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Entrevue : Sam Johnston


Le 15 juillet 1985, M. Sam Johnston a été élu président de l'Assemblée législative du Yukon. Il est le premier Amérindien à occuper un fauteuil présidentiel au Canada. Il a été interviewé par la Revue parlementaire canadienne en août 1986, lors de la Conférence de la Région du Canada qui a eu lieu à Toronto.

Dites-nous un peu ce que vous faisiez avant d'entrer en politique.

J'ai travaillé un peu partout, dans les scieries, pour des équipes d'arpenteurs et comme guide pour les chasseurs de gros gibier. Durant les mois d'hiver, je faisais du piégeage. J'ai toujours réussi à trouver du travail. Au cours des années 1970 et au début des années 1980, j'étais chef de la bande d'Indiens Teslin. Le chef est élu tous les deux ans. Ses fonctions, qui étaient au début honorifiques, sont devenues de plus en plus administratives puisque nous devions mettre sur pied de nouveaux programmes et prendre en charge ceux qui étaient administrés par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. J'ai été le premier des chefs de bande à assumer des charges administratives. Je me souviens d'avoir organisé une marche pour recueillir des fonds pour la bande. Nous avons récolté environ 600 $, et cette somme nous a servi de mise initiale. Le chef devait rendre compte de chaque cent, mais je n'avais aucune formation en administration. L'infirmière m'aidait à tenir les livres. J'ai aussi pris une certaine expérience comme administrateur de bande. C'était la seule façon de gagner de l'argent, étant donné que le chef n'était pas rémunéré mais que l'administrateur l'était. Les fonctions du chef devenaient de plus en plus accaparantes à mesure que le gouvernement fédéral nous attribuait des responsabilités.

Quel était le mode de gouvernement traditionnel des Tlingit?

Il y a deux clans principaux, celui des Loups et celui des Corbeaux, qui se subdivisent en sous-clans, portant différents noms. Dans mon petit clan particulier, qui s'appelle Keeshkeetan, tout relève du côté maternel et nous sommes un sous-clan des Corbeaux. Dans le petit village de Teslin, il y a un dirigeant pour chacun des cinq clans plus un chef. Je ne suis plus chef, mais je dirige encore mon clan. Parce que nous sommes les dirigeants de notre propre peuple, nous sommes les principaux porte-parole de nos clans. Chaque fois qu'il se présente des questions, comme par exemple lors d'un potlatch, et que mon peuple veut se faire entendre, il m'incombe de parler en son nom. S'il y a de bonnes choses à dire je les dis; et s'il me semble que d'autres clans nous ont lésés de quelque manière, je le dis également.

Au cours des potlatchs, qui ne se déroulent plus avec le faste d'autrefois, l'occasion nous est donnée de prononcer de nombreux discours, surtout un an après un enterrement lorsqu'il s'agit d'installer la pierre tombale. Plusieurs discours portent sur la joie que tous éprouvent enfin devant le lieu où repose la personne aimée. Mais si, à ce moment, votre clan s'inquiète au sujet d'un geste ou d'une omission d'un autre clan, c'est aussi l'occasion d'en parler. Il peut s'agir, par exemple, de la violation de territoires de chasse et de pêche autrefois clairement établis. On n'a plus le même respect pour les territoires aujourd'hui. Tout était jadis fondé sur la survivance et on nous inculquait le respect des animaux que nous n'utilisions que dans la mesure de nos besoins, car il était mal de gaspiller. Nous suivions le saumon et les oiseaux migrateurs et nous nous rendions dans la montagne l'hiver pour y trouver la viande dont nous avions besoin. Aujourd'hui, tout a changé et nous ne voyons que très peu d'Autochtones vivre exclusivement des produits de la chasse et de la pêche.

Comment êtes-vous entré sur la scène politique?

Lorsque j'ai pris ma retraite comme chef de bande en 1982, je n'avais aucune intention d'entrer à l'Assemblée législative. Je faisais un peu de piégeage et je gagnais très bien ma vie. Il existe un marché ferme pour le lynx à long poil et le glouton. Il est possible, en quelques mois, de gagner 30 000 $ ou plus. Un bon trappeur doit connaître son métier : il doit pratiquement devenir un biologiste accompli.

Avant les élections de 1985, le député qui détenait le siège de Campbell à l'Assemblée a déménagé à Watson Lake. Il disait en badinant que je devrais être le prochain député à l'Assemblée législative. En fait, l'expérience que j'avais acquise comme chef a poussé les trois partis à me demander si j'étais intéressé à entrer en lice.

Pourquoi vous êtes-vous orienté vers la politique?

Avec l'approche des revendications territoriales, il m'a semblé que le temps était venu pour les Autochtones d'entrer sur la scène politique; et comment mieux faire que de se présenter comme député. J'estimais qu'en agissant ainsi, j'ouvrais la porte à d'autres qui me suivraient. Ils se diraient : « Si Sain a pu le faire, pourquoi pas moi? » Beaucoup de décisions prises dans cette Chambre concernent le peuple indien, surtout lorsqu'il s'agit des ressources renouvelables. Il était temps, selon moi, que la population indienne soit représentée au gouvernement pour participer à la prise de décisions, plutôt que de rester à l'extérieur comme simple observateur.

Quelle raison vous a incité à choisir le Parti néo-démocrate?

C'est plutôt la réalité géographique. Il y a, voyez-vous, trois régions principales dans la circonscription : Teslin, Ross River et Upper Laird. Les conservateurs ont nommé quelqu'un de Ross River plutôt que de Teslin. Dans ces conditions, Teslin ne pouvait être représenté à l'Assemblée législative que par un des autres partis. J'ai choisi le Parti néo-démocrate et remporté l'élection par quelque 65 votes.

Parlez-nous un peu plus de votre circonscription.

C'est l'une des plus grandes du Yukon. Teslin, situé en plein centre, se trouve à quelque huit heures de route de Ross River et à environ trois heures de Laird. La circonscription compte environ 600 électeurs, et je puis dire que je les connais presque tous personnellement. Il est important de représenter les trois collectivités et je m'efforce de leur rendre visite une fois par mois. Nous n'avons pas de bureau de circonscription. Aussi, je loge chez des amis pendant quatre ou cinq jours durant lesquels je m'efforce d'entrer en rapport avec les clubs locaux, les chefs de bande, la GRC et toutes les autres personnes qui souhaitent me rencontrer.

Avez-vous été surpris d'être choisi comme président de l'Assemblée après l'élection?

Très surpris. Les résultats de l'élection étaient très serrés : huit néo-démocrates, six conservateurs et deux libéraux. Après la nomination des ministres, il ne restait que trois simples députés : Norma Kassi, Art Webster et moi-même. Lorsque le leader du gouvernement m'a offert le poste de président, j'ai refusé mais il m'a prié d'y penser. En fin de semaine, on a publié dans le journal une photo du fauteuil du président, suivie d'un exposé au sujet de celui qui y siégerait. J'ai décidé d'accepter le poste, sans avoir jamais vu de ma vie l'Assemblée législative. J'aurais bien aimé avoir au moins visité le Parlement pour savoir un peu à quoi je m'engageais.

Vos électeurs se plaignent-ils parfois de ce que leur représentant soit président?

Il y a eu au début, je crois, un léger malentendu. Mes électeurs croyaient qu'ils avaient élu un député et qu'ils le perdaient du fait que j'étais élu président. Après un certain temps, cette attitude a un peu changé et je crois qu'à titre de président je puis avoir plus facilement accès aux ministres qu'il en aurait été autrement. En outre, le Règlement de la Chambre m'autorise à assister au Comité plénier et à y prendre la parole. Certes, le président ne devrait jamais prononcer de discours partisans mais il lui est possible, à cette occasion, de parler en faveur de sa circonscription électorale. J'essaie toujours d'être très prudent et de ne dire que ce qui est absolument nécessaire.

Quelles ont été les plus grandes difficultés que vous a causées votre manque d'expérience à la Chambre et comme président?

Il est très difficile de siéger dans ce gros fauteuil devant les tribunes remplies et sous les yeux de tous les députés. J'ai dû m'habituer à certaines formalités comme celle d'appeler les députés par leur circonscription. Quant à la procédure, j'ai dû m'en remettre au greffier qui me préparait chaque jour une marche à suivre. Ce qui me pose le plus de problèmes, c'est la période des questions. Je trouve qu'il est facile de perdre le fil et il peut être alors assez embarrassant de ne pouvoir répondre à un député qui fait appel au Règlement au sujet d'une question ou d'une réponse. J'imagine qu'il faut du temps avant de saisir toutes les subtilités.

Comment réagissez-vous au langage non parlementaire?

Il incombe au président de veiller à ce que le langage utilisé ne se détériore pas trop. Je suis peut-être un peu plus exigeant pour le langage employé à la Chambre. Mon expérience de chef de la bande Teslin m'a appris qu'on n'arrive jamais à rien par la colère. Il faut plutôt être disposé à parler calmement, car les cris ou les insultes ne font bouger personne. Il faut faire preuve de respect et de bonne volonté.

Avez-vous essayé de témoigner dans vos fonctions que vous êtes le premier président autochtone?

Une des premières choses que j'ai faites a été de me commander une nouvelle toge de président. Celle-ci a été taillée dans une pièce de tissu bleu pâle donnée par un magasin d'artisanat local. Il y a un corbeau au dos et, sur le devant, un loup aux abois d'un côté et, de l'autre, un corbeau en plein vol. Je la porte le lundi et j'utilise la toge noire traditionnelle le reste de la semaine. Lorsque je quitterai la présidence, j'ai l'intention de ne pas l'apporter et j'espère qu'elle sera utilisée par les futurs présidents. J'ai aussi inventé une nouvelle prière pour l'Assemblée, qui à mon avis convient mieux à des personnes issues de différentes confessions religieuses. La voici :

Ô Grand Esprit, créateur et chef de tous les peuples

Nous te remercions d'être réunis ici aujourd'hui

Ô Grand Esprit, je te demande de toucher et de bénir chacun de ceux qui sont dans cette Chambre.

Veille à ce que nous, les députés élus, ne prenions que des décisions fermes, justes et éclairées au nom de la populations du Yukon que nous représentons.

Avez-vous demandé l'avis des leaders à la Chambre?

Non, je ne m'y suis pas pris de cette façon. Dès que je suis arrivé à la Chambre, bien conscient d'être le premier président autochtone, j'ai cru que je devais faire quelque chose de différent, à caractère plutôt autochtone, mais qui vaudrait pour tous. J'ai donc montré cette prière à différentes personnes qui n'y ont pas tellement apporté de changements. Je voulais une prière qui ne soit pas uniquement d'inspiration chrétienne ou autre, mais où tous se reconnaîtraient. Certains députés ont d'abord été un peu choqués parce que cela dérangeait leurs habitudes. Après l'avoir récitée pour la première fois, j'ai consulté quelques députés de tous les partis pour connaître leur réaction et ils m'ont dit qu'ils n'y voyaient rien de mal. J'ai donc continué à la réciter.

Vous avez été élu président de la section du Yukon de l'Association parlementaire du Commonwealth peu après avoir été élu membre de l'Assemblée. Quel jugement porteriez-vous sur l'APC? Y avez-vous appris quoi que ce soit qui vous aide dans vos rôles de député ou de président?

J'ai trouvé qu'il était très intéressant de rencontrer les présidents d'autres assemblées législatives. Je suis heureux d'en faire partie parce qu'en somme nous faisons passablement tous le même travail et j'ai trouvé très instructif de participer aux sessions et aux conférences. Certaines législatures sont beaucoup plus grandes que la nôtre, mais il n'empêche que nous abordons un grand nombre de sujets semblables tels la période des questions, la question de savoir si les présidents devraient assister aux réunions du caucus et à quelles conditions, et enfin, la façon de réagir au langage non parlementaire.

Estimez-vous que la carrière politique nuit à la vie familiale?

Tout homme politique doit avoir une épouse compréhensive. Lorsque nous prenons des engagements, nous devons nécessairement nous éloigner de notre foyer. Sans une épouse compréhensive, cette vie serait très difficile.

J'ai été chef d'une famille monoparentale pendant cinq ans, de sorte que mes enfants se sont habitués à me savoir au loin. Par ailleurs, mon engagement dans la politique les a rendus beaucoup plus au courant de la vie publique que je ne l'étais à leur âge.

En plus de la politique, je dirige la troupe de danseurs Teslin Tlingit. Nous nous produisons à différentes occasions et nous nous sommes même rendus à Saint John (Nouveau-Brunswick) pour les Jeux du Canada et à Vancouver pour Expo 86. La troupe compte 21 danseurs dont l'âge varie entre 88 ans pour mon père, et deux ans, pour ma fille. De telles activités gardent notre culture vivante et notre famille unie.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 9 no 4
1986






Dernière mise à jour : 2020-09-14