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L'Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique – Audiences publiques et délibérations
R.S. Ratner

L’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique sur la réforme électorale (AC) a présenté son rapport final au gouvernement le 10 décembre 2004. Un article antérieur de la Revue parlementaire canadienne (été 2004) a traité de la constitution de l’Assemblée, de la sélection aléatoire des délégués et de la phase d’apprentissage. Le présent article s’intéresse aux audiences publiques de l’Assemblée, à ses délibérations et à son rapport final. Le nouveau système électoral que propose l’Assemblée sera soumis aux électeurs lors d’un référendum qui aura lieu le 17 mai 2005. Si au moins 60 p. 100 de l’ensemble des suffrages exprimés et la majorité dans 60 p. 100 des circonscriptions sont pour, le gouvernement s’engage à présenter un projet de loi qui donnera effet à la recommandation de l’Assemblée des citoyens. 

L’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique sur la réforme électorale a entrepris ses travaux le 10 janvier 2004. Cent soixante citoyens choisis au hasard — un homme et une femme par circonscription électorale de la province – ont participé avec empressement à cette occasion historique où de « simples » citoyens ont été investis du pouvoir de recommander une mesure législative sur une question d’importance pour la politique. 

La genèse de cet essai de démocratie participative vient du premier ministre Gordon Campbell, qui avait promis de convoquer une telle assemblée lorsque son Parti libéral a perdu les élections provinciales de 1996 au profit des néo-démocrates, même s’il avait remporté le vote populaire. M. Campbell a eu l’occasion de réaliser sa promesse dès les élections suivantes (2001), lorsque les libéraux ont remporté 77 des 79 sièges de l’Assemblée législative. Malgré sa victoire écrasante, le premier ministre Campbell a tenu parole, convaincu que la libre évaluation du processus électoral par les citoyens était « la meilleure chose à faire1 ». C’était assez audacieux, mais il avait l’approbation de la plupart de ses collègues du parti, malgré une répugnance bien naturelle à céder le pouvoir à des citoyens non élus. Présentant cette cession sous un jour favorable, Gordon Gibson, grand architecte de l’Assemblée, a déclaré : « Un groupe de politiciens ont abandonné leur vie professionnelle à une bande d’étrangers […] dans un noble geste de générosité politique2 ». 

Quelle que soit la motivation, nul doute qu’il fallait prendre des mesures pour corriger les particularités d’un système électoral qui semblaient contribuer au désenchantement du public envers la politique parlementaire. Le taux de participation aux élections diminuait partout au pays, ce qui donnait à penser que les citoyens se sentent rabroués par un système électoral qui n’arrive pas à refléter fidèlement la composition idéologique de l’électorat. La méfiance à l’endroit des politiciens et le cynisme envers la politique en général ont marqué une grave perte de légitimité qui a mis en évidence la nécessité de faire un effort d’imagination pour que les citoyens redeviennent fiers de leur régime politique. 

L’idée d’un regroupement aléatoire de citoyens pour encadrer un référendum populaire sur le processus électoral semble constituer un pas vers une plus grande coopération qui convient mieux à une démocratie moderne. De plus, alors que les failles des traditions parlementaires britanniques sont de plus en plus manifestes dans le Canada et la Colombie-Britannique d’aujourd’hui, compte tenu des concentrations inadmissibles du pouvoir exécutif3, ce sont les avantages potentiels des régimes de représentation proportionnelle (RP) qui ressortent, notamment celui de permettre une représentation plus diversifiée à la législature4

L’Assemblée des citoyens a commencé ses travaux par une phase d’apprentissage en janvier 20045, destinée à faire connaître les cinq grandes « familles » de systèmes électoraux6. Le rapport préliminaire publié par l’Assemblée le 21 mars 2004 au terme de cette phase7 prévoyait les trois caractéristiques déterminantes des systèmes électoraux qui étaient susceptibles de refléter des valeurs essentielles pour les Britanno-Colombiens : une forte représentation locale, une proportionnalité raisonnable entre les sièges et les votes, et le choix optimal des électeurs. L’Assemblée n’avait pas encore recommandé un nouveau système électoral ni rejeté le système actuel, celui du scrutin majoritaire uninominal, mais elle a invité la population à faire connaître son opinion sur le rapport produit et sur les valeurs qui devraient être « au cœur de la santé politique de la démocratie provinciale ». Les citoyens ont été encouragés à assister à au moins l’une des 50 audiences publiques qui avaient lieu, à venir présenter un mémoire en personne s’ils le voulaient ou à envoyer leurs observations en ligne, par courriel ou par la poste. 

Avant de terminer la phase d’apprentissage, les membres de l’Assemblée ont décidé de tenir une session spéciale d’une fin de semaine à Prince George pour passer en revue ce qu’ils avaient appris des Britanno-Colombiens grâce aux audiences publiques et aux mémoires écrits. En outre, un sous-comité, composé de plusieurs membres de l’Assemblée choisis au hasard, a été chargé de choisir quelques-uns des exposés les plus instructifs qui avaient été présentés lors des audiences publiques pour les répéter à la première séance plénière de la phase de délibération, prévue pour septembre. 

Audiences publiques et mémoires 

Vers la fin de la phase d’apprentissage, Leo Perra, chef des opérations, a rappelé aux membres que le mandat de leur Assemblée les obligeait à consulter les citoyens au moyen d’audiences publiques et de mémoires écrits. Il leur a conseillé de considérer l’exercice comme un prolongement de leur phase d’apprentissage et une occasion « d’entendre ce que nos concitoyens et les organisations intéressées ont à dire sur les différents systèmes électoraux ». Un bref guide renfermant les suggestions des membres a été produit dans le but de clarifier leur rôle lors des audiences publiques. La première des 50 audiences publiques qui ont eu lieu en deux mois s’est tenue le 3 mai à Vancouver. Les audiences ont été largement annoncées dans les journaux locaux, sur le site Web de l’Assemblée et par des affiches. Elles avaient généralement lieu dans un local commercial situé à un endroit central pour permettre au plus grand nombre possible de citoyens de s’y présenter. Les audiences duraient normalement trois heures et étaient organisées en soirée pendant la semaine et le samedi après-midi. Le personnel de soutien présent aux audiences se composait d’un membre de l’Assemblée provenant de la circonscription concernée qui faisait office d’hôte conjoint, d’un modérateur, qui était habituellement l’un des cadres supérieurs de l’AC, d’un greffier, d’un rapporteur et d’un membre du personnel des communications. 

Au moins quatre membres de l’AC — et souvent davantage — étaient présents à chaque audience, y compris un membre de la circonscription locale, un membre de la circonscription voisine et au moins un membre d’une autre région de la province. Il s’agissait d’une combinaison censée aider les membres de l’Assemblée à saisir les enjeux locaux et les préoccupations des citoyens de toute la province. 

Les membres de l’AC étaient assis à une table à l’avant de la salle d’audience, l’auditoire était assis comme dans un théâtre (sauf lorsque le petit nombre de participants commandait une disposition plus intime en rond), et les auteurs d’exposés prenaient la parole à un lutrin ou sur une estrade. Après une introduction aux délibérations faite par le membre local de l’AC, on montrait un court vidéo présentant sommairement l’Assemblée et les cinq grandes familles de systèmes électoraux. Les participants n’avaient droit qu’à dix minutes pour faire leur exposé, suivi d’une période de questions de dix minutes aussi où les membres du panel de l’AC étaient les premiers à poser des questions. Les 50 audiences ont attiré en tout quelque 3 000 citoyens, soit entre une vingtaine de personnes dans les toutes petites localités et plus de 150 personnes à une audience ayant eu lieu en zone urbaine. Il y a eu 387 conférenciers (la plupart s’étaient inscrits à l’avance) et des résumés des principaux exposés ont été affichés sur le site Web de l’AC8

Exception faite de certains pépins techniques et de plaintes sans rapport avec le mandat, les audiences se sont bien déroulées. Les salles étaient bondées par moment, mais cela ajoutait à l’ambiance un peu de passion. Les contraintes de temps ont ennuyé quelques présentateurs. L’un d’entre eux a même dit : « Je n’ai que dix minutes pour vous entretenir d’une question à laquelle je réfléchis depuis 12 ans. » Mais la liste des présentateurs était habituellement tellement longue qu’il fallait imposer des limites pour que les gens dans la salle puissent poser des questions. En général, l’humeur aux audiences était à l’engagement sincère. Signe déjà légendaire du degré d’intérêt populaire, c’est la foule qui s’est présentée à l’audience publique organisée dans la ville minière de Smithers le même soir que la dernière partie des éliminatoires de la Coupe Stanley. 

Aux audiences publiques auxquelles j’ai assisté, j’ai été impressionné par la familiarité des orateurs avec certaines subtilités des systèmes électoraux. 

Les thèmes et préoccupations qui ont prédominé à toutes les audiences rejoignaient les questions que les membres de l’AC avaient retenues aux dernières séances de leur phase d’apprentissage : la nécessité de modifier les rouages du système politique, les avantages de la proportionnalité, l’importance de la représentation locale et les avantages d’un choix accru pour les électeurs. La polarisation en politique, la domination de l’exécutif et la non-représentativité des organes législatifs seraient la cause des principaux griefs qu’une réforme électorale pourrait régler, surtout si on optait pour la RP. 

Le régime électoral actuel du scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMU) a eu peu de défenseurs, tandis que le système mixte proportionnel (SMP) était souvent mentionné comme la solution la plus plausible, même si c’était en partie la stratégie préméditée par quelques groupes de citoyens déterminés et par le Parti Vert dont le chef a mené une campagne agressive en faveur du SMP. 

Des participants relativement peu nombreux ont vanté le mode de scrutin à vote unique transférable (VUT), en avançant généralement des arguments assez techniques et savants. Pour assimiler les diverses critiques et les solutions proposées, les membres de l’AC ont amélioré leur compréhension des systèmes électoraux dans le contexte de la Colombie-Britannique, éprouvant, à l’occasion, un regain de confiance en eux-mêmes lorsque, s’étant rendu compte qu’ils en savaient plus que le public immédiat, ils se sont sentis capables de faire une recommandation. 

L’autre occasion appréciable de participation populaire, c’était la présentation d’un mémoire par écrit. À la date de clôture prévue pour septembre 2004, tout juste avant que ne commence la phase de délibération, l’Assemblée avait reçu 1 603 mémoires qui ont fourni à ses membres une foule de renseignements intéressants sur les systèmes électoraux. Nombre des mémoires étaient brefs, certains étaient même manuscrits, tandis que d’autres étaient plus longs, avaient été envoyés par courriel ou étaient étoffés; quelques-uns faisaient même jusqu’à 70 pages. 

Pour arriver à gérer une telle quantité, il a fallu mettre au point un système sur le Web qui traite et répertorie les mémoires afin de permettre aux membres et au grand public d’y avoir accès plus aisément. Cette méthode a facilité un dialogue suivi entre les auteurs de mémoires, lequel dialogue a ajouté au processus démocratique. Des résumés succincts indiquant le thème des mémoires ont été rédigés et annexés aux mémoires par l’attaché de recherche adjoint. Ce travail laborieux avait été rendu encore plus fastidieux par les groupes qui, faisant campagne pour un système électoral en particulier, avaient choisi comme tactique de multiplier les mémoires envoyés au site Web dans le but exprès de l’engorger. 

La plupart des membres de l’AC se sont néanmoins donné la peine de lire méthodiquement un nombre appréciable de mémoires — certains se sont même vantés de les avoir tous lus — pour ensuite échanger leurs impressions dans un forum qui leur était réservé. Le problème à cet égard, c’est qu’environ le quart des membres n’étaient pas branchés, ce qui signifie qu’ils n’avaient accès ni aux mémoires en ligne ni au forum des membres. Le personnel a cherché à contourner cet écueil en leur faisant parvenir une copie papier des mémoires intéressants et des échanges clés sur le forum des membres. 

Les mémoires exprimaient souvent du mécontentement envers le système électoral actuel, le SMU, et se prononçaient plutôt pour une forme de RP, généralement de type SMP. Certains mémoires mentionnaient le scrutin à vote unique transférable, mais souvent pour le critiquer. Hormis la répétitivité du contenu de bien des mémoires, ceux-ci étaient généralement intéressants et instructifs. En essence, ils corroboraient les impressions qu’avaient laissées les audiences publiques, à savoir que de nombreux électeurs de la Colombie-Britannique étaient mécontents du système électoral actuel et voulaient qu’il change. Une question reste toutefois sans réponse : ce qui a été entendu et lu est-il représentatif de l’opinion de l’ensemble de l’électorat de la province? 

Cette question troublait les membres de l’AC lorsqu’ils se sont réunis à Prince George à la fin de juin pour étudier ce qu’ils avaient appris des audiences publiques et des mémoires écrits, et pour approuver un plan sur le mode de délibération et le processus décisionnel qui serait employés à l’automne. Les membres avaient choisi de se retrouver à Prince George pour manifester symboliquement leur solidarité envers le reste de la province (principalement le Nord) puisque toutes les séances plénières se déroulaient dans le bastion urbain de Vancouver. Ils avaient aussi hâte de se retrouver dans une situation propice au resserrement des liens et aux échanges d’informations dont nombre de membres estimaient avoir besoin pour neutraliser l’effet de l’écart de cinq mois entre les phases d’apprentissage et de délibération. Presque tous les membres sont allés à Prince George. 

Les séances étaient organisées comme d’habitude : réunions plénières et groupes de discussion, même si le gymnase du Centre municipal de Prince George ne produisait pas la même ambiance que l’Asia Pacific Hall à Vancouver. Malheureusement, une motion interdisant la présence d’observateurs aux groupes de discussion a été présentée par le personnel (peut-être à l’instigation de quelques membres) à l’Assemblée qui l’a approuvée. Donc, les observateurs en ont été réduits à faire le pied de grue dans le lobby durant les réunions des groupes de discussion. 

À la plénière, le directeur de la Recherche, Ken Carty, et son adjoint, Campbell Sharman, ont présenté des résumés des audiences publiques et des mémoires. Le professeur Carty a fait ressortir les opinions et préoccupations quasi semblables de ceux qui ont présenté un exposé aux diverses audiences qui ont eu lieu dans la province. Il a aussi souligné quelques variations régionales. Le système électoral qui semble le plus populaire est celui du SMP à deux tours avec listes ouvertes et un seuil. 

Certaines questions revenant constamment aux audiences ont été soulignées : Qui assurera le suivi après la dissolution de l’Assemblée pour que l’électorat de la Colombie-Britannique soit bien informé des enjeux du référendum? Comment connaître l’opinion de la très grande majorité des électeurs de la province qui ne se sont pas présentés aux audiences? 

Après leurs réunions, les groupes de discussion ont fait rapport d’une foule de sujets de préoccupation : le double seuil de 60 p. 100; le nombre maximum de députés, fixé à 79, qui nuit particulièrement au SMP; l’infiltration par des groupes d’intérêts qui ont monopolisé les audiences et les mémoires; fait assez étonnant, la crainte que le rapport final soit rédigé sans l’approbation de l’Assemblée. 

Le professeur Carty a dissipé sans délai cette dernière crainte en déclarant que les membres seraient appelés à approuver (ou rejeter) le texte intégral du rapport final et de la recommandation. Il conseille de ne pas s’en faire pour le seuil de 60 p. 100, parce que « c’est la loi et c’est indiqué dans le mandat établi » et aussi, se faisant plus rassurant, parce que, « si on obtient plus au moins 60 p. 100 des voix, le gouvernement est tenu de présenter le référendum à la législature; mais il peut le faire même si le pourcentage est inférieur ». 

Les membres disaient aussi craindre le parti pris des médias ou leur déformation des faits, de même que le rôle que le gouvernement a l’intention de jouer dans la campagne d’information publique. Après une autre série de groupes de discussion, les membres se sont retrouvés à la dernière plénière de la fin de semaine, résolus de faire fi de l’indécision pour entreprendre la phase de délibération sans idées préconçues, pétris de confiance mutuelle, prêts à affronter les divergences d’opinion constructives et confiants dans le pouvoir d’inspiration de leurs propres « valeurs communes » établies antérieurement pour déterminer les valeurs fondamentales que possèdent les Britanno-Colombiens en matière de politique et, ainsi, forger une bonne recommandation. 

L’arbre décisionnel de la phase de délibération a été examiné et le président a posé une série de questions auxquelles les membres devaient réfléchir pour se préparer aux réunions prévues à l’automne, tout en les priant de « rester motivés et en contact durant l’été ». L’Assemblée a levé la séance en regrettant collectivement de n’avoir pas accompli assez de choses durant les deux jours pour justifier l’initiative, mais il était évident que les membres avaient redoublé de ferveur. 

La phase de délibération 

Le 11 septembre 2004, les membres sont retournés à Vancouver passer six autres fins de semaine de réunions afin de choisir le meilleur système électoral pour la Colombie-Britannique. La première séance, le samedi matin, a commencé comme d’habitude lorsque les membres, presque tous présents, ont entonné en chœur le « Ô Canada » avant de faire une minute de silence en hommage aux victimes du 11 septembre 2001 et à celles des crises plus récentes de Beslan et du Darfour. Le président a rappelé de manière émouvante que les membres de l’AC étaient privilégiés de vivre dans une société relativement paisible et sûre qui méritait qu’on fasse de son mieux pour donner le bon exemple à d’autres sociétés dans le monde qui en avaient tant besoin. 

L’Assemblée a été informée que, conformément à ses désirs, toutes les décisions de l’AC seraient prises en plénière et que les groupes de discussion siégeraient à huis clos pendant toute la phase de délibération. Heureusement, le personnel a bien voulu acquiescer gentiment quand un autre observateur et moi avons demandé l’autorisation d’assister aux réunions des sous-groupes de discussion. Une politique d’accès aux groupes de discussion a été établie (et approuvée le jour même par les membres) pour permettre à ceux qui assistaient aux plénières à des fins de recherche de se faire accréditer comme observateurs. Nous avons été trois à faire cette demande et, comme nous remplissions les critères, nous avons obtenu la permission d’assister aux réunions des groupes de discussion. 

Pour commencer les travaux de la journée, neuf conférenciers, triés sur le volet par un sous-comité spécial de membres de l’Assemblée, ont présenté chacun un exposé de 15 minutes devant l’Assemblée réunie. Ces exposés préconisaient l’un ou l’autre des modes de scrutin encore sur le tapis : le vote préférentiel (VP), le vote unique transférable (VUT), le système mixte proportionnel (SMP), le vote préférentiel transférable (VUT + VP) et le scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMU). Quelques-uns ont traité de formules combinant des éléments de diverses méthodes. La plupart privilégiaient le SMP ou le VUT, en insistant sur les avantages de la proportionnalité pour la démocratie, tandis qu’un ministre d’un ancien gouvernement créditiste, qui préconisait le SMU, a mis en garde, sans conviction, contre le concept de la représentation proportionnelle, dont le choix constituerait « une erreur de jugement phénoménale ». 

Les exposés ont suscité des échanges de vues réfléchis entre les orateurs et les membres, échanges qui ont contribué à mettre en lumière les différences entre les méthodes. À la fin du débat, il était devenu évident que les membres allaient vraisemblablement recommander une variante du SMP ou du VUT. 

À la suite des exposés, le professeur Sharman a présenté une analyse des mémoires. Trois membres de l’AC ont aussi fait part de leurs impressions des mémoires, soulignant l’intérêt quasi général pour le SMP, les besoins des régions, la représentation locale et la reddition de comptes. Il semble que la quantité de mémoires envoyés par l’un des partis minoritaires ait grossi artificiellement le nombre des partisans du SMP. 

À la séance du dimanche, le professeur Carty a rappelé la teneur du mandat avant de présenter succinctement le pour et le contre des modes de scrutin proportionnels par opposition aux modes de scrutin non proportionnels. Puis, il a énuméré les huit caractéristiques que devraient comporter les modèles dont les membres allaient discuter en petits groupes. Il a demandé aux membres de choisir ensuite les trois caractéristiques les plus importantes et, à quelques rares exceptions près, ils ont choisi les trois attributs au haut de la liste du professeur Carty : 

  • une représentation locale efficace 
  • le principe de la proportionnalité 
  • un maximum de choix pour l’électeur. 

Le deuxième week-end a commencé par une allocution, intitulée « Getting to Yes » (comment parvenir au oui), qu’a prononcée un médiateur établi à Vancouver. Apparemment, le personnel estimait que les membres tireraient profit d’un accompagnement dans ce domaine, parce qu’il y avait eu des frictions dans certains groupes de discussion la fin de semaine précédente. Le conférencier s’est concentré sur le fait que les membres avaient besoin d’améliorer la connaissance de soi, l’empathie et la confiance réciproque, puis de remplacer le conflit sur les positions par un conflit sur les intérêts s’ils voulaient arriver à une entente. Après cette allocution, le président a rappelé les « valeurs communes » dont les membres avaient dressé la liste et qu’ils s’étaient engagés à défendre lors de la phase d’apprentissage, puis il a exposé la séquence décisionnelle en dix temps (ou « chemin critique ») qui guiderait le cheminement de l’Assemblée durant la phase de délibération. 

Après discussion, les membres ont confirmé les trois valeurs fondamentales du système électoral à privilégier, puis le professeur Carty a écarté les modes de scrutin incompatibles, ce qui laissait seulement deux des cinq grandes familles de système électoral : le VUT et le SMP. Le défi de l’Assemblée, maintenant, consistait à concevoir le mode de scrutin à vote unique transférable ou le système mixte proportionnel qui conviendrait le mieux à la Colombie-Britannique. En dépit de la réticence de certains membres à n’étudier que deux systèmes (plus la possibilité d’une légère modification du SMU), aucune autre méthode ne paraissait compatible avec le mandat de l’AC. Le professeur Carty a alors entrepris de décrire les particularités structurales pertinentes de ces deux systèmes. 

À la suggestion du professeur Carty, les membres ont décidé de commencer par l’étude du modèle VUT, dont la conception est plus simple puisqu’il oblige à prendre moins de décisions que l’autre système. L’étude a commencé le lendemain matin par les éléments structuraux du modèle VUT qui conviendrait à la Colombie-Britannique. Les membres ont accordé une attention concertée aux questions connexes de l’ampleur des circonscriptions et de la représentation locale, cette dernière étant primordiale pour les membres représentant les circonscriptions du nord et des zones rurales, lesquelles sont si étendues. 

Dans un système VUT, les circonscriptions à plusieurs députés favoriseraient une meilleure proportionnalité dans les circonscriptions urbaines densément peuplées (circonscriptions de 4 à 7 députés) mais une bien moins bonne proportionnalité dans les circonscriptions sous-peuplées du nord (circonscriptions de 2 ou 3 députés), alors que ces dernières auraient une superficie accrue tout en faisant relativement peu de gains du point de vue de la représentation locale. 

À la troisième fin de semaine de séance, les membres se sont attaqués à la tâche de fabriquer un modèle de SMP « sur mesure » pour la Colombie-Britannique. Le professeur Carty a énuméré la dizaine de décisions qu’il faudrait prendre pour intégrer les divers éléments d’un système mixte qu’il qualifiait de « conceptuellement simple mais architecturalement complexe ». Après un bref survol des variantes existantes du système mixte (SMP en Allemagne et en Nouvelle-Zélande, SMM au Japon et en Russie, et SMP « léger ») caractérisées principalement par leur degré de proportionnalité (ou l’équilibre le rapport entre les sièges des circonscriptions et ceux des listes), les groupes de discussion se sont réunis pour tirer au clair certaines questions telles que la répartition et l’attribution des sièges des listes, des contingents, des seuils, etc. et comparer les avantages relatifs des variantes du système mixte. 

Dans le groupe de discussion que j’ai observé, le casse-tête que représentait la combinaison des éléments d’un modèle SMP a produit une nostalgie quasi immédiate pour le modèle VUT, surtout lorsque l’animateur a expliqué que les candidats indépendants (c.-à-d. ceux qui n’appartiennent à aucun parti) n’avaient pratiquement aucune chance de remporter un siège de liste et à peine une mince chance de gagner un siège de circonscription dans un modèle SMP. Une préoccupation croissante pour l’éligibilité des candidats indépendants et la crainte que les seuils aient un effet d’exclusion ont fait naître chez certains membres une vision légèrement négative du SMP. 

Les membres sont revenus à la plénière pour revoir attentivement les principes et les particularités des systèmes mixtes. Ils ont opté pour une répartition régionale plutôt que provinciale des sièges de la liste qui étaient censés faire en partie contrepoids à une représentation locale moindre que celle permise par un modèle VUT. Les membres ont ensuite écouté religieusement un exposé captivant de la professeure Lisa Young sur la corrélation entre les systèmes électoraux et la représentativité des résultats9

Le lendemain matin, les membres ont voté sur les éléments d’un modèle SMP 60 p. 100-40 p. 100 (circonscription/liste). Un certain nombre de décisions importantes concernant le modèle SMP n’avaient pas encore prises, par exemple au sujet de la règle en cas de vacance des sièges de liste, de la structure régionale appropriée pour l’attribution des sièges de liste et de la formule proportionnelle pour la répartition des sièges. Le président a terminé la séance en déclarant que les affaires qui restaient étaient d’ordre technique et pouvaient donc « être reportées à la semaine suivante si le groupe choisissait le SMP », décision qui a sans doute eu des conséquences plus importantes qu’on a pu le croire à ce moment-là. 

Finalement, la question — laquelle des deux formules servirait le mieux la Colombie-Britannique — a été mise aux voix par un scrutin secret. Le résultat a été assez étonnant, étant donné que le débat avait l’air assez passionné et partagé : 123 pour le VUT et 31 pour le SMP. 

La quatrième fin de semaine, le temps était venu de prendre des décisions capitales. Après avoir résumé les décisions prises précédemment par l’Assemblée au sujet du modèle SMP, le professeur Carty a fait quelques observations de nature générale et pas désobligeantes sur les deux modèles. Un membre a demandé si la limite des 79 sièges s’appliquait encore (une pierre d’achoppement pour les partisans du SMP) et le président a répondu abruptement par l’affirmative. Un autre membre a demandé pourquoi l’Assemblée n’avait pas pris de décision sur les éléments du SMP qui restaient avant de choisir entre les deux systèmes électoraux. Le président a éludé la question en rappelant aux membres le projet de revenir sur ces questions résiduelles si les membres choisissaient le modèle SMP. Il a demandé si ce n’était pas l’opinion exprimée par l’Assemblée, mais il a obtu une réponse affirmative hésitante. Le débat charnière a commencé lorsque les membres ont rappelé les inquiétudes, les objections et les défenses déjà exprimées au sujet des deux modèles électoraux, tout en cherchant à éviter toute acrimonie. 

Dans le groupe de discussion que j’ai observé ce matin-là, un membre, exprimant le sentiment général, a dit : « Parlons à l’unisson  […] quel que soit le résultat de nos discussions, sinon la presse va nous assassiner. » À la plénière, les membres ont admis que le SMP avait nettement été le modèle favori aux audiences publiques et dans les mémoires écrits, mais l’opinion à l’Assemblée semblait davantage partagée entre les deux formules. 

Les membres croyaient que le SMP était plus fiable et qu’il réussirait mieux à réaliser la proportionnalité à la grandeur de la province, mais ils trouvaient que le VUT semblait mieux représenter les trois « valeurs fondamentales », en mettant l’accent sur la responsabilisation locale sans créer deux classes de candidats. Le débat a été poli, subtil et exhaustif. 

Les membres ont applaudi à l’annonce des résultats et le président les a félicités pour l’extraordinaire politesse et la perspicacité dont ils avaient fait preuve tout au long de la discussion. La séance s’est terminée par une ovation en hommage à tout le processus, mais le président a rappelé que toutes les décisions n’étaient pas encore prises et que le personnel chargé de l’horaire devait avoir une boule de cristal, puisqu’il avait prévu une réunion spéciale des membres de l’AC le soir même pour discuter de la façon de parler à la presse si les membres adoptaient le modèle VUT. 

La plénière du dimanche matin a commencé par un exposé du professeur Carty sur les avantages et les inconvénients du système actuel du SMU, exposé qui semblait nécessaire et superflu tout à la fois. Les membres s’étaient déjà fait sermonner sur les défauts et les qualités du système à quelques reprises déjà depuis la constitution de l’Assemblée, mais maintenant il était temps de réévaluer les possibilités du système pour décider s’il fallait le garder ou l’abandonner. 

Après avoir examiné rigoureusement les avantages et les inconvénients des systèmes électoraux du SMU et du VUT en groupes de discussion, les membres ont entrepris un autre débat déchirant, présentant des observations aussi bien abstraites que personnelles au sujet de l’un ou l’autre système, quoique la plupart des membres aient critiqué les contraintes actuelles du SMU et espéré que le VUT corrigerait les problèmes. Vers la fin du débat, un des membres, sentant l’anxiété collective qu’inspirait la recommandation d’un changement historique, a fait le commentaire suivant : « Le changement effraie peut-être mais n’oubliez pas que nous ne prenons pas nous-mêmes la décision. Soumettons notre recommandation au peuple qui, lui, décidera. » 

Le président a ensuite fait procéder au premier des deux scrutins secrets. À la question de savoir si l’Assemblée voulait garder le système actuel du SMU, les membres ont répondu non par 142 voix à 11. À la seconde question de savoir si l’Assemblée voulait recommander le système VUT qu’elle avait conçu pour le peuple de la Colombie-Britannique, les membres ont répondu oui par 147 voix à 7. Soulagés d’avoir mené à bien le principal mandat de l’Assemblée, les membres ont levé la séance pour une pause de trois semaines. 

Le long écart qui a séparé les quatrième et cinquième fin de semaine a suscité un accueil particulièrement chaleureux des membres à leur retour. Le président a annoncé une kyrielle d’anniversaires chez les membres et les quelques absents aux réunions antérieures ont été accueillis à bras ouverts à leur rentrée au bercail. La poétesse de l’Assemblée a lu son plus récent dernier testament à l’entreprise bénie et le président a signalé avec plaisir que les évaluations faites par les membres des réunions des week-ends antérieurs avaient atteint un sommet de satisfaction. 

Avec l’air de s’excuser, le président s’est fait à haute voix la réflexion que « si le SMP avait été aussi étoffé que le VUT, le processus aurait été sans faille ». Le professeur Carty a ensuite entraîné les membres dans un dernier examen de leur système de VUT pour confirmer leur compréhension des détails et le président a poursuivi en discutant des « autres considérations » (c.-à-d., les problèmes reliés au processus politique que, selon ce que les Britanno-Colombiens ont dit aux membres, ils voudraient que le gouvernement règle) qui devaient être mentionnés dans le rapport final, en incitant à les dissocier de la recommandation de base afin que les citoyens ne rejettent pas celle-ci pour des motifs extrinsèques. 

Les membres ont ensuite réfléchi à un nom pour leur nouveau mode électoral, privilégiant provisoirement « BC-STV » (VUT-C.-B.), choix qui a déconcerté le président, lequel a fait remarquer par la suite que le sigle « STV » avait déjà mauvaise réputation à cause des parodies de la presse sur la complexité de sa formule de décompte des voix. 

Ce soir-là, au « salon » tenu par les membres, une cinquantaine d’entre eux environ ont commencé à se demander comment les membres de l’AC pourraient se brancher sur le processus référendaire après la dissolution de l’Assemblée à la mi-décembre. Quelques-uns avaient déjà été invités au lancement de la campagne pour le « Oui » du Mouvement pour la représentation équitable au Canada. Les membres ont discuté des avantages et inconvénients de l’établissement d’un serveur de liste pour s’occuper des médias et coordonner l’agenda des allocutions dans toute la province. Un comité spécial a été formé pour explorer les possibilités de prolonger la participation des membres de l’AC. 

Le dimanche matin, les membres et le personnel ont participé à une révision rigoureuse, page par page, du rapport. Des membres ont fait de nombreuses suggestions de forme, apporté des précisions et donné des idées pour améliorer le graphisme. Le nom du nouveau système électoral a aussi été remis en question, mais « BC-STV » l’a emporté haut la main contre les deux autres suggestions, dont une proposée par le personnel. Tout était maintenant presque prêt pour présenter la recommandation au procureur général de la province. 

Tous les membres de l’Assemblée des citoyens (sauf le seul démissionnaire) ont été présents aux réunions de la sixième et dernière fin de semaine qui ont débuté par une visite du premier ministre et du procureur général de la province. Dans ses remarques liminaires, le premier ministre Campbell déclare que : « Le plus étonnant, c’est que nous avons décidé de laisser les citoyens décider du fonctionnement de la démocratie […] le monde entier observera ce qui se passe en Colombie-Britannique ». M. Blaney a demandé aux membres de l’AC de s’approcher un par un pour recevoir un certificat d’appréciation du premier ministre et se faire prendre en photo avec ce dernier. La cérémonie s’est terminée par une ovation faite à M. Blaney, dont le talent et les efforts avaient grandement contribué à la réussite de l’Assemblée des citoyens. 

Après une photo de groupe dans l’atrium et des rafraîchissements servis dans le Grand Concourse, les membres se sont rassemblés dans l’Asia Pacific Hall pour un tout dernier examen du rapport. De nouvelles modifications ont été proposées, dont deux ont provoqué des réactions exceptionnellement brusques de la part du président. Plusieurs membres se sont opposés à la suppression du terme « proportionnalité » de l’un des sous-titres sur les « valeurs fondamentales ». On l’avait remplacé par l’expression « résultats électoraux équitables ». Comme preuve de l’aisance délibérative qu’ils avaient acquise au cours de leur cheminement collectif vers la rédaction d’un rapport final, les membres ont forcé la tenue d’un vote sur les trois options et ils ont voté très majoritairement pour la suggestion du compromis : « des résultats électoraux équitables grâce à la proportionnalité ». 

Sur une autre question qui contrariait visiblement le président (probablement parce qu’il songeait aux contraintes de temps et au coût d’impression), les membres ont envisagé une modification clé du libellé de la motion référendaire, mais, après avoir forcé la tenue d’un autre vote sur les trois options, ils ont décidé de ne pas modifier le texte initial. Le professeur Carty, lorsqu’il a discuté de la section « autres considérations » du rapport technique, s’est empressé de dire : « Le texte reflète fidèlement vos propos. » Mais même cette affirmation n’a pas réussi à dissuader les membres, qui ont néanmoins insisté pour que l’expression associant « femmes » et « communautés minoritaires » soit remplacée par « femmes, Premières nations et minorités ». Toute cette vigilance n’a pu que faire apparaître un sourire de satisfaction sur le visage des collaborateurs qui avaient bien fait leur travail. 

La directrice des Communications, Marilyn Jacobsen, a terminé la journée par quelques remarques au sujet de la stratégie du personnel pour épauler les membres au cours des mois à venir. Elle a fait allusion aux trousses de communication qui seraient distribuées à tous les membres, au documentaire de Knowledge Network sur l’Assemblée des citoyens, au matériel didactique sur le site Web et à la diffusion du rapport final. À la question de savoir si le gouvernement avait fait savoir ce qu’il avait l’intention de fournir, elle a répondu laconiquement : « Pas encore ». 

La dernière réunion du dimanche a eu lieu après que, la veille en soirée, après le dîner, on a fait un bien cuit pour parodier les membres, le personnel et la longue quête du « consensus ». On y a aussi fait des essais délibérément maladroits pour décrire la méthode de comptage du modèle VUT. Le dimanche matin a été réservé à une plénière à huis clos organisée par le comité spécial des membres de l’AC qui avaient pris l’initiative de former le groupe des anciens de l’Assemblée des citoyens. Les deux tiers des membres de l’AC avaient déjà adhéré à cette nouvelle association indépendante non affiliée. Sa raison d’être avouée, c’était de renseigner les électeurs sur la recommandation en prononçant des allocutions, en élaborant et en orchestrant une campagne de presse et en contribuant à la composante informationnelle du site Web www.bc-stv.ca. Les anciens auront aussi leur site Web privé qui servira de forum de discussion pour organiser des réunions régionales et rester tout simplement en contact. On semble être en train d’organiser une soirée pour le 17 mai. 

Ensuite, des membres sont venus livrer de touchants témoignages rendant hommage à la démarche et à son issue et exprimant une joyeuse reconnaissance pour toute la camaraderie. Un membre qui faisait partie du clergé a donné sa bénédiction et un autre, réputé pour sa volubilité, s’est racheté au tout dernier moment en présentant une motion d’ajournement réduite à sa plus simple expression. Les membres se sont rendus au salon pour prendre une consommation, faire leurs adieux et promettre de rester en contact avant de rentrer chacun dans sa région plus ou moins éloignée. 

Le rapport final, qui fait 16 pages, a été lancé le 10 décembre 2004. À la fin janvier, un exemplaire du document, également publié en français, en chinois et en panjabi, a été envoyé aux 1,5 million de ménages de la Colombie-Britannique. La recommandation de l’Assemblée fera l’objet d’un référendum populaire qui coïncidera avec les élections provinciales du 17 mai 2005. Si la recommandation est approuvée au référendum, le gouvernement sera obligé de présenter un projet de loi qui mettra en place le nouveau mode de scrutin pour les élections de mai 2009. 

Analyse et conclusions 

Aussi louangée qu’ait pu l’être l’Assemblée, tant par les participants que par les observateurs, trois points font particulièrement problème et commandent réflexion. Sur la question de la représentativité, il n’a jamais été parfaitement clair si les membres de l’AC se considéraient comme les représentants de la province, de leur région ou circonscription, de participants aux audiences et au processus de présentation de mémoires, ou simplement d’eux-mêmes. Au fil des travaux de l’Assemblée, la plupart des membres en sont venus à se fier à leur propre jugement, se considérant comme un microcosme de la société britanno-colombienne. Pourtant, comment savoir dans quelle mesure les identités antagonistes ont pu jouer sur leur jugement? 

La question de l’authenticité jette, par moment, une ombre sur les délibérations de l’AC. En particulier, l’influence du personnel qui a contribué à la définition initiale des « valeurs fondamentales » incontournables ayant servi par la suite de référence à l’évaluation des divers modèles de scrutin et les décisions prises par le personnel concernant la formule SMP (p. ex., les ambiguïtés entourant le plafond des 79 sièges, et les délais serrés imposés à l’Assemblée pour adapter les subtilités du modèle SMP à la province) ont pu empêcher les membres de faire une évaluation tout à fait indépendante des divers modèles. 

De plus, l’impartialité de la décision de garder ou rejeter le modèle actuel du SMU a pu être influencée par l’impression que les membres se devaient d’arriver à un résultat tangible, ce qui a pu jeter les bases d’un parti pris contre le gouvernement qui s’est matérialisé par une vague populiste en faveur du VUT. Ce sont les trois forces dynamiques primordiales qui ont pu jouer dans la démarche de l’AC et sceller en partie l’issue de ses délibérations. Il faudrait donc approfondir leur étude. 

En ce qui concerne la recommandation du modèle VUT proprement dite, certains des éléments de ce modèle, déjà éreintés par plusieurs grands pontes de la politique, ne sont pourtant pas aussi problématiques qu’on pourrait le croire. Bien que le bulletin de vote préférentiel du VUT arbore un plus grand nombre de candidats, cela ne s’est pas avéré trop compliqué pour les électeurs des États où ce système est employé. Le mode de dénombrement des suffrages, impliquant un double transfert des voix, est complexe voire un peu nébuleux pour la plupart des électeurs, mais pas pour les professionnels qui sont chargés de dépouiller les votes. De surcroît, plus la fiabilité technique des ordinateurs s’améliore, plus les électeurs croient à l’intégrité du dépouillement. 

Au sujet des gouvernements minoritaires ou de coalition (l’issue probable d’un scrutin VUT ou SMP) que d’aucuns redoutent tant, en particulier les partisans d’un « gouvernement majoritaire » élu à un SMU, de tels gouvernements se sont avérés remarquablement stables et moins empreints d’antagonisme là où ils ont été établis. Si ces craintes ont été exagérées, il y a néanmoins d’importantes critiques qui sont pertinentes à l’évaluation du modèle VUT. 

  • Selon un argument exposé dans le rapport final de l’Assemblée, le système VUT « assure une proportionnalité ». Malheureusement, une telle affirmation doit être perçue comme étant exagérée. Bien que le VUT puisse être considéré comme une variante distinctive des systèmes RP, les circonscriptions dont l’ampleur donne moins de 5 députés « assurent » uniquement une réduction considérable de la proportionnalité, sauf si seulement deux ou trois partis se disputent les sièges. C’est pourquoi le VUT est qualifié par plusieurs analystes de système « quasi proportionnel ». 
  • On ne sait pas pourquoi au juste les circonscriptions « plurinominales » offriraient une meilleure « représentation locale » que les circonscriptions uninominales, du moins tant qu’on ne saura pas comment les députés provinciaux d’une circonscription donnée coopéreront dans cette situation nouvelle, ni si un réseau de « circuits » se développera pour que chaque grande communauté d’une circonscription soit représentée par son député. La représentation locale en sortirait affaiblie plutôt qu’améliorée dans les circonscriptions plus étendues qu’avant. 
  • À l’inverse du problème précédent, les députés peuvent s’engager excessivement envers une communauté locale et se lancer dans une politique étriquée sans idéologie qui ne tient compte ni des problèmes régionaux ni des problèmes provinciaux. 
  • La prétention que le système VUT encourage les candidatures « indépendantes » ne vaut peut-être que pour les candidats disposant d’une fortune personnelle, ayant acquis assez de capital politique pour trouver du financement ou bénéficiant de lois généreuses sur les candidatures et le financement des campagnes électorales. Ce qui est ironique, c’est que le système VUT peut être assez tributaire du soutien des partis et du pouvoir de l’argent, même si on dit qu’il est axé sur les candidats. 
  • L’argument voulant que la concurrence entre les candidats d’un même parti diminue la discipline de parti et inspire une meilleure responsabilisation locale réduit la probabilité que les élections deviennent un concours de popularité dans lequel des facteurs étrangers à un débat sérieux deviendraient déterminants. Dans le monde politique si polarisé de la Colombie-Britannique, il n’est pas certain qu’une culture politique modifiée émergera pour assurer une concurrence polie entre les candidats et, ultérieurement, la coopération entre les gagnants de la même circonscription. 
  • En ce qui concerne les conséquences politiques, il y a le risque que les petits et moyens partis présentent moins de candidats pour concentrer leurs ambitions politiques dans certaines circonscriptions en particulier. Cela affaiblirait vraisemblablement l’impulsion « de la base » et réduirait ainsi le parti au rang de mouvement limité à une région donnée, où il ne pourra remporter que quelques sièges au mieux. 

Bien que ces préoccupations soient très communes à la plupart des systèmes électoraux VUT, la principale opposition au VUT vient de ceux qui privilégient les systèmes centrés sur les partis comme le SMU ou ceux fondés sur les partis comme la Liste RP et le SMP. Il n’est pas étonnant que les partis au pouvoir ne prisent pas le VUT, puisque leur capacité d’imposer la discipline de parti aux candidats est sapée par la concurrence à l’intérieur des partis10. Sur une note plus idéologique, les détracteurs du VUT qui privilégient la proportionnalité basée sur les partis soutiennent que le VUT encourage la fiction que les élections visent à choisir des individus pour nous représenter, non pas à consolider le pouvoir politique collectif (c.-à-d. des partis) dans le but d’instaurer un changement social radical. D’ailleurs, la crainte que les petits partis cannibalisent la base d’une organisation politique établie (plutôt que de former une coalition avec elle) incite les grands partis à raffermir leur mainmise sur la procédure de nomination des candidats. 

Abstraction faite de ces problèmes, dont la plupart ont filtré dans les discussions de l’Assemblée des citoyens, les membres ont accepté sans trop de difficulté de passer du paternalisme et de la hiérarchie aliénants du système SMU aux risques apparemment insignifiants qui sont inhérents au VUT11

Un mois après la dissolution de l’Assemblée des citoyens, j’ai mené des entrevues téléphoniques d’une heure avec 53 des 159 membres, un échantillon composé presque également d’hommes et de femmes, d’une part, et, d’autre part, de représentants du Lower Mainland (Vancouver) et des autres régions. Sur les questions traitant de la structure organisationnelle et du mode de fonctionnement de l’Assemblée, de même que de l’intégrité du personnel, les réponses étaient presque toutes positives. Il y avait toutefois un clivage patent au sujet des affaires touchant les délibérations de l’Assemblée, même si elles étaient pourtant indépendantes de leur volonté ou si elles dépendaient de forces échappant à la compétence de l’Assemblée, mais qui ne manqueront pas d’influer sur le résultat du référendum. 

À ce sujet, la moitié ou la majorité des membres continue de penser que certains aspects du mandat imposé étaient trop restrictifs et que le seuil crucial de 60 p. 100 est inatteignable. Nombre d’entre eux sont troublés par la couverture médiatique jusque-là, soit parce qu’elle est trop rare, soit parce qu’elle est excessivement critique de la recommandation de l’Assemblée. Ils doutent que l’électorat britanno-colombien soit suffisamment informé pour voter intelligemment aux élections, compte tenu de l’inaction du gouvernement qui n’a aucun projet d’éducation populaire. Ils s’attendent à l’indifférence des grands partis à l’endroit de la recommandation, voire à leur hostilité. 

En résumé, les membres manifestent une confiance pleine et entière dans le « processus » et dans ses qualités d’outil de démocratie, mais ils ont de sérieuses appréhensions quant aux intentions de ceux qui ont besoin d’avaliser la recommandation et d’y donner suite : le gouvernement, les partis, les médias et le public. En outre, ils se sentent dépossédés de leur mission d’« ambassadeurs » de la recommandation pendant la période précédant les élections de mai 2005, et, par euphémisme, ils qualifient leur tâche d’« informationnelle » plutôt que de « promotionnelle », puisque, pour vraiment défendre leur recommandation, il leur faudrait un flot de ressources dont ils ne disposent pas. 

Compte tenu de tous ces obstacles et de la faible éventualité que la recommandation soit approuvée au référendum, les membres demeurent motivés par leur immuable conviction que les Britanno-Colombiens veulent du changement et que, s’ils sont bien informés sur la question du référendum, ils en arriveront à comprendre que les défauts du système actuel sont inacceptables et que la recommandation de l’Assemblée serait un moyen de renforcer le processus démocratique. La plupart d’entre eux seront extrêmement déçus si la recommandation n’est pas approuvée et, partant, n’est pas mise en œuvre, bien qu’ils se consolent d’avance en demeurant convaincus qu’ils ont effectué un bon contrôle de l’état de la démocratie en Colombie-Britannique et ils espèrent que la démarche de l’AC sera imitée ailleurs pour permettre aux citoyens d’avoir voix au chapitre sur des questions telles que les services de santé et l’éducation. Par-dessus tout, ils rentrent chez eux dans un état d’esprit plus critique et plus constructif, revigorés par les connaissances acquises et la camaraderie vécue durant ce cheminement d’une année que beaucoup ont décrit comme « la plus belle expérience de leur vie ». 

Notes 

1. Voir Gordon Campbell Gordon et coll., « Table ronde sur l’assemblée de citoyens de la Colombie-Britannique », Revue parlementaire canadienne, vol. 26, no 2 (été 2003), p. 4-13

2. Extrait d’une allocution prononcée le 10 novembre 2004 par Gordon Gibson au North American Summit on Citizen Engagement, Conférence de Vancouver/Whistler, Morris Wosk Centre for Dialogue, Vancouver (C.-B.), lors de la réunion publique intitulée « What Leaders Need to Know about Citizen Assemblies » (Ce que les dirigeants doivent savoir sur les assemblées de citoyens). 

3. Nick Loenen, Citizenship and Democracy: A Case for Proportional Representation, Toronto, Dundurn Press, 1997. 

4. R. Kenneth Carty, « Doing Democracy Differently: Has Electoral Reform Finally Arrived? », The Timlin Lecture, Université de la Saskatchewan, 1er mars 2004, 19 p. 

5. Pour un compte rendu instructif des événements ayant mené à la constitution de l’Assemblée de citoyens, voir Norman J. Ruff, « Electoral Reform and Deliberative Democracy: The British Columbia Citizens’ Assembly », chapitre 11, dans Steps Toward Making Every Vote Count: Electoral System Reform in Canada and its Provinces, Henry Milner (dir.), Toronto, Broadview Press, 2004, p. 235-248. 

6. Pour un résumé et une analyse des phases de sélection et d’apprentissage de l’Assemblée, voir R. S. Ratner, « L’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique : la phase d’apprentissage », Revue parlementaire canadienne, vol. 27, no 2 (été 2004), p. 20-26. 

7. Le rapport a été traduit en chinois, en français et en panjabi. Il était à la disposition du public en ligne ou en format papier sur demande. Il vise à lancer le dialogue sur les systèmes électoraux avant le début des audiences publiques.  

8. Un récit détaillé des mécanismes, des problèmes et des résultats des audiences publiques et des mémoires figure aux p. 71-87 (et annexes) du rapport technique de l’Assemblée qui a été publié en décembre 2004 (xiv-264 p.). 

9. L’exposé a été suivi par un débat restreint sur l’option « Aucun de ces choix ». Il ne s’agita pas d’un système électoral en soi, mais plutôt d’une initiative de « démocratie directe » qui prévoit une case avec cette mention sur le bulletin de vote. Si cette option gagnait une majorité de voix, des représentants de circonscription seraient choisis au hasard dans la liste correspondants. Bien que les membres aient décidé de ne pas inclure cette option dans aucun des modèles recommandés, le fait qu’un grand nombre de personnes se soient prononcées en sa faveur témoigne de l’ampleur de l’hostilité envers les partis qui prévalait à l’Assemblée.  

10. David M. Farrell, Malcolm Mackerras et Ian McAllister, « Designing Electoral Institutions: STV Systems and their Consequences », Political Studies, vol. XLIV, no 1 (1996), p. 24-43. 

11. Pour une analyse des raisons pour lesquelles un système VUT n’a pas été recommandé à l’Île-du-Prince-Édouard, voir John Andrew Cousins, « La réforme électorale à l’Île-du-Prince-Édouard », Revue parlementaire canadienne, vol. 25, no 4 (hiver 2002-2003), p. 22-31. 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 28 no 1
2005






Dernière mise à jour : 2020-09-14