Gilbert Parent
L’Attribution du statut
de parti , Chambre des communes, 16 juin 1994.
Contexte : Après que Bill Blaikie eut invoqué le Règlement le
1er juin 1994 (voir l'article précédent), le Président de la Chambre
des communes a rendu la décision suivante le 16 juin.
Décision du Président
Gilbert Parent : D'abord, je vais examiner ce qui constitue un parti
pour les fins de la procédure, question qui préoccupe la Chambre depuis
longtemps. Le député de Winnipeg–Transcona a présenté une longue argumentation
voulant que la définition de «parti reconnu» dans la Loi sur le Parlement du
Canada et les règlements du Bureau de régie interne ne s'applique qu'à
certaines affaires relatives aux questions financières et aux indemnités. Il a
soutenu qu'on ne devrait pas se servir de cette définition pour déterminer le
sens de « parti » ou de « parti reconnu » dans le Règlement et notre
pratique.
Il souligne, par exemple, que le
paragraphe 50(3) de la Loi, qui établit la composition du Bureau de régie
interne mentionne expressément un groupe parlementaire qui « ne compte pas
officiellement au moins douze députés ». Cette mention, soutient-il, fait
conclure à la possibilité qu'il existe un groupe parlementaire de moins de douze
députés, qui soit quand même reconnu comme tel.
L'honorable député a exposé en
détail les situations qui se sont présentées à la Chambre des communes en 1963,
1966 et 1979, quand de petits partis ont été reconnus de différentes manières
pour les fins de la procédure et de la pratique. Il a aussi soutenu que les
mêmes droits devraient être accordés aux députés du Nouveau Parti démocratique
aujourd'hui.
Après avoir étudié les
circonstances propres à chacun de ces cas et avoir revu les décisions
mentionnées par le député et d'autres décisions sur le même sujet, j'arrive à
des conclusions très différentes.
Le statut accordé à des petits
partis pour les fins de procédure dans certains de ces cas a été le résultat des
exigences politiques du temps. Dans aucun de ces cas, la présidence n'a agi de
façon unilatérale.
Dans sa décision du 30 septembre
1963, le Président Macnaughton, qui parlait du statut du Nouveau Parti
démocratique à la Chambre, souligne qu'il appartient à la Chambre elle-même de
décider du statut d'un parti politique à la Chambre.
Le Président Macnaughton a aussi
formulé deux commentaires que je trouve très importants et que je désire citer à
la Chambre. Il a dit :
« Le Président a donc pour mission,
notamment de faire respecter le Règlement de la Chambre pendant les
délibérations et d'en maintenir les privilèges tels qu'ils sont établis et
reconnus. Le Président doit aussi faire preuve d'impartialité et s'abstenir de
toute politique; telle est la ligne de conduite que je me suis toujours efforcé
de suivre, honorables députés, depuis que vous m'avez élevé au poste que j'ai
l'honneur d'occuper en ce moment. [...] Après avoir consulté les autorités comme
sir Erskine May et lord Campion, Bourinot et Beauchesne, Anson et McGregor
Dawson, et bien d'autres, j'ai l'impression que la solution des problèmes dont
nous sommes saisis relève de la Chambre elle-même. Il n'appartient pas au
Président de prendre, de son propre chef, une décision qui pourrait sembler, aux
yeux de certains députés, léser les intérêts de leur groupe ou parti. Le
Président ne devrait pas davantage être placé dans une situation où il lui faut
trancher, au bénéfice ou au détriment d'un groupe ou d'un parti, des questions
qui touchent à l'existence ou à la nature d'un parti, et prendre ainsi ce qu'on
tiendrait sûrement pour une décision d'un caractère politique, alors qu'ils
s'agit d'une décision dont l'enjeu est les droits et les privilèges de la
Chambre elle-même ».
Le 18 février 1966, le Président
Lamoureux, dans une décision sur des déclarations ministérielles mentionnée par
l'honorable député de Winnipeg–Transcona, hésitait à apporter un changement
quelconque à la pratique de la Chambre à ce moment-là et indiquait qu'il ne
s'écarterait pas de la pratique en usage alors avant que la Chambre ne modifie
le Règlement dans un autre sens.
En octobre 1979, quand la
question du statut de parti a de nouveau été soulevée, le Président Jerome a
invoqué la décision de 1963 du Président Macnaughton pour réaffirmer que cette
question n'était pas du ressort du Président, mais de celui de la Chambre.
J'attire l'attention des députés sur les paroles du Président Jerome, du 11
octobre 1979.
Dans son exposé, le député de
Winnipeg–Transcona a cité une autre décision du Président Jerome rendue le 6
novembre 1979. Cette décision porte sur l'obligation qu'a la présidence de
protéger les droits des députés de petits partis.
Il vaut la peine de citer en
entier un passage de cette décision que l'honorable député n'a cité qu'en partie :
« La Chambre reconnaîtra que dans
mes efforts j'ai tenté de tenir compte à la fois de la protection due aux
minorités à la Chambre et aussi, je crois, de la générosité de la Chambre. Il me
semble que l'on peut accorder à ces députés la participation à laquelle ils ont
droit avec une générosité découlant de la reconnaissance de fait, pourvu qu'ils
n'en tirent pas des avantages dont ne jouiraient pas cinq députés et,
deuxièmement pourvu que cela ne porte atteinte en aucune façon au droit des
autres députés de participer ».
Encore une fois, le Président
Jerome a refusé de s'écarter de la pratique alors en vigueur à la Chambre tout
en veillant à ce que les droits des députés individuels soient
protégés.
Cet important thème revient dans
une décision du Président Fraser rendue le 13 décembre 1990. Le Président a
alors affirmé en termes non équivoques que la présidence protège pleinement les
droits et privilèges fondamentaux des députés individuels, quelles que soient
leurs convictions politiques. Il disait, « La Présidence promet de faire tout en
son pouvoir pour servir cette Chambre d'une manière aussi équitable et
impartiale que possible ».
Dans les circonstances présentes,
l'existence du groupe parlementaire du Nouveau Parti démocratique n'a pas été
méconnue et la présidence continuera de veiller à ce que chaque député de la
Chambre soit traité avec équité, selon les règles.
Dans son argumentation, le député
de Winnipeg–Transcona a reconnu que la situation de son parti ne pouvait être
réglée sans ce qu'il a appelé « une volonté suffisante d'établir une distinction
entre certaines situations passées et celle dans laquelle nous nous trouvons
actuellement ».
Je suis d'accord avec le député
jusqu'à un certain point. À mon avis, ce qu'il appelle « une volonté suffisante »
de résoudre la situation doit venir non du Président agissant seul, mais de la
Chambre agissant comme un tout.
Le statut des partis minoritaires
à la Chambre a toujours été déterminé, de façon générale, par la composition de
la Chambre.
Si l'argumentation de l'honorable
député emporte l'adhésion de ses collègues aux solutions qu'il propose, alors la
Chambre devra donner de nouvelles directives à la présidence.
En qualité de Président et de
gardien des droits de minorités et de ceux de chaque député individuellement, je
suis tout à fait conscient des devoirs impérieux qui incombent à la présidence à
cet égard. En effet, une analyse des deux derniers mois révèle qu'un député d'un
parti non reconnu a obtenu la parole pratiquement à tous les jours durant la
période réservée aux déclarations de députés et, en moyenne, à tous les deux
jours durant la période des questions orales. La Chambre peut être assurée que
moi et mes adjoints nous engageons à faire tout en notre pouvoir pour favoriser
une participation active et équitable de chaque député aux travaux de la
Chambre.
À mon avis, une initiative
unilatérale de la présidence constituerait une dérogation importante à
l'interprétation des règles et à la pratique telles qu'elles ont évolué au cours
des dix dernières années. En tant que Président et serviteur de la Chambre, je
crois que je n'ai pas le droit d'imposer arbitrairement une nouvelle
interprétation, mais que je dois attendre que la Chambre, composée comme elle
l'est présentement, m'indique, le cas échéant, ce qu'elle souhaite que la
présidence fasse.
Je vais maintenant aborder les
deux autres sujets : la désignation des députés comme députés du Nouveau Parti
démocratique, puis leur volonté de siéger comme groupe.
Le député de Winnipeg–Transcona
se plaint que son parti n'est pas désigné comme il devrait l'être, comme groupe
parlementaire au plan de la Chambre. Il a soumis des copies des plans de
législatures antérieures pour étayer son point. Il a cependant reconnu que son
parti est clairement désigné comme Nouveau Parti démocratique dans les
Débats.
Examinons la situation présente.
Les députés appartenant au Nouveau Parti démocratique sont identifiés sous ce
nom dans les Débats et dans les délibérations télévisées de la Chambre.
Ils sont désignés « autres » dans les banquettes du fond, à gauche du Président,
sur le plan de la Chambre.
L'attribution des sièges à la
Chambre est, par tradition, décidée après des négociations entre les partis
reconnus.
Le whip en chef du gouvernement
assigne les sièges aux députés du gouvernement dans les banquettes à la droite
du fauteuil et, s'il n'y a pas assez de place à droite pour asseoir tous les
députés ministériels, certains d'entre eux peuvent être placés à la gauche du
fauteuil.
Parmi les banquettes qui restent,
le whip de l'opposition officielle attribue les sièges aux députés de son parti
et le whip du troisième parti attribue les banquettes aux députés de son parti.
La responsabilité d'attribuer les places qui restent aux autres députés
appartient, par tradition, au Président.
Pour déterminer les places de ces
députés qui n'appartiennent pas à un parti reconnu, le Président suit l'ordre
d'ancienneté d'élection des députés.
En examinant la demande du NPD de
siéger comme groupe et celle que soit reconnu à leur leader le rang qui lui est
dû à titre de membre du Conseil privé, j'ai été frappé par une phrase prononcée
par le député de Winnipeg–Transcona. Pour expliquer le moment de son rappel au
Règlement, il dit :
« Je pensais que les députés
devaient plutôt se familiariser avec les rôles que leur a valus le branle-bas
sans précédent causé par les dernières élections ».
Je reconnais la sagesse que
révèle ce commentaire. La présidence a fait tout ce qui lui était possible de
faire pour être juste envers les députés dans la situation actuelle. Ayant été
Président maintenant depuis environ cinq mois, j'ai reçu les doléances de
nombreux députés et de leurs électeurs à ce sujet et j'ai soigneusement étudié
les précédents. Le 24 septembre 1990, le Président Fraser notait, dans une
décision au sujet du plan de la Chambre, que le Président pouvait exercer un
certain pouvoir discrétionnaire relativement à ces questions. Il a dit :
« De plus, c'est très important de
bien comprendre que j'ai comme Président une certaine discrétion concernant les
droits de chaque personne dans cette Chambre qui est en minorité. Nous avons, je
pense, une grande tradition de protéger les droits des minorités, et je peux
assurer le député que, dans une approche juste et égale pour tous les autres
députés, les droits des minorités seront protégés par le Président ».
Ayant conclu que le Président
dispose d'un certain pouvoir de redressement, j'ai demandé à mes administrateurs
de modifier l'attribution des banquettes pour la reprise des travaux de la
Chambre, le 19 septembre, afin qu'ils apportent les changements suivants dans
l'attribution des banquettes faite par le Président :
Les députés de Sherbrooke et
Saint John siégeront ensemble et seront identifiés comme le groupe du Parti
conservateur sur le plan.
Les députés du Nouveau Parti
démocratique siégeront aussi ensemble et seront identifiés comme tels sur le
plan.
Le député de Beauce sera
identifié comme indépendant et le député de Markham–Whitchurch–Stouffville sera
identifié comme libéral indépendant.
Il semble à la présidence que ce
soit une solution équitable à des revendications concurrentes. Les députés de
chaque parti seront identifiés comme groupe et siégeront ensemble, la préséance
de leur leader respectif déterminant leur place dans l'ordre. Les deux autres
députés se verront attribuer les deux banquettes restantes selon leur préséance
et seront désignés selon leurs indications.
J'espère que les mesures que j'ai
prises selon la latitude que je possède contribueront à régler la situation. Le
député de Winnipeg–Transcona et les députés de son groupe parlementaire peuvent
compter que, s'il a réussi à convaincre la Chambre par ses arguments, je suis
prêt à agir selon les indications de cette dernière.
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