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Les témoignages des administrateurs des comptes devant le Comité permanent des comptes publics
L'hon. Shawn Murphy, député

En mars 2007, le Comité permanent des comptes publics a adopté le Protocole pour les témoignages des administrateurs des comptes devant le Comité permanent des comptes publics. Le présent article porte sur le Protocole proposé et sur le débat qui a suivi au sujet de sa mise en application. 

Dans une démocratie parlementaire, contrairement à dans un régime présidentiel, c’est l’Assemblée législative qui donne à l’exécutif politique son pouvoir de gouverner. « Le gouvernement doit obtenir l’approbation du Parlement pour légitimer ses politiques et ses activités, surtout lorsqu’il est question de dépense de fonds publics. Par conséquent, le premier ministre et le Cabinet ont l’obligation de rendre des comptes au Parlement et peuvent gouverner tant et aussi longtemps qu’ils conservent la “confiance” du Parlement. […] Ainsi, non seulement le pouvoir de gouverner de l’exécutif relève-t-il du Parlement, mais ce dernier surveille également l’utilisation absolue ou irresponsable du pouvoir du gouvernement1. » 

Dans l’introduction de son deuxième et dernier rapport, le juge John Gomery révèle « l’une des principales défaillances » de la gestion du Programme de commandites : « le fait que le Parlement n’a pas joué son rôle traditionnel et historique de surveillant des dépenses effectuées par la branche exécutive du gouvernement ». Cette défaillance était attribuable au peu d’information transmise au Parlement à propos du Programme et au « déséquilibre de pouvoir qui s’était établi entre la branche exécutive du gouvernement (représentée dans ce cas par le cabinet du Premier ministre) et des institutions parlementaires telles que le Comité des comptes publics, chargées d’obliger la branche exécutive à rendre compte de sa gestion des deniers publics »2

Pour corriger ce déséquilibre, le juge Gomery a formulé certaines recommandations, dont deux qui devraient permettre aux comités de la Chambre en général et, plus particulièrement, au Comité des comptes publics de s’acquitter plus efficacement de leurs responsabilités3. Il a, de plus, jumelé à ces propositions deux autres recommandations pour « reconnaître et déclarer explicitement que les sous-ministres et les hauts fonctionnaires qui détiennent une responsabilité législative sont tenus de rendre compte de plein droit devant le Comité des comptes publics de l’exercice de leurs fonctions législatives et de leurs fonctions déléguées » (recommandation 4) et pour créer un mécanisme de règlement des différends entre un ministre et un sous-ministre dans les domaines où le sous-ministre détient des pouvoirs législatifs – une mesure qui présente aussi l’avantage de confirmer la responsabilité ultime du ministre et de préserver la responsabilité ministérielle (recommandation 5). 

Des recommandations très similaires à ces deux dernières du juge Gomery avaient été formulées par le Comité permanent des comptes publics dans son propre rapport sur le Programme de commandites – rapport adopté à l’unanimité par le Comité durant la 38e législature, sous un gouvernement minoritaire et déposé à la Chambre des communes près d’une année plus tôt, en juin 20054

En février 2006, le gouvernement a déposé le projet de loi C-2, Loi fédérale sur la responsabilité, qui proposait, entre autres, de modifier la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) afin de désigner un haut fonctionnaire dans chaque ministère et chaque organisme mandataire de l’État (fort probablement le sous-ministre ou le premier dirigeant) à titre d’administrateur des comptes. Ce projet de loi a reçu la sanction royale en décembre de la même année. Par conséquent, la Loi sur la gestion des finances publiques a été modifiée par l’ajout du nouvel article 16.4, qui stipule que les administrateurs des comptes, aux termes de la doctrine de la responsabilité ministérielle, sont comptables devant les comités compétents du Sénat et de la Chambre et qu’ils doivent répondre aux questions concernant les responsabilités de gestion suivantes : 

  • les mesures prises pour que les ressources du ministère soient affectées de façon à réaliser les programmes de celui-ci, en conformité avec les règles et méthodes administratives applicables; 
  • les mesures prises pour que le ministère soit doté de mécanismes de contrôle interne efficaces; 
  • la signature des comptes qui doivent être tenus pour l’établissement des Comptes publics visés à l’article 64 de la LGFP; 
  • l’exercice des autres attributions spécifiques relatives à l’administration du ministère qui lui sont conférées sous le régime de la LGFP. 

De plus, la Loi sur la gestion des finances publiques comporte maintenant le mécanisme de règlement des différends suivant lorsqu’un l’administrateur des comptes et un ministre ne s’entendent pas sur l’interprétation ou l’application d’une politique, d’une directive ou d’une norme établie par le Conseil du Trésor : 

  • l’administrateur des comptes demande l’avis écrit du secrétaire du Conseil du Trésor sur la question; 
  • si l’avis du secrétaire ne règle pas la question, le ministre en saisit le Conseil du Trésor pour décision; 
  • le Conseil du Trésor envoie une copie de sa décision au vérificateur général du Canada, qui sera considérée comme un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada. 

Le rapport du Comité permanent des comptes publics de juin 2005 indique clairement que les députés de l’ensemble des partis estimaient que la doctrine de la responsabilité ministérielle, telle qu’elle était traditionnellement interprétée par le Bureau du Conseil privé (BCP), ne servait plus l’intérêt du Parlement ni celui des Canadiens et qu’elle devait être révisée. 

Le Comité était également d’avis qu’il fallait mieux définir les responsabilités respectives des ministres et des sous-ministres de manière à ce que ceux-ci sachent exactement quel est leur rôle – et ainsi qui est responsable et donc comptable selon la situation. Vue sous cet angle, la doctrine de la responsabilité ministérielle devait – non pas être rejetée – mais être clarifiée et ainsi renforcée. C’est ce que l’adoption d’un régime d’administrateurs des comptes allait permettre de faire. 

Dans son rapport, le juge Gomery a fait mention d’une « chaîne d’imputabilité » composée des sous-ministres, du Comité des comptes publics, du Conseil du Trésor et du Bureau du vérificateur général. Il a ajouté que les « maillons » de cette chaîne « devraient constituer ensemble un système cohérent de contrôle des dépenses publiques » et que ce système devrait fonctionner de telle manière que « les rôles et actions des participants se complètent et se renforcent mutuellement » 5. Il a cependant constaté que ce n’était pas le cas. Deux maillons de cette chaîne – le Comité des comptes publics et le Conseil du Trésor – étaient particulièrement faibles alors qu’ils se devaient « d’être des partenaires œuvrant dans un esprit sinon d’amitié, du moins de collaboration, pour veiller à atteindre leur objectif commun d’assurer la probité de la gestion financière » 6. « Il est indispensable, conclut–il, que le Conseil du Trésor et le Comité des comptes publics entretiennent une relation de dialogue, pas de confrontation7. » 

En ma qualité de président du Comité des comptes publics, je suis entièrement d’accord avec ces recommandations et, bien que les modifications apportées subséquemment à la Loi fédérale sur la responsabilité diffèrent légèrement des recommandations du rapport, j’appuie totalement ces nouvelles dispositions.  

Après l’édiction de la Loi fédérale sur la responsabilité, le Comité des comptes publics a jugé qu’un protocole était nécessaire pour appuyer les sous-ministres et les dirigeants d’organismes dans leur nouveau rôle d’administrateurs des comptes. Le Comité a donc, à cet égard, demandé et obtenu l’aide de M. Ned Franks, professeur émérite à la faculté de science politique de l’Université Queen’s. Le Comité a aussi tenté d’amener le Secrétariat du Conseil du Trésor à participer à l’élaboration de ce protocole. Les propos de M. Franks ont vivement intéressé le Comité et lui ont permis de faire les constats suivants : 

  • À part les directives émanant du Bureau du conseil privé, il n’y avait aucune directive du Parlement comme tel pour soutenir les sous-ministres et les autres fonctionnaires lorsqu’ils comparaissent devant les comités de la Chambre des communes; 
  • les fonctionnaires qui témoignaient devant le Comité des comptes publics ne savaient pas toujours avec certitude ce qu’on attendait d’eux et, parfois, ils craignaient de faire l’objet d’un traitement déraisonnable; 
  • la fonction d’administrateur des comptes étant nouvelle et n’ayant jamais été mise à l’épreuve, aucun fonctionnaire n’avait témoigné à ce titre devant les comités parlementaires, et en particulier devant le Comité des comptes publics; 
  • si le Comité ne prenait pas l’initiative d’élaborer un protocole, ou un ensemble de règles, régissant la comparution des administrateurs des comptes devant lui, ce genre de document risquait de ne jamais voir le jour. 

À l’issue de nombreuses audiences, le Comité a rédigé un protocole acceptable qui répondait tant aux préoccupations des parlementaires qu’à celles des hauts fonctionnaires. Il établissait clairement que, pendant les audiences devant le Comité, les questions adressées aux administrateurs des comptes devaient respecter les limites de leurs responsabilités telles qu’elles étaient établies par les modifications apportées à la Loi sur la gestion des finances publiques. En fait, aux termes du Protocole, le président du Comité doit intervenir si un administrateur des comptes est soumis à des questions débordant de son champ de responsabilités, et il doit aussi guider les membres du Comité quant à leur rôle. Le Protocole précise également, dans l’intérêt de tous, que le rôle du Comité des comptes publics ne consiste pas à critiquer les politiques, mais plutôt à se concentrer sur les questions de gestion financière, de contrôle et de responsabilité. Par conséquent, le Comité a tenté, grâce au Protocole, de dissiper toute appréhension ou crainte que pourraient avoir les administrateurs des comptes lorsqu’ils doivent comparaître devant lui. 

D’un autre côté, le Protocole indique, aussi, clairement que les administrateurs des comptes détiennent de plein droit certains pouvoirs législatifs et délégués et, donc, que les administrateurs – et non leurs ministres – doivent s’attendre à ce que le Comité leur demande à eux – et non à leurs ministres – de rendre compte de l’utilisation de ces pouvoirs (qui sont énoncés principalement dans la Loi sur la gestion des finances publiques, mais également dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et la Loi sur les langues officielles8). De plus, le Protocole précise que le Comité s’attend à ce qu’un administrateur des comptes, même s’il a été muté à un autre ministère ou organisme fédéral ou s’il a pris sa retraite, puisse encore devoir rendre compte devant le Comité des décisions qu’il a prises pendant son mandat. 

Bref, le Protocole établit un équilibre entre la responsabilité du Comité et de ses membres de demander aux administrateurs des comptes de justifier leurs décisions relatives à la gestion financière d’une part, et les garanties que l’on doit fournir aux administrateurs des comptes qu’ils n’auront pas à répondre à des questions d’ordre politique d’autre part, puisque ces questions, bien sûr, relèvent de la seule responsabilité du ministre. 

Il est toutefois regrettable que cette démarche coopérative préconisée par le Comité ne semble pas, du moins pour l’instant, intéresser le Secrétariat du Conseil du Trésor. En effet, le Comité reste sans nouvelles du Secrétariat à ce sujet. En lieu et place, le Bureau du Conseil privé a publié sa propre version d’un protocole dans son site Internet, sous forme de lignes directrices à l’intention des administrateurs des comptes. Malgré le libellé de la Loi fédérale sur la responsabilité, ce document maintient la position traditionnelle du BCP selon laquelle les sous-ministres et les administrateurs des comptes comparaissent devant les comités parlementaires afin d’aider leur ministre à rendre des comptes de sa gestion, un point c’est tout. Si cette interprétation est correcte, il faut se demander pourquoi on a édicté l’article 16.1 de la Loi fédérale sur la responsabilité

Cela me laisse perplexe et je me demande comment un ministre pourrait être comptable, devant un comité, de responsabilités qu’il ne possède pas. De plus, ce document du BCP reflète une croyance étrange et plutôt troublante voulant que c’est le Bureau du Conseil privé – et non les parlementaires – qui détermine les règles et la procédure relatives aux audiences des comités parlementaires, alors que ces décisions relèvent du Parlement et du Parlement seulement. 

Le 15 mai, la Chambre des communes a réglé cette question une fois pour toutes. Elle a entériné une motion portant adoption du Protocole du Comité, ce qui fait donc que ce document revêt dorénavant la même valeur qu’une disposition du Règlement de la Chambre. Ainsi, tout administrateur des comptes qui comparaîtra devant le Comité des comptes publics sera tenu de se conformer aux règles et à la procédure établies par le Parlement, et non à celles qui sont fixées par le gouvernement. 

Heureusement, malgré les protestations et les actions du Bureau du Conseil privé et du Secrétariat du Conseil du Trésor, il y a beaucoup de domaines où le document du Bureau du Conseil privé et le Protocole du Comité se rejoignent, ce qui semble indiquer que le Comité et le Secrétariat du Conseil du Trésor peuvent poursuivre leurs discussions sur cette question, et espérons qu’ils le feront, car c’est, selon moi, d’une importance capitale pour l’administration du gouvernement du Canada. 

Notes 

1. Robert J. Jackson et Doreen Jackson, Politics in Canada: Culture, Institutions, Behaviour and Public Policy, 5e éd., Prentice-Hall, Scarborough (Ontario), 2001, p. 290. 

2. Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, Rétablir l’imputabilité : Recommandations, Ottawa, février 2006, p. 3. 

3. Ibid., recommandations 1 et 3. 

4. Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Dixième rapport, 38e législature, 1re session. 

5. Rétablir l’imputabilité, p. 126. 

6. Ibid., p. 136. 

7. Ibid., p. 137. 

8. Pour ceux qui craignent que cette mesure nuise à la responsabilité ministérielle, il vaut la peine de préciser que la Loi fédérale sur la responsabilité prévoit un mécanisme de règlement des différends qui donne le dernier mot au Conseil du Trésor (un comité du Cabinet) dans tout conflit potentiel entre un ministre et son administrateur des comptes dans les domaines relevant de la responsabilité de ce dernier. 


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Vol 30 no 2
2007






Dernière mise à jour : 2020-09-14