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Jackie Steele; Manon Tremblay
Avant la création en 1999 du territoire canadien le plus récent, le Nunavut,
la Commission détablissement du Nunavut a élaboré une proposition visant
à promouvoir légalité des sexes à lAssemblée législative du nouveau territoire
en créant des circonscriptions dans chacune desquelles seraient élus un
homme et une femme. LAssemblée résultant de cette égalité des sexes aurait
été la première du genre au monde, mais cette proposition na obtenu que
43 p. 100 des votes. Le présent article examine les événements qui ont précédé
le référendum ainsi que les facteurs qui ont contribué à son rejet.
Le Nunavut, mot qui signifie « notre terre » ou « notre maison » en inuktitut,
langue des Inuits, est un territoire situé dans le nord du Canada. Il couvre
plus de 1,9 million de kilomètres carrés, ce qui représente pratiquement
20 p. 100 de la superficie totale du pays et constitue, en fait, la plus
grande autorité administrative, territoriale ou provinciale, du Canada.
Ce vaste territoire arctique est habité par les Inuits, peuple dont la
culture et les coutumes lui ont permis de vivre dans des conditions que
la plupart des Canadiens considéreraient inhospitalières. Largement tributaire
des transferts financiers provenant du gouvernement fédéral, le Nunavut
repose sur une économie mixte dans laquelle deux éléments, léconomie monétaire
en émergence et les relations avec la terre, continuent dêtre essentiels.
En décembre 1995, au cours des discussions qui ont précédé la création du
Nunavut comme entité politique distincte des Territoires du Nord-Ouest,
la Commission détablissement du Nunavut a présenté une proposition sur
légalité des sexes qui a été portée à lattention des représentants des
gouvernements fédéral et des Territoires du Nord-Ouest et de la société
Nunavut Tunngavik. Premièrement, selon la proposition, « en tant que groupes,
les hommes et les femmes ont établi des liens distincts avec les lois et
les institutions publiques, et ont vécu des expériences différentes [
]
Par conséquent, le désir dune représentation équitable en politique est
plus quun désir de reconnaissance dintérêts partagés, il sagit, pour
un groupe qui a historiquement subi de mauvais traitements dans la société,
du désir de voir son égalité reconnue »1.
Deuxièmement, le document discute du fait que la proposition recommandait
un modèle de circonscription à deux représentants, déjà utilisé dans dautres
provinces et convenant mieux au modèle législatif canadien que la représentation
proportionnelle.
Troisièmement, le document affirme que les circonscriptions à deux représentants
offriraient des avantages pratiques contrairement à la constitution dun
corps législatif restreint qui ne puisse fonctionner2. Selon le modèle
proposé, les électeurs du Nunavut se seraient vu remettre deux bulletins
de vote, afin délire les deux représentants de leur circonscription électorale,
dont lune aurait été choisie parmi la liste des candidates et lautre
parmi celle des candidats. Chaque circonscription électorale aurait compté
deux représentants à lAssemblée législative, soit la femme et lhomme
ayant obtenu chacun le plus de voix. Par conséquent, le modèle proposé
aurait mené à la création dune assemblée législative axée sur légalité
des sexes : une première mondiale. Le 26 mai 1997, la proposition de la Commission
détablissement du Nunavut a fait lobjet dun référendum dont la question
était la suivante : la première Assemblée législative du Nunavut devrait-elle
comprendre un nombre égal de députés des deux sexes, selon le principe
quune femme et un homme soient élus pour représenter chaque circonscription
électorale? Seulement 43 p. 100 des électeurs ont soutenu la proposition,
alors que seulement 39 p. 100 des habitants du Nunavut ont exercé leur droit
de vote3.
Étant donné le soutien favorable de la plupart de lélite du Nunavut, notamment
des principaux organismes inuits et de la grande majorité des dirigeants
inuits clés, le référendum et son échec soulèvent trois questions :
-
Quelle a été la nature des discussions de lélite politique avant le référendum?
-
Quest-ce qui a mené à la décision de consulter lensemble de la population
sur la question?
-
Comment expliquer les arguments invoqués durant les discussions et les
débats pour ou contre la proposition sur légalité entre les sexes?
Traditions dégalité concurrentes
La Commission détablissement du Nunavut a tenté dopérationnaliser, sur
le plan de la représentation politique, lidée théorique de légalité entre
les sexes. La proposition sous-entendait que les différences entre les
sexes influençaient la vie en société, la perception des hommes et des
femmes ainsi que la valeur de leur participation respective à la gouvernance
de la société. Lengagement envers légalité entre les sexes était sans
cesse lié à la symbiose des hommes et des femmes dans la société, et au
fait que la survivance du peuple inuit dépendait des apports collectifs
des uns et des autres. Selon un ancien haut fonctionnaire du Conseil du
statut de la femme des Territoires du Nord-Ouest, cétait une façon dinstitutionnaliser,
tant symboliquement que concrètement, lengagement théorique envers la
valeur égale des participations et du vécu des hommes et des femmes comme
fondement de la société. De fait, la brochure dinformation envoyée à tous
les domiciles du Nunavut, intitulée « Building Our Future Together: Information
About Gender Parity », énonçait clairement que, dans la culture traditionnelle
inuite, les hommes et les femmes étaient des partenaires égaux, chacun
étant respecté pour ses aptitudes et ses connaissances. La représentation
égale des deux groupes ferait progresser lintérêt public.
À linverse, les opposants à la proposition sur légalité entre les sexes
adoptaient la vision libérale de la démocratie représentative qui est incluse
dans le modèle de système majoritaire à un tour, daprès lequel l« homme
politique » se définit comme une entité unique, universelle, dépourvue de
marques sociales. Selon lhypothèse avancée, légalité serait mieux assurée
si on ne tenait pas compte des différences liées au sexe, à la race ou
à dautres caractéristiques. Strictement au niveau individuel, légalité
était définie en fonction du mérite individuel et de la capacité dune
personne désincarnée de représenter et de faire progresser les intérêts
généraux de la population dans son ensemble. De ce point de vue, les lois
et les politiques publiques efficaces étaient perçues comme le résultat
des conditions dégalité qui permettent à toute personne de poser sa candidature
pour représenter la société en général. En ce sens, la représentation égale
des sexes correspondrait à légalité des chances dans un concours. Les
députés du Nunavut siégeant à lAssemblée des Territoires du Nord-Ouest
ont demandé à la députée Manitok Thompson, ministre des Affaires communautaires
et de la Condition féminine, de promouvoir cette vision ainsi que lidée
selon laquelle la proposition serait discriminatoire à la fois envers les
hommes, parce quelle réserve des sièges à des femmes qui ne seraient peut-être
pas les meilleures représentantes, et envers les femmes, parce quelle
présume que les femmes ne pourraient pas être élues sans des garanties
de représentation.
Selon le conseiller juridique de la Commission détablissement du Nunavut,
John Merritt, comme la Loi sur le Nunavut adoptée par le Parlement fédéral
en 1993 fonde la création du nouveau territoire sur les procédures en vigueur
dans les Territoires du Nord-Ouest, on en déduisait que ladoption dun
nouveau modèle de système électoral nécessiterait la modification de la
Loi par le Parlement fédéral afin dautoriser une procédure électorale
différente lors de la première élection. Par la suite, le nouveau territoire
aurait eu la possibilité de modifier son système électoral en fonction
de ce que le pouvoir exécutif aurait considéré comme approprié. Si la Chambre
des communes avait modifié la Loi sur le Nunavut pour permettre linstauration
dun nouveau système fondé sur légalité entre les sexes, cette décision
aurait pu avoir des conséquences denvergure nationale. La Commission libérale
féminine sétait déjà intéressée aux développements en cours au Nunavut.
Dans une entrevue, M. Merritt a mentionné que le ministre fédéral des Affaires
indiennes et du Nord, qui a dû contrer une forte opposition provenant des
députés du Nunavut, a pris la décision politique de consulter la population
sur la question afin que la société inuite lui confère un mandat clair.
Traditions concurrentes en matière de relations entre les sexes
Bien que le contenu des débats menés par les élites politiques pour et
contre la proposition ait porté sur les fondements théoriques de légalité
entre les sexes et de la représentation égale de ceux-ci, les discussions
dans la population ont, semble-t-il, porté plus directement sur leffet
concret de la proposition sur les rôles des hommes et des femmes dans la
société. Reflets des craintes que la proposition puisse constituer une
menace aux rôles traditionnels, les partisans et les opposants présentaient
légalité entre les sexes comme un facteur soit de solidification, soit
daffaiblissement de la famille. Les partisans comparaient lAssemblée
législative du Nunavut à une maison et défendaient la participation égale
du père et de la mère en politique afin de fonder une société et une culture
inuites plus fortes. Par contre, étant donné le rôle central des femmes
dans les soins dans la famille et le maintien des relations familiales,
les opposants affirmaient que, si on encourageait les femmes à participer
à la vie politique, cela causerait des préjudices à la famille4. Jens Dahl
souligne que lopposition des femmes à la proposition reflétait souvent
leur engagement profond envers le maintien des familles, ainsi que leur
crainte dun accroissement des problèmes sociaux5.
Les conséquences pratiques du fait que seulement 12 femmes auraient la charge de
responsabilités liées à la gouvernance du territoire ont été mises de côté au
profit d’une discussion plus symbolique sur le domaine réservé aux femmes et aux
hommes dans la société inuite.
Selon Suzanne Dybbroe, la préservation de lidentité culturelle est un
processus associé à la maîtrise des symboles6. Donc, alors quun grand
nombre de personnes percevaient dans la culture inuite une valorisation
et un respect traditionnels de la participation égale des hommes et des
femmes, sans égard au sexe, dautres prétextaient que les femmes et les
hommes possèdent des sphères dinfluence distinctes, quoique complémentaires.
En raison du taux de chômage accru parmi les hommes ainsi que de limportance
croissante du rôle des femmes dans le soutien des familles, un grand nombre
dhommes ont perçu légalité entre les sexes dans la politique comme une
autre usurpation de leurs rôles traditionnels dans la culture inuite relativement
à lapport de revenus et dinformation ainsi quà lexercice du pouvoir
dans la société. Bien que les groupes plus traditionalistes aient laissé
entendre que la notion dégalité entre les sexes vient du Sud, on contestait
rarement largument contre la proposition selon lequel celle-ci reposait
sur des principes importés du christianisme. Clara Evalik, ancienne membre
de la Commission détablissement du Nunavut, a critiqué les groupes religieux
qui se sont servi des craintes des communautés dans le but de défaire la
proposition.
En effet, les discussions soulevées par la proposition sur légalité entre
le sexes étaient telles quon a demandé à la population de définir quelle
version des traditions inuites (cest-à-dire, avant ou après le contact
avec la civilisation chrétienne, ou un mélange des deux périodes) constituerait
le fondement des relations entre les sexes et de la pratique démocratique
dans le nouveau territoire. Pour la population, il ne sagissait pas vraiment
dune « question claire », étant donné que, durant les 50 années précédentes,
la société inuite avait subi dimportants bouleversements liés à son rapport
avec la terre, à ses contacts avec le Sud, à linfluence du christianisme
et à la restructuration économique de la famille et de la société. Il nest
pas étonnant que la proposition ait soulevé à la fois un optimisme tourné
vers lavenir et une crainte sournoise, si on considère que les générations
actuelles ont connu et continueront probablement de connaître une période
de transition tumultueuse aux niveaux social, économique et culturel, durant
les premières décennies du développement du Nunavut.
Leçons à tirer de lexpérience du Nunavut
La première leçon à retenir concerne linfluence des valeurs dans les événements
politiques. Plus particulièrement, cette expérience fait ressortir deux
idées de légalité, qui supposent des visions différentes de la façon dont
la société et ses institutions devraient être organisées au niveau politique.
Manifestement, on ne manque pas de mécanismes visant à garantir la représentation
des femmes dans les systèmes parlementaires comme celui de Westminster
ou dautres, dans la mesure où il existe un engagement véritable envers
la représentation égale des femmes dans la pratique. Le fait que la proposition
sur légalité entre les sexes à lAssemblée législative nait finalement
pas été adoptée au Nunavut nindique pas une incapacité inhérente du modèle
de Westminster de sadapter aux réalités modernes, ni une incapacité de
prendre en compte des éléments multiples dans la représentation de la communauté
politique. Au contraire, pour autant quils soient compatibles avec la
priorité accordée à la représentation des collectivités éloignées, le modèle
de Westminster a fait preuve de souplesse par rapport aux efforts déployés
pour promouvoir la représentation des femmes. La Commission détablissement
du Nunavut sétait nettement engagée envers le principe de la représentation
égale entre les sexes, et le mécanisme approprié avait été conçu pour institutionnaliser
le principe et mettre en uvre cet idéal.
Le mode de représentation par deux personnes de sexe différent ne peut
être écarté. Nous ne pouvons non plus passer sous silence la force des
idées qui influencent la structure politique avant lapplication des réformes.
La proposition sur légalité entre les sexes aurait non seulement marqué
la reconnaissance politique des différences entre les sexes, mais elle
aurait également confirmé la pertinence de ces réalités pour la poursuite
dune bonne gouvernance. Comparable au défi posé par les féministes, le
principe inuit dune collectivité fondée sur légalité entre les sexes
aurait modifié le concept d« homme politique » en lassociant aux deux sexes.
En accord avec la conception préconisée par lélite inuite relativement
à la culture traditionnelle des Inuits, selon laquelle elle inclurait les
valeurs modernes dégalité entre les sexes, ainsi quen accord avec la
théorie juridique déquité et lesprit de larticle 15 de la Charte canadienne
des droits et libertés relativement aux droits à légalité, si elle avait
été adoptée, la proposition aurait cependant eu des conséquences considérables
sur lexercice pratique du pouvoir politique. Sa mise en uvre aurait instauré
une nouvelle réalité où les hommes auraient, de manière non seulement théorique
mais également concrète, perdu leur domination avérée sur lexercice du
pouvoir politique dans la société.
Notre deuxième constatation concerne le fait que la création dune nouvelle
assemblée législative nentraîne pas nécessairement une nouvelle structure
politique offrant plus de possibilités aux femmes. Plus précisément, il
demeure essentiel que les défenseurs de la représentation des femmes conservent
lappui de lélite politique ayant un pouvoir décisionnel. Lobjectif doit
être un engagement à éliminer sciemment les mécanismes informels qui écartent
les femmes de la politique et à favoriser fortement lélection de femmes
à des fonctions politiques. Lorsquon examine la création de nouvelles
structures institutionnelles au sein de monarchies constitutionnelles adoptant
le style de gouvernance de Westminster, il est impératif détudier la source
du pouvoir décisionnel. Comme la bien démontré David Smith, il faut que
nous observions les acteurs qui exercent le pouvoir exécutif au nom de
la Couronne7. Dans le cas du Nunavut, le pouvoir décisionnel était finalement
exercé par un groupe tripartite formé de la société civile inuite (Nunavut
Tunngavik), les députés en exercice (les députés du Nunavut dans le gouvernement
des Territoires du Nord-Ouest) et les intérêts des dirigeants libéraux
du gouvernement fédéral (représentés par le ministre fédéral des Affaires
indiennes et du Nord). Cette élite politique avait pleins pouvoirs pour
décider des règles et des principes qui formeraient la base de la constitution
de la nouvelle Assemblée, ainsi que de la présence ou de labsence du principe
dégalité entre les sexes comme fondement du corps législatif. Lincapacité
de dégager un consensus entre les deux premiers groupes a mené le troisième
joueur à demander un référendum.
La troisième observation importante concerne les aspects théoriques et
pratiques de la représentation des femmes. Une vaste documentation suggère
lexistence dun lien entre la représentation descriptive et la représentation
qui reflète vraiment les besoins, et qui fait appel à la notion de « masse
critique »8. Cette hypothétique relation est de plus en plus contestée,
étant donné la diversité même des femmes ou des opinions des femmes9.
Dans le cas du Nunavut, dans une communauté politique relativement petite,
l’opinion d’une femme en vue a suffi pour faire dérailler l’adoption d’un
système électoral qui aurait accordé un rôle équivalent aux femmes et aux hommes
dans l’assemblée décisionnelle du territoire. Très certainement, la ministre
Thompson avait le droit de promouvoir les points de vue des députés du Nunavut
par l’entremise du système politique. Toutefois, le fait que, comme femme, elle
puisse s’élever de manière si véhémente contre la proposition a semé la
confusion au sein de la population quant à savoir qui détenait la légitimité du
point de vue féminin sur les questions d’égalité. Si ses idées s’opposaient aux
intérêts des femmes en matière d’égalité, cette femme pouvait-elle être
considérée comme une représentante importante des femmes?
En dautres mots, le féminisme a-t-il le monopole de la représentation
réelle des femmes? Et, si oui, quelles sont les conséquences secondaires
relativement à la capacité dune société dassurer lexpression des idées
provenant tant des femmes en général que des féministes? Ces questions
font clairement ressortir les tensions théoriques inhérentes aux hypothèses
sur la masse critique ou à lidée que la représentation dun groupe en
fonction de ses besoins véritables découlera automatiquement de sa représentation
descriptive. Suzanne Dovi et Charles Taylor posent le problème en termes
de questions dauthenticité. Suzanne Dovi a avancé lidée que seules les
personnes qui entretiennent des liens continus et profonds avec les communautés
peuvent prétendre représenter leurs intérêts. Elle affirme notamment que
ce ne sont pas tous les Noirs ou tous les Latino-Américains qui peuvent
le faire10. Dans le contexte de la proposition sur légalité entre les
sexes, ce ne serait donc pas nimporte quel Inuit ou femme qui pourrait
prétendre représenter parfaitement la position de la culture inuite ou
des femmes inuites sur les questions dégalité. Une ancienne membre du
Conseil du statut de la femme des Territoires du Nord-Ouest a exprimé anonymement
son désappointement et son inconfort relativement au fait que les efforts
consentis pour mener une campagne déducation en faveur de légalité entre
les sexes ont été compromis par la ministre responsable du Conseil, ce
qui créait de la confusion, divisait le débat et le rendait contre-productif.
La ministre a été perçue comme une représentante légitime chez les segments
plus conservateurs de la population qui souscrivaient à la notion de légalité
fondée sur le mérite individuel ou qui craignaient les changements dans
les rôles dévolus aux deux sexes. Toutefois, pour la majorité de lélite
inuite intéressée par la création du territoire, la ministre a causé du
tort aux intérêts collectifs des femmes et de la société inuite. Par conséquent,
les arguments quelle défendait au nom des députés du Nunavut nont pas
été reconnus comme légitimes.
Par contre, pour les partisans de légalité entre les sexes, la Pauktuutit
Inuit Womens Association, le Conseil du statut de la femme des Territoires
du Nord-Ouest, les membres de la Commission détablissement du Nunavut
et les administrateurs de la société Nunavut Tunngavik étaient perçus comme
les représentants légitimes de la promotion des intérêts collectifs des
Inuites et de la société inuite. Critiquée pour navoir pas compris les
principes de la proposition sur légalité entre les sexes, Manitok Thompson
a été vue comme quelquun qui a restreint le débat à une perception mécanique
de la démocratie fondée sur légalité des chances dans le processus électoral
plutôt que sur légalité des résultats pour tous les citoyens. Lactuelle
ministre des Finances et leader du gouvernement à lAssemblée, Leona Aglukkaq,
sest dite déçue que lancienne ministre nait pas tenu compte des réalités
féminines, comme les taux élevés dhomicide et de violence conjugale. Se
basant sur sa propre expérience et niant les effets des obstacles systémiques
sur la participation des femmes, Manitok Thompson a déclaré que, si elle
pouvait être élue, toutes les femmes le pouvaient. Ancien député du Nunavut
dans le gouvernement des Territoires du Nord-ouest et actuel ministre de
lÉducation, Ed Picco a affirmé que, selon lui, les femmes navaient pas
à surmonter dobstacles systémiques, tout en reconnaissant lexistence
de difficultés liées aux tensions familiales, à la fréquence des déplacements,
et au fait que, dans une petite communauté politique, les politiques nont
pratiquement pas de vie privée. La députée fédérale Nancy Karetak-Lindell
a observé la situation dans les petites collectivités nordiques. Selon
elle, étant donné que les femmes doivent se présenter contre un homme qui
leur est apparenté de près ou de loin ou dautres hommes respectés dans
la communauté, les hiérarchies basées sur lâge et le sexe dans la culture
traditionnelle inuite découragent les femmes de se présenter comme candidate,
à moins que des mesures proactives ne soient mises en place pour valider
légalité de leur capacité à gouverner. Tout en continuant à appuyer la
position des députés du Nunavut adoptée à lépoque, le ministre Picco a
toutefois reconnu limportance du pouvoir personnel que détenait Mme Thompson.
Il a déclaré que, si elle navait pas mené la campagne contre la proposition,
les résultats du référendum auraient probablement été très différents.
En définitive, sans savoir clairement qui avait le droit de parler au nom
des femmes ou en faveur de leur égalité, le fait quune femme en vue se
soit prononcée contre la proposition sest additionné aux autres positions
idéologiques sur les rôles dévolus aux deux sexes, la culture traditionnelle
inuite ainsi que les barrières procédurales, comme le manque de ressources
et de temps consacrés à léducation populaire.
La quatrième leçon à tirer de lexpérience du Nunavut nous rappelle lexistence
de la force du conservatisme lorsquil est question deffectuer une réforme
institutionnelle au Canada comparativement à dautres pays du Commonwealth.
La création du Nunavut est le résultat de plus de trente ans dune mobilisation
discrète mais constante de la société inuite11. La dévolution du pouvoir
à des parlements régionaux au Pays de Galles et en Écosse a sans doute
soulevé moins dobjections que la lutte continue du Québec contre le gouvernement
fédéral pour lobtention de sa souveraineté politique. Linstauration dun
nouveau contrat social en Nouvelle-Zélande (1996) et en Écosse (1999) a
entraîné labandon du système électoral majoritaire à un tour en faveur
dun modèle mixte. Tout à lopposé, jamais durant lélaboration des structures
politiques du nouveau gouvernement au Nunavut, il na été sérieusement
question dabandonner le système majoritaire à un tour. La résistance aux
réformes électorales était également présente au Québec durant le processus
de fusion des municipalités; jamais lidée dadopter la représentation
proportionnelle pour les villes fusionnées de Montréal et de Québec na
été vraiment étudiée. Bien que le processus de réforme électorale en cours
au Québec soriente vers un modèle mixte de représentation proportionnelle,
il sagit dune réforme qui tente de maintenir le même mode de scrutin
que celui du système actuel, cest-à-dire que les électeurs ne voteront
quune fois. Contrairement à laudace de la proposition sur légalité entre
les sexes, les mécanismes suggérés pour féminiser le corps législatif québécois
sont à la fois modestes et facultatifs. Le conservatisme sest également
manifesté dans le processus de réforme électorale en Colombie-Britannique.
Bien que lAssemblée des citoyens se soit montrée favorable à linnovation
en proposant un système, unique à la Colombie-Britannique, de représentation
proportionnelle avec un vote unique transférable, et que la composition
de lAssemblée même ait été fondée sur légalité entre les sexes, la représentation
égale des femmes na pas été retenue pour la création dun nouveau système
électoral.
Perspectives en matière dégalité entre les sexes
Au moins 61 p. 100 de la population du Nunavut sest abstenue de voter lors
du référendum sur légalité entre les sexes. On peut cerner plusieurs facteurs
qui ont pu influencer ce résultat. Il semblerait que de nombreux électeurs
aient été indécis quant au choix à faire, quils aient été rebutés par
le style combatif du débat entre les représentants de lélite inuite ou
quils se soient trouvés à lextérieur du territoire au moment du référendum.
Le vote majoritaire contre légalité entre les sexes peut difficilement
être expliqué comme un mandat clair de la population, mais plutôt comme
une indication quil aurait fallu consacrer plus de temps à la question
et mieux informer la population. Étant donné que ni la Commission détablissement
du Nunavut ni lélite politique nont planifié de manière adéquate cette
consultation populaire aux conséquences considérables, le temps, lénergie
et les ressources consacrés à la promotion de cette vaste discussion sociétale
ont été insuffisants pour permettre dexplorer adéquatement le bien-fondé
de la proposition.
Ce qui est peut-être laspect le plus ironique, cest que divers éléments
de la proposition sur légalité entre les sexes font partie, à divers degrés,
de la culture politique provinciale ou fédérale depuis longtemps. Non seulement
la Chambre des communes et les assemblées législatives provinciales ont
déjà utilisé un système où les circonscriptions électorales étaient représentées
par deux personnes jusque dans les années 1980, mais certaines provinces
(notamment le Nouveau-Brunswick et le Québec) ont conçu la délimitation
des circonscriptions pour faciliter la représentation de caractéristiques
sociales particulières, telles que la langue et la religion12. Au cours
des dernières années, des propositions ont porté sur la représentation
des Autochtones, sous la forme de circonscriptions électorales désignées,
de sièges réservés aux Autochtones au Sénat ou de la création dun parlement
autochtone. Lexemple le plus frappant est, évidemment, la création du
nouveau territoire du Nunavut. Fondée sur le désir des Inuits dexprimer
et de protéger leur mode de vie distinctif, la création dun gouvernement
sest avérée une solution acceptable, étant donné la prédominance démographique
des Inuits dans la zone géographique désignée pour le nouveau territoire.
Contrairement à la position défendue par les députés du Nunavut selon laquelle
la race, la religion ou le sexe ne peuvent être retenus comme critères
de représentation politique dans une assemblée législative, la reconnaissance
explicite du mode de vie des Inuits constitue lélément fondamental de
la création du Nunavut, pour que les Inuits possèdent la maîtrise politique
de leur avenir.
Bref, bien que la proposition de la Commission détablissement du Nunavut
sur un mode de représentation axé sur légalité entre les sexes ait remis
en question le fondement général de la représentation parlementaire au
Canada, elle la fait de manière à le renforcer et à y intégrer les principes
tant traditionnels (représentation géographique) que plus modernes (représentation
sociale) de lexercice démocratique. De fait, tous ces développements visaient
à créer un espace où une forme de représentation politique pourrait sadapter
au territoire comme aux caractéristiques liées à la culture, à la langue,
et au sexe. Il est intéressant, bien que désolant, de constater que, même
si la culture politique des élites dans les démocraties mondiales dites
modernes maintient, à des niveaux différents, limportance de la représentation
descriptive et de la reconnaissance des différences régionales, des croyances
religieuses, des réalités rurales à lopposé des réalités urbaines, des
identités ethnoculturelles et des groupes linguistiques, cette culture
politique continue de rejeter la pertinence de la reconnaissance politique
des identités sexuelles, y compris le droit à la pleine citoyenneté des
femmes. Si les leaders inuits avaient pu faire respecter, avec lappui
des députés du Nunavut, la valeur de la culture traditionnelle inuite relativement
à laffirmation de la participation égale des hommes et des femmes à la
société, lAssemblée législative du nouveau territoire serait devenue le
premier exemple au monde dune démocratie moderne fondée sur légalité
entre les sexes.
Bien que la proposition de la Commission détablissement du Nunavut ait
été défaite, cela nempêche pas les dirigeants actuels dutiliser depuis
1999 leur autorité pour promouvoir la représentation politique des femmes.
Dans une entrevue récente, Paul Okalik, premier ministre du Nunavut, sest
engagé très ouvertement à ce que les femmes occupent les plus hautes fonctions
du gouvernement et il a déclaré que des femmes ont été délibérément désignées
sous-ministres en 1999 dans le but de contrebalancer la majorité de ministres
masculins. Après sa réélection en 2004, il sest servi de son pouvoir comme
premier ministre pour affecter deux députées aux plus importantes positions
de son cabinet, soit aux postes de vice-première ministre et de ministre
des Finances. Il a également constaté que la situation des femmes est bonne
au sein de la fonction publique, où elles constituent 69 p. 100 de leffectif.
Le ministre de lÉducation, Ed Picco, a aussi remarqué quau moins 80 p.
100 de étudiants du Collège de lArctique du Nunavut sont de sexe féminin.
Faute de réels mécanismes institutionnels, le plus important pour contrer
la sous-représentation des femmes est manifestement lengagement véritable
des hommes à partager le pouvoir avec les femmes et à utiliser leur accès
privilégié au pouvoir politique pour éliminer les barrières systémiques
que doivent affronter les femmes. Pour le moment, au Nunavut, cest le
bon vouloir du « prince » qui fait la différence. Par conséquent, les Nunavutoises
doivent espérer que son règne sera long et prospère, de sorte que les effets
cumulatifs dun pouvoir exécutif prônant légalité des sexes mèneront progressivement
à des changements dans la constitution du corps législatif lui-même. Si
la culture politique traditionnelle des Inuits continue de dominer en pratique,
alors peut-être que le paradis dune gouvernance fondée sur légalité des
sexes nest pas perdu, mais quil prend plutôt la forme dun projet collectif
en cours.
Notes
1. Commission détablissement du Nunavut, Two-Member Constituencies and
Gender Equality: A Made in Nunavut Solution for an Effective and Representative
Legislature, document de travail, 1994, p. 5.
2. Voir aussi Lisa Young, « Gender Equality Legislatures: Evaluating the
Proposed Nunavut Electoral System », Analyse de politiques, vol. XXIII,
no 3 (1997), p. 306-315.
3. Nicole Gombay, « The politics of culture: Gender parity in the legislative
assembly of Nunavut », Inuit Studies, vol. 24, no 1 (2000), p. 125-148.
4. Ibid, p. 139.
5. Jens Dahl, « Gender Parity in Nunavut », Indigenous Affairs, no 3/4 (1997),
p. 46-47.
6. Suzanne Dybbroe, « Questions of identity and issues of self-determination »,
Inuit Studies, vol. 20, no 2 (1996), p. 39-53.
7. David E. Smith, The Invisible Crown, Toronto, University of Toronto
Press, 1995.
8. Sarah Childs, New Labours Women MPs. Women representing women, Londres,
Routledge, 2004, p. 22-27.
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of Politics, vol. 64, no 4 (2002), p. 1153-1174.
10. Suzanne Dovi, « Preferable Descriptive Representatives : Will Just Any
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11. Jack Hicks et Graham White, « Nunavut: Inuit Self-determination Through
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