Revue parlementaire canadienne

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Courrier des lecteurs
Edward McWhinney

Monsieur, 

Dans ma collaboration spéciale au numéro de septembre 2005 de la Revue parlementaire canadienne, j’ai tenté de dissiper des ambiguïtés inutiles et de diffuser la charge émotive qui accompagnent souvent l’examen de la réforme et de la modernisation de nos institutions et usages constitutionnels dans leurs aspects spécifiquement canadiens. Or, ce n’est sûrement pas se réclamer du républicanisme (qui mène à la république) que de dire qu’il serait utile à tous – à Ottawa ainsi qu’à Londres (qu’il s’agisse du gouvernement britannique ou de la Reine elle-même) – que le premier ministre canadien, qui a effectivement nommé notre gouverneur général depuis 70 ans et choisi pour cette fonction uniquement des citoyens canadiens depuis 53 ans, assume dorénavant la pleine responsabilité politique de ces choix autant sur le plan des formalités que dans les faits. Cette idée n’est pas nouvelle. On en a vu un exemple en 1975, en Australie, immédiatement après le conflit Whitlam-Kerr, alors que planait toujours la possibilité, politiquement invraisemblable et des plus gênante, que le gouvernement britannique et la Reine soient appelés à intervenir dans un conflit politique purement partisan, qui ne concernait que l’Australie, pour démettre un gouverneur général à la demande d’un premier ministre qui tentait d’empêcher celui-ci de lui porter un éventuel coup politique. L’affaire a été discutée avec des responsables britanniques, à Londres, à l’époque où le projet de rapatriement de la Constitution de Trudeau, qui devait mener à la Loi constitutionnelle de 1982, avait été soumis au gouvernement et au Parlement britanniques. On a convenu que le système constitutionnel comportait une lacune embarrassante qui risquait de mener à des confrontations ou à des échanges intergouvernementaux encore plus singuliers embarrassants. Cela aurait pu se produire sous le gouvernement minoritaire canadien de 2004-2005, n’eût été que les principaux acteurs politiques ont toujours montré suffisamment de bon sens et de civisme, ainsi que de respect à l’égard des « règles du jeu » politiques et constitutionnelles, pour que la question demeure purement théorique. Il serait aisé de changer les choses au Canada : il suffirait que le choix du gouverneur général par le premier ministre soit promulgué par décret. On pourrait affirmer sans craindre de se tromper que personne à Whitehall, et encore moins la Reine, n’en perdrait le sommeil. (On a par ailleurs proposé qu’il serait plus conforme au constitutionnalisme démocratique de soumettre le choix du premier ministre à un vote de ratification de la Chambre des communes – par exemple un vote à la majorité des deux tiers de façon à obtenir un consensus de tous les partis.) 

Au Canada, une affaire récente a de nouveau montré à quel point les principes élémentaires de courtoisie et de bonne volonté, dans nos relations avec la Grande-Bretagne, sont maintenant reconnus comme des agents de modernisation nécessaires, non seulement au sein du Cabinet, mais aussi au sein d’autres institutions semblables. L’affaire mettait en cause l’ancien Act of Settlement adopté par le Parlement de Westminster en 1701, qui s’appliquait non seulement à la Grande-Bretagne mais également à ses territoires coloniaux d’outre-mer (y compris le Canada). Cette loi est-elle ou devrait-elle être une loi canadienne aujourd’hui? Reflet des passions et des intolérances religieuses extrêmes de l’époque, c’est-à-dire au lendemain de la « Glorieuse Révolution » de 1688, l’Acte d’établissement frappe d’anathème la religion et l’Église catholique romaine, en flagrante contradiction avec les dispositions relatives à l’égalité de la Charte canadienne des droits de 1982. Cette loi écarte nommément de la succession au trône britannique quiconque se réconcilie ou est en communion avec le pouvoir ou l’Église de Rome et professe la religion papiste, ou épouse un papiste. Appelé à se prononcer sur la constitutionnalité actuelle de l’Acte d’établissement au Canada, un juge de la Cour supérieure de l’Ontario a rejeté la requête en justice d’un citoyen canadien (membre présumé d’un groupe républicain), mais pour des motifs assez subtils par exemple, parce que les limites territoriales de l’application du principe d’égalité de la Charte canadienne ne s’étendent pas à la Grande-Bretagne. Voilà un exemple où un juge sage et prudent sur le plan constitutionnel a choisi consciemment et délibérément de ne pas se prononcer sur le sens d’une loi adoptée à une époque reculée par un État qui est maintenant souverain et indépendant du Canada et avec lequel nous entretenons des relations des plus cordiales. On ne saurait s’attendre à moins d’États dont les relations sont empreintes de courtoisie – ni du droit international lui-même –, aussi répréhensible que puisse paraître une vieille loi de l’Empire britannique aux yeux du Canada multiculturel d’aujourd’hui. 

Il appartiendrait logiquement au gouvernement, au Parlement et à la population britanniques de « corriger » les injustices ou les absurdités de leurs vieilles lois si les circonstances d’un cas précis l’exigeaient. Selon les juristes constitutionnels et ecclésiastiques britanniques qui ont examiné la décision de la Cour de l’Ontario ces derniers mois, une telle occasion se présentera sûrement dans le cadre soit du droit britannique, soit du nouveau droit européen auquel la Grande-Bretagne est maintenant assujettie en tant que membre de la Communauté européenne élargie. N’est-ce pas la meilleure façon de régler de telles questions à l’avenir, en évitant les regrets, les reproches, les regards en arrière ou les critiques à l’égard du riche héritage constitutionnel et juridique que nous ont légué la Grande-Bretagne et l’Empire? 

Edward McWhinney
Vancouver 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 29 no 1
2006






Dernière mise à jour : 2020-09-14