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Edward McWhinney
En 1936, le premier ministre de la Grande-Bretagne, Stanley Baldwin, a
décidé de consulter les premiers ministres des anciens dominions et a ainsi
pu mentionner les très fortes objections de Mackenzie King afin de motiver
son propre refus de sanctionner un mariage entre le roi Édouard VIII et
une citoyenne américaine deux fois divorcée, ce qui a incité le roi à abdiquer.
En 2005, le mariage civil de l'héritier de la Couronne britannique à sa
compagne de longue date les deux ayant divorcé de leurs conjoints précédents
n'a apparemment pas fait l'objet de discussions entre les gouvernements
britannique et canadien, pas plus que le gouvernement canadien n'a offert
quelque avis que ce soit, et ce, malgré le fait que certains juristes britanniques
avaient soulevé certains doutes d'ordre constitutionnel relativement à
la succession de la Couronne britannique et à la prétendue nécessité d'une
loi britannique et du Commonwealth pour « corriger la situation ». Pourquoi
cette différence entre 1936 et aujourd'hui?
Les attitudes de la population à l'égard du divorce des titulaires d'une
charge publique ont radicalement changé et ce phénomène est nettement pertinent
ici. Mais ce qui est encore plus important pour les Canadiens d'aujourd'hui,
ce sont les changements fondamentaux survenus dans l'équilibre constitutionnel
entre la Grande-Bretagne et ses anciens dominions. En effet, l'évolution
des coutumes et des conventions ont fait en sorte que les précédents constitutionnels
appliqués en 1936 sont aujourd'hui essentiellement désuets et non pertinents.
Dans le cas du remariage du prince de Galles, la gouverneure générale du
Canada, à l'invitation du lord chambellan, a assisté à la cérémonie de
bénédiction religieuse dirigée par l'archevêque de Canterbury à la chapelle
royale du château de Windsor, immédiatement après la cérémonie civile tenue
dans une mairie. Elle a aussi assisté à la réception offerte par la reine
et offert un cadeau de mariage au nom du peuple canadien un bol en étain
fabriqué par un artiste contemporain de Terre-Neuve. La gouverneure générale
n'a pas assisté à la cérémonie civile, car elle n'y avait pas été invitée.
Le tout s'est déroulé gracieusement et en accord avec les exigences et
les formalités du protocole diplomatique qui s'appliquent entre deux États
souverains entretenant d'étroites relations amicales, ce qui diffère beaucoup
des liens constitutionnels qui nous unissaient à l'Empire dans le passé.
La réalité constitutionnelle d'aujourd'hui, c'est qu'avec la transformation
en fait la métamorphose des anciens Empire et Commonwealth britanniques
en un simple Commonwealth de nations multiculturel comme l'ont symbolisé
la Déclaration de 1949 des premiers ministres du Commonwealth et l'initiative
généreuse prise par la suite par le premier ministre Nehru, de l'Inde,
de demander à la reine de bien vouloir accepter le rôle cérémonial de « chef
du Commonwealth » les liens juridiques historiques entre les institutions
et les gouvernements du Canada et de l'Empire britannique, qui étaient
codifiés en partie dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867,
ont progressivement disparu. Depuis en particulier la « canadianisation »
de la charge de gouverneur général dont le titulaire, depuis plus d'un
demi-siècle, est choisi par le premier ministre canadien en poste sans
qu'il n'ait au préalable à consulter les autorités de Londres ou à demander
leur permission, nous avons de facto un chef d'État entièrement canadien
qui est dorénavant investi des vastes pouvoirs qui étaient auparavant accordés
à la Couronne en ce qui touche aux compétences non attribuées, au report
de la sanction royale et à d'autres prérogatives prévues dans notre constitution
de 1867. Il est certain que ces pouvoirs sont maintenant interprétés à
l'intérieur de leurs propres cadres constitutionnels et conventionnels
en vue de leur application dans des cas concrets, mais il s'agit là de
nouvelles conventions constitutionnelles canadiennes développées au fil
du temps et s'inspirant en partie de nouvelles interprétations souples
et imaginatives établies dans de nouveaux États de même origine, comme
la République de l'Inde. Celle-ci avait délibérément opté, dans ses constitutions
consécutives à la décolonisation, pour un exécutif parlementaire de style
britannique, où les fonctions de chef de l'État et de chef du gouvernement
sont clairement séparées, dualisme qui ressemble beaucoup au système dont
nous avons « hérité » de la Grande-Bretagne en 1867. On oubliera pour le
moment un raffinement constitutionnel supplémentaire voulant que le chef
de l'État en poste en Inde soit choisi au moyen d'une forme d'élection
« indirecte » et porte le titre de président (d'une république) et non celui
de gouverneur général. Cette distinction relève davantage de la nomenclature
constitutionnelle que du droit constitutionnel.
En théorie, le seul vestige constitutionnel apparent du passé impérial
du Canada est le fait que le choix et la nomination du gouverneur général
par notre premier ministre fassent encore l'objet d'une proclamation officielle
par la reine en conseil à Londres. Cela pourrait être aussi facilement
fait au Canada au moyen d'un décret canadien signé par le juge en chef,
qui est habituellement le suppléant du gouverneur général. Cela aurait
aussi l'avantage d'éviter au gouvernement britannique d'intervenir de manière
inutile et gratuite dans des conflits politiques partisans internes au
Canada du genre de ceux qui ont parfois menacé de surgir dans d'autres
pays du Commonwealth aux prises avec des querelles entre le chef de l'État
et le chef du gouvernement quand l'un ou l'autre a tenté de demander l'intervention
du Palais de Buckingham pour régler la situation.
Dans le long débat sur le renouvellement de la Constitution canadienne
et du régime fédéral, les leaders politiques locaux ont souvent envisagé
de tenter de mettre de l'ordre dans le dossier des relations Londres-Ottawa
afin d'en moderniser le cadre constitutionnel. Le premier ministre Trudeau
est venu bien prêt de prendre le taureau par les cornes avec son projet
de rapatriement de la Constitution, en 1980 1982, mais il a, par la suite,
décidé qu'il était préférable de laisser l'évolution constitutionnelle
se poursuivre de manière graduelle et progressive. Au bout du compte, ses
propositions antérieures ont été réduites, dans la Loi constitutionnelle
finalement adoptée en 1982, à une simple mention de la « charge de la Reine »
qui n'est définie nulle part dans un alinéa de la nouvelle procédure
entièrement canadienne de modification de la Constitution. Cette procédure
nous réserve encore une surprise : tout projet de modification future de
la « charge de la Reine » nécessiterait des résolutions des deux chambres
du Parlement fédéral et de l'assemblée législative de chacune des provinces.
Mais y a t il encore quelque chose qu'on ne puisse changer sans emprunter,
comme on l'a fait dans le passé, la voie des conventions plutôt que celle
de la modification législative officielle?
À moins que la présente et très respectée reine décide de se retirer ou
décède, il est impensable qu'un parti politique canadien accepte de lancer
un débat public sur le rôle constitutionnel de la Couronne au Canada aujourd'hui
ou, encore moins, sur les règles britanniques de succession royale. Nous
sommes bien loin du choix constitutionnel que les Australiens ont dû faire
en 1999 lors d'un référendum national sur « le remplacement » de la reine
par un président dans le cadre de la « transformation du Commonwealth d'Australie
en une république » : il serait en effet pour le moins inélégant sur le plan
du droit constitutionnel et international de demander aux électeurs canadiens
de participer à un concours de popularité sur le chef de l'État en poste
dans un autre État souverain ami. Les tribunaux canadiens ne sont pas,
eux non plus, tentés de s'empêtrer dans des décisions politiques sur les
lois anglaises régissant la succession royale, comme des groupes républicains
marginaux du Canada l'avaient demandé à un tribunal provincial ontarien
il y a plusieurs années! Le droit britannique contemporain et le nouveau
droit européen auquel la Grande-Bretagne est maintenant assujettie offrent
déjà suffisamment de possibilités pour invalider les articles de l'Acte
d'établissement de 1701 qui porte sur l'anathématisation de la papauté
et de l'Église de Rome; cependant, il serait sûrement préférable de laisser
aux tribunaux britanniques le soin de régler une succession catholique
si cette situation devait se présenter à l'avenir.
Les Canadiens semblent avoir reconnu assez facilement que l'impact du deuxième
mariage du prince de Galles sur les règles de succession à la Couronne
britannique constitue une question qui relève de la population britannique.
Nous savons que l'affection spéciale que les Canadiens portent pour la
présente reine ne se transposera pas nécessairement à ses successeurs.
La nature de la société canadienne a changé de manière importante et continue
à évoluer depuis l'époque des deux nations, la britannique et la française,
sur lesquelles reposait la Loi constitutionnelle de 1867, de même que les
rapports avec l'Empire. Dans la nouvelle communauté de communautés qui
existe au Canada, il est à la fois logique et inévitable que les nouvelles
générations choisissent de réexaminer les prémisses fondamentales du Dominion
du Canada qui a été fondé à cette époque. Sur le strict plan constitutionnel
et juridique, il ne reste pratiquement plus rien à changer en ce qui touche
à nos rapports avec l'Empire. Le nud gordien a été depuis longtemps tranché,
sur la base du consensus et de l'action conjointe et réciproque de Londres
et d'Ottawa, et en misant toujours sur la bonne volonté et la collaboration
complète de ces deux partenaires dans cette évolution historique.
Certains sont maintenant d'avis que nous devrions pousser le processus
de désengagement constitutionnel encore plus loin en remplaçant le gouverneur
général par un président. Si tout ce qu'on souhaite faire, c'est changer
le titre de la personne sans modifier ses attributions constitutionnelles
de quelque façon que ce soit, on pourrait assez facilement le faire sur
le plan juridique en demandant aux deux chambres du Parlement fédéral d'adopter
des résolutions. Si on souhaite aller plus loin, il nous faudrait toutefois
et cela serait extrêmement difficile avoir recours à la formule de
modification de la Constitution actuelle, qui exige des résolutions non
seulement des deux chambres fédérales, mais aussi des assemblées législatives
de toutes les provinces.
Un éminent constitutionnaliste canadien, Eugene Forsey, maintenant décédé,
s'est déjà plaint de la décision du gouvernement fédéral de cesser discrètement
d'utiliser le terme « Dominion » pour désigner le Canada comme on le fait
dans la Loi constitutionnelle de 1867 ainsi que dans les proclamations
et documents officiels. Ce terme est aujourd'hui disparu. Constituait il
une marque de servilité et nous rappelait il notre passé colonial? Le sénateur
Forsey n'était pas de cet avis. Toute décision politique de changer le
titre de gouverneur général pour celui de président pour désigner le chef
de l'État devrait, en toute logique, être prise en tenant compte des autres
priorités du pays. Ce dont on peut toutefois être certain, c'est que cette
question n'empêchera personne de dormir à Londres, puisqu'il s'agit avant
tout d'un dossier sur lequel les Canadiens doivent eux-mêmes s'entendre.
Mis à part les questions constitutionnelles et juridiques, ce qui subsiste
de nos liens intimes et séculaires avec la Grande-Bretagne relève du domaine
des émotions. On ne peut le modifier par ordre législatif. Il y a plusieurs
années, quand la reine-mère Elizabeth s'est approchée de son 100e anniversaire
de naissance, la Société canadienne des postes, à la demande d'un grand
nombre d'anciens combattants, a décidé d'émettre un timbre commémoratif
spécial, ce qui allait à l'encontre des directives ministérielles et des
précédents qui limitaient ce type de reconnaissance au monarque régnant.
Le timbre lui-même, décrit à l'époque comme une symphonie en vert et or,
a été officiellement dévoilé à Victoria, en Colombie-Britannique, devant
une foule en liesse où se trouvaient un grand nombre d'anciens combattants
qui avaient déjà servi dans des bases britanniques pendant la guerre. Lors
des plus récentes célébrations du centenaire des provinces de la Saskatchewan
et de l'Alberta, une très grande proportion de jeunes sont venus se joindre
aux anciens combattants et à leurs familles pour venir accueillir la reine
et son mari à chaque étape de leur visite. À l'évidence, la magie des personnalités
du passé c'est à dire les liens sentimentaux est toujours aussi forte
qu'auparavant, même si les relations juridiques officielles ont été, elles,
reléguées à l'histoire.
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