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Évolution du Règlement de l'Assemblée législative de l'Ontario depuis 1985
Adam McDonald

Le régime de gouvernement britannique est imprégné de tradition remontant à plus de mille ans. Bon nombre des processus observés de nos jours ont leur origine dans les combats historiques ou la réaction à des événements externes plutôt que dans une décision consciente de créer une institution. L’Ontario partage cette longue histoire parlementaire, mais, au cours des deux ou trois dernières décennies, la province a subi des changements radicaux. Ceux-ci ont, à leur tour, eu des effets sur le fonctionnement et la culture politique de l’Assemblée législative. L’auteur de l’article traite des changements survenus au Parlement de l’Ontario depuis 1985 et des réactions à ces changements. Il propose aussi des façons d’améliorer le travail du corps législatif. 

Après la Révolution américaine, les Loyalistes de l’Empire-Uni ont fui vers la colonie britannique du Canada. Ils ont apporté avec eux les idées sur le gouvernement représentatif anglais et instauré un gouvernement colonial semblable à celui du gouvernement de Londres. Le gouvernement du Haut-Canada (maintenant l’Ontario) était constitué d’un gouverneur, d’un conseil législatif nommé et d’une assemblée législative élue. Le Conseil législatif et le gouverneur (guidé par un conseil appelé Pacte de famille) détenaient la plus grande partie du pouvoir politique. En fait, ce sont les excès du Pacte de famille qui ont mené à la Rébellion de 1837 et à l’instauration du gouvernement responsable. 

Les dispositions du gouvernement responsable obligent l’exécutif (le premier ministre et son cabinet) à rendre des comptes à l’Assemblée législative élue. Ils devaient gouverner dans le cadre de l’Assemblée et avec sa permission. Pour le Haut-Canada, ce fut un moment décisif. Pour la première fois, l’Assemblée législative avait le droit légitime d’obliger le gouvernement à rendre des comptes et à diriger les affaires de la colonie de manière efficace.  

Le gouvernement responsable signifie également que le Parlement possède quatre fonctions principales. 

  • Former un gouvernement; 
  • Financer le gouvernement; 
  • Avoir un gouvernement en attente; 
  • Obliger le gouvernement à rendre des comptes. 

Ce sont ces tâches — accomplies dans un cadre parlementaire — qui nécessitent des règles pour gouverner les processus de la Chambre. Les règles se trouvent principalement dans le Règlement de l’Assemblée législative. 

Pendant de nombreuses années, la politique ontarienne a eu la réputation d’être « ennuyeuse », principalement en raison des 42 ans de pouvoir des conservateurs à compter de 1943. Cependant, en 1985, la coalition libérale et néo-démocrate a renversé ce gouvernement et instauré des changements de procédure et de comportement qui ont valu aux députés une réputation de personnes turbulentes et bruyantes. 

Le Parlement sans majorité de 1985 

Les élections n’ont jamais été aussi peu déterminantes que celles de l’Ontario en 1985. Le gouvernement progressiste-conservateur de Frank Miller a remporté de justesse 52 des 125 sièges que comptait alors l’Assemblée législative. Le Parti libéral, dirigé par David Peterson, a obtenu 48 sièges, tandis que le Nouveau Parti démocratique de Bob Rae a remporté 25 sièges. Les Conservateurs venaient juste de voir leur chef bien-aimé — Bill Davis — prendre sa retraite au sommet de sa popularité. Ils avaient gouverné la province pendant plus de 42 ans et croyaient, comme Bob Rae — et bien d’autres — l’ont dit, que le gouvernement était leur « de droit divin1 ». Ce gouvernement minoritaire était, au mieux, un choc pour le parti. 

Toutefois, l’opposition n’avait pas vraiment gagné l’élection. Ils se trouvaient dans la même situation qu’en 1975 et 1977; ils pouvaient renverser le gouvernement ou permettre aux conservateurs de continuer à gouverner. Mais, contrairement aux gouvernements minoritaires de Davis, celui de Miller avait perdu le vote populaire et ne conservait le pouvoir que de justesse. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les deux partis de l’opposition sont arrivés à s’entendre2. Au début de juillet, les partis ont changé de côté en Chambre. Les libéraux ont occupé les sièges du gouvernement et les conservateurs ont rejoint le NPD dans l’opposition. 

Ces faits sont, en réalité, moins importants qu’ils le semblent au premier abord. Les gouvernements minoritaires sont notoirement instables et l’entente entre les libéraux et les néo-démocrates n’avait qu’une validité de deux ans. Plus important toutefois est le changement culturel qui s’est produit au nouveau Parlement au cours de ces deux premières années. Les entrevues avec Norm Sterling, député progressiste-conservateur qui a siégé le plus longtemps, indiquent que la nature du parlement sans majorité a fait en sorte que le gouvernement ne pouvait pas simplement « foncer » avec ses projets. Effectivement, le gouvernement minoritaire de Peterson a dû négocier avec les partis d’opposition pour modifier le Règlement de l’Assemblée législative3

Bon nombre des changements ont été de nature administrative, mais il y a eu des réformes considérables dans la manière de conduire les travaux de la Chambre, notamment : 

  • la fin des séances en soirée; 
  • la réservation d’une plage horaire aux mesures d’initiative parlementaire, le jeudi matin; 
  • les réponses aux déclarations ministérielles; 
  • les déclarations des députés; 
  • l’ordre des questions orales4

Ces changements constituaient l’aboutissement de concessions mutuelles des partis, mais ils ont été plus avantageux pour l’opposition que pour le gouvernement. Soudainement, les simples députés ont eu du temps réservé spécialement pour étudier les projets de loi d’initiative parlementaire. Ils pouvaient aussi prendre 90 secondes pour aborder une question de leur choix au cours d’une période de dix minutes appelée « Déclarations des députés ». Comme l’a dit le président la première fois que cette mesure a été appliquée :  

Les déclarations des députés donnent à un simple député, autre que le chef de parti ou un ministre, une occasion de faire une déclaration d’au plus 90 secondes au cours d’une période de 10 minutes réservée à cette fin. Ces délais seront strictement respectés afin que tous les députés aient la possibilité de participer. 

Par le passé, des députés ont soulevé à différentes occasions ce que j’appellerais des rappels au Règlement ou des questions de privilège personnel fictifs. J’espère que cette mesure remédiera à la situation. Ce sera mon devoir de rappeler à l’ordre les députés, car, en retour, ils auront la possibilité de s’exprimer durant la période consacrée aux déclarations des députés5

Les deux autres changements importants au Règlement ont aussi modifié la manière dont les députés mènent les travaux de la chambre. Le premier concerne les « réponses aux déclarations ministérielles ». La nouvelle procédure alloue à chaque parti d’opposition cinq minutes pour répondre à une déclaration politique (quelle qu’elle soit) que le gouvernement a faite un jour donné. Elle permet aux partis d’opposition de répondre en dehors du débat sur les initiatives du gouvernement. 

La dernière modification constitue un important changement de la tradition parlementaire. L’une des tâches du président consistait à choisir les députés qui prendraient la parole. Ce faisant, le président utilisait son pouvoir discrétionnaire quant à l’ordre des questions et au nombre de questions supplémentaires que pouvait poser chaque député. Bien que, traditionnellement, le chef de l’opposition pose les premières questions, c’est le président qui décidait au bout du compte. 

Le nouveau Règlement se lit comme suit : 

En exerçant son pouvoir discrétionnaire en application de l’alinéa 27(d) du Règlement pour autoriser des questions supplémentaires, la Chambre recommande que le président autorise les questions supplémentaires comme suit : 

  • Opposition officielle — une question et deux questions supplémentaires;  
  • Opposition officielle — une question et deux questions supplémentaires; 
  • Tiers parti — une question et deux questions supplémentaires; 
  • Tiers parti — une question et deux questions supplémentaires; 
  • Toutes les autres questions — une question et une question supplémentaire6.  

Bien que le président se réserve le droit de déterminer l’ordre dans lequel les députés prendront la parole et le nombre de questions supplémentaires, la Chambre a manifesté le désir d’avoir un certain ordre dans ses délibérations en proposant cet ajout au Règlement. 

L’été magique, formidable de 1987 

Lorsque David Peterson a conclu un accord avec Bob Rae, il savait qu’il avait deux ans pour montrer aux Ontariens ce qu’il pouvait faire et quel genre de premier ministre il serait. À l’expiration de l’accord en 1987, Peterson a déclenché des élections et remporté 95 des 130 sièges. Il est permis de croire que c’est durant cette période qu’ont eu lieu les changements les plus importants au Règlement de l’Assemblée législative. Les élections de 1987 marquent le début d’un processus par lequel les parlementaires des années conservatrices ont quitté l’Assemblée législative pour être remplacés par des députés nouvellement élus. Aux élections de 1987, Peterson a obtenu une majorité énorme et bon nombre des députés étaient élus pour la première fois; les élections de 1990 ont décimé les libéraux, amenant au pouvoir le NPD, qui n’avait jamais formé de gouvernement; en 1995, les conservateurs de Harris ont pris le pouvoir avec leur propre contingent de nouveaux députés. Dans chaque cas, de nombreux députés n’avaient aucun sens des traditions d’un parlement stable et peu de connaissances des rouages du Parlement. 

Bien que les élections de 1987 n’aient pas marqué le début de la série de changements apportés au Règlement, il s’agissait de la première législature au cours de laquelle un nombre imposant de nouveaux élus remplaçait un si grand nombre de députés aux longs états de service. Avec un gouvernement majoritaire, les libéraux de Peterson disposaient d’une marge de manœuvre plus grande pour agir à leur guise. C’est ce qui a, par ailleurs, amené les partis d’opposition à adopter une attitude plus perturbatrice qu’ils ne l’avaient fait antérieurement. En mai 1989, les choses ont atteint le point critique. Peter Kormos, député de Welland—Thorold à cette époque, a soulevé une question de privilège personnel. Il a accusé le premier ministre de mentir à la Chambre, ce qui est considéré comme du langage non parlementaire. M. Kormos a refusé de retirer ses paroles et le président l’a désigné par son nom. 

Le Règlement actuel ne permet pas aux députés de contester une décision du président. Toutefois, en 1989, les députés pouvaient contester une décision et la Chambre pouvait voter pour accepter ou rejeter la décision du président. Le leader parlementaire du NPD l’a justement fait le 29 mai 1989. Le président a fait venir les députés pour voter à 16 h 43. 

Le vote à l’Assemblée législative de l’Ontario a changé de manière extraordinaire au fil des ans. Le Règlement précise actuellement le temps pendant lequel les cloches doivent sonner pour la plupart des votes en Chambre. Cela n’a pas toujours été le cas. Les whips des partis avaient l’habitude d’entrer ensemble dans la Chambre pour indiquer que les députés étaient rassemblés et prêts à voter. Dans le cas présent, le whip de l’opposition a refusé de se montrer et les cloches ont continué à sonner. À 18 h 32, le 1er juin, le président a suspendu la séance et a ordonné que « les cloches soient présumées avoir sonné jusqu’à la reprise de la séance à 9 h, le vendredi 2 juin 1989 ». Il a répété cet ordre jusqu’au jeudi 6 juin. Avec ces tactiques, l’opposition a réussi à perturber les travaux de la Chambre pendant toute une semaine. 

Deux jours plus tard, le leader parlementaire du gouvernement a annoncé des modifications au Règlement, sujet qui a causé une consternation considérable parmi les partis d’opposition. Dave Cooke, leader parlementaire du NPD, a commenté les modifications : 

Nous avons suivi un processus de 1985 à 1987. Vous souvenez-vous de cette période? Aucun mur, aucun obstacle, une nouvelle ère en Ontario? Nous avons négocié. Le Comité permanent de l’Assemblée législative se penchait sur les règles en vigueur et formulait des recommandations. 

Après les élections provinciales de 1987, quand ces gars ont obtenu leur majorité et adopté l’attitude arrogante qu’ils manifestent ici aujourd’hui, nous nous sommes assis avec le leader parlementaire du gouvernement — le Parti conservateur l’a fait; mon parti l’a fait — et nous avons dit : « Nous accepterons les recommandations globales du Comité de l’Assemblée législative », y compris les réformes de toutes les règles. Le représentant du leader parlementaire du gouvernement, le whip en chef du gouvernement, a négocié cela avec mon whip, le député d’Oshawa (M. Breaugh), notre représentant et le député de Carleton. Nous avions un accord global. 

Ils l’ont présenté à leur caucus et leur caucus a rejeté l’accord global. Détenant la majorité à ce moment-là, ils ont dit : « L’opposition peut aller se faire voir. Nous arriverons à appliquer les règles en les imposant »7

Sean Conway, leader parlementaire du gouvernement, a répondu aux commentaires de l’opposition sur ses changements au Règlement en disant que le gouvernement poursuivrait ses travaux sans l’obstruction continuelle de l’opposition :  

Je dois dire, au nom de 94 députés, que nous avons été témoins depuis des semaines et des mois d’un type d’obstruction qui n’a rien à voir avec l’opposition. Il s’agit d’une paralysie des travaux du Parlement. Ce gouvernement croit avoir la responsabilité de veiller à ce que le Parlement fonctionne, qu’il ne soit pas détourné, qu’il ne soit pas paralysé […] 

Je trouve étrange que les gens qui parlent de l’opposition s’engagent néanmoins dans des contestations frivoles et dépassant parfois les bornes de vos décisions, font sonner les cloches à la première lecture, s’en vont et refusent de venir ici et de s’engager dans les affaires publiques et lisent des pétitions interminables afin de ne pas poursuivre les travaux de cette chambre, une chambre dont les frais quotidiens de fonctionnement s’élèvent à 130 000 $. 

Nous sommes ici pour faire un travail important. Nous nous attendons à avoir une opposition vigoureuse. Les changements apportés au Règlement donneront à l’opposition une gamme de nouvelles possibilités, mais nous ne tolérerons pas que les cloches sonnent indéfiniment8

Il semble que la réaction de M. Conway à l’opposition soit la réaction typique des gouvernements qui veulent faire avancer les travaux. Ils sont en droit de s’attendre à une certaine collaboration de la part de l’opposition, ce qui explique que les changements au Règlement n’étaient pas nécessaires jusqu’en 1989. En deux mots, l’opposition a cessé de travailler avec le gouvernement et est devenue un obstacle pour lui. 

Les changements instaurés par les libéraux ont influé sur le fonctionnement de la Chambre de plusieurs manières, notamment : 

  • en limitant les sonneries d’appel pour un vote par appel nominal; 
  • en permettant au whip en chef d’un parti reconnu de différer un vote jusqu’au prochain jour de séance; 
  • en créant les journées de l’opposition9

M. Conway a remarqué que l’opposition s’était engagée dans une attaque contre le gouvernement qui était plus vigoureuse que ce qui était justifié. Il a admis son rôle dans la constitution de ce qu’il a appelé une « opposition vigoureuse », mais il a ajouté que « ce que nous avons vu ici du printemps 1988 à la fin du printemps 1989 était sans précédent, pour ce qui est des traditions, des coutumes et des pratiques de cette assemblée législative »10

Les changements apportés par M. Conway constituent le fondement du Règlement actuel en Ontario. Ils sont conçus pour que les travaux de la Chambre soient plus efficaces et représentent une réaction aux tactiques de l’opposition. Le débat en soi a été étonnamment civilisé. Tous les partis ont convenu qu’il fallait modifier le Règlement. Bien que les députés n’aient pas tous été d’accord avec le contenu des modifications, ils ont semblé bien les accueillir. 

Un tournant décisif en 1990 

En 1990, les Ontariens ont été stupéfiés d’apprendre que Bob Rae avait défait David Peterson pour devenir premier ministre de l’Ontario. Peterson s’est présenté aux élections avec une avance respectable, mais l’a perdue au cours de la campagne. Les raisons de cette perte ont été documentées en détail ailleurs. L’important, c’est de se rappeler que le parti de Rae a remporté 74 des 130 sièges, que les progressistes-conservateurs (sous la direction du nouveau chef Mike Harris) ont augmenté leur nombre de sièges à 20 et que les libéraux ont perdu 59 des 95 sièges qu’ils détenaient, y compris celui de David Peterson. 

C’est à ce moment que les processus et les procédures prévues dans le Règlement de l’Assemblée législative de l’Ontario sont devenues beaucoup plus importantes. Mike Harris a été élu chef de son parti juste avant les élections de 1990. Lui et Bob Rae avaient des points de vue diamétralement opposés sur le rôle du gouvernement en Ontario. L’opposition de Harris aux politiques du premier ministre a abouti à un certain nombre de tactiques destinées à retarder l’adoption de mesures législatives gouvernementales. 

La plus célèbre tactique de paralysie est peut-être celle du jour où M. Harris a lu la totalité des noms de lac, de rivière et de ruisseau de la province. Le 6 mai 1991, les conservateurs ont mis en branle leur plan d’opposition au NPD. Cela a commencé durant les Déclarations des députés, quand le député conservateur Norm Sterling a déclaré : 

Les membres de notre caucus, à titre de représentants de nombreux Ontariens, sont en colère. Nous sommes en colère et frustrés en raison du budget atroce qui a été présenté par le gouvernement néo-démocrate il y a une semaine. La colère ne s’est pas atténuée au fil des jours, depuis une semaine. En réalité, elle s’est intensifiée en écoutant et en observant la population ontarienne réagir à ce budget. Si les députés du NPD s’étaient mis eux-mêmes à la disposition du public au cours du week-end, je suis sûr qu’ils auraient capté ce message. 

Les membres de notre caucus croient que le gouvernement se sert des procédures habituelles de cette chambre, notamment les déclarations ministérielles, pour faire dévier la tension occasionnée par ce budget affreux, qu’il prononce des déclarations ministérielles inutilement longues et qu’il tente de faire passer ses projets pour des bonnes nouvelles afin de détourner l’attention des députés de cette chambre et du grand public11

M. Sterling a poursuivi ses tentatives et retardé le gouvernement en soulevant des rappels au Règlement avant les questions orales. C’est après les questions orales, cependant, que Mike Harris s’est levé pour présenter un projet de loi, dont le titre contenait le nom de chaque plan d’eau ontarien. M. Harris a commencé un peu avant 16 h ce jour-là et la longueur du titre du projet de loi (en plus des interjections des députés frustrés et la répétition du titre par le président et le greffier, comme l’exige le Règlement) ont mené la Chambre à la fin de la séance. 

Ce n’est pas la seule fois où M. Harris a tenté de retarder les travaux de la Chambre de cette manière. De manière générale, ses tactiques concernaient l’utilisation du temps à l’Assemblée législative. La présentation de projets de loi, par exemple, durait le temps qu’il fallait au député, au président et au greffier pour lire le titre du projet de loi en anglais et en français. Comme le président a pris une décision chaque fois qu’une plainte a été déposée, le Règlement est devenu très clair au sujet de la présentation des projets de loi. 

L’attaque progressiste-conservatrice contre le gouvernement néo-démocrate était prévisible. Le régime parlementaire suppose que le gouvernement parviendra à ses fins, mais les partis d’opposition ont le droit de critiquer et de retarder l’avancement des travaux. L’un des problèmes que posent ces tactiques d’obstruction, toutefois, c’est le changement en ce qui a trait à la courtoisie. Le Parlement devrait se fonder sur la négociation et l’entente, mais le gouvernement devrait être en mesure de poursuivre ses travaux après que l’opposition a disposé d’assez de temps pour présenter ses objections. 

Les tactiques de l’opposition dirigées par M. Harris ont changé la culture à Queen’s Park. La courtoisie a fait place à la concurrence directe. L’opposition est passée du bien-fondé des projets de loi à l’attaque des projets de loi et à l’obstruction pure et simple. Ce n’était toutefois qu’un signe précurseur de ce qui allait se produire. 

En réaction, le NPD a apporté d’autres changements au Règlement. Le 8 juin 1992, le député Jim Bradley a invoqué le Règlement à propos des modifications proposées par le NPD. M. Bradley et le député Ernie Eves ont critiqué la méthode utilisée par le gouvernement pour apporter des changements au Règlement. M. Eves est même allé plus loin, en la qualifiant de « méthode de la Gestapo12 ». 

Le Nouveau Parti démocratique a apporté au Règlement certains des changements les plus restrictifs. La modification la plus radicale concerne les limites de temps. Le nouveau Règlement limite la longueur des discours lors des débats; il limite le temps disponible pour la présentation des projets de loi; il prévoit des mesures d’attribution du temps pour les projets de loi. Essentiellement, ces changements ont éliminé la possibilité que les partis d’opposition prennent le contrôle de l’Assemblée législative au moyen d’astuces de procédure durant les deux premières années du gouvernement du NPD. 

Le gouvernement Harris 

Affirmer que Mike Harris a redéfini les politiques de l’Ontario, c’est le moins qu’on puisse dire. Ses six années comme premier ministre ont été les plus controversées dans l’histoire de l’Ontario. Il n’est donc pas étonnant que les partis d’opposition se soient efforcés de perturber le programme du gouvernement autant que possible. Cependant, M. Harris avait d’autres idées en tête. Il voulait s’assurer que les tactiques qu’il avait employées avec tant de succès ne soient pas appliquées pour interrompre son programme. Il a donc modifié les règles du jeu. 

Le 2 juin 1997, le gouvernement a lancé un examen du Règlement de l’Assemblée législative. Prétendument, il s’agissait d’une initiative prise par un simple député, John Baird, représentant de Nepean, bien que l’opposition ait exprimé une certaine incrédulité. Le député libéral Jim Bradley s’est demandé comment « un ensemble de propositions venant d’une personne de 27 ans qui essayait de plaire au premier ministre pour des considérations futures » avait pu retenir l’attention du gouvernement aussi rapidement. Frances Lankin, député de Beaches-Woodbine, a déclaré : 

Vous pensiez qu’il y avait trop de débats sur la mégaville. Vous croyiez qu’il y avait trop de débats sur votre refonte de l’éducation. Vous pensiez qu’il y avait trop de débats sur la création d’une commission de restructuration des hôpitaux. Vous êtes las d’entendre les gens qui ne sont pas d’accord avec vous et nous commençons à en avoir l’habitude avec ce gouvernement. Monsieur le Ministre, je vous l’ai déjà signalé, les leaders parlementaires du gouvernement ont, par le passé, déposé des changements au Règlement devant cette chambre ou les ont proposés au gouvernement ou aux réunions des leaders parlementaires, ou aux deux, et il y a eu un processus de négociation. Pourquoi changez-vous le processus maintenant? Pourquoi vous en déchargez-vous, laissez-vous quelqu’un d’autre faire votre basse besogne et insistez-vous pour que les députés réagissent dans un délai de 48 heures13

Cette déclaration faisait suite à un certain nombre de crises survenues au cours de la mise en œuvre de la révolution du bon sens. L’une des plus célèbres fut l’énorme quantité d’amendements proposés au projet de loi sur la cité de Toronto, en 1996. Les partis de l’opposition, mécontents de la position du gouvernement sur la fusion de Toronto, ont présenté 12 000 amendements en comité plénier. La Chambre a dû siéger 24 heures sur 24 pour les entendre toutes. 

Pendant la période de questions, les partis d’opposition sont tombés à bras raccourcis sur le gouvernement au sujet des changements au Règlement, lesquels ont été déposés en secret, prétendent-ils. Le premier ministre en fonction, Mike Harris, a répondu aux critiques : 

Dans mes souvenirs récents des changements au Règlement sur lesquels on s’est penché — les niaiseries par opposition aux travaux de la Chambre, comme l’a dit un journaliste, il me semble —, jamais, je crois, depuis que je suis ici, nous n’avons vu un ministre ne faisant pas partie du Cabinet élaborer, en consultant les députés d’arrière-ban, une proposition de discussion avant qu’il n’y ait eu un dépôt. 

Je vous affirme une fois de plus qu’il nous fait plaisir d’écouter. Nous sommes prêts à vous rencontrer. Je pense que le député de Nepean a offert de rencontrer les deux leaders parlementaires. D’après votre réaction, j’ai l’impression que vous n’êtes pas entièrement en faveur de tous les changements, mais, peut-être qu’après les avoir lus et y avoir réfléchi, si vous croyez qu’il faut en modifier certains et si vous avez des suggestions à formuler, nous serons heureux de vous écouter. Je peux vous dire que le député d’Elgin a soumis des propositions aujourd’hui même au député. Nous sommes heureux d’écouter les simples députés aussi, si la direction n’est pas intéressée à participer14

Les changements apportés au Règlement de l’Assemblée législative l’ont été au nom de l’efficacité. Ils ont été conçus pour garantir que le gouvernement pourrait poursuivre ses travaux, lesquels sont, comme nous l’avons déjà vu, le but du Parlement. 

La nature combative des parlements de 1990 et 1995 a suscité une diminution des travaux accomplis et des épisodes fertiles en stratagèmes de l’opposition.  

Les changements de 1997 ont sans doute ramené le Parlement à sa conception initiale en permettant au gouvernement de réaliser son programme efficacement. On peut également soutenir, cependant, qu’ils ont limité les débats au nom d’une approche empreinte de sérieux. L’argument que choisit un député se fonde principalement sur le côté de la Chambre où il siège. 

Abandonner le Règlement de l’Assemblée législative et repartir à zéro? 

Au fur et à mesure de l’examen de chaque changement au Règlement par la Chambre, il est devenu plus acceptable de modifier le document pour l’adapter aux besoins du gouvernement en place. «  Une fois un changement effectué, une fois des modifications à la procédure réalisées, aucun gouvernement futur ne les changera pour faciliter la tâche de l’opposition. C’est pourquoi il est si important de défaire, d’éliminer ces changements maintenant, car les gouvernements aiment ce qui leur convient »15. C’est tout à fait vrai. Les gouvernements veulent que les travaux se poursuivent et aiment l’efficacité que leur assure le Règlement. 

Les changements apportés au Règlement au cours des 20 dernières années ont fourni une structure de débat qui manquait. Néanmoins, cette observation n’est pas toujours heureuse. L’un des premiers problèmes, c’est que tout est minuté. Les déclarations des députés, les pétitions et la présentation des projets de loi occupent une période de temps prévue chaque jour. Les trois parties des Affaires courantes sont maintenant utilisées dans la mesure du possible, notamment quand les députés veulent retarder l’avancement de l’ordre du jour. Les députés provinciaux utilisent autant de temps que le permet le Règlement, de sorte que le gouvernement en a moins pour faire avancer ses travaux. Bien que ces retards tactiques soient moins efficaces qu’ils l’ont déjà été, ils peuvent aider les partis d’opposition à ralentir un peu les travaux. 

L’un des pires résultats du minutage de chaque partie de la journée en Chambre est perceptible durant les débats. Les députés avaient l’habitude de parler aussi longtemps qu’ils pouvaient garder la parole. Bien que cela ait périodiquement résulté en obstruction systématique — Peter Kormos a déjà effectué une obstruction systématique de 17 heures — cela a souvent permis aux députés de formuler leurs remarques en moins de temps qu’ils n’en prennent maintenant. Au contraire, l’application du minutage aux discours a abouti à l’utilisation de toute la période disponible, que les propos tenus soient constructifs ou non. 

Tous ces changements au Règlement semblent avoir rendu la Chambre beaucoup moins pertinente qu’elle ne l’était il y a 20 ans. Deux députés de longue date, élus tous les deux en 1977, soulignent un certain nombre des défauts de la Chambre au XXIe siècle. Jim Bradley et Norm Sterling ont servi dans le gouvernement et dans l’opposition et ont, tous les deux, exprimé des points de vue intéressants sur les travaux de la Chambre aujourd’hui. 

Les deux ont commenté l’utilisation de la télévision à la Chambre. Bien qu’on puisse certainement soutenir, à l’instar de M. Sterling, que la télévision est un prolongement utile de la démocratie, d’autres croient qu’elle rend la Chambre beaucoup moins pertinente. Les raisons sont évidentes : pourquoi viendrait-on au Parlement pour écouter les débats s’il suffit, pour le faire, d’appuyer sur la touche d’une télécommande? 

Chose certaine, la télévision permet effectivement aux citoyens de voir leurs élus au travail, mais il est également vrai que cela encourage un comportement hargneux en Chambre. MM. Sterling et Bradley ont commenté les changements concernant la période de questions et les débats. Ils ont affirmé que les députés provinciaux sont maintenant plus intéressés à la petite phrase percutante ou à la notoriété que procure une opération sensationnelle réussie à la télévision à la Chambre. Sans la télévision, les coups de publicité auraient moins d’importance et les échanges en Chambre pourraient être plus courtois. 

En général, cependant, les commentaires sur les changements apportés au Règlement sont négatifs pour la plupart. Les députés provinciaux ont toutefois présenté des suggestions pour modifier la conduite des travaux de la Chambre. Les changements que feraient les députés ne nécessitent pas tous des modifications au Règlement, mais ils sont constructifs et méritent néanmoins qu’on y réfléchisse : 

  • Apprendre, pour les gouvernements, à partager le pouvoir à la Chambre avec l’opposition. 
  • Exiger le consentement unanime sur un moins grand nombre de points, afin qu’un député ne puisse pas saborder les souhaits des autres. 
  • Réviser le Règlement afin d’enlever les références aux partis. 
  • Accroître l’autorité du président. 
  • Réduire le temps alloué aux questions orales à 45 minutes. 
  • Laisser le président décider s’il y a lieu de permettre des questions supplémentaires.  
  • Accroître le pouvoir des comités de se rencontrer et de créer et de modifier les lois. 
  • Exiger une période de questions pour chaque séance de la Chambre. 
  • S’assurer que la Chambre siège pendant toute la durée prévue et que la session ne prend pas fin prématurément. 
  • Donner des occasions de prendre la parole et de poser des questions en fonction du nombre de sièges détenu par un parti. 
  • Faire en sorte que les députés d’arrière-ban du gouvernement posent moins de questions partisanes. 
  • Donner plus d’occasions de traiter des véritables affaires émanent des députés. 

À la lumière de ces commentaires, on peut se demander s’il ne serait pas préférable d’abandonner complètement le Règlement et d’en rédiger un nouveau. Cette idée n’est pas aussi radicale qu’elle le semble. Le Règlement a été modifié par rafistolage. À mesure que les partis d’opposition ont pris le pouvoir, ils ont veillé à ce que les tactiques qu’ils avaient employées ne puissent être utilisées contre eux. Les trois partis devraient peut-être s’asseoir et déterminer exactement ce qui est nécessaire pour faire fonctionner le Parlement. Une fois la structure de base mise en place, les partis peuvent ajouter ou supprimer les règles qu’ils veulent pour s’assurer que a) le gouvernement peut poursuivre ses travaux et b) que l’opposition peut exprimer son point de vue dans le débat sur les questions de l’heure. 

L’une des choses les plus fréquemment entendues par les stagiaires de 2004-2005 au cours de la période d’orientation, c’est que le gouvernement libéral essayait de changer le ton du débat et de ramener les choses « à ce qu’elles étaient avant ». Les gouvernements doivent s’arrêter et penser à la manière dont le Parlement doit fonctionner. En tenant compte du rôle que doivent jouer chaque parti et chaque député à l’Assemblée législative de l’Ontario, les représentants élus peuvent vraiment mieux faire fonctionner le Parlement.  

Il est tout a fait possible que nous constations des changements importants au cours de la durée de la présente législature. Il faut cependant s’interroger sur ce qui doit arriver en premier : les changements au Règlement ou un retour à plus de courtoisie à la Chambre? L’un ne suit pas nécessairement l’autre, mais la probabilité que l’un se produise augmente quand l’autre survient. Si, par exemple, le gouvernement propose des changements au Règlement de l’Assemblée législative, il est relativement plus probable que l’opposition — en disposant de plus de possibilités de retarder la procédure et de débattre les lois — utilisera moins de tactiques dilatoires. Il se peut également que l’opposition continue à utiliser les règles à son seul avantage et qu’elle profite du changement de culture au gouvernement. 

Inversement, l’opposition pourrait devenir plus conciliante, ce qui ouvrirait la voie à la modification du Règlement de l’Assemblée législative par le gouvernement. Celui-ci, en retour, pourrait adopter à toute vitesse ses lois sans tenir compte de l’aide que l’opposition est prête à apporter. Il ne s’agit certainement pas d’une question facile à résoudre et les deux côtés devront faire preuve de bonne volonté. 

Le gouvernement libéral élu en 2003 semble disposé à aller de l’avant et à procéder aux changements nécessaires ou, à tout le moins, à permettre un changement de culture en Chambre. L’élection de John Tory, chef progressiste-conservateur, a aussi changé la manière dont l’opposition conduit ses affaires. Il y a, par exemple, moins de chahut de la part du parti d’opposition et les leaders parlementaires semblent davantage capables de négocier. L’avenir nous dira si cette tendance se maintiendra. Il sera aussi intéressant de découvrir si M. Tory conservera sa position sur le comportement et la tradition parlementaires, si les conservateurs reprennent le pouvoir en Ontario.  

Bien sûr, une refonte complète du Règlement nécessiterait beaucoup de détermination et de bonne volonté de la part des trois partis. Il faudrait réfléchir sur le but du Parlement et le rôle joué par les députés de tous les partis. Il faudrait aussi que les députés s’engagent à se préoccuper davantage de l’institution du Parlement et moins de la possibilité de faire les manchettes dans les journaux télévisés. 

Les députés interrogés ont tous souligné la difficulté inhérente au fait de demander aux représentants élus de disparaître des actualités. Une partie de la vie politique consiste à s’assurer que le politicien peut être réélu. L’un des seuls moyens de le faire est d’attirer l’attention des médias.  

Les députés provinciaux n’ont pas pu répondre à la question de savoir si leurs responsabilités comme représentants élus sont compatibles avec le besoin de se présenter aux élections. Pour les spécialistes des questions et de la procédure parlementaires, la réponse semble être « oui ». Après tout, l’institution du Parlement impose un certain respect et exige une perspective particulière. 

Il ne s’agit pas d’insinuer que les députés ne respectent pas les institutions parlementaires. Loin de là; bon nombre, sinon la totalité, des députés du Parlement ontarien ont le plus profond respect pour la manière dont celui-ci fonctionne. Mais leurs responsabilités en tant que représentants élus doivent rester primordiales. 

Les changements apportés au Règlement depuis 20 à 25 ans ont modifié le fonctionnement du Parlement provincial de l’Ontario. Ils ne sont pas irrévocables, mais ils nécessitent une transformation dans l’opinion des députés et du public au sujet de l’Assemblée législative de la province. Si ce changement se produit, le Parlement pourra redevenir ce que les députés appellent un lieu « plus civilisé ». Il peut aussi susciter un retour à la manière de fonctionner pour laquelle le Parlement est conçu sans sacrifier la fonction représentative des députés. 

Notes 

1. Ontario, Journal des débats (Hansard), le 7 juin 1985. 

2. Chose intéressante, Bob Rae a d’abord offert au chef conservateur et premier ministre, Frank Miller, le même marché qu’il a proposé à David Peterson. La pierre d’angle de ce marché était un accord pour faire fonctionner le Parlement pendant deux ans. Miller et son caucus ont rejeté cette proposition, qui a abouti au ministère Peterson. Source : Ontario Elections : Twenty Tumultuous Years.
http://archives.cbc.ca/300c.asp?id=1-73-893>. Dernière visite : le 29 juillet 2005. 

3. Entrevue avec Norm Sterling, le 4 mai 2005. 

4. Ibid

5. Ontario, Journal des débats (Hansard), le 28 avril 1986. 

6. Ibid., le 28 avril 1986. 

7. Ibid., le 8 juin 1989. 

8. Ibid

9. Ibid., le 25 juillet 1989. 

10. Ibid

11. Ibid., le 6 mai 1991. 

12. Ibid., le 8 juin 1992. 

13. Ibid., le 2 juin 1997. 

14.  Ibid

15. Ibid., le 16 juin 1997. 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 28 no 3
2005






Dernière mise à jour : 2020-09-14