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Deux sénateurs dexpérience parlent de leur carrière à la Chambre haute
du Canada et du rôle du Sénat dans la vie canadienne. Les entrevues ont
eu lieu séparément en juin 2007 avec Karen Schwinghamer des Communications
du Sénat. Sharon Carstairs est sénatrice libérale du Manitoba; elle préside
le Comité spécial sur le vieillissement. Le sénateur Wilbert Keon est un
conservateur dOttawa; il est vice-président du Comité permanent des affaires
sociales, des sciences et de la technologie et préside le Sous-comité sur
la santé des populations.
Comme entrée en matière, parlez-nous des débuts de votre carrière et de
limage que vous aviez du Sénat avant votre nomination.
Sénateur Keon : Après mon diplôme de lécole de médecine dOttawa, jai
entrepris des études en chirurgie générale à McGill. Je me suis spécialisé
en chirurgie cardiaque à Toronto et jai terminé ensuite ma formation de
chercheur à Harvard. Je voulais faire carrière en recherche. Quand je suis
revenu au Canada, les gens dHarvard mont aidé à décrocher mon premier
emploi : cette année-là, je suis arrivé premier au concours du Conseil de
recherches médicales. Le CRM ma financé pendant plusieurs années.
Jai créé lInstitut de cardiologie dOttawa avec deux personnes; mon assistant
et moi-même partagions le même bureau. Quand jai quitté lInstitut, il
comptait 1 000 employés, dont plusieurs scientifiques de renommée internationale.
À 55 ans, jai songé à prendre ma retraite. Je ne voulais pas continuer
à faire de la chirurgie cardiaque une fois trop vieux, avec moins de coordination.
Je voulais me retirer au meilleur de ma forme.
Je connaissais déjà le Sénat avant dy être nommé. Enfant, à Ottawa, je
connaissais plusieurs sénateurs. Quand je suis revenu dHarvard, jai compté
sur des sénateurs pour maider à débrouiller les aspects politiques de
la création et du développement de lInstitut de cardiologie.
Trois sénateurs : George McIlraith, Orville Phillips et John Connolly ont donné
suite à mes demandes, à Ottawa et à Toronto.
Quand on ma offert dentrer au Sénat en 1990, jai accepté. Je ne savais
pas si jallais y rester, mais jy suis allé. Ce fut pour moi une surprise
totale.
Sénatrice Carstairs : Je suis enseignante de profession. Jai enseigné pendant
20 ans dans les écoles de lAlberta, du Manitoba et du Massachusetts. Mon
père faisait de la politique et jai vécu dans un milieu politique : jai
toujours su quil sagissait dune profession très exigeante et très gratifiante.
En 1984, jai décidé dentrer en politique provinciale par la grande porte :
je suis devenue chef du Parti libéral du Manitoba. Élue à la législature
manitobaine en 1986, jai été réélue en 1988 et 1990. Jai démissionné
comme chef du parti en juin 1994 et je suis devenue sénatrice.
Pour moi, la politique était un choix relativement facile que je ne regrette
pas davoir fait. Je peux comprendre pourquoi certaines femmes refusent
aujourdhui ce choix, ayant constaté que la politique empiète sur la vie
personnelle. À lépoque où jai commencé, les familles étaient moins absorbées
par la politique, et la vie politique empiétait moins sur la vie personnelle.
Compte tenu de mes antécédents, je connaissais le Sénat assez bien. Comme
jai gravi la Colline pour la première fois à lautomne de 1955, jétais
au courant des traditions du Sénat. Je connaissais les lieux, je savais
my retrouver, javais été en Chambre pour les discours du Trône.
Avant ma nomination, jai eu plusieurs conversations téléphoniques avec
le premier ministre. La première fois quil ma appelée, cétait pour savoir
si jétais intéressée à une nomination, parce que javais déjà dit que
je ne voulais pas aller au Sénat parce que mon père avait été sénateur
pendant 25 ans, et que cela avait créé de la distance entre mes parents.
Je nétais pas prête à accepter ce genre de vie. Après que mon mari a pris
une retraite anticipée et quil a convenu de me suivre partout où jirais,
jai conclu que le Sénat me convenait.
Vous avez siégé à plusieurs comités. Lesquels vous ont marqués?
Sénatrice Carstairs : Je nétais même pas encore assermentée quand jai
accepté de siéger au Comité sur leuthanasie et le suicide assisté, qui
a présenté son rapport en 1995. Ce sujet me fascinait; cest là que jai
connu le sénateur Keon. Cela ma fait reconnaître limportance des comités
spéciaux. Jaime beaucoup ce genre détude. On peut se concentrer à temps
plein sur un sujet précis.
Jai réalisé mon étude suivante sur les soins palliatifs, dans un sous-comité
du Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie;
cétait presque une étude spéciale. Jai également siégé au Comité spécial
sur les drogues, que jai été obligée de quitter quand je suis devenue
leader du gouvernement.
Sénateur Keon : Quand je suis arrivé au Sénat, jai siégé au Comité des
affaires juridiques et constitutionnelles. Cétait le début du dossier
du lac Meech, et on devait réformer le Sénat à ce moment-là. Avec la défaite
de laccord de Charlottetown, ce travail a perdu son utilité.
Un important rapport sur lequel jai travaillé, cest De la vie et de la
mort, du Comité spécial sur leuthanasie et le suicide assisté. Nous y
avons envisagé lensemble des phénomènes de fin de vie.
Je suis passé aux affaires sociales, aux sciences et à la technologie parce
que je voulais faire avancer plusieurs dossiers, notamment celui de la
création des Instituts canadiens de recherche en santé (ICRS) et de la
Fondation canadienne pour linnovation. Je suis arrivé à mes fins et jai
également appuyé plusieurs autres projets du Conseil national de recherches.
Quand la sénatrice Sharon Carstairs a voulu réaliser une étude sur les soins
palliatifs, je me suis joint à elle. Le Comité des affaires sociales de
lépoque, dont Michael Kirby était le président et Marjory LeBreton, la vice-présidente,
a entrepris la première grande étude de santé publique. Après cette étude,
nous avons amorcé celle sur la santé mentale, avec le sénateur Kirby comme
président du Comité et moi comme vice-président. Nous nous sommes interrompus,
parce que je siégeais aux trois grands comités créés après le SRAS; nous
avons rédigé un rapport sénatorial sur le SRAS, surtout parce que javais
bien hâte de voir lagence de santé publique créée.
Quels facteurs rendent un comité efficace?
Sénateur Keon : Il faut voir le problème à fond, sous tous les angles. Il
faut utiliser les données les plus récentes. Il faut éviter lanecdote
et la persuasion qui fait appel à lémotion. Si on peut formuler létude
en termes très clairs, celle-ci prend forme et sera valable : elle obtiendra
des appuis. Tout le monde cherche une excuse pour mettre fin à quelque
chose. Il est bien plus facile darrêter les choses que den créer dautres.
Le président du comité a un important rôle à jouer. Il doit garder le comité
motivé et veiller à ce que létude demeure intéressante. Il doit aider
les membres à voir clair. Où va-t-on? Que peut-on réaliser? Quels résultats
positifs sortiront de linitiative?
Je pense quil faut choisir les témoins qui peuvent vraiment contribuer
à létude et garder le cap. En même temps, il faut disposer dun vaste
spectre dinformation.
Aux premières étapes, on consulte les experts pour entendre ce quils ont
à dire; à la dernière étape de létude, on doit tester les résultats sur
le public. Les chercheurs dans leur tour divoire ont souvent de grandes
idées sur le papier, mais il arrive quune personne ordinaire les mette
en pièces, juste parce quelles ne sont pas pratiques.
Sénatrice Carstairs : Je pense que le plus grand défi pour un président
de comité, cest de maintenir lintérêt du débat. Cest toujours difficile
dobtenir, avec laide du personnel de recherche, les témoins qui nous
font avancer et qui ont quelque chose de neuf et de différent à dire, quelque
chose qui nous remet en question et nous engage sur la voie de la réussite,
sans quoi on ny parviendrait pas. Il est important de regarder le visage
des sénateurs, découter leurs questions. Quels enjeux les intéressent?
Si jai devant moi un universitaire comme témoin, je mattends à ce quil
puisse mexpliquer les tenants et les aboutissants de son domaine de recherche.
Il faut également des témoins qui travaillent concrètement dans le domaine
et qui nous donnent des exemples : ceux-ci peuvent être très parlants, comme
sur une situation qui touche un aîné et quon peut appliquer à lensemble
de la population âgée. À la dernière session, on nous a raconté des histoires
touchantes qui nous ont fait comprendre que nous avons affaire à des personnes
en chair et en os et quil faut répondre à leurs besoins.
En dernière analyse, tout ce que le Sénat peut faire, cest de mettre des
idées de lavant et de les promouvoir aussi souvent que lon peut. Ce sont,
en fait, ceux qui réalisent les programmes qui verront les résultats immédiats.
Je mintéressais aux soins palliatifs. Des gens viennent souvent me voir
et me disent que mon travail a changé quelque chose. Je peux masseoir
et me dire que, si je navais pas été là, si je navais pas rédigé tous
ces rapports, si je navais pas donné tous ces discours, si je navais
pas parcouru le pays de long en large, le mouvement que jai lancé naurait
pas eu lieu.
Il faut tirer satisfaction de savoir quune partie du travail que lon
fait, pas autant que lon voudrait, aboutit à quelque chose et améliore
le sort des gens.
Vous vous intéressez tous les deux à la santé. Quels sont les grands dossiers
sanitaires de lheure et pour lavenir immédiat?
Sénateur Keon : La santé publique doit constituer lune des priorités parce
que je pense que cest le seul instrument qui nous permet de régler les
problèmes de santé de la population avec les ressources dont nous disposons.
Nous dépensons beaucoup trop dargent dans le domaine de la santé pour
ce que nous en retirons. Nous avons trop développé notre système médical
et hospitalier, aux dépens des services communautaires.
Nous avons négligé la promotion de la santé et la prévention et nous navons
pas ciblé les populations malades pour nous en occuper. Nous préférons
nous attaquer aux problèmes de très haut, avec des programmes universels
dont nous navons pas besoin. Il nous faut seulement des programmes pour
les gens qui ne sont pas en bonne santé.
Bien sûr, le réseau public représente un déterminant de la santé, mais
non le seul, et il compte très peu dans létat de santé général de la population.
Pour que la population soit en bonne santé, il faut éliminer la pauvreté
ou, à tout le moins, celle qui nuit à la bonne alimentation. Pour cela,
il faut fournir du logement adéquat et surtout léducation.
Il faut modifier la douzaine de principaux déterminants de la santé. Rien
ne sert de dépenser des dizaines de millions à traiter des maladies que
nous sommes parfaitement capables de prévenir.
Il est incroyable que les gens ne prennent pas leur propre santé en main.
Jai vécu cela quand jétais médecin. Un malade arrive, obèse ou souffrant
dhypertension; il ne fait aucun exercice et fume cigarette sur cigarette.
Il réclame une chirurgie cardiaque. Il lui faut un cur, sans quoi il va
mourir en quelques mois.
On dit à ce malade : si vous voulez vivre 20 ans encore, voici ce que vous
avez à faire. Beaucoup de gens ne veulent pas de nos conseils. Ils reviennent
se faire opérer trois ou quatre ans après, au lieu daméliorer leur état
de santé. La promotion de la santé est difficile : on ne peut y parvenir
que si lon a été de lautre côté, que si lon possède une longue expérience
et quon est en mesure de livrer le message de la manière dont il doit
lêtre.
Sénatrice Carstairs : Je préside présentement un comité sur le vieillissement.
Ayant défendu depuis longtemps les soins palliatifs, jai constaté que
la question de la mort nest pas la seule qui préoccupe la population âgée.
Il y a un lien très clair entre la notion de vieillissement et les soins
palliatifs qui lui sont subordonnés.
Entre autres choses, jaimerais quil y ait, pour les aidants naturels,
des prestations permettant aux gens dans la quarantaine ou la cinquantaine
de prendre congé de leur travail, ce quils seraient peut-être disposés
à faire, mais sans être pénalisés 10 ou 15 ans plus tard quand ils voudront
toucher leur pension ou leur rente. Jespère pouvoir formuler des recommandations
en ce sens.
Jaimerais que le gouvernement fédéral appuie les soins à domicile. Il
nest pas chargé dassurer ces services ce sont plutôt les provinces
, mais il a le luxe de disposer de largent à donner aux provinces pour
quelles élaborent des programmes spéciaux. Les soins à domicile constituent
lun des domaines dans lesquels nous devons être plus proactifs, à mon
avis.
Selon moi, une stratégie nationale dorigine fédérale, qui fixerait des
paramètres de soins à fournir et affecterait des fonds à leur concrétisation,
pourrait faire une importante différence, surtout dans les provinces qui
sont déjà moins nanties.
Si lon pouvait repartir à zéro, quaurait lair le système de santé canadien?
Peut-on se concentrer davantage sur les soins et moins sur les remèdes?
Sénateur Keon : Notre système de santé nen est pas un : cest un mode de
vie qui répond à la maladie. Si on laisse des milliers et des milliers
de personnes devenir malades pour diverses raisons, cest que nous ne possédons
vraiment pas de système abordable.
Si javais le feu vert pour édifier un système médical au Canada, je commencerais
par la base. Jouvrirais un centre communautaire de santé et de services
sociaux pour chaque tranche de 50 000 personnes. Je le relierais à lAgence
de santé publique, aux systèmes dinformation médicale et à lInforoute,
afin que les données soient bien recueillies et bien stockées.
Chaque centre constituerait un petit module de recherche relié aux hôpitaux
communautaires et aux centres de soins tertiaires et quaternaires. Les
gens malades auraient accès aux centres communautaires de santé et leur
maladie serait traitée vite et bien; ils se rétabliraient, retourneraient
dans la société et continueraient dutiliser le centre.
Les malades en phase terminale évolueraient vers la mort; certains auraient
un besoin récurrent dinstallations de pointe. Je mettrais laccent sur
la promotion de la santé, ce qui réduirait le nombre de maladies évitables.
Sénatrice Carstairs : Selon moi, il faut un système médical qui ne considère
pas lhôpital comme le seul modèle de prestation de soins. Pensons aux
malades chroniques, ou à une personne qui souffre darthrite grave et qui
a besoin daide pour se nourrir et se déplacer, et doit recevoir des soins
à domicile.
Si on ne fournit pas ce genre daide, deux choses arrivent. Les malades
finissent dans des foyers de soins de longue durée ou à lhôpital, les
deux infrastructures les plus coûteuses pour la prestation de soins.
Si nous devenons une société qui prend vraiment soin des gens, nous allons
libérer des sommes consacrées au traitement médical pour les affecter à
des formes plus douces de soins. Le problème, cest que la plupart des
Canadiens ne comprennent pas que ce virage est possible.
Cest là, je pense, que le gouvernement a un véritable rôle à jouer : il
peut commencer en donnant de largent directement à ce secteur, ce qui
nous mènerait vers une médecine plus douce qui ne met pas seulement laccent
sur les soins intensifs.
Dans notre système fédéral, les obstacles à la résolution des problèmes
semblent presque insurmontables. Que peut-on y faire?
Sénateur Keon : Je pense que la solution universelle aux obstacles entre
ordres de gouvernement et aux obstacles dans la société, cest un plan
élaboré à la perfection. Personne ne peut sopposer à un projet bien planifié,
qui a fait lobjet dune recherche soignée et qui a du bon sens à toutes
les étapes.
Sénatrice Carstairs : Je pense quil faut cibler les problèmes. Quand je
suis devenue ministre chargée de responsabilités spéciales à légard des
soins palliatifs, il y a trois choses que je voulais accomplir, et jai
été en mesure de les réaliser. Nous avions 40 ou 50 idées sur lesquelles
nous voulions travailler, mais jai décrété que nous avions trois ans pour
agir. Si nous pouvons réaliser trois objectifs, nous aurons accompli tout
ce que nous pouvions.
Dans les faits, nous avons pu réaliser deux ou trois autres objectifs,
parce que nous navons jamais perdu de vue nos trois objectifs premiers,
à savoir laffectation de plus dargent à la recherche, un programme de
soins compatissants et la formation des médecins. En ciblant ces trois
objectifs, ce qui sest ajouté en prime nétait pas essentiel, et nous
avons été en mesure de faire avancer le dossier.
On parle beaucoup de réformer le Sénat aujourdhui. Comment envisagez-vous
lévolution du Sénat de cette institution?
Sénatrice Carstairs : Dabord, je dirais que le Sénat travaille bien dans
beaucoup de domaines. Pour lessentiel, nous légiférons bien, à mon avis.
Nous avons tendance à examiner les lois en détail et de façon beaucoup
moins partisane que lautre chambre.
Nous avons notre point de vue à nous, que daucuns qualifieront de point
de vue minoritaire (ce quil est), mais cest également le point de vue
de gens qui nont pas à se faire élire. Il nous permet de faire en sorte
que la loi soit la meilleure possible, sans trop nous soucier des groupes
dintérêt qui pourraient influer sur notre élection. Cela donne aux sénateurs
une liberté extraordinaire que les députés ne posséderont jamais.
La deuxième chose que nous faisons bien, je pense, ce sont les études spéciales,
au sein de comités structurés comme hors deux. Le gouvernement en place
le reconnaît rarement, mais, à la longue, il puise certaines de ses didées
dans ces études. Létude sur la santé mentale représente un exemple parfait
détude qui a amené des changements effectifs.
Troisièmement, et très peu de gens le savent, cest que les sénateurs embrassent
des causes spéciales qui leur tiennent à cur. Joyce Fairbairn a fait un
travail remarquable dans le domaine de lalphabétisation. Lancienne sénatrice
Landon Pearson a fait la même chose pour les droits des enfants. Le sénateur
Terry Mercer travaille à toutes sortes de levées de fonds pour des causes
nobles. Le sénateur Jim Munson a travaillé sur lautisme. Presque tous les
sénateurs en fonction ont une cause qui leur est chère. Ils font quelque
chose dans la collectivité sur un dossier quils font avancer.
En ce qui concerne la réforme du Sénat, je suis bien en faveur de limiter
le mandat des sénateurs : un mandat de huit ans est sans doute trop court,
mais un de douze ans maurait tout à fait convenu.
Je pense que nous devons changer la façon que les sénateurs sont nommés.
Je ne suis pas sûre de la méthode idéale. Jaime que des noms soient proposés
par les provinces, mais il serait facile de me convaincre dune meilleure
méthode si elle était proposée.
Je naime pas lélection directe. Je pense que cela ferait du Sénat une
seconde Chambre des communes. Mais je naime pas non plus lidée que le
premier ministre peut dire un bon matin : « Tiens, je vais nommer untel sénateur! ».
Cest ainsi je suis entrée au Sénat, mais je ne pense plus que ce soit
valide en 2007. Il faut un changement.
Bien sûr, venant de lOuest, je suis très favorable à une meilleure représentation
de lOuest.
Sénateur Keon : Je reconnais que le Sénat fait de très bonnes études dorientation
et à long terme. Il réalise très bien lexamen approfondi des lois en comité.
Les comités du Sénat sont excellents parce quils ne sont pas pressés et
quils peuvent prendre leur temps pour analyser les lois en profondeur.
À loccasion, les choses se passent mal, mais aucun système exploité par
les humains nest parfait. Cela dit, il est assez bien reconnu que le Sénat
accomplit vraiment un excellent travail. Il est incontestable que nous
améliorons les lois considérablement à long terme.
À mon avis, le plus gros problème du Sénat, cest le mode de nomination.
Je ne pense pas que le public canadien accepte que le Sénat puisse servir
les intérêts dun parti politique. En corollaire, les nominations sont
souvent vues comme des faveurs politiques.
Il faut donc un mode différent de nomination, mais il faut vraiment y réfléchir.
Je favoriserais une sorte de comité de sélection, méthode traditionnelle
et très ancienne de choisir la bonne personne pour le bon emploi. Lexemple
classique, ce sont les recteurs duniversité.
Un bon comité de sélection pourrait chercher les gens qui conviendraient
le mieux à une nomination dans une région géographique donnée, qui seraient
en mesure de maintenir léquilibre politique et qui sauraient enrichir
le Sénat dun domaine de compétence qui lui fait défaut.
Jai vécu toute ma vie avec les comités de sélection. Cest un processus
avec lequel je suis très familier et auquel je crois beaucoup, parce que
je pense que le Sénat devrait se doter des meilleures personnes possible.
Le Sénat doit représenter tous les segments de la société : le monde politique,
mais pas de façon exagérée; le milieu universitaire; les arts; les mouvements
sociaux; les ONG; le monde scientifique, dans un sens large sciences de
la santé, génie, toutes les sciences physiques. Ce nest pas là une liste
complète, mais, à mon avis, cest une façon denvisager le Sénat.
Je ne crois pas beaucoup aux élections. Souvent, les élus ne possèdent
pas lexpérience ni les études requises pour bien faire le travail.
Le premier ministre doit être élu, les divers ministres doivent lêtre
également. Je nai aucun doute à ce sujet. Cela ne veut pas dire que la
Chambre haute doit être une copie des Communes. Lautre problème que je
vois avec un Sénat élu, cest quon se retrouverait dans la même situation
que les Américains. Le Sénat américain a passablement refréné le Congrès
et je pense que, si nous avions un sénat élu au Canada, cela aurait le
même effet. Cela refrénerait laction de la Chambre des communes. Je pense
quil faut envisager tout cela avec énormément de prudence.
Les nominations pourraient continuer de venir du premier ministre, mais
le comité de sélection pourrait lui fournir deux ou trois noms pour un
siège et le laisser prendre la décision finale.
Comment jugez-vous votre carrière au Sénat et quavez-vous appris de la
vie et de la politique durant votre séjour?
Sénateur Keon : Cette question est difficile parce réussir au Sénat est
généralement considéré comme réussir en politique, alors que cela na jamais
vraiment compté pour moi. En fait, jai toujours trouvé cela difficile
à avaler parce que jai toujours voulu être un scientifique, où lon soccupe
de la vérité, de linformation objective. Quand on ne dispose pas dune
preuve mathématique ou scientifique, ou dune preuve empirique éclatante,
on ne va pas plus loin. Mais ce nest pas la politique.
Jadmire les politiciens qui ont réussi, que ce soit au palier fédéral
ou provincial, peu importe leur parti. Jadmirais leur qualité de leadership.
Je pense que les deux meilleurs exemples sont Trudeau et Mulroney, lun
à la suite de lautre.
Les membres des professions médicales et scientifiques ont été très vexés
de me voir aller au Sénat. On ne gagnait pas grand-chose en médecine et
en sciences à entrer en politique. Beaucoup de ces gens estiment que notre
temps est mieux employé quand il est consacré à notre profession.
Cest très difficile pour moi de vous dire si je serai satisfait quand
je quitterai le Sénat, mais je pense que oui.
Jai vraiment aimé chaque étape de ma vie. Jai eu beaucoup de chance.
Jai choisi la profession qui me convenait. Jétais né pour accomplir ce
que jai fait à titre de chirurgien cardiaque. Ma vision de la vie na
pas changé. Dès le départ, jai pensé que tout était possible, et je le
pense encore.
Quant à la politique, il faut être prudent lorsquon apporte des retouches
à notre modèle de gouvernance, parce que, malgré ses défauts, en principe,
le Canada possède lun des meilleurs systèmes de gouvernance du monde.
Bien sûr, on peut laméliorer à tous les niveaux, mais il faut être très
prudent à cet égard.
Sénatrice Carstairs : Jai appris que le mouvement politique est très lent.
Les changements quon estime urgents ne se font tout simplement pas du
jour au lendemain. Cest frustrant. On voit quelque chose qui doit être
fait et on veut que ce soit fait tout de suite, mais il est rare que cela
arrive en politique. Cest la chose la plus difficile à laquelle il faut
sadapter.
La meilleure chose en politique, cest la possibilité dexplorer des idées,
de rencontrer de gens, délargir ses horizons et ses intérêts. Je pense
que la politique offre cela plus que toute autre profession. Cest un défi,
mais cest également amusant.
Nous devons faire de notre mieux pour faire avancer ensemble les dossiers
qui sont importants pour les Canadiens. Je mengage dans des choses qui
ne sont pas partisanes. Je pense que cest là que jai changé depuis 13 ans.
Jai fait de la politique partisane. Jai été chef dun parti et jai été
chef adjoint. Il fallait être partisane pour cela. Aujourdhui, je suis
très réjouie den être sortie et de moccuper de dossiers sur lesquels
je peux me concentrer, où, selon moi, je peux faire une différence au chapitre
du changement de la société.
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