Louis Massicotte
Strengthening Canada, Reform of Canada's Senate,
Rapport du Comité spécial de l'Assemblée législative de l'Alberta, Edmonton,
mars 1985, 236 pages.
Le rapport du Comité albertain constitue une nouvelle
variation sur un thème assez populaire depuis 1980, soit l'idée d'un Sénat élu
au suffrage universel. Il y apporte cependant des traits originaux, qui
pourraient relancer le débat sur une option que le résultat des plus récentes
élections générales avait paru reléguer dans l'ombre.
Le recours au suffrage universel pour l'élection du
Sénat a suscité deux principales critiques. Les tenants d'un gouvernement
central fort s'inquiètent des effets qu'aurait sur la cohésion des institutions
parlementaires fédérales une deuxième chambre susceptible d'entrer en conflit
avec la première vu son origine élective. Les tenants de l'autonomie
provinciale soutiennent par ailleurs que les partis fédéraux deviendraient
infailliblement les maîtres d’œuvre des élections sénatoriales et qu'en conséquence
les sénateurs élus se comporteraient en politiciens partisans fédéraux plutôt
qu'en représentants régionaux. Indépendamment des arrière-pensées des uns et
des autres, le Sénat électif constitue une idée plutôt populaire auprès du
public dans tous les coins du pays. Les gouvernements ont donc tenté d'en
construire des versions satisfaisant leurs préoccupations respectives. Au
niveau fédéral, M. Gordon Robertson, le sénateur Royce Frith et le Comité mixte
Molgat-Cosgrove ont produit des modèles plutôt favorables à la perspective
outaouaise. Le Comité présidé par le député Anderson vient de retoucher ces
modèles pour les adapter à la perspective albertaine.
Le Sénat proposé compterait 64 membres, soit six pour
chaque province et deux pour chaque territoire. L'une des innovations les plus
intéressantes consiste à prévoir l'élection de la moitié des sénateurs de
chaque province (ou territoire) à l'occasion des élections générales
provinciales (ou territoriales). Les partis provinciaux seraient ainsi mieux en
mesure d'orienter le débat entourant l'élection des sénateurs, voire d'imposer
leurs propres candidats. Les sénateurs élus dans ces conditions se
comporteraient vraisemblablement plus en représentants régionaux qu'en
parlementaires fédéraux : tel semble être du moins l'espoir du Comité.
Élus pour la durée de deux législatures provinciales,
quelle qu'en soit la durée, les sénateurs représenteraient l'ensemble de leur
province et non une circonscription restreinte. Le mode de scrutin retenu est le
scrutin majoritaire plurinominal à un tour. En rejetant la proportionnelle, les
députés albertains confirment l'impopularité de cette formule auprès des
parlementaires canadiens. Venant après la prise de position du Comité Molgat-Cosgrove et le traitement récemment réservé à Québec au rapport de la
Commission de la représentation, ce rapport paraît vouer la proportionnelle au
congélateur pour plusieurs années, malgré la popularité que cette formule
conserve dans les milieux universitaires et chez certains hauts fonctionnaires.
Les pouvoirs du nouvel organe seraient inversement
proportionnels à l'importance de la législation à l'étude. Ainsi le Sénat
n'aurait aucun droit de veto sur les projets de loi de subsides (la leçon
australienne a été bien assimilée!). À l'égard des projets de loi financiers ou
fiscaux, sur lesquels il devrait se prononcer dans un délai de 90 jours, son
veto pourrait être levé par les Communes à la majorité simple. À l'égard des
autres projets de loi, il devrait se prononcer dans un délai de 180 jours et
son veto ne pourrait être levé par les Communes que par une majorité supérieure
(en pourcentage) à celle par laquelle le Sénat s'y est objecté. De plus, les
modifications touchant les langues française et anglaise seraient sujettes à
une double majorité : en plus de la majorité de l'ensemble des sénateurs, la
majorité des sénateurs anglophones ou francophones serait requise, « depending
on the issue ».
L'organisation interne de la nouvelle Chambre viserait
à garantir son indépendance vis-à-vis des partis fédéraux. La disposition des
fauteuils sénatoriaux se ferait en fonction de la province représentée, non de
l'affiliation partisane. La détermination de l'ordre du jour relèverait non
plus des leaders du gouvernement et de l'opposition ces fonctions seraient
abolies, mais plutôt d'un « Conseil exécutif sénatorial » composé du Président du Sénat et des présidents élus par
chaque délégation provinciale. Le Comité espère qu'un siège au sein de ce
Conseil exécutif constituera l'étape ultime du cursus honorum sénatorial
puisque l'accès au Cabinet serait interdit à tout sénateur.
Le Comité émet aussi des recommandations particulières
sur certains sujets connexes. Les conférences périodiques des premiers
ministres seraient désormais prévues par la Constitution et les premiers
ministres devraient ratifier par un vote majoritaire les nominations à la Cour
suprême ainsi que le recours par le gouvernement central aux pouvoirs d'urgence
(sauf en temps de guerre). Enfin, les pouvoirs de réserve et de désaveu
seraient abolis.
Le volume imposant du rapport laisse espérer une
argumentation serrée, mais un lecteur exigeant risque de rester sur sa faim. En
effet, les quatre cinquièmes du texte sont constitués d'études descriptives
rédigées par le service de recherche de la Bibliothèque de la législature
albertaine, et le rapport proprement dit tient en une cinquantaine de pages, ce
que certains trouveront un peu bref pour le résultat de travaux qui se sont
étalés sur une quinzaine de mois. Surtout, l'on a parfois l'impression que
plusieurs objections de taille à l'encontre du modèle avancé par le Comité ne
sont pas réfutées, ni même évoquées.
Prenons par exemple l'innovation capitale du rapport,
soit l'élection des sénateurs à chaque élection provinciale. Le déclenchement
d'une telle élection oblige la moitié d'une délégation provinciale à retourner
devant ses électeurs pour la trentaine de jours que durera la campagne
électorale. Le Sénat peut-il continuer à délibérer durant cette période?
Qu'arriverait-il si trois ou quatre provinces tenaient des élections générales
à peu près au même moment? De deux choses l'une. Ou bien le Sénat siégera
nonobstant le fait que certains de ses membres soient en campagne électoral, et
alors décisions prises durant cette période pourraient se révéler défavorable
au absents car chaque vote pèse lourd dans une assemblée de 64 personnes où
certain votes requièrent une majorité plus élevée qu'à l’ordinaire.
Louis Massicotte,
Service de recherche, Bibliothèque du Parlement
Ottawa
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