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Tom Urbaniak

The Governor General and the Prime Ministers: The Making and Unmaking of Governments par Edward McWhinney. Ronsdale Press, Vancouver, 2005

Le titre traduit mal le but du livre. Edward McWhinney, professeur et ancien député, tente de résumer les pouvoirs et fonctions du gouverneur général du Canada et des lieutenants-gouverneurs des provinces, à partir de précédents fédéraux et provinciaux et d’études de cas d’autres pays du Commonwealth. Pour un sujet qui peut être dense et ésotérique, le style de l’auteur demeure vif et attrayant. Par contre, l’ouvrage est affaibli par des oublis et quelques conclusions douteuses. 

Il faut féliciter l’auteur pour la richesse des cas présentés et pour avoir démontré que les conventions constitutionnelles ne sont pas des carcans, mais qu’on doit les aborder selon la célèbre « approche évolutive » de lord Sankey. Le titulaire doit tenir compte des précédents, tout en étant créatif dans sa décision face aux circonstances. Le chef d’État républicain en Inde, par exemple, a assez bien réussi à sauvegarder le régime parlementaire d’inspiration britannique, tout en l’adaptant aux conditions nationales. Le rôle présidentiel qui en est découlé est délicat, mais actif aussi, qui permet de naviguer dans les méandres d’un gouvernement minoritaire, qualité qui a été remarquée par les titulaires de la charge vice-royale au Canada. 

Dans des circonstances exceptionnelles, les pouvoirs de réserve peuvent même inclure l’intervention comme dernier pouvoir public légitime. McWhinney évoque ici les troubles politiques de la Grenade au début des années 1980. À ce moment-là, le courageux gouverneur général survivant a réussi à établir un lien avec le gouvernement constitutionnel reconstitué. Mais la norme est synonyme de retenue. Comme l’écrit l’auteur, le gouverneur doit éviter « les effusions de sang politiques gratuites ». L’approche subtile et discrète du lieutenant- gouverneur de la Colombie- Britannique David Lam en 1991, à la veille d’une élection et confronté à une rébellion au sein du Crédit social, parti alors au pouvoir, constitue un exemple classique. Des membres du caucus tentaient d’exercer des pressions sur Son Excellence. L’intervention minimaliste et très prudente de Lam a permis indirectement au parti de régler lui-même le problème. 

L’ouvrage est faible là où, compte tenu de l’expérience impressionnante de McWhinney en droit et en histoire, il devrait être le plus solide. L’auteur omet ou dénature certains faits et précédents qui sont essentiels pour déterminer les conventions constitutionnelles qui s’appliquent au poste de vice-roi. Par exemple, il affirme, sans restrictions, qu’il n’y a plus lieu de tenir compte des pouvoirs de réserve et de révocation du lieutenant-gouverneur. Il oublie de dire que Jean-Louis Roux, qui a occupé brièvement le poste de lieutenant-gouverneur du Québec, a évoqué, en 1996, peu de temps après son assermentation, que son pouvoir de renvoyer un projet de loi au gouverneur général (lire le Cabinet fédéral) pourrait être important dans l’éventualité d’une déclaration unilatérale d’indépendance. C’est cette déclaration et les fortes convictions fédéralistes du vice-roi déchu qui lui ont attiré les foudres du gouvernement souverainiste de la province. Ces éléments ont sans doute eu plus d’impact que la révélation, rappelée par McWhinney, qu’en 1942, alors qu’il avait 19 ans, Roux avait porté un sarrau de laboratoire avec une croix gammée. Le faux pas constitutionnel de Jean-Louis Roux a peut-être été de penser tout haut, car il n’est pas impensable qu’un lieutenant-gouverneur puisse servir à contrecarrer une sécession unilatérale. Il n’est donc pas étonnant que cette controverse ait conduit l’Assemblée nationale à adopter une résolution réclamant le droit de choisir elle-même le lieutenant-gouverneur. 

À propos des élections de 1957, 1962, 1963, 1965, 1979 et 2004, où aucun parti n’a remporté la majorité absolue, McWhinney n’hésite pas à conclure qu’il existe une convention constitutionnelle selon laquelle le gouverneur général pressentira d’abord le chef du parti qui a remporté le plus grand nombre de sièges. Dans les faits, le gouverneur général n’appelle personne avant que le premier ministre sortant n’indique son intention de démissionner. Si celui-ci semble se trouver en terrain glissant, le gouverneur général insisterait pour que le gouvernement rencontre la Chambre à la première occasion, et il rejetterait vraisemblablement toute demande de dissolution entre-temps. C’est ainsi qu’a agi le lieutenant- gouverneur de Terre-Neuve à la suite de l’élection de 1971, les libéraux du premier ministre Smallwood et les conservateurs ayant obtenu le même nombre de sièges. Ce fut aussi le cas à la suite de l’élection fédérale de 1925, où les libéraux au pouvoir ont remporté 15 sièges de moins que les conservateurs. Le gouverneur général n’a pas contacté les conservateurs immédiatement après l’élection; les libéraux ont plutôt rencontré la Chambre et ont pu survivre jusqu’à l’année suivante. 

Ce gouvernement libéral a eu maille à partir avec le gouverneur général en juin 1926, le vicomte Byng refusant la demande du premier ministre Mackenzie King de dissoudre le Parlement pour empêcher la tenue d’un vote par lequel les Communes auraient sans doute refusé leur confiance. McWhinney ne voit pas cet épisode comme un précédent, parce que le gouverneur général était encore considéré comme un représentant impérial. Rappelons toutefois que le gouverneur avait expressément décliné la proposition de Mackenzie King de consulter Londres avant de refuser la dissolution. Bien que Mackenzie King ait tiré parti de toute cette affaire en soutenant qu’on avait porté atteinte à l’indépendance canadienne, l’histoire semble avoir vengé Byng grâce, notamment, aux travaux exhaustifs et à la logique rigoureuse d’Eugene Forsey. 

La célèbre crise constitutionnelle de 1975 en Australie semble également indiquer que ce sont les voix autorisées des historiens, plutôt que l’issue de l’élection subséquente, qui ont déterminé qu’une décision extraordinaire d’un gouverneur peut être considérée comme un précédent. Dans ce cas-ci, le gouverneur général a destitué le premier ministre après que le Sénat a décidé de faire obstacle au budget qui avait été adopté par la chambre basse. Le nouveau premier ministre, Malcolm Fraser, a remporté les élections, mais la plupart des analyses ont conclu que le gouverneur général avait agi de façon hâtive, maladroite ou qu’il était même partial, devenant ainsi, malgré lui, un ami de la cause républicaine. 

Dans une annexe pratique, McWhinney reconnaît au gouverneur général le droit, par convention constitutionnelle, de refuser de sanctionner des nominations partisanes qui sont proposées par le gouvernement sortant après une élection et qui peuvent prêter à controverse, mais, dans le corps du texte, il exclut toute possibilité, pour un vice-roi, de refuser d’approuver un décret. En réalité, il existe un cas canadien digne de mention : lord Aberdeen, qui a refusé les nominations au Sénat du premier ministre Charles Tupper à la suite de l’élection de 1896. Tupper avait songé à rencontrer la nouvelle Chambre comme premier ministre, convaincu que le recomptage électoral le favoriserait, même si les libéraux avaient décroché une mince majorité. Après que le vice-roi a exercé son pouvoir de réserve, Tupper a démissionné. Il vaudrait aussi la peine de se demander si un refus du gouverneur général serait justifié pendant une campagne électorale, lorsque le gouvernement au pouvoir propose de prendre une décision non urgente, mais radicale et difficile à annuler, qui violerait ce qu’on appelle parfois la « convention de transition ». Par exemple, durant la campagne électorale de 1993, le gouverneur général aurait-il été justifié de retarder la signature d’un accord très controversé sur la privatisation de l’aéroport international Pearson, dont l’annulation s’est avérée coûteuse pour le nouveau gouvernement libéral? 

Et même si un refus catégorique est difficile à imaginer, qu’en est-il du rôle du gouverneur général dans le respect des trois droits énoncés dans la célèbre formule de sir Walter Bagehot : « le droit d’être consulté, d’inviter le gouvernement à agir et de le mettre en garde »? Ce n’est qu’à la fin du livre que McWhinney mentionne brièvement — citant Adrienne Clarkson, qui dit « avoir exercé les trois » — ce qu’on pourrait considérer comme la plus importante et, possiblement, la plus influente des fonctions politico-constitutionnelles d’un gouverneur. L’auteur est convaincu que, depuis 1926, il n’y a pas eu de « véritable différend ou désaccord ». Même si, comme l’observe John Saywell, beaucoup de premiers ministres ont considéré leurs lieutenants-gouverneurs comme une présence plus ou moins gênante. Ce qu’on ne voit pas peut être très réel, à l’échelon tant fédéral que provincial. 

Adrienne Clarkson aurait été en pourparlers avec son premier ministre après le vote tenu aux Communes le 10 mai 2005, qui ordonnait au Comité des finances d’amender son rapport pour annoncer que le gouvernement avait perdu la confiance de la Chambre. McWhinney dit simplement que le vote ne posait aucun problème constitutionnel, puisqu’il portait sur un amendement. En réalité, on pouvait très bien soutenir que le gouvernement violait la convention constitutionnelle en attendant neuf jours après cette apparente perte de confiance avant de permettre à la Chambre de poser carrément la question de confiance. Même en coulisses, Clarkson ne se serait pas tenue complètement à l’écart. Et si le gouvernement avait tenté de proroger la Chambre ou de retarder les choses davantage après le premier vote, elle aurait probablement eu à intervenir officiellement. 

Réformateur prudent, et quoique défenseur efficace d’Adrienne Clarkson contre certains de ses critiques politiquement opportunistes, McWhinney indique clairement le peu de cas qu’il fait du rôle « purement symbolique » du gouverneur général ou de ses « symboles purement constitutionnels ». Il y a quand même des avantages — et c’est peut-être Frank MacKinnon qui l’exprime le mieux dans The Crown in Canada (Calgary, McClelland and Stewart, 1976) — à concentrer le gros du cérémonial et des privilèges afférents à  l’État, dont celui de commandant en chef des forces armées, dans une personne non partisane qui règne mais ne gouverne pas. Un citoyen peut ainsi être loyal envers le pays et son commandant en chef, tout en étant extrêmement critique à l’égard du gouvernement. 

C’est peut-être la tendance de McWhinney à sous-estimer la symbolique qui l’amène à formuler l’idée que, sans modifier la Constitution, nous pourrions simplement commencer à donner au gouverneur général le titre de « président ». Bien que les références historiques de l’auteur ne tiennent pratiquement pas compte de la période avant la Confédération, il est bon de rappeler que la fonction de gouverneur général, qui date de près de 400 ans, est la plus ancienne institution gouvernementale encore en existence au Canada, et qu’elle couvre les régimes français et britannique. Elle a, depuis, acquis une personnalité spécifiquement canadienne qui s’inscrit dans une évolution harmonieuse à l’intérieur d’une riche tradition historique. C’est une histoire qu’Adrienne Clarkson aimait clamer haut et fort, et avec raison. À l’exception de quelques canailles et bigots qui ont occupé ce poste, la plupart des titulaires étaient sans doute des gens éclairés et posés qui ont contribué davantage qu’ils n’ont nui à la maturité politique du Canada. D’ailleurs, même l’auteur républicain Randall White propose, pour rendre hommage à ce riche héritage, que le chef de d’État du Canada de l’après-monarchie soit coiffé du titre de « gouverneur général » . 

La proposition de McWhinney voulant que le choix du gouverneur général par le premier ministre soit mis aux voix à la Chambre des communes et qu’une majorité des deux tiers pourrait être le seuil requis, est défendue par plusieurs et a un certain mérite. Elle pourrait ajouter du prestige au poste, prévenir le favoritisme flagrant et, peut-être, amener le premier ministre à y penser à deux fois avant de procéder à des nominations de personnages falots. Mais cette proposition pourrait ouvrir la porte à la diffamation, à une attaque rhétorique contre le fédéralisme et à une publicité pour des groupes républicains marginaux jusqu’alors. À la longue, elle pourrait politiser cette charge admirablement non partisane. Peut-être alors, le premier ministre pourrait-il demander à un parlementaire indépendant et non partisan, le président de la Chambre des communes, de formuler cette recommandation, que le premier ministre pourrait ensuite transmettre à la reine. 

On peut pardonner à McWhinney la plupart de ses erreurs factuelles, comme d’écrire que Jean Chrétien est devenu chef du Parti libéral en 1989 (c’était en 1990), ou qu’un député pairé libéral a entraîné la chute du gouvernement éphémère d’Arthur Meighen en 1926 (la gaffe a été commise par le député progressiste T.W. Bird), ou encore que l’ancien premier ministre de la Colombie-Britannique, Bill Vander Zalm, a été « complètement blanchi » des accusations de conflit d’intérêts (McWhinney le confond peut-être avec un autre ancien premier ministre, Glen Clark). Par contre, lorsque McWhinney nous dit que le gouvernement minoritaire néo-démocrate de Bob Rae a pris le pouvoir en Ontario en 1988 dans la foulée du gouvernement minoritaire libéral de David Peterson, nous sommes en droit de nous poser des questions sur le travail de révision. (Le NPD a remporté la majorité en 1990. Le gouvernement libéral minoritaire de 1985 à 1987 a été suivi par un gouvernement libéral majoritaire, de 1987 à 1990.) 

Il faut féliciter McWhinney de s’attaquer à un sujet que peu d’auteurs récents ont exploré en détail, et de décortiquer des fonctions qui passent souvent inaperçues, mais qui sont importantes dans notre système de gouvernement. Toutefois, ceux qui veulent une étude définitive et une interprétation nuancée des fonctions officielles et cérémonielles des représentants de la reine au Canada resteront sur leur faim. 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 29 no 2
2006






Dernière mise à jour : 2020-09-14