Michèle Marcadier
René Lévesque. Mémoires, Éditions Québec/Amérique, Montréal, 1986, 368 pages.
La publication des mémoires d'hommes politiques attise la curiosité de la
population pour les mœurs parlementaires et partisanes. Attendez que je me
rappelle s'ouvre sur l'histoire immédiate : le départ de l'auteur de la scène
publique, la crise interne et la défaite du Parti québécois. René Lévesque y
décrit cette atmosphère de « fin de règne » ou sourdent sous l'événement des
blessures qu'il esquisse avec pudeur, sans s'abandonner au règlement de compte,
sans céder à l'indiscrétion. Il s'astreint à la vigueur de « l'honnête
reportage » sachant rendre hommage, sachant aussi faire preuve d'un jugement
incisif.
Les mémoires, c'est la loi du genre, se construisent à partir d'une double trame :
souvenirs personnels et impressions d'une époque. L'auteur est ici un témoin
exceptionnel : journaliste de renom, il analyse avec passion le microcosme
québécois; homme politique, il y fut un des acteurs principaux. Les souvenirs de René Lévesque offrent en ce sens un
témoignage précieux. Au-delà du destin personnel d'un homme, l'intérêt du récit
réside dans cette peinture de la toile de fond que constitue l'histoire du
Québec; de l'évolution d'une société figée dans son archaïsme et qui accède
brusquement au monde moderne. La « Révolution tranquille » devient l'événement de
rupture permettant enfin au Québec de s'ouvrir pleinement au XXe siècle.
Pour René Lévesque, la naissance du mouvement souveraineté-association et de là
celle du Parti québécois, trouve sa genèse véritable dans le souffle qui anima
la classe politique dans les années 1960. L'importance de ce moment et sa
signification profonde se traduisent dans le déchirement que représente pour
lui la rupture avec le Parti libéral qui réfute ses thèses; déchirement qu'il
vécut de nouveau lorsque les Québécois répondirent non au Référendum.
Cet attachement aux idéaux de la Révolution tranquille explique qu'il vive
difficilement la synthèse des courants au sein du Parti québécois : « puristes »
contre « électoralistes », «caribous» contre « étapistes ». Il y témoigne aussi des
lignes d'action définies par son parti, des paris qu'ils prirent et des
réalisations qu'ils firent. Il y plaide les grands dossiers présentes
par son gouvernement. On y découvre un homme pragmatique qui qualifie le texte
controversé la Loi 101 de « béquilles législatives » néanmoins nécessaires. Il
défend sa position dans les rapports fédéral-provincial et rappelle par le menu
les péripéties du rapatriement de la constitution. Au-delà des crises, des
victoires, des défaites, les souvenirs de René Lévesque témoignent d'un
authentique engagement politique.
Michèle Marcadier
Conseiller politique A.I.P.L.F. Paris
|