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Entrevue : Deux sénateurs parlent de leur vie à la Chambre haute


Deux sénateurs d’expérience parlent de leur carrière à la Chambre haute du Canada et du rôle du Sénat dans la vie canadienne. Les entrevues ont eu lieu séparément en juin 2007 avec Karen Schwinghamer des Communications du Sénat. Sharon Carstairs est sénatrice libérale du Manitoba; elle préside le Comité spécial sur le vieillissement. Le sénateur Wilbert Keon est un conservateur d’Ottawa; il est vice-président du Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie et préside le Sous-comité sur la santé des populations. 

Comme entrée en matière, parlez-nous des débuts de votre carrière et de l’image que vous aviez du Sénat avant votre nomination. 

Sénateur Keon : Après mon diplôme de l’école de médecine d’Ottawa, j’ai entrepris des études en chirurgie générale à McGill. Je me suis spécialisé en chirurgie cardiaque à Toronto et j’ai terminé ensuite ma formation de chercheur à Harvard. Je voulais faire carrière en recherche. Quand je suis revenu au Canada, les gens d’Harvard m’ont aidé à décrocher mon premier emploi : cette année-là, je suis arrivé premier au concours du Conseil de recherches médicales. Le CRM m’a financé pendant plusieurs années. 

J’ai créé l’Institut de cardiologie d’Ottawa avec deux personnes; mon assistant et moi-même partagions le même bureau. Quand j’ai quitté l’Institut, il comptait 1 000 employés, dont plusieurs scientifiques de renommée internationale. À 55 ans, j’ai songé à prendre ma retraite. Je ne voulais pas continuer à faire de la chirurgie cardiaque une fois trop vieux, avec moins de coordination. Je voulais me retirer au meilleur de ma forme. 

Je connaissais déjà le Sénat avant d’y être nommé. Enfant, à Ottawa, je connaissais plusieurs sénateurs. Quand je suis revenu d’Harvard, j’ai compté sur des sénateurs pour m’aider à débrouiller les aspects politiques de la création et du développement de l’Institut de cardiologie. 

Trois sénateurs : George McIlraith, Orville Phillips et John Connolly ont donné suite à mes demandes, à Ottawa et à Toronto. 

Quand on m’a offert d’entrer au Sénat en 1990, j’ai accepté. Je ne savais pas si j’allais y rester, mais j’y suis allé. Ce fut pour moi une surprise totale. 

Sénatrice Carstairs : Je suis enseignante de profession. J’ai enseigné pendant 20 ans dans les écoles de l’Alberta, du Manitoba et du Massachusetts. Mon père faisait de la politique et j’ai vécu dans un milieu politique : j’ai toujours su qu’il s’agissait d’une profession très exigeante et très gratifiante. 

En 1984, j’ai décidé d’entrer en politique provinciale par la grande porte : je suis devenue chef du Parti libéral du Manitoba. Élue à la législature manitobaine en 1986, j’ai été réélue en 1988 et 1990. J’ai démissionné comme chef du parti en juin 1994 et je suis devenue sénatrice. 

Pour moi, la politique était un choix relativement facile que je ne regrette pas d’avoir fait. Je peux comprendre pourquoi certaines femmes refusent aujourd’hui ce choix, ayant constaté que la politique empiète sur la vie personnelle. À l’époque où j’ai commencé, les familles étaient moins absorbées par la politique, et la vie politique empiétait moins sur la vie personnelle. 

Compte tenu de mes antécédents, je connaissais le Sénat assez bien. Comme j’ai gravi la Colline pour la première fois à l’automne de 1955, j’étais au courant des traditions du Sénat. Je connaissais les lieux, je savais m’y retrouver, j’avais été en Chambre pour les discours du Trône. 

Avant ma nomination, j’ai eu plusieurs conversations téléphoniques avec le premier ministre. La première fois qu’il m’a appelée, c’était pour savoir si j’étais intéressée à une nomination, parce que j’avais déjà dit que je ne voulais pas aller au Sénat parce que mon père avait été sénateur pendant 25 ans, et que cela avait créé de la distance entre mes parents. Je n’étais pas prête à accepter ce genre de vie. Après que mon mari a pris une retraite anticipée et qu’il a convenu de me suivre partout où j’irais, j’ai conclu que le Sénat me convenait.

Vous avez siégé à plusieurs comités. Lesquels vous ont marqués? 

Sénatrice Carstairs : Je n’étais même pas encore assermentée quand j’ai accepté de siéger au Comité sur l’euthanasie et le suicide assisté, qui a présenté son rapport en 1995. Ce sujet me fascinait; c’est là que j’ai connu le sénateur Keon. Cela m’a fait reconnaître l’importance des comités spéciaux. J’aime beaucoup ce genre d’étude. On peut se concentrer à temps plein sur un sujet précis. 

J’ai réalisé mon étude suivante sur les soins palliatifs, dans un sous-comité du Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie; c’était presque une étude spéciale. J’ai également siégé au Comité spécial sur les drogues, que j’ai été obligée de quitter quand je suis devenue leader du gouvernement. 

Sénateur Keon : Quand je suis arrivé au Sénat, j’ai siégé au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. C’était le début du dossier du lac Meech, et on devait réformer le Sénat à ce moment-là. Avec la défaite de l’accord de Charlottetown, ce travail a perdu son utilité. 

Un important rapport sur lequel j’ai travaillé, c’est De la vie et de la mort, du Comité spécial sur l’euthanasie et le suicide assisté. Nous y avons envisagé l’ensemble des phénomènes de fin de vie. 

Je suis passé aux affaires sociales, aux sciences et à la technologie parce que je voulais faire avancer plusieurs dossiers, notamment celui de la création des Instituts canadiens de recherche en santé (ICRS) et de la Fondation canadienne pour l’innovation. Je suis arrivé à mes fins et j’ai également appuyé plusieurs autres projets du Conseil national de recherches. 

Quand la sénatrice Sharon Carstairs a voulu réaliser une étude sur les soins palliatifs, je me suis joint à elle. Le Comité des affaires sociales de l’époque, dont Michael Kirby était le président et Marjory LeBreton, la vice-présidente, a entrepris la première grande étude de santé publique. Après cette étude, nous avons amorcé celle sur la santé mentale, avec le sénateur Kirby comme président du Comité et moi comme vice-président. Nous nous sommes interrompus, parce que je siégeais aux trois grands comités créés après le SRAS; nous avons rédigé un rapport sénatorial sur le SRAS, surtout parce que j’avais bien hâte de voir l’agence de santé publique créée. 

Quels facteurs rendent un comité efficace? 

Sénateur Keon : Il faut voir le problème à fond, sous tous les angles. Il faut utiliser les données les plus récentes. Il faut éviter l’anecdote et la persuasion qui fait appel à l’émotion. Si on peut formuler l’étude en termes très clairs, celle-ci prend forme et sera valable : elle obtiendra des appuis. Tout le monde cherche une excuse pour mettre fin à quelque chose. Il est bien plus facile d’arrêter les choses que d’en créer d’autres. 

Le président du comité a un important rôle à jouer. Il doit garder le comité motivé et veiller à ce que l’étude demeure intéressante. Il doit aider les membres à voir clair. Où va-t-on? Que peut-on réaliser? Quels résultats positifs sortiront de l’initiative? 

Je pense qu’il faut choisir les témoins qui peuvent vraiment contribuer à l’étude et garder le cap. En même temps, il faut disposer d’un vaste spectre d’information. 

Aux premières étapes, on consulte les experts pour entendre ce qu’ils ont à dire; à la dernière étape de l’étude, on doit tester les résultats sur le public. Les chercheurs dans leur tour d’ivoire ont souvent de grandes idées sur le papier, mais il arrive qu’une personne ordinaire les mette en pièces, juste parce qu’elles ne sont pas pratiques. 

Sénatrice Carstairs : Je pense que le plus grand défi pour un président de comité, c’est de maintenir l’intérêt du débat. C’est toujours difficile d’obtenir, avec l’aide du personnel de recherche, les témoins qui nous font avancer et qui ont quelque chose de neuf et de différent à dire, quelque chose qui nous remet en question et nous engage sur la voie de la réussite, sans quoi on n’y parviendrait pas. Il est important de regarder le visage des sénateurs, d’écouter leurs questions. Quels enjeux les intéressent?  

Si j’ai devant moi un universitaire comme témoin, je m’attends à ce qu’il puisse m’expliquer les tenants et les aboutissants de son domaine de recherche. Il faut également des témoins qui travaillent concrètement dans le domaine et qui nous donnent des exemples : ceux-ci peuvent être très parlants, comme sur une situation qui touche un aîné et qu’on peut appliquer à l’ensemble de la population âgée. À la dernière session, on nous a raconté des histoires touchantes qui nous ont fait comprendre que nous avons affaire à des personnes en chair et en os et qu’il faut répondre à leurs besoins. 

En dernière analyse, tout ce que le Sénat peut faire, c’est de mettre des idées de l’avant et de les promouvoir aussi souvent que l’on peut. Ce sont, en fait, ceux qui réalisent les programmes qui verront les résultats immédiats. Je m’intéressais aux soins palliatifs. Des gens viennent souvent me voir et me disent que mon travail a changé quelque chose. Je peux m’asseoir et me dire que, si je n’avais pas été là, si je n’avais pas rédigé tous ces rapports, si je n’avais pas donné tous ces discours, si je n’avais pas parcouru le pays de long en large, le mouvement que j’ai lancé n’aurait pas eu lieu. 

Il faut tirer satisfaction de savoir qu’une partie du travail que l’on fait, pas autant que l’on voudrait, aboutit à quelque chose et améliore le sort des gens. 

Vous vous intéressez tous les deux à la santé. Quels sont les grands dossiers sanitaires de l’heure et pour l’avenir immédiat? 

Sénateur Keon : La santé publique doit constituer l’une des priorités parce que je pense que c’est le seul instrument qui nous permet de régler les problèmes de santé de la population avec les ressources dont nous disposons. Nous dépensons beaucoup trop d’argent dans le domaine de la santé pour ce que nous en retirons. Nous avons trop développé notre système médical et hospitalier, aux dépens des services communautaires. 

Nous avons négligé la promotion de la santé et la prévention et nous n’avons pas ciblé les populations malades pour nous en occuper. Nous préférons nous attaquer aux problèmes de très haut, avec des programmes universels dont nous n’avons pas besoin. Il nous faut seulement des programmes pour les gens qui ne sont pas en bonne santé. 

Bien sûr, le réseau public représente un déterminant de la santé, mais non le seul, et il compte très peu dans l’état de santé général de la population. Pour que la population soit en bonne santé, il faut éliminer la pauvreté ou, à tout le moins, celle qui nuit à la bonne alimentation. Pour cela, il faut fournir du logement adéquat et surtout l’éducation. 

Il faut modifier la douzaine de principaux déterminants de la santé. Rien ne sert de dépenser des dizaines de millions à traiter des maladies que nous sommes parfaitement capables de prévenir. 

Il est incroyable que les gens ne prennent pas leur propre santé en main. J’ai vécu cela quand j’étais médecin. Un malade arrive, obèse ou souffrant d’hypertension; il ne fait aucun exercice et fume cigarette sur cigarette. Il réclame une chirurgie cardiaque. Il lui faut un cœur, sans quoi il va mourir en quelques mois. 

On dit à ce malade : si vous voulez vivre 20 ans encore, voici ce que vous avez à faire. Beaucoup de gens ne veulent pas de nos conseils. Ils reviennent se faire opérer trois ou quatre ans après, au lieu d’améliorer leur état de santé. La promotion de la santé est difficile : on ne peut y parvenir que si l’on a été de l’autre côté, que si l’on possède une longue expérience et qu’on est en mesure de livrer le message de la manière dont il doit l’être. 

Sénatrice Carstairs : Je préside présentement un comité sur le vieillissement. Ayant défendu depuis longtemps les soins palliatifs, j’ai constaté que la question de la mort n’est pas la seule qui préoccupe la population âgée. Il y a un lien très clair entre la notion de vieillissement et les soins palliatifs qui lui sont subordonnés. 

Entre autres choses, j’aimerais qu’il y ait, pour les aidants naturels, des prestations permettant aux gens dans la quarantaine ou la cinquantaine de prendre congé de leur travail, ce qu’ils seraient peut-être disposés à faire, mais sans être pénalisés 10  ou 15 ans plus tard quand ils voudront toucher leur pension ou leur rente. J’espère pouvoir formuler des recommandations en ce sens. 

J’aimerais que le gouvernement fédéral appuie les soins à domicile. Il n’est pas chargé d’assurer ces services — ce sont plutôt les provinces —, mais il a le luxe de disposer de l’argent à donner aux provinces pour qu’elles élaborent des programmes spéciaux. Les soins à domicile constituent l’un des domaines dans lesquels nous devons être plus proactifs, à mon avis. 

Selon moi, une stratégie nationale d’origine fédérale, qui fixerait des paramètres de soins à fournir et affecterait des fonds à leur concrétisation, pourrait faire une importante différence, surtout dans les provinces qui sont déjà moins nanties. 

Si l’on pouvait repartir à zéro, qu’aurait l’air le système de santé canadien? Peut-on se concentrer davantage sur les soins et moins sur les remèdes? 

Sénateur Keon : Notre système de santé n’en est pas un : c’est un mode de vie qui répond à la maladie. Si on laisse des milliers et des milliers de personnes devenir malades pour diverses raisons, c’est que nous ne possédons vraiment pas de système abordable. 

Si j’avais le feu vert pour édifier un système médical au Canada, je commencerais par la base. J’ouvrirais un centre communautaire de santé et de services sociaux pour chaque tranche de 50 000 personnes. Je le relierais à l’Agence de santé publique, aux systèmes d’information médicale et à l’Inforoute, afin que les données soient bien recueillies et bien stockées. 

Chaque centre constituerait un petit module de recherche relié aux hôpitaux communautaires et aux centres de soins tertiaires et quaternaires. Les gens malades auraient accès aux centres communautaires de santé et leur maladie serait traitée vite et bien; ils se rétabliraient, retourneraient dans la société et continueraient d’utiliser le centre. 

Les malades en phase terminale évolueraient vers la mort; certains auraient un besoin récurrent d’installations de pointe. Je mettrais l’accent sur la promotion de la santé, ce qui réduirait le nombre de maladies évitables. 

Sénatrice Carstairs : Selon moi, il faut un système médical qui ne considère pas l’hôpital comme le seul modèle de prestation de soins. Pensons aux malades chroniques, ou à une personne qui souffre d’arthrite grave et qui a besoin d’aide pour se nourrir et se déplacer, et doit recevoir des soins à domicile. 

Si on ne fournit pas ce genre d’aide, deux choses arrivent. Les malades finissent dans des foyers de soins de longue durée ou à l’hôpital, les deux infrastructures les plus coûteuses pour la prestation de soins. 

Si nous devenons une société qui prend vraiment soin des gens, nous allons libérer des sommes consacrées au traitement médical pour les affecter à des formes plus douces de soins. Le problème, c’est que la plupart des Canadiens ne comprennent pas que ce virage est possible. 

C’est là, je pense, que le gouvernement a un véritable rôle à jouer : il peut commencer en donnant de l’argent directement à ce secteur, ce qui nous mènerait vers une médecine plus douce qui ne met pas seulement l’accent sur les soins intensifs. 

Dans notre système fédéral, les obstacles à la résolution des problèmes semblent presque insurmontables. Que peut-on y faire? 

Sénateur Keon : Je pense que la solution universelle aux obstacles entre ordres de gouvernement et aux obstacles dans la société, c’est un plan élaboré à la perfection. Personne ne peut s’opposer à un projet bien planifié, qui a fait l’objet d’une recherche soignée et qui a du bon sens à toutes les étapes. 

Sénatrice Carstairs : Je pense qu’il faut cibler les problèmes. Quand je suis devenue ministre chargée de responsabilités spéciales à l’égard des soins palliatifs, il y a trois choses que je voulais accomplir, et j’ai été en mesure de les réaliser. Nous avions 40 ou 50 idées sur lesquelles nous voulions travailler, mais j’ai décrété que nous avions trois ans pour agir. Si nous pouvons réaliser trois objectifs, nous aurons accompli tout ce que nous pouvions. 

Dans les faits, nous avons pu réaliser deux ou trois autres objectifs, parce que nous n’avons jamais perdu de vue nos trois objectifs premiers, à savoir l’affectation de plus d’argent à la recherche, un programme de soins compatissants et la formation des médecins. En ciblant ces trois objectifs, ce qui s’est ajouté en prime n’était pas essentiel, et nous avons été en mesure de faire avancer le dossier. 

On parle beaucoup de réformer le Sénat aujourd’hui. Comment envisagez-vous l’évolution du Sénat de cette institution? 

Sénatrice Carstairs : D’abord, je dirais que le Sénat travaille bien dans beaucoup de domaines. Pour l’essentiel, nous légiférons bien, à mon avis. Nous avons tendance à examiner les lois en détail et de façon beaucoup moins partisane que l’autre chambre. 

Nous avons notre point de vue à nous, que d’aucuns qualifieront de point de vue minoritaire (ce qu’il est), mais c’est également le point de vue de gens qui n’ont pas à se faire élire. Il nous permet de faire en sorte que la loi soit la meilleure possible, sans trop nous soucier des groupes d’intérêt qui pourraient influer sur notre élection. Cela donne aux sénateurs une liberté extraordinaire que les députés ne posséderont jamais. 

La deuxième chose que nous faisons bien, je pense, ce sont les études spéciales, au sein de comités structurés comme hors d’eux. Le gouvernement en place le reconnaît rarement, mais, à la longue, il puise certaines de ses d’idées dans ces études. L’étude sur la santé mentale représente un exemple parfait d’étude qui a amené des changements effectifs. 

Troisièmement, et très peu de gens le savent, c’est que les sénateurs embrassent des causes spéciales qui leur tiennent à cœur. Joyce Fairbairn a fait un travail remarquable dans le domaine de l’alphabétisation. L’ancienne sénatrice Landon Pearson a fait la même chose pour les droits des enfants. Le sénateur Terry Mercer travaille à toutes sortes de levées de fonds pour des causes nobles. Le sénateur Jim Munson a travaillé sur l’autisme. Presque tous les sénateurs en fonction ont une cause qui leur est chère. Ils font quelque chose dans la collectivité sur un dossier qu’ils font avancer. 

En ce qui concerne la réforme du Sénat, je suis bien en faveur de limiter le mandat des sénateurs : un mandat de huit ans est sans doute trop court, mais un de douze ans m’aurait tout à fait convenu. 

Je pense que nous devons changer la façon que les sénateurs sont nommés. Je ne suis pas sûre de la méthode idéale. J’aime que des noms soient proposés par les provinces, mais il serait facile de me convaincre d’une meilleure méthode si elle était proposée. 

Je n’aime pas l’élection directe. Je pense que cela ferait du Sénat une seconde Chambre des communes. Mais je n’aime pas non plus l’idée que le premier ministre peut dire un bon matin : « Tiens, je vais nommer untel sénateur! ». C’est ainsi je suis entrée au Sénat, mais je ne pense plus que ce soit valide en 2007. Il faut un changement. 

Bien sûr, venant de l’Ouest, je suis très favorable à une meilleure représentation de l’Ouest. 

Sénateur Keon : Je reconnais que le Sénat fait de très bonnes études d’orientation et à long terme. Il réalise très bien l’examen approfondi des lois en comité. Les comités du Sénat sont excellents parce qu’ils ne sont pas pressés et qu’ils peuvent prendre leur temps pour analyser les lois en profondeur. 

À l’occasion, les choses se passent mal, mais aucun système exploité par les humains n’est parfait. Cela dit, il est assez bien reconnu que le Sénat accomplit vraiment un excellent travail. Il est incontestable que nous améliorons les lois considérablement à long terme. 

À mon avis, le plus gros problème du Sénat, c’est le mode de nomination. Je ne pense pas que le public canadien accepte que le Sénat puisse servir les intérêts d’un parti politique. En corollaire, les nominations sont souvent vues comme des faveurs politiques. 

Il faut donc un mode différent de nomination, mais il faut vraiment y réfléchir. Je favoriserais une sorte de comité de sélection, méthode traditionnelle et très ancienne de choisir la bonne personne pour le bon emploi. L’exemple classique, ce sont les recteurs d’université. 

Un bon comité de sélection pourrait chercher les gens qui conviendraient le mieux à une nomination dans une région géographique donnée, qui seraient en mesure de maintenir l’équilibre politique et qui sauraient enrichir le Sénat d’un domaine de compétence qui lui fait défaut. 

J’ai vécu toute ma vie avec les comités de sélection. C’est un processus avec lequel je suis très familier et auquel je crois beaucoup, parce que je pense que le Sénat devrait se doter des meilleures personnes possible. 

Le Sénat doit représenter tous les segments de la société : le monde politique, mais pas de façon exagérée; le milieu universitaire; les arts; les mouvements sociaux; les ONG; le monde scientifique, dans un sens large — sciences de la santé, génie, toutes les sciences physiques. Ce n’est pas là une liste complète, mais, à mon avis, c’est une façon d’envisager le Sénat. 

Je ne crois pas beaucoup aux élections. Souvent, les élus ne possèdent pas l’expérience ni les études requises pour bien faire le travail. 

Le premier ministre doit être élu, les divers ministres doivent l’être également. Je n’ai aucun doute à ce sujet. Cela ne veut pas dire que la Chambre haute doit être une copie des Communes. L’autre problème que je vois avec un Sénat élu, c’est qu’on se retrouverait dans la même situation que les Américains. Le Sénat américain a passablement refréné le Congrès et je pense que, si nous avions un sénat élu au Canada, cela aurait le même effet. Cela refrénerait l’action de la Chambre des communes. Je pense qu’il faut envisager tout cela avec énormément de prudence. 

Les nominations pourraient continuer de venir du premier ministre, mais le comité de sélection pourrait lui fournir deux ou trois noms pour un siège et le laisser prendre la décision finale. 

Comment jugez-vous votre carrière au Sénat et qu’avez-vous appris de la vie et de la politique durant votre séjour? 

Sénateur Keon : Cette question est difficile parce réussir au Sénat est généralement considéré comme réussir en politique, alors que cela n’a jamais vraiment compté pour moi. En fait, j’ai toujours trouvé cela difficile à avaler parce que j’ai toujours voulu être un scientifique, où l’on s’occupe de la vérité, de l’information objective. Quand on ne dispose pas d’une preuve mathématique ou scientifique, ou d’une preuve empirique éclatante, on ne va pas plus loin. Mais ce n’est pas la politique. 

J’admire les politiciens qui ont réussi, que ce soit au palier fédéral ou provincial, peu importe leur parti. J’admirais leur qualité de leadership. Je pense que les deux meilleurs exemples sont Trudeau et Mulroney, l’un à la suite de l’autre. 

Les membres des professions médicales et scientifiques ont été très vexés de me voir aller au Sénat. On ne gagnait pas grand-chose en médecine et en sciences à entrer en politique. Beaucoup de ces gens estiment que notre temps est mieux employé quand il est consacré à notre profession. 

C’est très difficile pour moi de vous dire si je serai satisfait quand je quitterai le Sénat, mais je pense que oui. 

J’ai vraiment aimé chaque étape de ma vie. J’ai eu beaucoup de chance. J’ai choisi la profession qui me convenait. J’étais né pour accomplir ce que j’ai fait à titre de chirurgien cardiaque. Ma vision de la vie n’a pas changé. Dès le départ, j’ai pensé que tout était possible, et je le pense encore. 

Quant à la politique, il faut être prudent lorsqu’on apporte des retouches à notre modèle de gouvernance, parce que, malgré ses défauts, en principe, le Canada possède l’un des meilleurs systèmes de gouvernance du monde. Bien sûr, on peut l’améliorer à tous les niveaux, mais il faut être très prudent à cet égard. 

Sénatrice Carstairs : J’ai appris que le mouvement politique est très lent. Les changements qu’on estime urgents ne se font tout simplement pas du jour au lendemain. C’est frustrant. On voit quelque chose qui doit être fait et on veut que ce soit fait tout de suite, mais il est rare que cela arrive en politique. C’est la chose la plus difficile à laquelle il faut s’adapter. 

La meilleure chose en politique, c’est la possibilité d’explorer des idées, de rencontrer de gens, d’élargir ses horizons et ses intérêts. Je pense que la politique offre cela plus que toute autre profession. C’est un défi, mais c’est également amusant. 

Nous devons faire de notre mieux pour faire avancer ensemble les dossiers qui sont importants pour les Canadiens. Je m’engage dans des choses qui ne sont pas partisanes. Je pense que c’est là que j’ai changé depuis 13 ans. 

J’ai fait de la politique partisane. J’ai été chef d’un parti et j’ai été chef adjoint. Il fallait être partisane pour cela. Aujourd’hui, je suis très réjouie d’en être sortie et de m’occuper de dossiers sur lesquels je peux me concentrer, où, selon moi, je peux faire une différence au chapitre du changement de la société. 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 30 no 3
2007






Dernière mise à jour : 2020-09-14