a grandi grâce
à la participation dautres leaders au cours des années 1960 et a été suivie
par la création de différentes associations des Premières nations au niveau
des provinces. Cette fraternité est devenue lAssemblée des Premières nations.
Les Autochtones ne sont pas de nouveaux venus dans le monde de la politique.
Nous étions souverains. Certains de nos dirigeants politiques dautrefois
étaient légendaires. Ils ont dû prendre des décisions difficiles. Ils ont
dû traiter directement avec la couronne de France et la couronne dAngleterre.
Aux grands tournants de lhistoire, certains se sont levés et ont pris
parti. Ils nous ont laissé des héritages : le grand Pontiac de la nation
Ottawa, devant le tumulte des guerres entre la France et lAngleterre pour
la possession de lAmérique, en a appelé à lunion des Premières nations.
Cétait en 1760. Tecumseh, de la nation Chouanon (Shawnee), a fait de même
en 1812 dans un discours dune grande force. Face au Nouveau Monde, disait-il,
les Indiens doivent sunir et parler dune seule voix afin de trouver une
place sur la carte politique entre les Américains et les Canadiens. Bien
sûr, ils nont été entendus par personne.
Je ne veux pas refaire lhistoire devant vous, je veux seulement quelle
soit davantage transparente pour nous rappeler que ces démarches sont la
continuité des démarches anciennes. Tous ces gens remarquables, depuis
Loft, ont constamment réclamé la responsabilité et lautorité politiques
des Autochtones.
La revendication dun monde meilleur, la démonstration que nous nallons
nulle part ne remontent pas à aujourdhui. En fait, la conscience politique
des leaders autochtones nest pas nouvelle, elle sest toujours maintenue,
mais leurs voix ont été étouffées ou nont pas été entendues.
Vous savez comme moi comment les Américains ont abordé la question des
Indiens, entre 1830 et 1890. Brutalement, méchamment, sans égard. Le Canada
fut moins brutal, certes, mais les résultats furent-ils si différents?
Disparition des terres indiennes et des ressources naturelles mises sous
tutelle, établissement des réserves, non-respect des traités, administration
injuste et frauduleuse, abus de pouvoir et non-respect de nos droits les
plus élémentaires.
Le XXe siècle restera dans lhistoire comme un cauchemar en ce qui touche
les droits des droits des Autochtones au Canada. Que sont devenues les
Premières nations? Elles ont été brisées, elles sont devenues des bandes
isolées les unes des autres, des unités administratives sous tutelle, des
sujets à la charge du gouvernement fédéral. Il faut considérer comme une
authentique tragédie le cul-de-sac dans lequel nous nous trouvons, car
il engendre une situation sociale inacceptable dans les domaines de la
santé, de léducation et de léconomie, comme le prouvent année après année
les drames familiaux et communautaires.
Nous revenons de loin, nous qui avons été privés de nos droits de citoyens
et de personnes, qui avons légalement été repoussés en marge de la vie
canadienne. Vous savez que nous navons acquis le droit de vote quen 1960.
Il y avait déjà quatre ans que jétais sorti de luniversité avec un diplôme
en poche. Il y avait aussi déjà quatre ans que je payais des impôts et
que lon mavait confié un poste denseignant et de directeur décole.
Malgré toutes ces inconsistances, nous sommes toujours là, et, plus incroyable
encore, nous avons été actifs dans lhistoire pour le bénéfice du Canada.
Les nôtres ont fait la guerre en 1914 et en 1939, et plusieurs y ont laissé
leur vie. Certains ont été des héros militaires.
Je pense à de grandes personnalités comme Francis Pegamagabow, un Ojibway
qui a remporté plusieurs médailles durant la Première Guerre mondiale.
Je pense également à Joe Kurtness, mon voisin immédiat dans ma communauté
de Mashteuiatsh. Ont-ils été reconnus? Non, ils ont été oubliés, humiliés
à leur retour. Ils furent, pour la plupart, exclus des programmes daide
aux anciens combattants.
Nous voici en 2008, et la situation perdure. De temps à autre, au hasard
des informations nationales, les Canadiens découvrent des tragédies par
le biais dhistoires dhorreur : taux de suicide dans les communautés isolées,
tiers-monde à lintérieur du Canada, problèmes de santé publique, et cetera.
Il ny a jamais dimage positive. Ce sont toujours des images et des surprises
désagréables.
Nous ne pourrons pas passer à autre chose tant que nous naurons pas le
plein contrôle de nos propres affaires. Nous avons le savoir-faire politique
nécessaire pour nous gouverner.
Objectifs du projet de loi
Lobjectif principal du projet de loi que je soumets à votre attention
aujourdhui est de créer une assemblée des Peuples autochtones, dont le
siège sera à Ottawa.
Lassemblée, qui réunira les représentants des peuples autochtones du Canada,
sera elle-même subdivisée en trois chambres : une chambre de Premières
nations, une chambre des Métis et une chambre des Inuits. Le français et
langlais feront partie des langues officielles de lassemblée.
Le nombre de membres doit être déterminé par lassemblée. Ce nombre ne
doit toutefois pas dépasser le nombre normal de sièges au Sénat. Lassemblée
aura le pouvoir de décider de la méthode de sélection de ses membres et
de la durée de leur mandat.
Les privilèges et les immunités des membres de lassemblée seront similaires
à ceux que possèdent les sénateurs du Canada. La rémunération des membres
ne devra pas non plus être supérieure à celle versée aux membres du Sénat.
Le mandat général de lassemblée sera surtout de délibérer des affaires
des peuples autochtones. Lassemblée pourra, entre autres, mener des enquêtes,
délibérer et adopter des résolutions sur des questions constitutionnelles
ayant trait aux peuples et aux personnes autochtones du Canada.
Le texte prévoit que lassemblée puisse étudier, en parallèle avec le Sénat
et la Chambre des communes, toute motion ou tel projet de loi visant à
modifier la Constitution du Canada.
Le Sénat ou la Chambre des communes devraient remettre à lassemblée, pour
examen, une telle motion ou un tel projet de loi.
Évidemment, ce projet de loi na pas pour effet de porter atteinte aux
pouvoirs de Sa Majesté, du Parlement ou du gouvernement du Canada ou de
lassemblée législative, ou du gouvernement dune province ou dun territoire.
La compétence de lassemblée sétend également aux dépenses gouvernementales
liées aux affaires des peuples autochtones, aux droits ancestraux, aux
droits issus de traités et aux revendications territoriales au Canada,
au droit régissant les peuples et les personnes autochtones au Canada,
à lidentité, à léducation, à la langue, à la tradition, à la culture
et à la vie sociale autochtones. Il sera aussi possible détudier les questions
que lassemblée acceptera de recevoir des entités autochtones.
Lassemblée devra reconstituer la carte géopolitique des Premières nations.
Elle devra réglementer lappartenance, sattaquer de fait à la question
métisse, à la réunion des Inuits. Elle devra soccuper des terres, des
ressources, de la création de la richesse, de lassiette fiscale, des relations
avec le gouvernement, de la santé, de léducation et de la culture.
Le libellé du projet de loi comprend plus de détails à cet égard en ce
qui a trait à la responsabilité future de lAssemblée des Premières Nations
du Canada.
Lassemblée établira un comité chargé de laider à gérer ses affaires internes
et elle constituera également un secrétariat, dont feront partie un greffier,
un juriste et un conseiller parlementaire. Le mandat du vérificateur général
du Canada sera étendu à lassemblée.
Pour mettre en place cette assemblée permanente, il est prévu dans le projet
de loi de créer une assemblée provisoire dune durée de vie de deux ans
au plus, qui sera composée de personnes autochtones nommées par le gouverneur
général par acte revêtu du Grand Sceau du Canada.
Préalablement à la recommandation des personnes pouvant être nommées à
lassemblée provisoire, le gouverneur en conseil, en consultation avec
les Premières nations, les Inuits et les Métis, nommera de 7 à 15 personnes
au sein du comité chargé de mettre en place cette assemblée provisoire.
Ce comité sera sous la direction du président de la Chambre des communes,
du président du Sénat et dun membre du Barreau autochtone canadien, qui
seront chargés de sélectionner les personnes autochtones selon certains
critères démographiques et géographiques, toujours en consultation avec
les associations des Premières nations, des Inuits et des Métis.
Lassemblée provisoire doit faciliter la création et la réunion de lAssemblée
des Peuples autochtones.
Le projet de loi prévoit la constitution, au sein de lassemblée permanente,
dun conseil exécutif, dont le mandat sera dexercer des fonctions exécutives
déléguées par lassemblée. Les membres seront au nombre de sept, soit un
président et trois membres élus par lassemblée et dautres membres désignés
par chacune des Chambres qui composent celle-ci.
Il mapparaît impératif que lappareil gouvernemental fédéral consacré
aux affaires autochtones et les ressources budgétaires gouvernementales
des autres ministères passent sous le contrôle entier dun corps politique
autochtone dûment constitué.
Je propose à cet effet dans le projet de loi que le gouvernement, un an
après la création de cette assemblée des Peuples autochtones, propose,
en collaboration avec ladite assemblée, une loi sur la cessation des activités
du ministère des Affaires indiennes.
Conclusion
Cette assemblée représentative constitue létape première sans laquelle
rien ne se fera jamais. Les Autochtones doivent prendre leur place dans
le paysage politique canadien. La Constitution de 1982 nous reconnaît en
tant que peuples. Elle reconnaît lexistence de nos droits. En conséquence,
il est plus que temps de passer aux actes afin datteindre les objectifs
permettant aux peuples autochtones de contrôler leur destinée.
Il faut comprendre également que cette assemblée des Peuples autochtones
ne vient pas remplacer la démarche dautonomie gouvernementale entreprise
par différentes nations. Cest plutôt une institution additionnelle à la
grande marche nationale dautonomie entreprise il y a quelques années dans
nos communautés.
Je minscris très humblement dans la tradition de nos grands leaders historiques.
Je veux voir apparaître un gouvernement autochtone responsable au Canada.
Cest mon souhait le plus cher. Jinvite donc tous nos leaders à sengager
dans cette voie.
Je veux contribuer à la disparition des conditions présentes : plus de
600 conseils de bandes isolés et vulnérables, des regroupements dAutochtones
qui nont aucun pouvoir économique, juridique et politique; un manque de
volonté de la part du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux
incapables de changer et daméliorer quelque situation que ce soit.
Je vous demande dexaminer le projet que je vous présente. Mesurez limportance
du pas à franchir. Calculez les effets positifs à long terme. Vous verrez
apparaître au Canada ce qui aurait dû exister depuis longtemps, une place
réelle de la gestion des affaires de lÉtat, en particulier celle des affaires
autochtones.
Pour nous, Autochtones, le travail sera considérable. Il faudra nous réunir,
apprendre à travailler ensemble. Il faudra nous redécouvrir nous-mêmes.
Il faudra nous secouer. Mais qui serait contre?
Comment ne pas sengager avec passion, quand il sagit de lavenir de nos
enfants qui sont si nombreux, quand il sagit de leur éducation, de leur
santé, de leur milieu de vie, de leur fierté, de leur culture et de leur
identité?
Le Canada est un pays inachevé, une maison dont il manque quelques pièces
importantes à la base. Une de ces pièces manquantes, cest cette assemblée
que je vous propose.
Ce pays ne sera jamais achevé tant et aussi longtemps que les Autochtones
nauront pas leur place dans larchitecture politique. Si nous acceptons
les peuples autochtones en tant que partie prenante à la fondation de ce
pays, beaucoup de querelles seront dissipées. Nous corrigerons une erreur
de parcours et ainsi, nous pourrons poursuivre notre développement sur
la base dune vérité historique.
Il faut établir cette nouvelle Chambre et lui donner le temps et les moyens
de se mettre en place. Cette mise en place se fera par étapes et beaucoup
de problèmes seront résolus au fur et à mesure. Jai confiance en nos leaders.
Nous savons tous que ces problèmes sont complexes et nombreux. Il nous
faudra des décennies pour les résoudre et le chemin sera difficile. Il
y aura beaucoup dobstacles, mais au moins, ce sera un chemin et surtout,
ce sera notre chemin!
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