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C'est en 1940 a 31 ans que M. George McIlraith a été élu pour la
première, fois comme député libéral à la Chambre des communes. Depuis, il a été
réélu à 10 reprises comme représentant fédéral de la circonscription d'Ottawa
Ouest (aujourd'hui Ottawa Centre). Il a siégé à la Chambre des communes
jusqu'en 1972, aimée de sa nomination ait Sénat où il est demeure jusqu'à sa
retraite en juillet 1983. M. McIlraith a été adjoint parlementaire du très
honorable C.D. Howe, de 1945 à 1953, et membre du Cabinet des premiers
ministres Lester B. Pearson et Pierre Trudeau, de 1963 à 1970.
Il a détenu, entre autres, les portefeuilles suivants : ministre tics
Transports, président du Conseil privé, vice-président du Conseil dit Trésor,
leader du gouvernement a la Chambre, ministre des travaux publics, ministre
responsable de la Commission de la capitale nationale, solliciteur général et
ministre par intérim du Revenu national et de la Justice. Il a été interviewé
en octobre 1984.
Vous avez été parlementaire
pendant près de 43 ans. A quand remonte l'intérêt que vous portez à la
politique, et qui vous a décidé à entrer en politique ou vous a encouragé à
vous porter candidat au Parlement?
Au temps de la Grande Dépression, j'étais étudiant en droit et jeune
avocat et, comme tous les jeunes de l'époque, je m'intéressais énormément au
gouvernement et à la politique. Nous nous préoccupions sans cesse de ce que
faisaient les divers gouvernements au niveau fédéral et provincial. Personne ne
m'a orienté dans mes opinions politiques mais un grand nombre de chefs
politiques de ce temps m'ont tour à tour influencé. Toutefois, une seule
personne m'a poussé à me présenter comme candidat; c'est le regretté sénateur
Cairine Wilson. Bien que très actif en politique, comme jeune étudiant en droit
et jeune avocat, je n'avais jamais eu l'intention de me présenter comme député.
J'y suis venu plus ou moins accidentellement, lorsqu'on a fait pression sur moi
pour que je pose ma candidature à un siège devenu vacant en 1940.
Quel genre de parlementaire
était M. MacKenzie King, qui était premier ministre lorsque vous avez été élu
pour la première fois?
À mon avis, il a été le plus compétent de tous les premiers ministres du
Canada, depuis la Confédération, à l'exception, peut-être, de Sir John A.
Macdonald. Il a sans doute été le plus compétent de tous ceux que j'ai connus
personnellement. Très versé cri histoire du Canada, il a été marqué par le rôle
joué par son grand-père, en 1837, dans la rébellion du Haut Canada et dans la
lutte cri vue d'établir un gouvernement responsable au Canada.
C'était un véritable démocrate, en ce sens qu'il estimait que les
ministres, ou le cabinet, devaient être responsables en tout temps, envers les
députés. Il protégeait les droits du Parlement, mais assurait aussi à la
population que, même si leurs représentants élus prenaient des décisions en leur
nom, ils ne les prenaient pas de leur propre chef et demeuraient responsables
envers eux. De la même manière, son cabinet se sentait toujours responsable
envers les députés, et il se comportait en conséquence.
Il n'essayait pas de forcer l'adoption d'une loi, si désirable lui
semblât-elle, tarit qu'elle n'avait été complètement discutée au Parlement et
que celui-ci ne j'avait pas acceptée de plein gré.
Le Canada était en guerre
quand vous avez été élu député. Quelles furent les répercussions de cette
guerre sur les travaux de la Chambre?
Elle y a peut-être suscité un sens des responsabilités plus vif que
celui que nous y trouvons depuis. Le gouvernement d'alors avait Lin sens aigu
Lie ses responsabilités et la guerre en était l'une des plus graves. Le conflit
mondial rallia les efforts de tous en vue Lie la victoire. Et quelles aient été
les divergences concernant les méthodes à l'employer pour gagner la guerre,
personne ne doutait Lie l'objectif du Parlement et du gouvernement. C'est
pourquoi la plupart Lies discussions étaient beaucoup moins partisanes
qu'aujourd'hui. De fait, M. King, en tant que chef du Parti libéral, a
effectivement fermé les bureaux du parti et supprimé toute activité partisane
durant toute la guerre.
Sans doute, le choix des mesures les plus appropriées à la poursuite de
la guerre a suscité de grandes divergences d'opinion et beaucoup d'aigreur. La
question de la conscription en est Lin bon exemple. L'unité nationale n'était
pas alors un slogan. C'était un objectif que le gouvernement s'efforçait
d'atteindre activement et sans relâche et auquel tous les parlementaires
souscrivaient. Tous jugeaient nécessaire de sauvegarder l'unité du pays pour en
assurer la survie et pour poursuivre la guerre.
Le premier ministre MacKenzie
King était-il accessible aux députés?
Au cours des huit années que j'ai passées à ses côtés, je me suis
entretenu avec lui plus que je ne l'ai fait par la suite avec tout autre
premier ministre. En ce temps-là, il avait un bureau adjacent la Chambre des
communes, dans l'Édifice du Centre, en plus de son cabinet de premier ministre.
Il lui arrivait souvent d'inviter un simple député à venir à son bureau pour
discuter d'une question d'actualité ou d'un sujet intéressant particulièrement
sa circonscription. En fait, durant son mandat, tous les députés avaient leur
bureau dans le même bâtiment, l'Édifice du Centre. Cela facilitait
considérablement la communication entre les députés et avec le Cabinet, tout en
permettant de suivre de près les débats de la Chambre. Sans compter que le
premier ministre et les membres de son Cabinet étaient beaucoup plus
accessibles aux députés.
À quel moment ces rapports
étroits ont-ils commencé à se relâcher?
Lorsque les députés ont occupé des bureaux ailleurs qu'à l'édifice du
Centre, ces rapports ont commencé à se relâcher et la tendance s'est vite
accélérée. Mais les différentes personnalités des premiers ministres ont
naturellement influé sur tout cela.
Par ailleurs, la distinction entre l'organe politique du Parlement et
l'organe administratif du gouvernement a commencé à s'estomper et elle est
devenue tout à fait floue aujourd'hui. L'organe administratif du gouvernement,
la Fonction publique, devrait compléter le travail du Parlement, À l'heure actuelle,
ils semblent empiéter l'un sur l'autre, et il faudrait remédier à cette
situation sans tarder.
Curieusement, c'est à l'un de
vos maîtres, le très honorable C.D. Howe, qu'on attribue souvent le déclin du
rôle du Parlement.
Ce reproche est tout à fait injustifié, Malgré la réputation qu'on lui
ait faite, M. Howe avait un profond respect pour le Parlement dont il
comprenait très bien le fonctionnement. Un exemple: je me souviens parfaitement
– j'étais alors l'adjoint parlementaire de M. Howe – qu'un député libéral de
l'arrière-ban avait énergiquement demandé à un sous-ministre un renseignement
qui lui fut refusé. M. Howe dit alors à ce sous-ministre : « M. X est un
membre élu de la Chambre des communes, envers lequel j'ai des responsabilités
en ma qualité de ministre de la Couronne : vous devez donc lui donner les
renseignements qu'il demande ». Et j'ai été en mesure de constater qu'il a
suivi cette politique tout au long de son mandat.
La décision de M. Howe de
hâter la clôture du débat sur le pipeline, en 1956, a sûrement été un mauvais
point pour le Parlement?
Le débat sur le pipeline portait sur l'autorisation d'emprunter des
fonds avant un certaine date, pour commencer la construction du pipeline
transcanadien. Ce n'est pas M. Howe qui décida de clore le débat, mais certains
membres du Cabinet. Cette décision fut prise arbitrairement et à mauvais
escient. M. Howe se sentit lié par la décision que son Cabinet avait prise à
l'instigation de ses jeunes membres, mais qu'il désapprouvait énergiquement.
Au cours de ce même débat, le président René Beaudoin a renversé l'une
de ses propres décisions, facilitant de ce fait l'adoption du projet de loi.
Vous souvenez-vous de cet incident?
Beaudoin est probablement le personnage le plus tragique Lie tout le
débat sur le pipeline. Je crois vraiment qu'il a cédé à la panique. Il
connaissait très bien le Règlement, mais il était très ambitieux et, ce qui est
plus important, il avait le besoin, pour ne pas dire le désir irrépressible de
plaire à tout le mondé.
C'est une qualité très dangereuse pour un président de la Chambre des
communes. Je me souviens qu'en plein débat, lorsque la situation devint très
tendue de part et d'autre, M. Beaudoin commença à transpirer et à pâlir, comme
s'il était en proie à une crise cardiaque. M. McCann, qui était médecin et en
même temps ministre du Revenu national, me demanda alors quelques comprimés de
nitroglycérine qu'il enveloppa d'un morceau de papier et les fit parvenir au
président, avec une noté lui conseillant de les mettre sous sa langue. Le
lendemain, on rapporta partout que le gouvernement avait envoyé des directives
au président sur la conduite a suivre et que celui-ci s'y était conformé. Cela
montre la tension qui régnait dan,; la Chambre et lu climat émotif dans lequel
se déroulait le débat. Toute logique avait disparu, seule l'émotion subsistait.
En 1957 et pour les cinq
années suivantes, vous étiez dans l'opposition. Comment ce changement vous
a-t-il affecté?
J'ai souvent dit, très sérieusement d'ailleurs, qu'il est plus facile et
plus agréable d'être dans l'opposition. Peut-être n'en retire-t-on pas autant
de satisfaction, mais ce n'en est pas moins agréable. Il ne nous a pas fallu de
longues années pour mettre le gouvernement en déroute malgré la forte majorité
dont il disposait.
Après les élections de 1958,
les députes du parti gouvernemental étaient si nombreux qu'il v en avait dans
les couloirs de l'Opposition plus que les membres de l'Opposition eux-mêmes. Ce
partage des couloirs entre les libéraux et les conservateurs a-t-il créé des
difficultés?
Pas vraiment, car l'atmosphère était très amicale et nous nous
entendions tous très bien. On pouvait suivre avec intérêt l'évolution de
l'attitude de certains nouveaux partisans du gouvernement. Jusque là, l'Ouest
comptait bien peu du députés conservateurs. Plusieurs d'entre eux, qui avaient
été élus à la faveur de l'écrasante victoire de Diefenbaker, n'avaient jamais
été membres des associations du parti conservateur et ignoraient presque tout
du Parlement. Il fut intéressant de voir comment ils eurent vite fait de croire
qu'ils avaient personnellement gagné les élections alors qu'en fait, ils
avaient été simplement portés par la marée. Malheureusement, certains d'entre
eux sont devenus arrogants et enclins, de ce fait, à agir arbitrairement et à
faire peu de cas de l'opinion d'autrui. Ils se méfiaient de tous ceux qui
n'appuyaient pas le gouvernement. Le whip du parti avait même émis une
directive interdisant aux secrétaires des députés du parti gouvernemental de
prendre leur ou leur déjeuner en compagnie Lie leurs collègues au service des
députés libéraux.
Malgré sa chute rapide, le
premier ministre Diefenbaker est souvent considéré comme un grand
parlementaire. Êtes-vous de cet avis?
M. Diefenbaker excellait dans les débats mais il n'était pas un grand
parlementaire. C'était un comédien accompli qui aurait probablement fait
carrière ut connu la célébrité au théâtre, autant peut-être que le grand
Raymond Massey, mais il ne comprenait pas ou n'appréciait pas le rôle de
premier ministre. Il passait volontiers le plus clair de son temps à essayer de
démolir l'opposition au lieu de su comporter en premier ministre, c'est-à-dire
de présenter un programme solide que le Parlement appuierait et adopterait. En
d'autres ternies, il se servait du Parlement pour détruire plutôt que pour
construire, jamais un chef n'est tombé d'aussi haut, aussi vite.
Vous avez été plusieurs fois
ministre sous Pearson. Le rôle de leader parlementaire que vous avez assumé
dans un parlement minoritaire, a dû être le plus difficile de votre carrière?
Non pas, car en rétrospective, il me semble que M. Pearson m'utilisait
un peu comme dépanneur dans son Cabinet. J'allais d'un ministère à l'autre, dès
qu'un problème se présentait. Par exemple, lorsque le ministre de la Justice,
M. Favreau, a démissionné j'ai assumé ses fonctions. La même chose s'est
produite lors du décès de M. John Garland, le ministre du Revenu national. J'ai
assumé les fonctions de ministre intérimaire pour environ quatre mois. J'ai
souvent été vice-premier ministre lorsque M. Pearson s'absentait d'Ottawa. Mes
fonctions de leader parlementaire allaient de pair avec celle du portefeuille
que je détenais et je trouvais assez agréable de travailler avec tous les
députés de la Chambre.
Vous étiez leader parlementaire
du gouvernement au moment du long débat sur l'adoption du drapeau canadien. Que
vous rappelez-vous de cette période?
Le débat sur la question du drapeau dura de longues semaines. Ce fut
sans aucun doute une expérience fastidieuse qui a beaucoup retardé les travaux
de la Chambre. On a proposé tant d'amendements que beaucoup de députés ont pris
la parole à plusieurs reprises et que presque tous les membres de l'opposition
sont intervenus plus d'une fois. Après un certain temps, la situation tourna au
ridicule, car les députés ne faisaient que se répéter sans rien apporter de
neuf au débat. J'ai alors proposé la clôture. En fait, bien que cette mesure
soit habituellement très impopulaire, tous les députés ont semblé soulagés par
cette initiative et je n'ai reçu aucune plainte de la part du public,
absolument aucune. Au contraire, bon nombre de députés de l'opposition m'ont
appuyé.
Quelle est la qualité la plus
importante d'un bon leader parlementaire?
L'intégrité politique. Les députés doivent savoir qu'ils peuvent se fier
à la parole du leader parlementaire et que celui-ci ne profitera pas de sa
situation pour influer sur les travaux de la Chambre à leur détriment. Si le
leader réussit à obtenir leur confiance et qu'il prend bien soin de toujours la
mériter, les députés collaborent alors pleinement avec lui. S'il n'obtient pas
leur confiance toutefois, c'est le désastre.
En fait, je crois que les députés de l'opposition ont autant intérêt que
ceux du gouvernement à ce que les travaux de la Chambre des communes se
déroulent bien, Le leader parlementaire dit gouvernement doit veiller à
protéger les droits de chaque député de la Chambre au cours des débats et
ceux-ci doivent être convaincus qu'il le fera.
Vous avez assisté à un grand
nombre de congrès d'investiture. Y a-t-il eu, à votre avis, des changements
importants dans le style et l'organisation de ces congres et, le cas échéant,
ont-ils été positifs?
Cette question devrait être étudiée sans plus tarder, car il v a lieu de
modifier notre façon de procéder. La formule actuelle n'est pas satisfaisante,
premièrement parce qu'elle est devenue trop coûteuse, et deuxièmement parce que
les délégués qui assistent à ces congrès ne sont plus représentatifs des
citoyens de leur circonscription. En effet, ils sont souvent choisis par
quelques personnes qui distribuent des cartes de membre parmi certains groupes
restreints. Ce sont ces personnes qui choisissent les délégués et non tous les
membres du parti de la circonscription. Il v a donc lieu d'examiner cette
question et d'y apporter des changements radicaux.
Vous avez déclaré dans votre
lettre de démission de votre poste de ministre, que les simples députés
pouvaient influencer la conduite des affaires. Dans quelle mesure, en fait, un
simple député peut-il exercer une influence et que pensez-vous des réformes
adoptées au cours de la dernière législature?
Le simple député peut exercer une très grande influence. Tout dépend
cependant de l'attitude du premier ministre ou du chef de l'Opposition, selon
le cas. Cette influence a considérablement diminué depuis dix ans. Les récentes
modifications apportées aux règles de procédure de la Chambre sont d mon avis
superficielles. Elles n'ont pas réglé les principaux problèmes qui se posent
toujours à l'heure actuelle.
Comment la nature et la
qualité de vos relations avec la presse ont-elles évolue au cours de votre
carrière?
J'ai toujours eu d'assez bonnes relations avec la presse tout au long de
nia carrière politique. J'ai toutefois noté un changement d'attitude
considérable parmi les médias depuis 40 ans. Ils ont tendance à croire qu'ils
font autorité dans bien des domaines et ne se contentent plus de rapporter
purement et simplement les faits.
La télévision, la radio et les journaux se font maintenant concurrence
et, dans cette lutte, ils emploient souvent des méthodes déplorables. De plus,
on remarque actuellement une regrettable concentration des pouvoirs dans le
monde des médias. Il n'y a qu'à voir combien de villes du pays sont maintenant
desservies par un seul quotidien, combien de canaux de télévision relèvent
d'une seule chaîne ou appartiennent en quelque sorte au même propriétaire.
Vous avez siégé plus de dix
ans au Sénat. Comment voyez-vous l'avenir de la Chambre haute?
Le Sénat joue un rôle important et essentiel puisqu'il empêche la
concentration des pouvoirs entre les mains du gouvernement. De même, il veille
à ce que les mesures législatives soient tout à fait conformes aux intentions du
Parlement c'est-à-dire qu'elles soient bien rédigées et qu'elles ne
contreviennent pas inutilement aux droits des divers segments de la population.
La Chambre des communes ne peut assumer ce rôle aussi efficacement que
le Sénat dans bien des cas. Il v a certainement lieu d'effectuer certaines
réformes ait Sénat, notamment en ce qui concerne la conduite des travaux et les
critères de nomination de ses membres.
Les Conservateurs détiennent
maintenant une énorme majorité à la Chambre des communes, et les Libéraux au
Sénat. Croyez-vous que cela puisse causer des problèmes?
Non. Je ne crois pas que la présence d'une opposition majoritaire au
Sénat pose des problèmes. Il est fort peu probable que le Sénat tente de passer
outre ou de s'opposer à la volonté des électeurs, exprimée clairement lors des
dernières élections. Le Sénat doit continuer de relever les lacunes que
présentent les projets de loi et, au besoin, les renvoyer à la Chambre des
communes afin qu'elle les étudie plus à fond et y apporte les corrections
nécessaires. je ne crois pas que le Sénat tentera de faire obstruction à
l'adoption de mesures législatives qui auront été étudiées suffisamment aux
Communes. Chaque chambre a un rôle différent et, à mon avis, le problème que
vous avez soulevé ne se posera pas.
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