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Entrevue : Ron Stewart de la Nouvelle-Écosse


M. Ronald Stewart est l'un des nouveaux membres de l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse. Élu lors des élections provinciales de 1992, il a été nommé ministre de la Santé par le premier ministre John Savage. Dans cette entrevue, il traite de la carrière qu'il a menée avant de se lancer en politique et livre ses impressions au terme de sa première année comme parlementaire. Bart Armstrong, d'Halifax, l'a interviewé en janvier 1994.

Depuis quand exercez-vous la médecine et quel est votre domaine de spécialisation ?

J'ai terminé mes études à l'Université Dalhousie, à Halifax, en 1970. Dès le début de ma formation, mon intention avait été d'aller exercer la médecine familiale dans ce que je pensais être un coin isolé de la province.

Je suis originaire du Cap-Breton, et je désirais y retourner. Je voulais une grande variété d'activités et la région au nord de Cape Smoky, Neil Harbour, Cape North, Meat Cove et l'île Saint-Paul (tous à l'extrême nord de la province) me semblait, et me semble encore, offrir l'isolement voulu pour exploiter tous les aspects de ma profession de médecin. Je m'y suis donc rendu avec l'intention d'établir un cabinet de médecine générale.

Comment vous êtes-vous intéressé à la médecine d'urgence?

Le professeur Bob Scharf, qui était chef de la médecine d'urgence de 1968 à 1974 à l'hôpital général Victoria, pendant que j'y poursuivais ma formation, a eu une grande influence sur moi.

C'était un homme extraordinaire, un excellent médecin qui avait une vue holistique de la médecine. Il était aussi un enseignant hors pair, il s'intéressait à ses étudiants. Il avait toujours quelque chose à nous apprendre et je me suis souvent dit que j'aimerais lui ressembler.

Je voulais aussi une carrière universitaire, comme enseignant. Le premier programme universitaire de médecine d'urgence a été créé en 1971. Mais il n'était offert qu'à un seul endroit au monde, soit à la University of Southern California. Ce n'était pas à la porte, mais cela ne me dérangeait pas. J'y ai donc fait un saut, j'ai présenté une demande et en août 1971, on m'offrait un poste.

Un autre facteur m'a poussé à étudier la médecine d'urgence. Environ huit mois plus tôt, j'avais été victime d'un grave accident de voiture. J'ai subi d'importantes blessures à la tête et je me suis retrouvé à l'hôpital général Victoria, incapable de parler.

Pendant que je retrouvais lentement l'usage de la parole, j'ai appris également à apprécier le domaine de la traumatologie. La spécialité avait évidemment de l'importance pour moi, puisque je m'étais retrouvé de l'autre côté du chevet, et j'ai pensé que j'avais peut-être quelque chose à y apporter.

J'ai cru comprendre que vous aviez été consultant en matière de santé auprès du président américain, Bill Clinton. Pouvez-vous m'en dire davantage?

L'affaire a vraiment été montée en épingle. J'étais président d'un comité constitué en vue de la réforme des soins de santé aux États-Unis. Je n'ai fait que jouer un rôle tout à fait mineur dans ce petit comité qui a déposé son rapport quelques mois avant les élections de mai 1993 en Nouvelle-Écosse.

Nous avions été chargés d'examiner un aspect des soins ambulatoires, soit la mesure des normes appliquées à la formation dans le domaine des soins d'urgence. Mais ma participation est terminée maintenant, sauf pour un appel à l'occasion pour garder le contact.

En Nouvelle-Écosse, nous avons pris une vue d'ensemble de la question. Nous nous sommes aperçus que seulement 15 ou 20 p. 100 des demandes d'ambulance constituent de vraies urgences où il faut vraiment intervenir. Mais qu'advient-il du reste des appels, les 80 p. 100 provenant de gens sains mais inquiets ou de personnes blessées mais capables de marcher? Nous avons toujours eu tendance à les voir comme des importuns sur le plan des services d'urgence. Mais nous nous rendons compte maintenant qu'ils constituent la majorité de notre clientèle; il nous faut donc apprendre à nous occuper de ces gens-là aussi. Qu'est-ce qui vous a décidé à faire de la politique?

Il n'y a pas eu un jour précis où j'ai reçu l'inspiration divine. Je crois plutôt que mon intérêt s'est intensifié progressivement. Avec ma formation de médecin, j'étais axé davantage sur le volet maladie du système de soins de santé. Cependant, je m'étais rendu compte ces dernières années qu'il fallait changer certains aspects du système. Il me semblait nécessaire d'assumer la propriété collective de ce système, et j'estimais vraiment pouvoir aider à effectuer ce changement.

J'avais quitté la province depuis un certain temps et j'avais vraiment l'impression de l'avoir en quelque sorte abandonnée. J'ai un grand amour pour la Nouvelle-Écosse et l'île du Cap-Breton; j'ai donc commencé à chercher ce que je pouvais faire. J'étais prêt à donner cinq ans de ma vie pour servir l'intérêt public; il restait à trouver comment le faire.

J'en suis venu à la conclusion que pour apporter des changements dans le domaine des soins de santé, je devais m'impliquer. Puis l'idée m'est venue : il me faudrait faire de la politique pour effectuer les changements que je jugeais nécessaires. Cependant, jusque-là, ma famille avait toujours préservé son intimité; nous faisions notre part dans la collectivité, mais de façon modeste, sans éclat. Ma vie privée a donc subi tout un bouleversement et c'est l'une des réalités les plus difficiles à vivre en politique.

Je pense qu'il ne faut pas rester en politique plus de cinq ans. C'est une activité très séduisante, vous savez, et l'on finit par croire que l'on est la seule personne capable de faire le travail. Mais ce n'est pas vrai, et je m'en suis rendu compte en moins de six mois. Chaque politicien doit apprendre cette leçon à sa manière.

Pendant les élections, vous avez été nommé Officier de l'Ordre du Canada. Cette nomination doit avoir donné une impulsion à votre campagne.

Pas vraiment. Le choix des Officiers se fait quelque six à douze mois avant que les candidats n'en soient avisés. J'ai appris vers le mois de novembre 1992 que l'on songeait à moi, mais ce n'est qu'à la fin d'avril 1993 que j'ai su les résultats.

J'ai été étonné quand j'ai reçu la lettre de Rideau Hall. Comme je ne connaissais personne là-bas, je ne l'ai pas ouverte immédiatement, je l'ai tout simplement mise de côté. J'étais tellement occupé en raison des élections provinciales que la lettre est restée cachetée sur la table pendant plusieurs jours. Finalement, ma mère m'a rappelé que la lettre était là et j'ai fini par la décacheter un soir, vers 23 heures. Malgré ma fatigue, j'ai vite compris de quoi il s'agissait. Ma mère a fondu en larmes, ma sœur aussi. Je n'ai pas pleuré, mais j'ai ressenti une joie indescriptible. C'était tellement extraordinaire! Mais le plus dur a été de ne rien dire à qui que soit. Les politiciens élus ne sont pas censés recevoir cet honneur. L'annonce de ma nomination pendant la campagne aurait pu faire pencher la balance en ma faveur. J'ai trouvé tellement difficile de me taire, mais je savais qu'il le fallait.

Dernièrement, la population de la Nouvelle-Écosse a innové dans le domaine de la politique canadienne en utilisant le téléphone pour choisir un nouveau chef de parti. Que pensez-vous de cette technologie?

Cela a été désastreux au début. J'ai attendu en file pendant trois heures pour voter. Quand le système est tombé en panne, il a fallu tout annuler et reprendre trois semaines plus tard.

J'étais alors en Europe, j'ai donc dû exprimer mon suffrage de là. Je participais à un congrès sur la médecine d'urgence. Les participants venaient des quatre coins du monde et j'étais là pour les conseiller sur des questions de médecine d'urgence. Nous logions dans une abbaye du XIIIe siècle, au large de la côte.

C'était un endroit merveilleux, mais il n'y avait qu'un seul téléphone pour toute l'île. J'ai pu m'en servir pour appeler chez moi et obtenir les résultats après le premier et le deuxième tours de scrutin. Le dernier tour de scrutin s'est terminé vers 21 heures, pendant notre banquet. Les autres invités ne connaissaient rien à la politique néo-écossaise, mais ils savaient tous que je prenais pour John Savage. Ils se sont tous levés pour applaudir et me féliciter quand les résultats ont été annoncés.

Le parti ne l'a pas encore annoncé, mais je crois que le scrutin téléphonique sera utilisé de nouveau pour les congrès d'investiture et même peut-être pour les élections générales. Les libéraux de la Colombie-Britannique l'ont également utilisé pour l'élection de Gordon Campbell.

En décembre, vous avez terminé votre première session à l'Assemblée législative. Quelles sont vos impressions?

Cela a été ardu. Il n'y a pas d'école, personne pour vous dire ce qu'il faut faire. Nous avons suivi une formation morale à l'Université St. Mary's où nous avons appris de façon sommaire ce que l'on doit faire et ne pas faire à l'Assemblée, et comment incliner la tête devant tout ce qui ne bouge pas. Mais on nous a aussi dit qu'il fallait apprendre sur le tas.

Je pensais que l'Assemblée était le chantier de l'État, où tout le travail s'accomplissait. Mais c'est faux. L'Assemblée est une vraie scène de théâtre. Elle constitue cependant l'ultime protection pour la population, puisque le gouvernement ne peut pas cacher grand-chose à une opposition qui flairera et déterrera tout ce qu'elle peut. C'est une bonne chose, même si l'opposition se trompe parfois dans son interprétation des faits. La modification des lois (confiée à un comité de l'Assemblée) m'a posé quelques difficultés. Je me suis rendu compte que les suggestions de l'opposition sont souvent très raisonnables, alors nous les adoptons. C'est apparemment une nouvelle tactique, mais je la trouve très bonne. Non seulement nous recevons des mémoires qui soulèvent des points valables, mais de plus des députés de l'opposition viennent nous voir et nous disent que certaines choses que nous faisons sont ridicules, et parfois ils ont raison.

Qu'est-ce que ça peut faire si les bonnes idées ne viennent pas toutes de nous? Nous avons 41 sièges dans un gouvernement majoritaire et les gens ne se rappelleront pas qui a dit quoi; l'important, ce sont les projets de loi qui ont été adoptés.

Assis à l'Assemblée, on pense vivre dans la réalité, mais c'est faux. La vraie vie, c'est dans la rue que ça se passe. L'Assemblée législative est une lourde machine inefficace, et elle est parfois aussi ennuyante et pénible, surtout pour un « novice ». Mais elle assure une merveilleuse protection à la population. Voilà sa raison d'être.

Y a-t-il des réformes qui, selon vous, devraient être apportées à l'Assemblée législative ?

Je confierais le budget des dépenses à un comité plutôt qu'à l'Assemblée afin qu'il soit étudié de façon minutieuse et ordonnée et afin d'éviter que les députés des deux côtés de la Chambre jouent pour la galerie comme c'est le cas actuellement. (Chaque année, ce budget fait l'objet d'un débat avant que les dépenses des ministères ne soient approuvées.)

Cette année, lors du débat, j'ai parlé pendant des heures pour répondre aux questions qui m'étaient posées sur des sujets qui m'intéressent particulièrement dans le domaine de la santé. C'est permis, et on peut même en profiter pour faire perdre du temps et empêcher d'autres députés de parler.

L'opposition a dû me trouver très ennuyeux, mais c'était mon tour de parler. On n'accomplit pas grand-chose pendant ces débats, qui devraient en fait se dérouler ailleurs. Les partis devraient avoir plus de temps pour examiner le budget avant d'intervenir. À l'heure actuelle, personne n'a l'occasion d'étudier suffisamment la documentation, ni les députés de l'opposition, ni les ministres, même si ces documents portent sur les ministères qui relèvent d'eux.

Actuellement, quand vient le moment de répondre à une question, il faut se fier à son personnel, perché dans la galerie, qui nous fait des grands signes qu'il faut décoder en fouillant dans sa mémoire de scout. C'est ridicule; il faudrait absolument s'y prendre autrement pour examiner le budget.

En tant que ministre, j'aimerais aussi à l'occasion annuler la période de questions. Cela équivaudrait à une journée de congé, comme à l'école. Je doute toutefois que cela arrive jamais.

Comment le fait d'être médecin vous a-t-il aidé ou nuit dans vos fonctions de ministre de la Santé?

Étant médecin, j'avais une longueur d'avance. Je sais de quoi il retourne et je saisis ce qui est sous-entendu quand les gens me parlent. C'est un grand avantage. Je ne saurais imaginer que l'on puisse être ministre des Finances sans savoir balancer son compte en banque ou sans comprendre la notion de capital, par exemple.

Le domaine de la santé est si complexe qu'un non-initié sans formation médicale aurait trop de difficulté à s'y retrouver.

Le fait d'être médecin comporte aussi ses inconvénients. Un médecin n'est pas un gestionnaire. Bon nombre de nouveaux ministres s'imaginent que la gestion du ministère fait partie de leurs fonctions. C'est faux. Mon rôle n'est pas d'administrer mais bien de comprendre les dossiers, de représenter le large éventail des points de vue et d'en tirer une politique que je ferai appliquer.

Toutefois, les moyens à prendre pour ce faire sont du ressort des gestionnaires, des sous-ministres et de leurs cadres.

Comment votre rôle de politicien a t-il changé votre vie?

Je n'ai plus de vie personnelle. Je suis entré en politique avec un esprit ouvert, mais j'ai plutôt l'habitude d'être entouré d'étudiants. Ma spécialité est la médecine d'urgence, un domaine où il faut être prêt à réagir et où il n'y a pas d'horaire de travail fixe.

Mais la politique est un monde complètement différent, il n'y a pas de relâche. Mais il y a des compensations des discussions stimulantes et le pouvoir d'effectuer des changements. J'ai la satisfaction de savoir que j'ai amélioré les choses.

Mais la vie personnelle en prend tout un coup. Je n'y perds pas beaucoup, niais j'aimerais bien pouvoir me balader tranquillement sans qu'on me reconnaisse. Aujourd'hui, si je rentre dans un magasin Zellers, cinq personnes m'arrêteront pour me dire : « Je vous reconnais, je vous ai vu à la télévision hier soir. » Cela m'arrive tout le temps. C'est une nouvelle situation pour moi et c'est très difficile. Il faut surveiller chaque mot et chaque geste de peur d'être mal interprété. Mais au moins, c'est le résultat de ma propre décision, et j'apprends à m'y faire. Il faut être convaincu de la valeur de ce que l'on fait. Il est inconvenant de se plaindre toutefois, car nous sommes bien payés pour ce que nous faisons.

Je suis appuyé par un excellent personnel, des gens qui croient en moi. Ils travaillent fort, ils sont devenus mes amis, et je leur dois de continuer. Il faut croire en soi. La politique n'est pas véreuse. C'est une affaire de contact entre les gens; elle permet d'établir les principes qui nous gouvernent, et d'ailleurs, les solutions de rechange ne sont pas très attrayantes.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 17 no 1
1994






Dernière mise à jour : 2020-09-14