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Une place à la table pour les villes
David Miller

Les villes sont des ruches qui bourdonnent d'activité : ce sont des lieux de création où les immigrants viennent rechercher une vie meilleure, où l'art élève notre âme, où poussent de nouveaux quartiers. Les auteurs de nos premières lois, qui ont fait des villes des créatures des provinces, pouvaient-ils prévoir leur évolution? Ont-ils jamais imaginé que plusieurs millions de personnes devraient se déplacer chaque jour dans la ville, en autobus, en métro et en auto? Que la diversité de Toronto serait si riche? Probablement pas. Beaucoup d'outils qu'ils ont créés nous servent encore bien, mais d'autres sont devenus insuffisants. De même que Toronto a changé depuis sa naissance, ainsi en est-il du pays. Aujourd'hui, notre pays est essentiellement urbain, et le phénomène s'amplifie.

Les villes sont la richesse de notre pays. La valeur stratégique de nos villes est  illustrée par la répartition du PIB.

Les villes financent notre pays. La santé financière de celui-ci est fonction de celle des grands centres urbains. Ce qu'on attend de nos villes est plus complexe que jamais; pourtant, nos pouvoirs et nos sources de recettes n'ont pas évolué parallèlement à ces exigences. Nous avons besoin de financement, d'outils législatifs et d'autonomie pour répondre aux possibilités et aux difficultés liées à la croissance des villes.

Les villes ont besoin de pleins pouvoirs de l'État, au même titre que les provinces. Elles ont besoin des impôts et des taxes qui augmentent avec l'économie et qui sont seuls capables de leur permettre d'assumer toutes leurs responsabilités.

Je ne crois pas exagérer en disant que le sous-investissement dans nos villes (transport en commun, logement abordable, garderies, infrastructures) atteint un point critique.

Depuis quelques dizaines d'années, le fédéral et les provinces se retirent partiellement ou complètement de certains champs d'action qui ont un effet profond sur Toronto. Voici quelques exemples.

Selon les statistiques, l'absence d'investissement dans le logement social par les gouvernements supérieurs et les coupures dans l'aide sociale sont en corrélation avec l'augmentation de l'itinérance et ont un effet direct sur la demande de services municipaux, des centres pour sans-abri aux services de police.

Le retrait complet du précédent gouvernement de l'Ontario du transport urbain et collectif a fait passer cette responsabilité à l'échelon municipal.

Même sans transfert de compétence officiel, les villes comme Toronto, ne serait-ce qu'en raison de leur taille, sont attirées dans des champs de compétences laissés vacants par les gouvernements fédéral et provincial.

En soit, cette situation n'est pas problématique, mais elle le devient si nous ne disposons pas des pouvoirs ni des sources de recettes dont nous avons besoin pour assumer de plus grandes responsabilités.

Notre unique source d'impôt est foncière. Nous imposons les propriétés. En temps de prospérité comme en temps de crise, leur superficie ne change pas, et, dans les villes âgées et presque entièrement bâties, comme Toronto, la capacité de générer des recettes additionnelles est très restreinte.

Le fédéral et la province imposent le revenu et taxent la consommation, deux sources de recettes qui augmentent en période de croissance économique. Autre différence importante : les paliers supérieurs peuvent réduire les impôts et les taxes sans nécessairement diminuer les dépenses. Au niveau de la ville, la réduction des impôts entraîne directement la réduction des services.

Permettez-moi de nous comparer aux États-Unis, où le gouvernement fédéral œuvre très fort à la rénovation et au transport urbains. Par rapport aux villes américaines, Toronto souffre d'un manque à gagner de 600 millions de dollars par an pour l'amélioration de sa future compétitivité économique.

Les villes américaines ont accès à un éventail plus large de recettes que Toronto : taxe sur l'essence, taxe de vente, impôt sur le revenu dans certains cas. En conséquence, elles dépendent de l'impôt foncier pour moins que le cinquième de leur revenu. En comparaison, cet impôt compte pour près de la moitié des recettes de Toronto.

Dans le discours du Trône de février dernier, Paul Martin a reconnu que « le nouveau pacte donne aux responsables municipaux une place véritable à la table où se décidera le changement dans la vie nationale ». Cela nous a beaucoup encouragés, les maires des autres grandes villes et moi. Permettez-moi de vous décrire à quoi me fait penser, à mon avis, cette place à la table.

Au sens le plus large, elle évoque le respect mutuel et la bonne gestion publique. En outre, cette place est essentiellement gratuite. Il n'en coûte pas un sou aux gouvernements supérieurs d'amener les villes à la table comme partenaires à part entière dans des secteurs où il y a chevauchement de compétences.

Afin de bien gérer les ressources et de gouverner dans l'intérêt public, les ordres de gouvernement doivent collaborer et se parler. Le fait d'avoir une véritable place à la table en est une condition préalable. Cela donnera aux fonctionnaires le temps, les moyens et l'occasion de partager de l'information et des ressources.

Ce faisant, les gouvernements pourront élaborer une politique, des programmes et des budgets qui répondent toutes aux mêmes priorités : celles des Torontois. Une bonne élaboration et une bonne coordination, à leur tour, permettent aux gouvernements de voir à ce que leurs dépenses aient l'effet voulu.

Une place à la table, soit une relation véritable entre partenaires égaux, fournirait une tribune d'échange d'information et, ce qui est plus important, aiderait à favoriser une « culture de communication » entre les gouvernements.

Il y a quelques années, le fédéral a adopté une nouvelle politique d'immigration qui a beaucoup fait augmenter le nombre de personnes érudites et hautement qualifiées entrant au Canada. Cependant, on n'a guère déployé d'efforts pour que ces personnes puissent accéder au marché du travail dans leur domaine de compétence. Les corporations professionnelles provinciales (d'ingénieurs, de médecins, etc.) n'étaient simplement pas prêtes ou disposées à tenir compte des aspirations et des besoins de professionnels possédant une licence étrangère et arrivant en masse ou elles n'étaient pas encore en mesure de le faire.

Si Toronto avait été « à la table », elle aurait pu faire part au fédéral et à la province des compétences de son personnel et de son vaste réseau de services aux immigrants. On aurait détecté et corrigé plus tôt le problème d'une politique fédérale ouvrant la porte aux immigrants qualifiés sans modification en conséquence de la méthode provinciale d'accréditation professionnelle.

Des milliers d'immigrants qualifiés sont incapables de trouver un emploi dans leur domaine de compétence. Voilà une tragédie nationale qui aurait pu être évitée ou réglée beaucoup plus rapidement si Toronto avait siégé à la table.

Donc, comme prochaine étape du nouveau pacte avec les villes, je demanderai aux premiers ministres du pays et de la province, à compter de ce jour, d'inviter les représentants de Toronto à participer aux grands débats politiques, administratifs et budgétaires qui ont un effet sur la ville. On peut commencer par le transport en commun, le logement abordable, l'immigration et l'établissement des immigrants, les garderies et l'infrastructure.

Une place à la table aura l'avantage d'empêcher les gouvernements de toujours s'accuser l'un l'autre lorsque les choses tournent mal ou ne fonctionnent pas. Il sera alors plus facile pour les Canadiens de les tenir responsables et, à leur tour, d'aider à combler le déficit démocratique qui mine la confiance dans les institutions publiques.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 27 no 3
2004






Dernière mise à jour : 2020-09-14